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«Les prix de l'électricité baissent : une chance pour la France, un dilemme pour EDF»

FIGAROVOX/TRIBUNE - L'entreprise publique doit garder son rang de leader mondial et incontesté du nucléaire. Pour ce faire, il préconise de remettre sur pied nos centrales, explique Étienne Bertier, ancien secrétaire général d'EDF.

Étienne Bertier est l’ancien secrétaire général d'EDF.


8 milliards d'euros ! C'est le montant de la commande record qu'EDF a passé fin avril à sa filiale Framatome pour la mise en chantier des cuves des six futurs EPR du nouveau programme nucléaire français. Un montant colossal par lequel EDF veut prouver son engagement en faveur du nouveau nucléaire pour des centrales qui ne seront couplées qu'en 2040, au mieux !

Mais faut-il vraiment se hâter ? Peut-être pas, car depuis dix-huit mois les prix de gros de l'électricité… s'effondrent. Des hauteurs stratosphériques qu'ils avaient atteintes (plus de 1000 euros le mégawatt-heure en août 2022), les prix de gros ont fondu depuis (entre 70 et 80 euros le mégawatt-heure) !

Les raisons ? En premier lieu, la croissance étique de l'Europe depuis l'offensive russe en Ukraine fait que l'industrie consomme et consommera moins d'électricité que cela n'était prévu. Ensuite, le réchauffement climatique, s'il pousse ici où là à l'installation de climatisations consommatrices d'électricité, a surtout pour effet de réduire considérablement la consommation d'électricité en hiver ce qui pèse fortement à la baisse sur les prix de gros. Côté voitures électriques, les ventes commencent à stagner et leur consommation d'électricité ne croîtra sans doute pas comme espéré. Et enfin l'effort considérable réalisé par la plupart des membres de l'Union européenne en matière d'économies d'énergie, d'isolation et de rénovation des logements finit par économiser, lui aussi, des millions de kilowattheures. Sait-on que depuis 2008, la consommation d'électricité stagne en France, et qu'elle baisse nettement depuis 2022. De quoi s'interroger sur les prévisions de RTE, le réseau de transport d'électricité, qui prévoit une augmentation de la consommation de l'ordre de 30% d'ici à 2025. Voilà pour la demande.

Mais que se passe-t-il du côté de l'offre ?

En Europe, on le sait, c'est le prix du premier megawatt produit en brûlant du gaz qui régit le prix de l'électricité.

Or, depuis 2022, le gaz naturel liquéfié américain -principalement du gaz de schiste- arrive en masse dans les usines de regazéification européennes qui peu à peu s'ouvrent dans les grands ports et qui, pour les anciennes, tournent à plein régime. Ce gaz, bien que produit à un coût environnemental extrêmement élevé, bien que transporté par des navires qui eux-mêmes émettent d'importantes quantités de CO2, est abondant et son prix est à la fois raisonnable et prévisible. De plus, les immenses gisements de gaz découverts dans l'Est de la Méditerranée empêcheront durablement une remontée brutale des prix du gaz.

Les PME vont respirer et réembaucher. Mais surtout de nouvelles usines vont pouvoir sortir de terre en Europe sous la baguette magique de la fée électricité qui leur offrira son courant à des conditions compétitives.

Étienne Bertier

Notons au passage, avec le Centre for Research on Energy and Clean Air, que depuis l'offensive russe en Ukraine les importations de GNL américain ont augmenté de 60% et celles de GNL russe de… 35%.

Ensuite EDF a, certes tardivement, en 2023, réussi à remonter le taux de disponibilité de ses centrales nucléaires (de l'ordre de 5 gigawatts) et va, cet été, coupler l'EPR de Flamanville au réseau. Notre parc nucléaire, ce « château d'eau électrique de l'Europe », va recommencer à alimenter les réseaux avec un courant peu cher et dont le coût est lui aussi prévisible.

Enfin, l'électricité verte, issue de l'éolien et du photovoltaïque, largement subventionnée en Europe jusqu'à 2022, déboule aujourd'hui dans le réseau donnant de puissants coups de bélier à la baisse sur les prix au point que, si le soleil et le vent s'y mettent à deux, les prix de l'électricité deviennent parfois négatifs : le réseau ne pouvant absorber ces quantités soudaines et considérables de puissance, on en vient à faire payer les producteurs qui voudraient livrer de l'énergie au système électrique. Une aberration !

Alors que la hausse brutale des prix de gros de l'électricité en 2022 a été due à des facteurs conjoncturels, les facteurs de la baisse sont, on le voit, pour la plupart structurels. Et même si le marché peut encore subir des à-coups épisodiques, cette tendance baissière est durable !

Frottons-nous les mains ! Les ménages vont profiter de cette baisse et retrouver du pouvoir d'achat, du moins si les fournisseurs indépendants et Enedis jouent le jeu et que l'Etat n'augmente pas les taxes sur l'électricité.

Les PME vont respirer et réembaucher. Mais surtout de nouvelles usines vont pouvoir sortir de terre en Europe sous la baguette magique de la fée électricité qui leur offrira son courant à des conditions compétitives.

Bercy a bien compris qu'il y avait là un atout unique en faveur de la réindustrialisation de la France, qui demande à EDF de signer des contrats à long terme avec ses grands clients. Bruno Le Mairefronce même les sourcils devant le peu de contrats signés entre les industriels et l'opérateur public.

Pour EDF l'équation est délicate. De l'aveu d'EDF et de l'avis général, un prix de gros de 70 euros par mégawatt-heure permet à EDF d'être rentable (la CRE par exemple évalue le coût complet du nucléaire existant à 60 euros). C'est sur ce prix de 70 euros que l'Etat et EDF ont basé l'accord de novembre 2023 dit de «market design» qui doit permettre de mettre fin au système de l'Arenh, spoliateur pour EDF. Mais le coût du nouveau nucléaire est, lui, bien supérieur. Sans doute nettement au-delà de 100 euros (si l'on en croit les chiffres des projets de centrales nucléaires d'EDF au Royaume Uni). Or EDF s'apprête à construire au moins six nouvelles tranches nucléaires (l'EPR2), éventuellement suivies par huit autres. Ces centrales, même à l'état de projet, tireront, elles aussi, les prix vers le bas. Dilemme : pour construire il faut financer et pour financer il faut des prix élevés, or construire de nouveaux réacteurs contribuera à faire baisser les prix.

L'entreprise publique doit garder son rang de leader mondial et incontesté du nucléaire. Chacun en convient. Et pour cela il faut construire de nouvelles centrales.

Étienne Bertier

Aujourd'hui EDF prévoit d'investir sensiblement les mêmes sommes dans les nouveaux EPR2 et dans la prolongation de son parc. 70 milliards dans les deux cas ! Mais ces 70 milliards seraient investis beaucoup plus rapidement dans le programme de construction des nouvelles centrales ERP2 que dans la prolongation du parc, opération dite du «grand carénage» qui se finance au fil du temps. Et cela malgré le fait que le retour sur investissement d'un euro investi dans la prolongation des centrales existantes soit bien supérieur à celui d'un euro investi dans une nouvelle centrale. C'est d'ailleurs ce qui avait été pointé dès 2014 par la commission d'enquête parlementaire présidée par le député PS François Brottes.

Une vision objective du marché devrait donc conduire EDF à privilégier le grand carénage ceci afin que les centrales françaises atteignent les 60 ans de durée de vie souhaitée par la Commission de régulation de l'électricité et EDF, voire les 80 années d'exploitation que sont en train d'obtenir plusieurs centrales aux États-Unis. Et à prendre son temps pour lancer les nouvelles centrales dont les coûts de production seront plus chers que le prix du marché. Un tel scénario aboutirait sans doute à contenir la dette d'EDF alors qu'aller à toute vapeur vers le nouveau nucléaire la fera s'envoler. Dans un pays surendetté comme le nôtre, est-il raisonnable de laisser s'envoler la dette d'EDF, assimilable, depuis la renationalisation à 100%, à la dette publique.

De 1974 à 1985, le France s'était équipée de 58 réacteurs nucléaires faisant d'EDF le premier électricien du monde ! L'entreprise publique doit garder son rang de leader mondial et incontesté du nucléaire. Chacun en convient. Et pour cela il faut construire de nouvelles centrales. Certes ! Seulement, cette fois, il faut se hâter comme la tortue ; lentement !

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36 commentaires
  • speti

    le

    Et oui l'électricité nucléaire (pour les nouvelles centrales) ne peut pas être rentable vu le prix des autres moyens de production. Faillite assuré, aidé par un gouvernement incompétent (sujet d'ailleurs tristement partagé par l'ensemble des parties de droites, mais pourquoi vouloir aller dans le mur ?)

  • Anonyme

    le

    La qualité des articles est en forte baisse, comme le prix de l’électricité…

  • Oskar Lafontaine

    le

    lLélectricité la moins onéreuse, c'est celle que vous produisez chez vous, par des panneaux solaires, dont vous stockez une partie pour la nuit et dont vous vous servez dans la journée. ce qui revient cher avec l'électricité c'e'st EDF et son réseau, plus les dettes accumulées en nucléaire par EDF et qu'on vous fait rembourser par des factures majorées, que ça vous plaise ou non. Seule solution : se couper du réseau, et passer en autonomie sur accumulateurs.

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