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L'interview de Bruno Donat, qui avait entamé une grève de la faim pour les enfants et les femmes de Gaza

Bruno Donat conseille aux jeunes de combiner intellect, cœur et humour pour mener une vie équilibrée et enrichissante.
  • Ce Mauricien, haut fonctionnaire de l’ONU, continue en nom personnel, un combat sans relâche sur les réseaux sociaux

Dans cet entretien exclusif, Bruno Donat, Senior Humanitarian Affairs Officer aux Nations Unies, revient sur son parcours et sa passion pour son travail. Il partage également ce qui lui tient par dessus tout à cœur : la paix.

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De toute évidence, votre patronyme n’est pas inconnu des Mauriciens, avec entre autres, votre père, Monseigneur Rex Donat, ancien évêque anglican de Maurice. Récemment, vous avez fait la une de l’actualité au-delà de nos frontières via notamment Al Jazeera, Reuters, The Guardian. Mais,  pourriez-vous vous présenter ?
Je fais partie de la famille Donat. Je dirai que je suis l’un de ces Donat, Mauriciens, un peu rêveur, pragmatique, créatif et peut-être un peu « fou ». Courageux et attaché aux valeurs transmises par la famille.
Mon père, toujours actif à 88 ans, incarne cette vitalité familiale. J’ai suivi les pas de mes aînés, de mes frères, en construisant ma propre identité. La personne que je suis aujourd’hui est le fruit de ce riche héritage familial et des expériences qui m’ont façonné.

Qui ont été vos modèles en grandissant ?
Je suis né à l’époque de l’indépendance. Grandissant, j’ai eu des parents extraordinaires qui, dans leur jeunesse, commençaient à devenir des leaders nationaux. Ils étaient des modèles. Mon père, a été le premier Mauricien à occuper le poste de « warden » (recteur) de l’école secondaire St Andrew’s School. Ma mère, inspirante et pionnière dans plusieurs domaines, a été présidente des Girl Guides et de la Mother’s Union. Dans ses vieux jours, elle est devenue la première non catholique à diriger un collège catholique. Mes frères, Jean et Norbert, sont également des leaders dans leurs propres capacités.

Du côté de l’Église, des figures comme l’archevêque Desmond Tutu, un modèle de paix, et l’évêque anglican Trevor Huddleston ont eu une grande influence sur moi. Durant mon adolescence, lorsque Trevor Huddleston, persona non grata en Afrique du Sud, est devenu notre évêque dans l’Église anglicane, il luttait pour la libération de Nelson Mandela et était président du World Anti-Apartheid Movement. Cela m’a beaucoup marqué.

En ce qu’il s’agit de la politique, je suis tombé dans la marmite comme Obélix. Encore étudiant au secondaire, j’avais réalisé une interview avec sir Gaëtan Duval pour le magazine de l’école. À l’université, j’ai rédigé un article sur la période post-indépendance et  j’ai eu l’honneur d’interviewer des figures politiques majeures comme Paul Bérenger, Navin Ramgoolam et sir Anerood Jugnauth.

Dès mon jeune âge, le scoutisme, en tant que louveteau à Rose-Hill, m’a offert une excellente formation avec des modèles à suivre dans ce domaine.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui voudrait peut-être comme vous un jour devenir un haut fonctionnaire travaillant sur des initiatives de sauvetage et de paix, dans les conflits, en tant que gardien de la paix ou humanitaire ? 
Je pense qu’il faut rêver. Il faut rêver pour pouvoir changer et améliorer les choses, pour vous-même et pour ceux qui ne peuvent pas améliorer leur situation.

J’ai trois conseils pour la jeune génération. Primo, apprenez bien et utilisez votre intellect. Il faut être informé et comprendre les sujets en profondeur. Utilisez la raison et l’intellect pour analyser et résoudre les problèmes. Secundo, soyez humain. Le cœur pense aussi, et il est essentiel de travailler avec compassion et empathie. Tertio, ayez le sens de l’humour et ne vous prenez pas trop au sérieux. Rappelez-vous que l’habit ne fait pas le moine. Donc, combinez intellect, cœur et humour pour mener une vie équilibrée et enrichissante.

Après avoir quitté Maurice, quel a été votre parcours académique ? Comment cela vous a-t-il préparé pour votre carrière professionnelle et vos choix de vie ?
J’ai fait ma première licence en théologie, non pas nécessairement pour devenir prêtre ou religieux, mais pour comprendre les gens. Ayant grandi dans un environnement de valeurs, je voulais comprendre en quoi les gens croient, mais aussi la non-croyance des athées. J’ai exploré les grandes religions comme l’hindouisme, l’islam, le bouddhisme et le christianisme.

Ensuite, j’ai poursuivi un master en sciences politiques avec une concentration en relations internationales. Je me suis alors intéressé à la compréhension des systèmes politiques, des individus et de leurs croyances. J’ai pris du recul pour analyser les systèmes internationaux, les marchés, les types de gouvernements et la gouvernance. J’ai couvert de nombreuses régions pour approfondir ma compréhension des systèmes politiques.

Ma spécialisation est devenue la gestion des conflits. Dans les guerres et les grands conflits, il y a toujours un aspect militaire. Je voulais comprendre cela, non pas seulement en lisant des textes, mais par une expérience directe. J’ai été un élève-officier de l’armée américaine, un programme normalement ouvert seulement aux Américains, pendant que je poursuivais mes études.

Ces trois piliers m’ont préparé pour ma carrière internationale, me dotant des connaissances et des compétences nécessaires pour naviguer et exceller dans un monde complexe et en constante évolution.

Comment avez-vous fait la transition de vos études vers une carrière internationale ?
Quand j’étais encore étudiant, j’ai fait toute sorte de boulots pour financer mes études. J’ai travaillé dans des cafés, tout en étant volontaire pour Human Rights Watch, ce qui m’a donné l’ADN des droits humains. J’ai ensuite rejoint The Carnegie Endowment for International Peace.

Ma première application sur internet a été comme une loterie pour moi : mon premier job à la Banque mondiale. Grâce à mes compétences en anglais et en français, je me suis distingué. On m’a assigné à des projets d’éducation assez intéressants, ce qui a marqué le début de ma carrière internationale.

Après huit ans à la Banque mondiale, je suis retourné à mes amours pour la résolution des conflits, travaillant avec des combattants dans la région élargie des Grands Lacs, notamment au Congo. De la Banque mondiale, je suis passé au Secrétariat des Nations Unies, où j’ai travaillé pendant 25 ans dans les relations internationales, principalement dans des zones de guerre. Ma spécialité est le désarmement des combattants en zones de conflit.

Attaché au département des opérations de maintien de la paix, je travaille actuellement dans les opérations de paix. La majeure partie de notre travail n’est pas rendue publique. Il est question de diplomatie discrète et de diplomatie publique.

À l’ONU, j’ai porté trois chapeaux : celui de soldat de la paix civil, humanitaire et affaires politiques.

Quels sont les points forts de votre carrière dans les affaires internationales, en particulier sur les zones de guerre et conflits sur lesquels vous avez travaillé ? 
Il y en a trop, ça va faire des jaloux. Je dirai simplement que j’ai eu le privilège de sauver des vies. Pouvoir prendre des décisions qui impactent directement la vie des gens, est une grande responsabilité.
J’ai été trois fois le chef du désarmement, de la démobilisation et de la réintégration des combattants au Congo et dans les pays limitrophes : le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi, et d’autres. J’avais une équipe de 150 personnes, constituée principalement de civils et de mes collègues casques bleus. C’est palpitant de sauver des vies.

En tant que chef d’équipe à l’UNOWAS, le bureau régional de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest, couvrant 12 pays. J’ai eu l’occasion d’être en première ligne pour des missions cruciales. Ce qui m’a permis de comprendre l’importance de la diplomatie discrète et de la diplomatie publique. C’est une expérience inestimable qui m’a façonné en tant que professionnel et en tant qu’être humain.

Et qu’en est-il des histoires de vous avec votre guitare et vos tambours chantant « La Rivière Tanier » dans diverses parties du globe ? 
Cela m’est venu naturellement. La musique et moi, c’est une histoire de famille. On chante lors des fêtes et la chanson « La Rivière Tanier » a une signification très particulière pour moi. J’ai été bercé par cette mélodie depuis mon enfance.

Même en situation de guerre, la musique m’a toujours apporté un apaisement. J’ai toujours voyagé avec ma guitare. Ce qui est atypique pour un haut fonctionnaire, mais je le fais sans hésitation. Que ce soit en Somalie, à Gaza ou en Afrique, un peu partout, j’utilise la musique comme moyen de communication.

Une fois, cela m’a même sauvé la vie. Nous étions sous le feu ennemi, dans une région dense et dangereuse. Je suis monté sur notre véhicule et j’ai commencé à chanter « La Rivière Tanier ». Les gens autour de nous ont compris que nous n’étions pas une menace. Ils sont venus vers nous et mes collègues ont pu engager le dialogue. 

Ce n’est pas tous les jours que nous voyons une telle reconnaissance pour un concitoyen de la part d’un si large spectre de la société mauricienne. Cela indépendamment des allégeances politiques, avec par exemple, sur les réseaux sociaux, l’ancien Président Cassam Uteem écrivant que vous « méritez notre profond respect […] Il y a encore de l’espoir dans l’humanité ! », et plus encore…
Cela me gêne un peu, mais je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont soutenu lors des récents événements. J’apprécie les encouragements que j’ai reçus. 

J’ai fait un plaidoyer en ligne concernant les enfants à Gaza et en Israël, tués le 7 octobre dernier. Cela peut me valoir des ennemis et, au cours de ma carrière, j’en ai eu beaucoup. Plaider pour la paix n’est jamais facile. 

Début mars, j’ai entamé une grève de la faim à Genève.

Les encouragements sont venus de partout. J’ai eu des appels de dirigeants du monde entier. Certains n’aiment pas que je plaide pour les enfants à Gaza et en Israël, mais il est indéniable que trop de femmes et d’enfants meurent. Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a appris ma grève de la faim et m’a écrit pour me remercier de ma « généreuse initiative », ce qui m’a beaucoup donné de courage.

Il y a eu des incidents désagréables. À New York, ça ne s’est pas bien passé et j’ai été hospitalisé. Un ancien chef d’État m’a dit : « Bruno, tu as tout à perdre en faisant cela. » Mais récemment, lorsque j’étais à Gaza, je me suis dit qu’on ne pouvait pas rester tranquille. 

Apparemment, le message est passé et j’ai secoué le système international. Je continue ma vie malgré les menaces qui persistent. Certains ont dit qu’ils allaient me couper la tête. C’est difficile, mais je continue à œuvrer pour la paix. Les Nations Unies, les organisations internationales et les États membres ont, certes, un rôle à jouer. Mais, personnellement, en tant qu’individu, j’encourage les gens à militer pour la paix de manière pacifique.

Y a-t-il des leçons apprises que vous souhaiteriez partager ? 
Il faut avoir le courage de ses convictions. Ce n’est pas toujours facile, mais c’est un droit inviolable que tout le monde possède. En tant qu’individus, nous devons avoir le courage d’aider nos voisins. À Maurice, le communautarisme menace la paix et le bon vivre mauricien. Avec les élections qui approchent, il faut être vigilant. Parfois, les Mauriciens ne réalisent pas le privilège d’avoir la paix chez nous. 

Et quand allez-vous servir votre pays, Maurice ?
Moi, je crois que je sers déjà mon pays. J’ai eu des situations où j’ai pu directement servir. Par exemple, sur la situation post-Kaya.
J’aimerais beaucoup travailler à Maurice. Les guerres continueront sans moi, mais j’adorerais travailler pour l’île Maurice davantage.

 

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