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Christine Ollier et son équipe ont inauguré la cinquième édition du Champ des Impossibles, ouvrant au public une quinzaine d’expositions dont la thématique centrale est l’enfance, l’adolescence et les épopées familiales. Chaque jour, nous vous proposons le portrait d’un artiste du Parcours Art & Patrimoine en Perche .05 rédigé par Emmanuel Berck. Aujourd’hui, nous poursuivons cette visite avec le photographe et plasticien Denis Darzacq qui aborde la question du vivre ensemble, à travers le langage et l’énergie des corps.

Royaume-Uni, West Yorkshire, Bradford, 2010
Issue du livre « ACT ».
Alex Scholefield.
© Denis Darzacq / Agence VU

Diplômé de l’École nationale supérieure des arts décoratifs en 1986, Denis Darzacq démarre sa carrière photographique en tirant le portrait de l’essentiel de la scène rock française de l’époque. Il devient parallèlement le photographe de plateau de plusieurs réalisateurs, dont Chantal Akerman et Jacques Rivette. Dès 1989, il collabore régulièrement avec Libération et plus globalement avec la presse française. Il intègre l’agence VU’ en 1997.

Photographe résolument tourné vers l’humain, Denis Darzacq aime repousser les limites conventionnelles de la photographie, notamment en prenant de la distance par rapport au « devoir d’informer ». Photographe de presse à ses débuts, puis documentaire, il axe désormais une partie importante de son travail sur la jeunesse et les questions sociales du « vivre ensemble » et « du droit à la différence ». Photographe urbain, il arpente les rues de nos villes, allant à la rencontre des jeunes, pour inventer avec eux de nouvelles images et provoquer de nouvelles perceptions. Il collabore avec des personnes en difficulté ou à la marge, pour lesquelles il manifeste de l’empathie – comme des ados de cité, des personnes en handicap, etc. – pour évoquer « la complexité de vivre et de trouver sa place dans l’urbanité d’aujourd’hui. »

Il développe des séries documentaires où il questionne les interactions entre les jeunes et la société (Bobigny Centre-ville 2000). Les corps et leur énergie sont au cœur de son travail. La Chute (2006) montre des jeunes dans des positions de saut inspirées par le hip-hop et dans Hyper (2010) les corps suspendus, captés en mouvement investissent un supermarché, replaçant le débat sur le consumérisme. Ces séries connaissent un fort retentissement grâce à ces mises en scène inattendues d’adolescents dansants, flottant dans l’espace, pourtant marqués socialement. Puis il réalise ACT I avec des personnes en situation de handicap et ACT II avec des danseurs, séries qui décalent encore plus notre perception.

Royaume-Uni, West Yorkshire, Bradford, 2011
Issue du livre « ACT ».
ACT N° 41, Jack Riley.
© Denis Darzacq / Agence VU

« Je cherche à me dégager du réel, tout en contrôlant toute la chaîne de production de l’image, depuis l’idée de départ jusqu’à l’encadrement, en passant par la mise en scène, le choix du format, les arrière-plans, etc. Depuis lors j’ai commencé à produire des objets, plus que de simples images » explique-t-il. A partir de 2014, ces questionnements ont pris un développement nouveau par la réalisation de films (La visite du Louvre, 2016 ; Comme un Seul Homme, 2014 ; Sisyphe, 2019) et la création d’installations vidéo (La ronde, 2017 et Rise, 2019). Plus récemment, il est passé à la sculpture photographique (Les trophées, 2019 et Feuilles, 2021).

A l’église Saint-Joseph-et-Saint-Martin de Colonard-Corubert

Exposition de Denis Darzacq à l’église de Colonard Corubert © Denis Darzacq

Dans le cadre du Champ des Impossibles.05, le photographe présente la série ACT I.
A travers ce travail de cinq années, en continuité avec les séries précédentes, Denis Darzacq choisit de « métaphoriser la question de « trouver sa place dans le cadre » ». ACT I met en scène des personnes en situation de handicap, qui « trouvent dans l’action et dans l’appropriation personnelle de l’espace commun le moyen d’affirmer la complexité de leur individualité, au-delà de leur statut assigné et réducteur de handicapés. De manière plus générale, il s’agit de réfléchir à la différence, en évitant le compassionnel et le voyeurisme et s’intéressant à l’énergie des corps. » Ces « corps brisés ou déformés » prennent place dans des lieux associés à la beauté et aux lieux de pouvoir : musée, mairies, forêt, bords de mer… – lieux souvent difficilement accessibles pour des personnes à mobilité réduite. Ils peuvent en avoir l’usage, là ils en ont la jouissance.

Denis Darzacq est entré en contact avec une trentaine de personnes, dont certains acteurs d’une troupe de théâtre, et leur a proposé de les prendre en photo dans des lieux leur paraissant importants, de manière à ce que leur corps soit vu autrement. « Le choix de faire ce qu’on veut de son corps ou d’interpréter un mouvement peut se lire comme une ouverture vers l’expression d’une liberté. La photographie est pour moi un moment partagé, c’est une expérience vécue à deux. J’ai besoin du savoir-faire, de la connaissance, de l’expérience de l’autre pour pouvoir faire mon image. J’apporte un cadre et je propose à chacun d’y prendre place en inventant un geste gratuit. » Ces images sont mises en scène dans un univers toujours réel, lieux privés comme espaces publics, sans décor ou autre fond que l’environnement (le monde qui entoure l’homme).

Les photographies présentées ici captent des personnes en mouvement, dans des positions improbables, rappelant souvent des pas de danse. La spontanéité, voire l’excentricité, des modèles qui construisent avec leur environnement des situations empreintes d’onirisme, dépassent le regard traditionnel porté sur le handicap, en évoquant plutôt l’appartenance à une minorité. « A travers ACT I, j’ai cherché à instaurer un nouveau rapport au handicap, en m’attachant à aller au-delà de la maladie pour sortir de l’image conventionnelle. » Au-delà de l’émotion, le sentiment qui se dégage est ni plus ni moins que l’expression de la liberté. Les images montrent des personnes en action, une façon de ne pas être victime mais acteur de sa propre vie, dans des positions improbables, rappelant souvent des pas de danse. Cette série montrant des personnes handicapées actifs, prenant pleinement leur place dans le cadre, grâce à des mises en scène photographiques, a été saluée par la critique et le public de manière unanime.
Le livre « ACT » est paru aux Éditions Acte Sud en 2011.

Denis Darzacq a reçu plusieurs distinctions, dont le Prix Niepce 2012, le World Press Photo 2007 – Arts & Entertainment pour La Chute et le Prix Altadis en 2000. Il figure également parmi les lauréats de la commande photographique de la Bibliothèque Nationale de France « Regard sur un pays traversé par la crise sanitaire », 2022.

Plus d’informations :
http://www.lechampdesimpossibles.com/
https://denisdarzacq.com/

INFORMATIONS PRATIQUES

sam27avr(avr 27)10 h 00 mindim02jui(jui 2)18 h 00 minLe Champ des Impossibles .05Parcours Art et Patrimoine en Perche .03Moulin Blanchard, 11 Rue de Courboyer 61340 Perche-en-Nocé

Emmanuel Berck
Après une trentaine d’années dans la communication et la traduction, majoritairement dans le secteur des nouvelles technologies, Emmanuel Berck est devenu rédacteur indépendant en 2019. Il accompagne ainsi des entreprises dans l’élaboration de leurs stratégies éditoriales, à travers la rédaction de tribunes libres, de témoignages clients ou d’articles destinés à la presse. Il développe parallèlement une activité de pigiste pour différents magazines locaux ou nationaux, comme « Pays du Perche », « Pando » et « Profession Photographe ». Ses thèmes de prédilection sont l’environnement et la transition agricole, l’évolution climatique et la préservation de la biodiversité, et les enjeux liés à l’alimentation en circuits courts. Installé dans le Perche depuis 20 ans, il s’appuie sur un réseau d’acteurs locaux très divers qui lui permet d’analyser en profondeur les problématiques qu’il traite dans ses articles. Il aime en outre rédiger des portraits mettant en relief le travail de l’artiste ou l’artisan – le geste et les outils – son savoir-faire, son parcours et ses préoccupations actuelles. Emmanuel a réalisé 11 portraits d’artistes du Champ des impossibles.02, publiés dans l’hebdomadaire « Le Perche » durant l’été 2021. Il a également écrit deux entretiens avec deux artistes du Champ des impossibles, à paraître aux Editions Filigrane.

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