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J’ai rencontré Xavier Canonne au Musée de la photographie de Charleroi qu’il dirige et il m’avait dévoilé les contours de cet ambitieux projet autour du centenaire du Surréalisme : l’exposition Histoire de ne pas rire. Le surréalisme en Belgique présentée à Bozar (lien vers interview). Une petite révolution pour le public français qui découvre de nombreux acteurs du mouvement et ses forces centrifuges. De plus, la place des femmes surréalistes y est dévoilée et une réflexion nécessaire autour du male gaze et du nu féminin.

Rappelons que l’exposition s’inscrit dans un lieu emblématique de l’histoire du mouvement, le Palais des Beaux-Arts ayant accueilli l’exposition en 1934 autour de la Revue Minotaure et l’action du trio moteur Claude Spaak, Robert Giron et E.L.T. Mesens, à l’origine de la percée internationale de René Magritte et du déploiement surréaliste de Paul Delvaux.

De plus la célébration de l’année ENSOR avec l’exposition Mastro sous le commissariat de Xavier Tricot, directeur de la Maison Ensor à Ostende est également un évènement. Enfin, l’exposition Chantal Akerman conçue par Bozar avec la CINEMATEK et le Jeu de Paume, Paris est une plongée inédite dans la pensée de cette artiste inclassable, véritable icône féministe.

Vue de l’exposition Histoire de ne pas rire, le Surréalisme en Belgique, Bozar

Maestro Ensor !

J’ai déjà signalé le lancement de l’année ENSOR à Ostende lors de ma rencontre sur place avec la directrice de Mu.ZEE , Dominique Savelkoul qui donnait le coup d’envoi des réjouissances avec l’exposition : James Ensor et la nature morte. A Bruxelles, ville où le maitre a étudié il s’agit d’étudier l’impact de son chef d’œuvre parodique L’entrée du Christ à Bruxelles, de revenir sur la place du ballet La Gamme d’amour conçu en lien avec Watteau et du masque et du carnaval.

Rappelons que l’une des premières grandes expositions du Palais des Beaux- Arts, organisée après son ouverture officielle en 1928, était consacrée à James Ensor. Du 19 janvier au 17 février 1929, quelque 337 peintures à l’huile, 325 œuvres sur papier et 135 estampes ont été exposées. Le grand public a alors pu voir pour la première fois une œuvre majeure d’Ensor, intitulée L’Entrée du Christ à Bruxelles en 1889. Dans un premier temps, l’artiste avait refusé que l’on transporte son « œuvre préférée » à Bruxelles en raison de sa taille et de sa fragilité. Puis, il avait fini par se rendre compte qu’elle était essentielle au succès de l’exposition.

Cette toile monumentale est à la fois une parodie de l’entrée du Christ à Jérusalem le dimanche des Rameaux et des « joyeuses entrées » des souverains dans les villes flamandes.

Le peintre voyait dans la capitale belge une « nouvelle Jérusalem », un lieu privilégié où l’innovation artistique pouvait se déployer. Le tableau regorge en outre d’allusions à la situation politique, sociale et culturelle du pays à la fin du XIXe siècle. L’œuvre sera une véritable révélation et est considérée depuis lors comme un manifeste de la peinture moderne.

anonyme. James Ensor entouré de masques [personnel habillé du Palais des Beaux-Arts]. Photo prise à l’occasion du banquet du 10.02.1929, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles.
© Bozar Archives, Brussels

Cinéma

James Ensor est né et a grandi à Ostende. Il y passera toute sa vie à l’exception de ses années d’études à Bruxelles. Très tôt, il y fait la connaissance du cinéaste et documentariste ostendais Henri Storck (1907-1999). Storck est l’auteur de plusieurs films sur la ville balnéaire belge, dont Une idylle à la plage (1931), dans lequel le peintre apparaît. On peut également le voir dans le film La joie de revivre (1947), dont vous pouvez visionner un extrait ici. En 1928, Storck fonde le Club du cinéma d’Ostende, où sont projetés des films d’avant-garde de Sergueï Eisenstein, Fritz Lang, Man Ray et d’autres.

L’écrivain, peintre et cinéaste belge Paul Haesaerts (1901-1974) réalise également un film sur l’artiste, intitulé Masques et visages de James Ensor. On y voit Ensor tel qu’il était en 1948, à près de 90 ans, à la veille de sa mort, et on l’entend réfléchir sur sa carrière et son art.

Fêtes galantes

Dès son enfance, James Ensor s’intéresse à la musique. Bien que jouant du piano et de la flûte, il ne se mettra jamais à l’étude du solfège. En 1906, ses amis Albin et Emma Lambotte lui font cadeau d’un harmonium qui occupera une place importante dans sa vie. C’est sur cet instrument qu’Ensor compose plusieurs fragments musicaux qui seront ensuite compilés dans le ballet intitulé La Gamme d’amour. Pour cette œuvre d’art totale, il écrit non seulement le scénario et la musique (le musicien ostendais Aimé Mouqué se charge de la notation), mais conçoit également les décors et les costumes. La Gamme d’amour raconte l’impossible idylle de Miamia et Fifrelin et se déroule pendant le carnaval, dans un magasin de masques et de marionnettes. La partition est en grande partie achevée en 1911. La Gamme d’amour est créée à Ostende en 1913 sans chorégraphie ni décor, la musique étant interprétée par des professeurs et des élèves du conservatoire. La représentation intégrale de ce ballet-pantomime a lieu à l’Opéra royal flamand d’Anvers le 27 mars 1924, puis au Théâtre royal de Liège les 15, 16 et 27 mars 1927. Son titre fait référence au tableau La Gamme d’amour du peintre français Antoine Watteau (1684-1721).

Anonyme. James Ensor à l’harmonium devant L’entrée du Christ à Bruxelles en 1889, 13 avril 1925

Le christ imaginé

Tout au long de sa vie, James Ensor est fasciné par la lumière et la traduction picturale des effets lumineux. Après avoir représenté la lumière de façon réalistico-impressionniste, le peintre lui assigne à partir de 1885 une dimension plus symbolique, si non symboliste. Inspiré par Rembrandt, il finit par identifier la lumière à la figure du Christ. Le titre de la série Les Auréoles du Christ ou les sensibilités de la lumière, réalisée entre 1885 et 1888, traduit son approche « immatérielle » de la représentation de la lumière. Bien qu’agnostique, Ensor voit dans la figure du Christ l’archétype idéal auquel se mesurer, se comparer, voire s’identifier.

Comme le prophète révolutionnaire, objet de moquerie et d’incompréhension, le peintre prend pleinement conscience de la valeur humaine, religieuse et surtout symbolique de la figure christique. Au lieu de se demander s’il est « théologiquement » possible de représenter le Christ étant donné sa nature divine, Ensor s’interroge plutôt sur la possibilité « picturale » de se représenter lui-même en tant que Christ. Quelques mois avant sa mort, un historien de l’art lui demande s’il est croyant. Il répond qu’il ne croit pas à une vie après la mort, que de toute façon nous ne pouvons rien savoir de Dieu, mais qu’à ses yeux, le Christ a bel et bien « une signification inéluctable ».

Les 7 pêchés capitaux

James Ensor y mêle de la brutalité à de la diablerie. Férocement, il nous donne le visage de ses contemporains dans le miroir impitoyable de son ironie. Il est sans pitié. Il n’enjolive pas. Dans un réalisme moqueur, il accentue la laideur, le trait hideux. »

Fantasmagorie

À partir de 1888, la mise en scène devient un aspect caractéristique des principales œuvres d’Ensor. Les masques de théâtre et de carnaval ainsi que le squelette humain deviennent des motifs typiques dans des compositions qui mêlent le comique et le tragique. Le visage humain, parfois déformé de manière repoussante ou grotesque, se décharne et se « squelettise » jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un masque ou un crâne. Le crâne humain n’est-il pas un masque caché sous le visage ? Et le masque n’est-il pas une autre forme du visage, une déformation grotesque de celui-ci ? Un masque peut susciter à la fois l’aversion et le rire. Son ambiguïté crée un malaise. Il n’est que faux semblant et imitation, destinés à tromper. Derrière le masque de papier ou de carton-pâte, il n’y a que du vide. Extraits dossier de presse

Surréalisme belge par Xavier Canonne

Vue de l’exposition Histoire de ne pas rire, le Surréalisme en Belgique, Bozar

Un grelot, une forêt, un torse de femme, un pan de ciel, un rideau, une main, une montagne, au milieu du silence annonciateur. Et le vent mystérieux se lève, l’expérience va commencer. Paul Nougé

En 1924, au même moment qu’à Paris, l’aventure surréaliste démarre du côté belge avec les pamphlets audacieux du poète Paul Nougé, véritable fil rouge de cette exposition rétrospective exceptionnelle. Les surréalistes singuliers de Belgique vont au-delà de l’esthétique pure : ils et elles voulaient transformer le monde avec leur art subversif. Histoire de ne pas rire accorde une attention particulière à leurs contacts avec les surréalistes internationaux, au contexte politico-historique et aux femmes artistes.

Nougé vs Breton

Précision importante du commissaire : Paul Nougé ne cherche pas la reconnaissance et la notoriété. Il expérimente dans l’ombre, avec ses complices. « Si Nougé apparaît comme la tête pensante et la conscience du groupe surréaliste de Bruxelles, il ne se réclamera jamais en être ni chef de file, ni excommunicateur. En ce sens, il apparaît comme l’antithèse d’André Breton. »

Paul Nougé, La Jongleuse, de la série La Subversion des images, 1929-1930, photographie, Collection Archives & Musée de la Littérature (AML), Bruxelles. © Droits résérvés.

Nougé dédaigne les manifestes, les entretiens journalistiques, privilégiant l’anonymat jusqu’au détournement de textes d’auteurs dont il épouse le style pour en relever les travers autant que les bonheurs, le champ littéraire étant envisagé comme celui de l’expérimentation.

Histoire de ne pas rire présente des œuvres de René Magritte, Jane Graverol, Marcel Mariën, Rachel Baes, E.L.T. Mesens, Leo Dohmen, Paul Delvaux ainsi que Max Ernst, Salvador Dalí, Giorgio De Chirico et bien d’autres. Environ 260 peintures, objets, dessins, collages, photographies et plus de 100 documents, revues, affiches et pamphlets ont été prêtés par plus de 50 musées (Centre Pompidou, Tate Modern, Boijmans Van Beuningen, Pinacothèque de Munich, Kunsthaus Zürich, etc.), fondations, galeries d’art ou collections privées.

Prologue : modernisme en Belgique

Après la Première Guerre mondiale, de nouveaux courants esthétiques venus d’Allemagne, des Pays-Bas ou de France imprègnent profondément le paysage artistique en Belgique. L’avant-garde s’incarne alors dans le dadaïsme, le constructivisme et « l’Art pur ». Le dadaïsme est apparu en Suisse en réponse à la Première Guerre mondiale. Les dadaïstes luttaient contre toutes les conventions et réservaient une place importante à l’irrationnel. Ce sont des aspects que l’on retrouvera plus tard dans le surréalisme. Par ses écrits, par ses collages et ses assemblages évoquant Kurt Schwitters, l’Anversois Paul Joostens apparaît comme la figure la plus visible de Dada en Belgique. À Bruxelles, les peintres René Magritte, Victor Servranckx et Pierre-Louis Flouquet composent un petit cercle passionné par le constructivisme. Magritte partage un atelier avec Flouquet et écrit le manifeste L’Art pur. Défense de l’esthétique avec Servranckx. Ils expérimentent l’abstraction géométrique, également mise en avant dans des magazines tels que Het Overzicht et 7 Arts. Mais ce type de questionnement esthétique va rapidement ennuyer Magritte, qui délaisse son premier groupe d’amis pour explorer d’autres voies artistiques.

Naissance d’un groupe

Alors qu’en novembre 1924 paraît à Paris le Manifeste du surréalisme d’André Breton, plaidoyer pour l’imaginaire, l’inconscient et l’écriture automatique, Paul Nougé, Marcel Lecomte et Camille Goemans entreprennent à Bruxelles la publication d’une série de vingt- deux tracts à l’enseigne de Correspondance. S’adressant à des écrivains renommés, en épousant parfois le style, ils sont comme des mises en garde contre toute tentation littéraire, toute recherche de notoriété. C’est avec cette action subtile et humoristique que débute l’activité d’un groupe surréalisteà Bruxelles, même si le terme ne sera utilisé que plus tard. À la même époque, Magritte découvre grâce à une reproduction Le Chant d’amour (1914) de Giorgio De Chirico et en est bouleversé. Sa peinture change alors radicalement, comme en témoignent ses oeuvres dès 1925. Dans un style réaliste, il crée des représentations énigmatiques, et des motifs comme l’homme au chapeau melon ou le bilboquet apparaissent pour la première fois. Ses oeuvres représentent visuellement des questions poétiques ou philosophiques. Sa première exposition personnelle en avril 1927 à la galerie Le Centaure de Paul-Gustave Van Hecke est préfacée pour la première fois par Nougé. En septembre, Magritte et son épouse Georgette partent à Paris où Camille Goemans les a précédés pour ouvrir une galerie.

René Magritte, Le double secret, 1927, huile sur toile, Centre Pompidou, Paris – Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle. © succession Magritte – Sabam Belgique 2024

Paris

Magritte part en 1927 pour Paris, où il fréquente le groupe d’André Breton et où il noue différentes relations internationales grâce au galeriste Camille Goemans. À Paris, Magritte découvre les tableaux de Joan Miró introduisant des phrases dans la peinture. Dans une optique différente de celle du peintre espagnol, il entreprend alors la série des « tableaux- mots » dont la célèbre Trahison des images (1929), où il questionne le rapport entre l’objet, sa représentation et le langage. Il fait également la connaissance de Salvador Dalí qui avait été impressionné par sa peinture et dont l’œuvre sera fortement influencée par Magritte à la fin des années 1920. Max Ernst expose son travail à Bruxelles en 1926, à la galerie La Vierge poupine, et ses nouvelles techniques comme le frottage et le collage inspirent les Belges. En 1929 paraissent successivement deux revues qui voient la collaboration des surréalistes belges et français : le numéro spécial de Variétés, la revue du couturier, collectionneur et galeriste Paul-Gustave Van Hecke paraît en juin 1929, conçu par Breton et Aragon. Puis, en décembre, le dernier numéro de La Révolution surréaliste, montrant les surréalistes photographiés autour du tableau La Femme cachée de Magritte peint la même année. C’est aussi dans ce numéro qu’est publié le texte clé Les Mots et les Images de Magritte. Le projet d’une exposition personnelle de Magritte à Paris ne verra pas le jour, la crise économique contraignant Goemans à fermer sa galerie. Magritte quitte alors Paris, où il aura peint un quart de son œuvre, et regagne Bruxelles en juillet 1930

Photo « Le rendez vous de chasse »

En 1934, on voit les surréalistes bruxellois poser ensemble. En costume, feignant le sérieux, sur fond peint. Nous voyons ici quelques-uns des membres qui rejoignirent le groupe à la fin des années 1920 : le compositeur André Souris, le poète et écrivain Louis Scutenaire et son épouse Irène Hamoir. Scutenaire a écrit une œuvre poétique abondante et une série
d’aphorismes regroupés sous le titre Mes inscriptions.
Quarante années durant, il sera l’ami et l’admirateur de René Magritte, dont il constituera une importante collection de tableaux. Léguée à la mort d’Irène Hamoir aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, elle formera le noyau de l’actuel Musée Magritte. Irène Hamoir également écrivain et poète, était politiquement engagée et a contribué à de nombreuses publications surréalistes. Elle a écrit, entre autres, le roman Boulevard Jacqmain, un roman à clef dont les personnages font référence à divers membres des milieux surréalistes belges. Qu’est-ce que le surréalisme ? C’est à l’occasion de l’exposition Minotaure ici, au Palais des Beaux-Arts, qu’André Breton prononce le 1er juin 1934 la conférence avec cette question comme titre. Il désigne par les mots « nos camarades surréalistes » les membres du groupe bruxellois présents dans la salle. Nougé consentira à adopter l’étiquette « surréaliste » pour les « commodités de la conversation ». Lors de la même exposition Minotaure, Paul Delvaux sera tellement impressionné par les œuvres de De Chirico et Magritte qu’il se convertira à sa propre version du surréalisme.

La guerre

L’occupation de la Belgique par les troupes allemandes en 1940 va considérablement réduire l’activité surréaliste. Si Magritte et Nougé sont contraints à une certaine discrétion, une nouvelle génération semble prête à assurer la relève, Marcel Mariën et Christian Dotremont nouant même des contacts dans un Paris occupé. À Londres où il réside depuis 1936, dirigeant la London Gallery, Mesens collabore aux émissions de la BBC et publie divers tracts antinazis. Si à Bruxelles, Magritte et Ubac parviennent à exposer malgré les dénonciations de collaborateurs tel Marc Eemans, les surréalistes du Hainaut sont réduits au silence : Chavée, recherché par la police, entre dans la clandestinité et Dumont, arrêté en 1942, meurt au camp de concentration de Bergen-Belsen en mars 1945. Durant la guerre, Delvaux refuse d’exposer publiquement son art. Les œuvres qu’il a peintes sous l’occupation décrivent le désespoir dont il a été le témoin. En 1943, comme pour conjurer la noirceur de l’occupation, Magritte inaugure une nouvelle manière de peindre inspirée par l’impressionnisme, la « période Renoir » qui ne sera pas sans décontenancer certains de ses admirateurs. Pour le peintre, cette lumière solaire qui baigne ses tableaux n’est en rien un renoncement mais au contraire, une voie pour l’exploration de thèmes nouveaux. Ce sera en 1946 le manifeste du Surréalisme en plein soleil, rassemblant les Belges autour de cette réforme, qui entraînera un différend avec André Breton. Après la Libération, la nécessité d’une action collective regroupant les surréalistes s’impose plus que jamais. Magritte organise en décembre 1945 à la Galerie des Éditions La Boétie l’exposition Surréalisme rassemblant Belges et Français. Avec Mariën, il multiplie les tracts anonymes dont en 1946 L’Imbécile, L’Emmerdeur et L’Enculeur.

L’après guerre : Période Vache de Magritte

Invité à exposer à Paris en mai 1948, Magritte présente une série de peintures et de gouaches très éloignées de sa technique impressionniste. Ces œuvres peintes dans un style brut et volontairement outrancier étaient destinées à choquer le public parisien. Elles suscitent
l’incompréhension générale, à l’exception de Mariën, Nougé, Scutenaire et le jeune Jacques Wergifosse, qui sont témoins et complices de cette brève « période vache ». À partir du milieu des années 1930, Paul Delvaux crée des images oniriques et mystérieuses, peuplées de nus, de
squelettes et de trains. Bien que son œuvre soit clairement influencé par De Chirico ou Magritte, il estime le terme de surréalisme trop restrictif. Il occupe donc une place particulière au sein du surréalisme en Belgique. Malgré sa participation aux expositions surréalistes de 1938 et de 1940, il demeure en marge du groupe de Bruxelles, refusant tout engagement politique. S’il participe à la revue L’Invention collective en 1940, il n’est pas présent à l’exposition Surréalisme qu’organise Magritte en 1945 à Bruxelles et sera violemment critiqué après-guerre par Mariën et Magritte.

Le nu féminin

Fragmenté, transformé, érotisé, le nu féminin constitue un thème central pour les surréalistes. Le Viol de Magritte, où le corps féminin prend la forme d’un visage, les nus mystérieux de Delvaux, les combats de Penthésilée de Raoul Ubac, ou encore les œuvres de Marcel Mariën, qui utilise littéralement le corps féminin comme support, n’en sont que quelques exemples. Les surréalistes masculins semblent souvent représenter les femmes de manière stéréotypée, qu’elles soient idéalisées en tant que muses ou réduites à l’état d’objet sexuel. Dans le surréalisme, écrit Simone de Beauvoir dans son livre féministe Le Deuxième Sexe (1949), la femme est tout sauf elle-même. Cependant, la représentation des femmes dans le surréalisme pose une question complexe. En effet, pour les surréalistes subversifs, l’« éros » (ou érotisme) relève d’une motivation artistique et le nu est considéré comme une arme pour s’opposer à l’Église et à la bourgeoisie. L’objectif est de secouer la foule, et quel meilleur moyen pour y parvenir que d’utiliser le corps nu comme instrument ? Les femmes artistes ont également souvent utilisé le nu comme thème, mais plutôt comme une réflexion sur leur propre position sociale et leur identité.

Les femmes surréalistes : Rachel Baes, Jane Graverol

Rachel Baes, La leçon de philosophie, 1963, huile sur toile, collection privée © Sabam Belgique 2024.

En Belgique, les deux principales figures féminines du mouvement sont Rachel Baes et Jane Graverol.

Rachel Baes, fille du peintre Émile Baes, a commencé à peindre très tôt et a bâti une carrière couronnée de succès, à l’appui de tableaux, plutôt décoratifs, de fleurs et de natures mortes.
L’exécution de son amant Joris Van Severen (fondateur du mouvement nationaliste et d’extrême droite Verdinaso) en mai 1940 l’a profondément bouleversée. Elle se met alors en quête d’une nouvelle esthétique. Grâce à sa rencontre avec Marcel Lecomte, E.L.T. Mesens et René Magritte, elle crée sa propre version du surréalisme, dans laquelle l’univers des petites filles évoque les traumatismes de l’enfance. Paul Éluard préfacera sa première exposition à Paris, où elle vit un temps, exposant en 1953 à la galerie L’Étoile scellée, avec le soutien d’André Breton. En 1961, elle choisit de se retirer à Bruges, où elle mènera une existence solitaire. Baes est toujours restée active à la périphérie des surréalistes, et déclara : « Je ne suis pas une peintre surréaliste, je suis une surréaliste qui peint ».

Tout comme Rachel Baes, Jane Graverol est la fille d’un peintre, le symboliste français Alexandre Graverol. Jane peint dès l’âge de 16 ans et expose ses oeuvres à partir de 1927 ; il s’agit alors d’une peinture à caractère intimiste, composée de natures mortes, de paysages et d’autoportraits dans un style réaliste. Au milieu des années 1930, elle rencontre E.L.T. Mesens, qui lui fait découvrir les surréalistes. Fortement impressionnée par le travail de Magritte, elle évolue vers un style surréaliste, qu’elle présentera pour la première fois à la galerie Lou Cosyn en 1950. Dès lors, Graverol explore dans son œuvre la position des femmes, leur corps, leur liberté, un univers où les cages et les oiseaux sont des thèmes récurrents. Elle décrit ses peintures comme des « rêves conscients ». Dans les années 1950, elle joue un rôle crucial dans la création de la revue Les Lèvres nues, dirigée par Marcel Mariën, son compagnon de l’époque, et entretient une relation étroite avec Paul Nougé. En 1964, elle réalise le portrait de groupe La Goutte d’eau, où elle représente les principaux surréalistes bruxellois dans une œuvre qui fait référence, dans sa forme, à L’Autoportrait au miroir convexe (1524) de Parmigianino. Graverol s’y représente clairement en haut et place Irène Hamoir au centre, ce qui témoigne de l’importance qu’elle accordait aux artistes femmes du groupe. Ces dernières années, l’œuvre de Graverol a connu un énorme succès, comme en témoigne, entre autres, l’inclusion de son œuvre The Milk of Dreams à la Biennale de Venise en 2022.

Dispute et séparation Magritte/Nougé

Une brouille survenue au début des années 1950 entre Magritte et Nougé voit le groupe surréaliste se fractionner, Magritte se détournant de toute préoccupation politique. En avril 1954, Marcel Mariën fonde avec Jane Graverol et Paul Nougé la revue Les Lèvres nues, nom qui sera également l’enseigne de ses éditions. Les Lèvres nues, qui continuera d’exister jusqu’en 1975, se caractérise autant par son exigence poétique que par sa virulence politique. De nouveaux collaborateurs, tels Leo Dohmen ou Gilbert Senecaut, y font leur apparition, Mariën entreprenant la publication des écrits complets de Nougé (intitulé « Histoire de ne pas rire »). Il passe en 1959 à la réalisation. Son film L’Imitation du cinéma, suscite à sa sortie en 1960 un fort scandale, menant à sa censure en Belgique et son interdiction en France. Avec Dohmen, Mariën confectionne en 1962 le tract Grande Baisse où il prête à Magritte la décision de brader ses oeuvres face à son succès. Ce canular entraîne la brouille définitive avec le peintre. Mariën voyage ensuite aux États-Unis, puis en Chine. La voie est donc libre pour l’éclosion d’une nouvelle génération, la troisième depuis 1924.

Mais l’expérience ne s’arrête pas là en Belgique !

En France, la fin du surréalisme est officiellement proclamée en 1969. En Belgique cependant, le courant ne s’arrêtera jamais. Au début des années soixante, le surréalisme est relancé par Tom Gutt, l’interprète principal du film de Mariën L’Imitation du cinéma et admirateur de Nougé, alors oublié. Il poursuit ainsi une activité collective à laquelle viendront s’associer les anciens membres du groupe de Bruxelles, ainsi que de nouveaux venus. En mai 1963, Gutt édite avec Jean Wallenborn Vendonah, une feuille ronéotypée qui se réfère régulièrement à l’œuvre de Nougé. Vendonah prend la défense du peintre Roger Van de Wouwer dont l’œuvre Galathée a été censurée lors d’une exposition à la galerie La Proue. En février 1964, la plaquette Vous voyez avec votre nombril consacre la renaissance d’un « groupe surréaliste en Belgique ». Les collaborateurs de Vendonah s’opposeront à ceux de la evue Edda groupés autour du peintre Jacques Lacomblez qui prônent un art hérité de Max Ernst aux franges de l’abstraction. Le Vocatif, la revue de Gutt qui paraît dès 1972, les expositions de la galerie La Marée à Boitsfort et les éditions dont il prend l’initiative ouvrent alors la voie à de nouveaux collaborateurs tels Gilles Brenta, Claude Galand, Robert Willems et André Stas.

Extraits dossier de presse

La scénographie originale d’Yves Malysse et Kiki Verbeeck de URA Architects s’est inspirée du désir des surréalistes de désorienter et de perturber les schémas de pensée et de vision préconçus.

En parallèle : installation de l’artiste Jelena Vanoverbeek

VIOLINS est une vidéo basée sur le montage de texte, dans laquelle il y a une disjonction entre ce que nous lisons et ce que nous entendons. La voix off est tirée du discours d’introduction d’un film de sexploitation de 1965. Les mots qui apparaissent à l’écran sont la transformation subjective et subtile de ce discours par l’artiste. S’appuyant sur les qualités homophones du texte parlé, elle crée une transcription de substitution, basée sur des associations et des contradictions. Le titre, prononcé « violins » mais signifiant à l’origine «violence », donne le ton et établit les règles de sa subversion.

Surréalisme aux Musées Royaux des Beaux-Arts :

La célébration du mouvement surréaliste s’étend à Bruxelles dans tout le quartier du Mont des Arts par le biais d’une collaboration exceptionnelle avec les Musées royaux des Beaux- Arts de Belgique. Les MRBAB mettront l’accent sur le surréalisme international avec l’exposition IMAGINE! 100 Years of International Surrealism (21.02-21.07.2024).

Chantal Akerman, Travelling

Jeanne Dielman, 23 quai du commerce – 1080 bruxelles (50) (set photo) (photo Boris Lehman) (Akerman)

Je ne dévoilerai pas en détail l’ensemble de l’exposition qui sera présentée au Jeu de Paume à partir de septembre 2024. Très riche, elle réunit photographies, documents d’archives, extraits de scénarios.. Bozar s’est également associé à la CINEMATEK qui a fait un remarquable travail de restauration à cette occasion des rushs et négatifs. Il faut prendre le temps de s’installer au milieu des installations et de parcourir les story boards, les carnets.., Akerman accordant une grande importance à l’écriture. Si le public parisien a pu voir l’exposition From the Other Side à la galerie Marian Goodman en 2022 pour les belges, le FOMU d’Anvers lui avait rendu hommage en 2023 à travers la voix de 7 artistes.

Catalogue Chantal Akerman. Travelling est en vente au Bozar Bookshop. ​​​​​​​Ce catalogue a été publié par Bozar-Palais des Beaux-Arts, Jeu de Paume et Lannoo.

https://www.bozar.be/fr/calendrier/chantal-akerman-travelling

Également disponible au Bozar Bookshop :
Catalogue Histoire de ne pas rire. Le surréalisme en Belgique
Auteur.e.s: Xavier Canonne, Ann Paenhuysen, Rick Sauwen, Geneviève Michel, Virginie Devillez, Kurt Deboodt, Raoul Vaneigem, Paul Aron, Patricia Allmer, Philippe Dewolf.
Éditeurs : Fonds Mercator & Bozar Books
288 pages, 240 illustrations € 49,00

INFOS PRATIQUES :
• James Ensor Maestro
Jusqu’au 23 juin 2024
Histoire de ne pas rire. Le Surréalisme en Belgique
Jusqu’au 16 juin 2024
• Chantal Akerman, Travelling
Jusqu’au 21 juillet 2024
Bozar – Palais des Beaux-Arts
Rue Ravenstein 23
1000 Bruxelles, Belgique
Ouvert : mardi > dimanche, 10h > 18h
Nocturnes: chaque dernier jeudi du mois
Tickets : €18 (Réductions sur www.bozar.be) – €29 ticket combi avec les MRBAB
https://www.bozar.be/fr

Au moins 3 bonnes raisons de s’arrêter à Bozar lors d’un tour de la scène artistique belge.

Organiser votre venue :
https://www.visit.brussels/fr

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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