Chroniques du Cinéphile Stakhanoviste: Le Cavaleur - Philippe de Broca (1979)
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dimanche 12 mai 2024

Le Cavaleur - Philippe de Broca (1979)


 Pianiste réputé, Edouard Choiseur ne cesse de courir entre contingences professionnelles et sentimentales. Quand son épouse menace de le quitter, il décide de consacrer un peu de temps à sa famille.

Les premiers films de Philippe de Broca, et plus particulièrement ceux tourné avec Jean-Pierre Cassel (Les Jeux de l’amour (1960), Le Farceur (1960), L’Amant de cinq jours (1961), Un Monsieur de compagnie (1964)) étaient des sortes d’autoportraits peuplés de héros séducteur, rêveurs et bondissant dont le mouvement perpétuel signifiait la peur du vide qu’augurait le moindre ralentissement. C’est un penchant qu’on retrouverait aussi dans le corpus avec Jean-Paul Belmondo (Cartouche (1962), L’Homme de Rio (1964), Les Tribulations d’un Chinois en Chine (1965), Le Magnifique (1972)) où le ralentissement appelait à l’introspection et à la mélancolie, à l’image de la personnalité lumineuse mais angoissée de Philippe de Broca.

Alors que les films avec Philippe de Broca mettaient en scène des jeunes hommes tels que le réalisateur se voyait (Jean-Pierre Cassel) ou se fantasmait (Jean-Paul Belmondo), Le Cavaleur ose évoquer cette fois ce type de personnalité à travers l’homme d’âge mur tel que de Broca commençait à être. Néanmoins l’idée reste tout de même de s’auréoler d’un certain panache quand il propose le scénario à Yves Montand (avec lequel il avait tourné le génial Le Diable par la queue (1968)) mais ce dernier refuse pour un élément du script froissant son égo démesuré – la péripétie voyant Choiseur éconduit par une femme plus jeune que lui. Il reportera alors son choix sur Jean Rochefort pour le meilleur. La présence dilettante (ramenant une part de sa persona filmique de ses rôles chez Yves Robert comme Un éléphant ça trompe énormément (1976) ou Courage fuyons (1979)) de ce dernier apporte un ralentissement, une retenue naturelle à l’approche plus trépidante et outrancière qu’aurait forcément recherché de Broca, et bien sûr interprété Montand devant souvent être poussé dans ses retranchements pour exposer une certaine vulnérabilité.

Dès lors la bonhomie de Rochefort parvient à faire ressentir une réelle empathie pour Choiseul malgré un comportement détestable sur le papier. Pianiste à succès et homme à femmes, Choiseul est perpétuellement partout et nulle part. La scène d’ouverture donne le ton, en le montrant jonglant avec les différentes femmes de sa vie entre deux répétitions. Sa faconde le maintient en bon termes avec les amours d’hier (l’ex-femme jouée par Annie Girardot), garde en émoi la passade du moment (Catherine Alric géniale en blonde séductrice et écervelée) et force l’attente de la compagne légitime (Nicole Garcia très émouvante). Le récit est volontairement décousu, se rallongeant parfois sur une unité de temps courte (première nuit voyant Choiseul se démultiplier d’un lieu à un autre, d’une femme à une autre) ou se rétrécissant dans une temporalité longue (la dernière partie plus mélancolique) à l’image de la personnalité éternellement insatisfaite de son héros.

S’attarder dans un lieu (salle de répétition, de concert, domicile familiale) crée le vide et l’attente des expériences à vivre dans un autre, rester trop longtemps avec une femme c’est renoncer aux opportunités et exaltations d’un potentiel nouvel amour. Ce tempérament déjà présent chez les premiers héros de de Broca s’orne ici du spectre de la vieillesse. On passe des personnages juvénile et insouciants d’antan à un homme mûr fuyant ses responsabilités, laisse derrière lui femmes et enfants dans ses facéties. Dès lors le côté bondissant dresse un portrait à la fois attendrissant mais pathétique du héros dans ses va-et-vient servant son égo mais faisant souffrir ses conquêtes, comme la séquence alternant vacances familiales écourtées, abandon cruel d’une jeune amante pour tenter d’aller en conquérir une autre (Catherine Leprince). En cherchant à se sentir toujours jeune et vivant par son art de la fugue (titre initial du film), Choiseul s’aliène son entourage et pense maintenir un statuquo où il serait toujours au centre de l’attention – la remarque impensable pour lieu de Nicole Garcia qui lui affirme qu’elle pourrait le tromper, Annie Girardot lui disant qu’il ne sera pas toujours celui qui partira le premier.

Philippe de Broca ralenti progressivement et subtilement le rythme pour isoler peu à peu le personnage et le laisser seul face à ses doutes et à ses fautes. Cette introspection passe par un superbe travail formel, la photo Henri Lanoë se fait de plus en plus diaphane et cotonneuse, la silhouette de Jean Rochefort se perd dans de superbes décors naturels puis faire face au vide des anciens lieux de son quotidien. Choiseul se plaint longtemps durant l’histoire de ne pas retrouver le toucher de piano d’un ancien concerto joué durant les répétitions avant un concert, et c’est une sorte de métaphore de son éternelle poursuite de sa jeunesse perdue, rendue littérale en croisant un premier amour passé joué par Danielle Darrieux.

Ce n’est qu’en s’isolant et se rendant enfin disponible pour autre chose que sa propre satisfaction (en prenant sous son aile un jeune surdoué du piano) que Choiseul entrevoit le chemin de la rédemption dans une touchante dernière partie, et plus particulièrement une éblouissante et virtuose dernière scène en forme de fin ouverte. 

Sorti en bluray français chez Gaumont

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