La civilisation de l’Oxus, comme nombre de cultures archéologiques d’Asie centrale, sont peu connues en Europe, alors qu’elles sont pleinement comparables à celles des mondes élamite et mésopotamien, comme à celles des plateaux iraniens et à la vallée de l’Indus.
- Julio Bendezu-Sarmiento Archéologue et préhistorien, spécialiste de l’Asie centrale, du Sud, et de l’Iran, chargé de recherche au CNRS, ancien directeur de la Délégation Archéologique Française en Afghanistan (DAFA).
Julio Bendezu-Sarmiento : "On trouve, sur ce grand tépé d'une quinzaine d'hectares, au sommet, sur cinq hectares, une ville haute fortifiée, assez grande pour l'époque, avec de grands bâtiments dont une citadelle, et une ville basse qui va être occupée à partir du 12e siècle avant notre ère."
Julio Bendezu-Sarmiento : "Cette citadelle d'à peu près 40 mètres de large est de forme carrée, avec une porte principale au sud, se présentait sur deux étages. [...] En fait, c'est une citadelle qui ne devait pas servir de système défensif, mais plutôt, sans doute, à l'occupation de l'élite qui se trouvait à l'époque à Ulug Dépé, tout au sommet du site. [...] N'oublions pas que si cette citadelle a été conservée jusqu'à aujourd'hui, c'est parce qu'elle a été enterrée intentionnellement. [...] On a bloqué les portes avec des briques et particulièrement l'une des portes principales, avec le squelette d'une cigogne et deux crânes de renard, ce qui ressemble à des pratiques que l'on retrouve du côté oriental de l'Iran. Sans doute ces animaux possédaient-ils certains pouvoirs, notamment celui de s'envoler dans l'espace (pour la cigogne)."
L’Oxus, civilisation méconnue
La civilisation de l’Oxus, comme nombre de cultures archéologiques d’Asie centrale, sont peu connues en Europe, alors qu’elles sont pleinement comparables à celles des mondes élamite et mésopotamien, comme à celles des plateaux iraniens et à la vallée de l’Indus.
La civilisation de l’Oxus, qui tire son nom de l’ancienne dénomination du fleuve de l’Amou-Daria, se développe au cours de la fin du IIIe et du début du IIe millénaire avant notre ère, entre la mer Caspienne et l’Hindou Kush, le Pakistan et l’Afghanistan. C’est durant cette période que de vraies villes émergent au cœur de cette civilisation (entre 2 002 et 1 700 av. notre ère). Une réelle communauté idéologique existe alors avec le nord-est de l’Iran et d’autres régions comme la Bactriane et la Margiane au cours des 3e-2e millénaires. Vers 1 700 avant notre ère, cette civilisation périclite, peut-être sous l’impulsion de nouvelles populations ou d’un brusque changement climatique (entre 2 000-1 800 avant notre ère), entraînant aridité et assèchement, mais aussi vent de sable du désert du Karakoum.
Julio Bendezu-Sarmiento : "Quand on regarde la religion de la civilisation de l'Oxus, grâce un peu à la statuaire et à l'iconographie, puisque l'on n'a pas de texte, on voit notamment et principalement des divinités féminines sur des sceaux associées souvent à la vitalité, la fertilité, la fécondité des animaux et des végétaux. Très souvent, on les voit dominer aussi bien des lions, des dragons et autres serpents du monde souterrain. Donc la femme, effectivement, avait sans aucun doute, on le sait aujourd'hui, un rôle important dans les hiérarchies sociales, puisque les quelques tombes les plus riches que l'on retrouve aujourd'hui sont celles des femmes."
Ulug Dépé, cité pré-urbaine
L’histoire d’Ulug Dépé (le grand Tépé en turkmène) s’étire du VIe millénaire au 1er millénaire avant notre ère. Avec ses 30 hectares, Ulug Dépé est l’un des plus grands centres proto-urbains d’Asie centrale, juste dépassé par deux autres sites, Namazga et Altyn Dépé. À Ulug Dépé, le meilleur exemple de l’architecture monumentale du 3e millénaire est une grande plateforme de 900m², sorte de terrasse liée à des activités cultuelles. L’organisation sociale se complexifie au cours de cette période, tendant vers une organisation proto-étatique du pouvoir. Les femmes auraient joué un rôle particulier au sein de ces élites. On voit alors l’accroissement du commerce régional, mais surtout international, avec notamment des produits rares et prestigieux que sont l’or, le lapis-lazuli d’Afghanistan, la cornaline de la vallée de l’Indus et les agates. Plusieurs tombes de ces élites ont été fouillées à Ulug. Alors que nombre de civilisations régionales possèdent des écritures (Elam Mésopotamie, Indus), celle de l’Oxus est agrammate et anépigraphe.
Durant l’âge du fer (entre 1 000 à 600 avant notre ère), Ulug est le centre d’un nouveau royaume dont on ne sait encore que peu de choses. Cernée par son puissant rempart, la citadelle accueille des espaces de stockage.
L’archéologie du Turkménistan, longtemps confinée à la sphère de l’URSS
Entre Ouzbékistan, Kazakhstan, Afghanistan et Iran, le Turkménistan est couvert à 80 % par le désert du Karakoum. Annexé par l'Empire russe à la fin du 19e siècle, le pays recouvre son indépendance à la suite de l’explosion du bloc soviétique. Cette période, des années 1990, signe alors l’ouverture du Turkménistan et, par là-même, celles de nouvelles collaborations internationales, avec notamment des équipes occidentales, qui permirent ainsi de mettre au jour une archéologie et un passé, jusqu’alors strictement confinés à la sphère de l’URSS, pour mieux écrire les pages de l’histoire de l’Asie centrale. Archéologue au CNRS
Julio Bendezu-Sarmiento : "Sur la fouile, il faut imaginer des vents de sable qui apportent, selon les périodes, avec un climat continental, aussi bien la pluie et le froid, d'un seul coup au mois de novembre. Nous avons aussi des couches archéologiques sur 30 mètres qui, pour certaines sont très dures comme du béton à fouiller. Effectivement, on a beaucoup de mal à travailler. Heureusement, notre équipe a appris à travailler ces dernières années et à connaître le terrain."
Olivier Lecomte a été, dans les années 1990, l’initiateur de l’un de ces programmes pionniers : La mission archéologique franco-turkmène. Aujourd’hui, cette mission du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères est dirigée par Julio Bendezu-Sarmiento qui a repris la fouille d’Ulug Dépé, un des plus grands sites proto-urbains d’Asie centrale.
Julio Bendezu-Sarmiento est chercheur au CNRS, spécialiste de la protohistoire de l’Iran, de l’Afghanistan et de l’Asie centrale. Il mène ses recherches au laboratoire éco-anthropologie du Musée de l’Homme (CNRS-Muséum national d’histoire naturelle).
Pour aller plus loin
- Présentation de Julio Bendezu-Sarmiento, sur Wikipédia, et sur Academia.
- Ses publications, sur HAL, le site du CNRS-MNHN-Paris Cité, sur Persée, et sur Open Edition Journals.
- À regarder, une vidéo sur la Mission archéologique française au Turkménistan (MAFTUR), présentée par Julio Bendezu-Sarmiento (2020, MNHN).
- Histoire de la Mission à Ulug Dépé (site du MNHN).
- À regarder aussi, une vidéo sur la civilisation de l'Oxus (projet OXUS récompensé par le Prix de la fondation Engie "Talents de la recherche au Musée de l'Homme" (2019).
- Page sur Ulug Dépé et sur la cité menacée de Dilberjin Tépé, dans le nord de l'Afghanistan.
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