Ulug Dépé et la civilisation de l’Oxus

Ulug Dépé et la civilisation de l’Oxus

Fouille dans les niveaux chalcolithique et âge du Bronze sur le chantier 5 d’Ulug Dépé (Turkménistan) - © MAFTUR
Fouille dans les niveaux chalcolithique et âge du Bronze sur le chantier 5 d’Ulug Dépé (Turkménistan) - © MAFTUR
Fouille dans les niveaux chalcolithique et âge du Bronze sur le chantier 5 d’Ulug Dépé (Turkménistan) - © MAFTUR
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La civilisation de l’Oxus, comme nombre de cultures archéologiques d’Asie centrale, sont peu connues en Europe, alors qu’elles sont pleinement comparables à celles des mondes élamite et mésopotamien, comme à celles des plateaux iraniens et à la vallée de l’Indus.

Avec
  • Julio Bendezu-Sarmiento Archéologue et préhistorien, spécialiste de l’Asie centrale, du Sud, et de l’Iran, chargé de recherche au CNRS, ancien directeur de la Délégation Archéologique Française en Afghanistan (DAFA).
Carte des sites archéologiques de l'Oxus
Carte des sites archéologiques de l'Oxus
- © MAFTUR

Julio Bendezu-Sarmiento : "On trouve, sur ce grand tépé d'une quinzaine d'hectares, au sommet, sur cinq hectares, une ville haute fortifiée, assez grande pour l'époque, avec de grands bâtiments dont une citadelle, et une ville basse qui va être occupée à partir du 12e siècle avant notre ère."

Le site d’Ulug dépé avec le Kopet Dag en arrière‑plan
Le site d’Ulug dépé avec le Kopet Dag en arrière‑plan
- © MAFTUR

Julio Bendezu-Sarmiento : "Cette citadelle d'à peu près 40 mètres de large est de forme carrée, avec une porte principale au sud, se présentait sur deux étages. [...] En fait, c'est une citadelle qui ne devait pas servir de système défensif, mais plutôt, sans doute, à l'occupation de l'élite qui se trouvait à l'époque à Ulug Dépé, tout au sommet du site. [...] N'oublions pas que si cette citadelle a été conservée jusqu'à aujourd'hui, c'est parce qu'elle a été enterrée intentionnellement. [...] On a bloqué les portes avec des briques et particulièrement l'une des portes principales, avec le squelette d'une cigogne et deux crânes de renard, ce qui ressemble à des pratiques que l'on retrouve du côté oriental de l'Iran. Sans doute ces animaux possédaient-ils certains pouvoirs, notamment celui de s'envoler dans l'espace (pour la cigogne)."

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L’Oxus, civilisation méconnue

La civilisation de l’Oxus, comme nombre de cultures archéologiques d’Asie centrale, sont peu connues en Europe, alors qu’elles sont pleinement comparables à celles des mondes élamite et mésopotamien, comme à celles des plateaux iraniens et à la vallée de l’Indus.

Impressions et dessins schématiques des cachets mis au jour sur le site d'Ulug Dépé
Impressions et dessins schématiques des cachets mis au jour sur le site d'Ulug Dépé
- © MAFTUR

La civilisation de l’Oxus, qui tire son nom de l’ancienne dénomination du fleuve de l’Amou-Daria, se développe au cours de la fin du IIIe et du début du IIe millénaire avant notre ère, entre la mer Caspienne et l’Hindou Kush, le Pakistan et l’Afghanistan. C’est durant cette période que de vraies villes émergent au cœur de cette civilisation (entre 2 002 et 1 700 av. notre ère). Une réelle communauté idéologique existe alors avec le nord-est de l’Iran et d’autres régions comme la Bactriane et la Margiane au cours des 3e-2e millénaires. Vers 1 700 avant notre ère, cette civilisation périclite, peut-être sous l’impulsion de nouvelles populations ou d’un brusque changement climatique (entre 2 000-1 800 avant notre ère), entraînant aridité et assèchement, mais aussi vent de sable du désert du Karakoum.

1/ céramiques de la  période Namazga V - 2/ vases peints du bronze ancien - 3/ cachet - 4/ Vases en albâtre de la période Namazga V
1/ céramiques de la période Namazga V - 2/ vases peints du bronze ancien - 3/ cachet - 4/ Vases en albâtre de la période Namazga V
- © MAFTUR / © Joël Suire et Victor N. Pilipko

Julio Bendezu-Sarmiento : "Quand on regarde la religion de la civilisation de l'Oxus, grâce un peu à la statuaire et à l'iconographie, puisque l'on n'a pas de texte, on voit notamment et principalement des divinités féminines sur des sceaux associées souvent à la vitalité, la fertilité, la fécondité des animaux et des végétaux. Très souvent, on les voit dominer aussi bien des lions, des dragons et autres serpents du monde souterrain. Donc la femme, effectivement, avait sans aucun doute, on le sait aujourd'hui, un rôle important dans les hiérarchies sociales, puisque les quelques tombes les plus riches que l'on retrouve aujourd'hui sont celles des femmes."

Ulug Dépé, cité pré-urbaine

L’histoire d’Ulug Dépé (le grand Tépé en turkmène) s’étire du VIe millénaire au 1er millénaire avant notre ère. Avec ses 30 hectares, Ulug Dépé est l’un des plus grands centres proto-urbains d’Asie centrale, juste dépassé par deux autres sites, Namazga et Altyn Dépé. À Ulug Dépé, le meilleur exemple de l’architecture monumentale du 3e millénaire est une grande plateforme de 900m², sorte de terrasse liée à des activités cultuelles. L’organisation sociale se complexifie au cours de cette période, tendant vers une organisation proto-étatique du pouvoir. Les femmes auraient joué un rôle particulier au sein de ces élites. On voit alors l’accroissement du commerce régional, mais surtout international, avec notamment des produits rares et prestigieux que sont l’or, le lapis-lazuli d’Afghanistan, la cornaline de la vallée de l’Indus et les agates. Plusieurs tombes de ces élites ont été fouillées à Ulug. Alors que nombre de civilisations régionales possèdent des écritures (Elam Mésopotamie, Indus), celle de l’Oxus est agrammate et anépigraphe.

La citadelle de l’âge du Fer  (Yaz II) d'Ulug Dépé, dans la ville haute et la ville basse (vue prise par cerf‑volant)
La citadelle de l’âge du Fer (Yaz II) d'Ulug Dépé, dans la ville haute et la ville basse (vue prise par cerf‑volant)
- © MAFTUR

Durant l’âge du fer (entre 1 000 à 600 avant notre ère), Ulug est le centre d’un nouveau royaume dont on ne sait encore que peu de choses. Cernée par son puissant rempart, la citadelle accueille des espaces de stockage.

Les fouilles au sommet du site d'Ulug Dépé : repèrage au sol de la trace des murs d’une deuxième citadelle, située au nord-est de la première.
Les fouilles au sommet du site d'Ulug Dépé : repèrage au sol de la trace des murs d’une deuxième citadelle, située au nord-est de la première.
- © MAFTUR

L’archéologie du Turkménistan, longtemps confinée à la sphère de l’URSS

Entre Ouzbékistan, Kazakhstan, Afghanistan et Iran, le Turkménistan est couvert à 80 % par le désert du Karakoum. Annexé par l'Empire russe à la fin du 19e siècle, le pays recouvre son indépendance à la suite de l’explosion du bloc soviétique. Cette période, des années 1990, signe alors l’ouverture du Turkménistan et, par là-même, celles de nouvelles collaborations internationales, avec notamment des équipes occidentales, qui permirent ainsi de mettre au jour une archéologie et un passé, jusqu’alors strictement confinés à la sphère de l’URSS, pour mieux écrire les pages de l’histoire de l’Asie centrale. Archéologue au CNRS

Vue du terrain de la fouille d'Ulug Dépé
Vue du terrain de la fouille d'Ulug Dépé
- © MAFTUR

Julio Bendezu-Sarmiento :  "Sur la fouile, il faut imaginer des vents de sable qui apportent, selon les périodes, avec un climat continental, aussi bien la pluie et le froid, d'un seul coup au mois de novembre. Nous avons aussi des couches archéologiques sur 30 mètres qui, pour certaines sont très dures comme du béton à fouiller. Effectivement, on a beaucoup de mal à travailler. Heureusement, notre équipe a appris à travailler ces dernières années et à connaître le terrain."

Olivier Lecomte a été, dans les années 1990, l’initiateur de l’un de ces programmes pionniers : La mission archéologique franco-turkmène. Aujourd’hui, cette mission du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères est dirigée par Julio Bendezu-Sarmiento qui a repris la fouille d’Ulug Dépé, un des plus grands sites proto-urbains d’Asie centrale.

L'équipe de la mission, avec Olivier Lecomte, Shelby White, Annie Caubet (assis au centre) et toute l’équipe franco‑turkmène sur le site d’Ulug Dépé
L'équipe de la mission, avec Olivier Lecomte, Shelby White, Annie Caubet (assis au centre) et toute l’équipe franco‑turkmène sur le site d’Ulug Dépé
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Julio Bendezu-Sarmiento est chercheur au CNRS, spécialiste de la protohistoire de l’Iran, de l’Afghanistan et de l’Asie centrale. Il mène ses recherches au laboratoire éco-anthropologie du Musée de l’Homme (CNRS-Muséum national d’histoire naturelle).

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