La République des imposteurs, d’Éric Branca : incursion dans l’histoire méconnue de l’après-guerre

Par Etienne Fauchaire
17 mai 2024 15:26 Mis à jour: 17 mai 2024 18:14

ENTRETIEN. Au moyen d’archives inédites, Eric Branca dévoile dans La République des imposteurs (Perrin) certains pans ignorés et sinistres de l’envers de l’après-guerre. Une période de l’histoire de France marquée par l’imposture, la corruption, le travestissement à tous les niveaux de l’édifice national, explique l’historien, qui voit également dans « la IV° République et son parti-pris supranational » les débuts de la mise en œuvre d’un projet conforme au « catéchisme mondialiste » de Jean Monnet, considéré comme l’un des pères fondateurs de l’Union européenne.

Epoch Times : Pourquoi l’historiographie contemporaine a-t-elle négligé l’histoire de la IVe République et pourquoi avez-vous choisi de lui consacrer un livre ? 

Eric Branca : La IVe République n’est généralement connue du grand public — et encore, puisqu’elle est quasiment absente des programmes scolaires — que par sa chute spectaculaire en 1958, qui débouche sur le retour de De Gaulle et l’avènement de la Ve… Toutes choses inséparables de la fin des guerres coloniales qui précipitent la chute du régime. Lequel commence à se déliter en 1954 avec, coup dur, la tragédie de Dien Bien Phu (mai) et le déclenchement de la rébellion algérienne (novembre). À quoi s’ajoute, en août de cette même année, la mise à mort de la CED, cette Communauté européenne de défense qui restera à la fois comme « l’affaire Dreyfus » de la IVe République et un chef-d’œuvre d’imposture, puisque, sous prétexte de créer une « armée européenne », on plaçait celle-ci sous commandement américain avec, pour colonne vertébrale, une nouvelle Wehrmacht ressuscitée sous les espèces de la Bundeswehr et plus étoffée que l’armée française…

Autant d’épisodes qui portent à son paroxysme la crise de confiance dans laquelle se débat le régime depuis son origine, crise qui lui est consubstantielle et dont on parle très peu, voire jamais. Il importait donc à mes yeux de combler cette lacune en remontant aux origines de la IVe qui, dès ses premiers pas, en 1947, trahit les espérances de la Libération et ne parvient jamais à prendre sa vitesse de croisière tant ses institutions sont, au sens propre du terme, débiles… et débilitantes pour les hommes de valeur tentés de « faire avec »…

Quels sont pour vous les noms d’imposteurs les plus emblématiques de cette période d’après-guerre ?

Il y a d’abord tous ceux que j’appelle les imposteurs de l’épuration. Pas seulement des résistants de la « vingt-cinquième heure » : j’en parle à peine car un inventaire à la Prévert serait nécessaire. Qui n’a pas entendu parler par ses parents, grands-parents ou arrière-grands-parents de ces tristes personnages qui ont vécu dans la terreur de déplaire aux Allemands et qui, dès que ces derniers ont plié bagage, ont paradé dans les rues avec un brassard FFI sorti d’on ne sait où… Je me suis plutôt intéressé à d’authentiques collabos devenus des épurateurs modèles, catégorie foisonnante dans les rangs de la magistrature et, dans une moindre mesure, de la police. S’il fallait ne citer qu’un nom, ce serait celui du procureur général Mornet, l’homme qui a porté l’accusation contre Pétain et Laval alors qu’il avait, sous leurs ordres, dénaturalisé des juifs à tour de bras entre 1940 et 1944… Sa désignation, à la hâte, comme procureur de la Haute cour de Justice, résulte d’un tragique malentendu : ce haut magistrat n’ayant pas prêté serment au Maréchal en 1940, on l’a cru le mieux qualifié pour tenir le rôle d’accusateur. Et quand on a découvert que cette « virginité » était due au fait qu’il était déjà à la retraite quand Pétain a pris le pouvoir, c’était trop tard pour le récuser.

Chez les policiers, il y a eu aussi le commissaire Henri Soutif, qui avait traqué les maquis du Finistère aux côtés de la Gestapo et qui, grâce à de faux papiers, a pu échapper à la justice et s’est refait une virginité en arrêtant l’abominable docteur Petiot puis, ayant été confondu et arrêté, s’est évadé deux fois et a disparu dans la nature avant d’être impliqué dans un des nombreux complots de la IVe, celui du Plan Bleu.

Quant aux politiques, l’imposteur numéro un est sans conteste le député Jacques Ducreux, le seul parlementaire de l’Histoire de France à s’être fait élire sous une fausse identité ! Il s’appelait en réalité Tacnet, avait travaillé pendant l’Occupation comme journaliste à l’Agence Inter-France — la pire officine nazie de Paris — et s’est fait élire député radical en 1951 au nom de la fidélité aux idéaux de la résistance ! On ne s’est rendu compte de cette abomination qu’à la faveur d’un accident de la route qui lui a couté la vie et a permis de découvrir dans sa voiture un jeu de faux papiers…

Mais la palme d’or de l’imposture toutes catégories revient sans conteste à Roger Peyré, « héros » de l’affaire dite des généraux. Un as du trafic d’influence qui s’est enrichi en confectionnant les uniformes de la Milice, a adhéré au PPF de Jacques Doriot (le Parti populaire français, principal mouvement collaborationniste) avant de se refaire une virginité à la Libération en dénonçant ses propres amis et de devenir l’homme lige du général Revers, un ambitieux devenu chef d’état-major des armées via une entreprise de corruption mise en œuvre par ce même Peyré !

À ce propos, et comme nous venons de commémorer les 70 ans de la bataille de Diên Biên Phu, qui a sonné le glas de la présence française en Indochine, pouvez-vous revenir sur le scandale autour du rapport Revers, qui a permis au Viêt-Minh d’infliger une défaite sanglante au corps expéditionnaire français en octobre 1950 ?

Le paradoxe de cette affaire — sans doute la plus monstrueuse de ces années-là — est que le rapport Revers était destiné au contraire… à sauver le corps expéditionnaire et les chances de la France, sinon de l’emporter sur le terrain, à tout le moins de parvenir à sortir la tête haute du conflit !

En 1949, Revers avait dirigé une mission d’inspection en Indochine et accouché d’un rapport secret-défense dont les préconisations étaient pleines de bon sens, mais qui a eu la malchance de tomber entre les mains des communistes indochinois… Peyré le leur avait vendu, de même qu’à la Chine de Mao et aux Soviétiques, sans oublier les Américains qui, comme on sait, vendaient des armes aux Français mais rêvaient de prendre leur place au Vietnam… ce qu’ils ont fait !

Par la faute de Peyré, authentique agent quadruple, toutes les positions de l’armée française — point forts et points faibles compris — n’ont plus eu de secret pour personne. Mais avec l’argent que lui a rapporté cette trahison, ledit Peyré a corrompu une flopée d’hommes politiques (leurs noms et les sommes versées figuraient sur un carnet tombé entre les mains de la police !) grâce auxquels Revers a pu obtenir ce qu’il voulait : sa cinquième étoile et le poste de chef d’état-major. La sanction de tout cela ? Son limogeage… Et pour Peyré, une opportune disparition à l’étranger. Quant aux corrompus, des citations en justice, quelques procédures en Haute cour, mais au bout du compte, aucune sanction !

La République des imposteurs, Éric Branca, Perrin. 320 p., 21 €.

Vous évoquez un « quatuor inséparable » composé d’Allen Dulles, patron de la CIA, John Dulles, son frère, à la tête du département d’État, et de leurs deux envoyés spéciaux à Paris, Irving Brown et David Dubinsky, deux trotskistes chargés de court-circuiter les communistes staliniens en France. Le second, soulignez-vous, est fondateur de la Free Trade Union Committee, décrite comme le Foreign Office de l’American Federation of Labor. Une officine dont le secrétaire général est Jacob Liebstein, ancien fondateur du Parti communiste américain, qui a rompu avec Staline après la condamnation de Trotski. La guerre froide entre États-Unis et URSS était-elle aussi un terrain d’affrontement entre trotskistes et staliniens ?

Les États-Unis se sont servis de cet affrontement pour affaiblir les PC occidentaux, en particulier le PCF qui a vu surgir sur sa droite (ou sur son extrême-gauche, comme on voudra) le fameux syndicat FO, lors de la scission de la CGT en décembre 1947. Dans ses mémoires, parues en 2002, l’ancien secrétaire général de FO, André Bergeron, a confirmé que l’opération n’aurait pu être menée à bien sans l’aide financière clandestine des États-Unis, dont les dollars tombaient à flot.

Parallèlement, le soft power américain a joué à fond pour faire de Trotski une sorte de héros démocratique face au totalitarisme stalinien, ce qui ne fut pas la moindre des impostures quand on sait le rôle joué par le fondateur de l’Armée rouge dans la mise en place de l’État bolchévique et de son appareil de coercition.

Les camps de travail ? C’est à lui qu’on les doit. Pas seulement pour les opposants déclarés au nouveau régime, mais aussi pour isoler les éléments suspects qui n’auront pas été physiquement éliminés. La terreur policière ? Toujours lui, pour mater les révoltes paysannes déclenchées par la collectivisation des terres, soulèvements réglés par la méthode dite du « balai de fer » (extermination des meneurs et déplacements massifs des populations). La transformation de tout opposant en ennemi du genre humain, contraint de faire son autocritique avant d’être exécuté ? Lui encore, quinze ans avant que les procès de Moscou ne se retournent contre ses partisans… La militarisation du travail et du syndicalisme dans les premières années de l’URSS ? Encore et toujours Trotski pour qui tout ouvrier est un « soldat du socialisme ». Les cinq millions de morts provoqués par la famine des années 1920-1922 ? Le résultat de la stratégie de la terre brûlée choisie par Trotski pour affamer les armées blanches, dont il fit jeter les derniers officiers vivants dans les hauts-fourneaux… Comme saint-martyr de l’anticommunisme, on aurait pu trouver mieux !

Pourquoi Michel Debré attribuait-il l’échec de la IVe République à la « tromperie » dans son pamphlet de 1957 Ces princes qui nous gouvernent ?

Après de Gaulle, Debré était l’homme qui a vu le plus clair dans la vraie nature de ce régime : une confiscation de la démocratie au profit des féodalités intérieures (les partis qui confisquent le pouvoir au détriment du peuple souverain) et d’institutions supranationales soustraites de facto au contrôle de la communauté nationale.  En se dressant contre la CECA (la communauté européenne du charbon et de l’acier dont la Haute autorité se concevait comme l’embryon d’un super-État), puis contre la CED que j’ai évoquée, le futur père de la Constitution de la Ve République a dévoilé le modus operandi de ce dessaisissement : le travestissement et le secret.

Grâce à ses réseaux, composés d’anciens résistants en poste dans divers administrations — on parlerait aujourd’hui de « lanceurs d’alertes » — Debré a ainsi pu révéler au grand public la manière de travailler des soi-disant « pères de l’Europe » qui n’étaient, en fait, que des relais de l’influence américaine. L’un de ses informateurs, Jacques Bouchacourt, fonctionnaire au Quai d’Orsay, lui a ainsi permis de dévoiler au Sénat les protocoles secrets négociés entre le Département d’État américain et le gouvernement français, à l’insu de la représentation nationale, dans la perspective de la CED. Autant vous dire que cela a fait l’effet d’une bombe — et même d’une bombe à fragmentation car dans tous les partis, y compris les plus « européens » comme la SFIO et le parti radical, il s’est trouvé des hommes pour dénoncer cet attentat contre la souveraineté nationale. Et c’est ce qui a eu raison de la CED.

Vous revenez longuement sur le cas de Jean Monnet, considéré comme l’un des « pères » de l’Union européenne. Vous soulignez qu’il était le protégé du banquier Paul Warburg, figure de proue, avec les banquiers John Piermont Morgan et Jacob Schiff, de la Pilgrim’s society, d’où naitront le Council on Foreign Relations, le Bilderberg Group et la Commission trilatérale. Et qu’il a consacré sa vie à réaliser le projet mondialiste de son ami Clarence Streit, auteur d’un ouvrage oublié mais essentiel pour la compréhension de ce qui a suivi, Union now. Un plaidoyer en faveur d’un gouvernement mondial recommandant de procéder par étapes pour ne pas offusquer les opinions européennes et revendiquant « l’objectif déclaré d’annihiler les souverainetés nationales ». Qui était vraiment Jean Monnet et quelle a été son action pendant et après-guerre ?

Beaucoup commettent l’erreur de qualifier Jean Monnet d’« agent américain ». Ce qui sous-entend qu’il était stipendié.  C’est totalement faux. Il n’était ni stipendié ni corrompu pour la bonne raison qu’il gagnait sa vie comme banquier depuis 1918 et n’avait nul besoin d’être « acheté ». Il croyait sincèrement à son catéchisme mondialiste et ses mémoires sont un véritable traité de manipulation des gouvernements pour les amener dans ce qu’il considère comme la bonne direction : l’extinction des souverainetés nationales considérées comme autant d’obstacles à l’avènement d’un système global.

D’où la guerre secrète qu’il a menée, pendant la guerre, dans l’entourage direct de Roosevelt, contre la restauration d’une France aux mains libres. D’où son rôle, après le départ du Général, en 1946, pour transformer l’idée européenne en laboratoire du fédéralisme à partir de superstructures technocratiques déconnectées de la légitimité démocratique. Ses héritiers sont ceux qui, derrière Alain Minc, se réfèrent aujourd’hui au « cercle de la raison ». On constate chaque jour les résultats de cette idéologie dont la IVe République et son parti pris supranational ont constitué la première incarnation, avant que la parenthèse gaullienne (qu’on peut prolonger jusqu’à la mort de Pompidou, en 1974) ne rompe avec ses attendus… Et avant qu’à leur tour, les héritiers de Jean Monnet ne prennent leur revanche en détruisant, l’un après l’autre, les acquis du gaullisme…

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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