Ce soir, France 2 aiguise ses lames tandis que TF1 compte sur l’intelligence aiguisée de l’un des plus grands détectives de l’histoire de la littérature. La première chaîne mise ainsi sur une valeur sûre alors que le service public se tourne vers la création moderne. La logique, au centre de l’esprit déductif de nos deux enquêteurs, devrait nous donner envie de passer à TF1 sans hésitation. Et pourtant, notre avis sur les deux films pourrait s’avérer plus surprenant que prévu. Une revue croisée garantie sans spoilers.
Le plus grand détective ?
Si l’on se base uniquement sur la qualité de l’enquêteur, Mort sur le Nil gagne haut la main. Il faut dire qu’Hercule Poirot est, juste après Sherlock Holmes, le détective le plus célèbre de l’histoire de la littérature. Depuis sa première apparition sous la plume habile d’Agatha Christie en 1920 — avec la publication de La mystérieuse affaire de styles –, cet homme à moustache entretenu avec la même minutie qu’il met au service de ses enquêtes est devenu culte. Si son interprète (et réalisateur du film) Kenneth Branagh l’incarne avec brio, il paraît complexe de s’extirper de l’ombre géante de David Suchet, mondialement connu pour avoir prêté ses traits au héros belge pendant près de 25 ans.
L’origine culturelle du personnage et la jouissance ostentatoire que Branagh insuffle à son interprétation lui valent néanmoins de nombreux points. De son côté, le réalisateur Rian Johnson s’amuse à explorer le genre du roman policier et ses adaptations. Un travail qu’il avait commencé au moment de Brick, où le personnage de Joseph Gordon-Levitt incarnait une version moderne des héros du film noir à la Humphrey Bogart. Une exploration encore meilleure du cinéaste à travers ses séries Visage impassible où l’héroïne incarnée par Natasha Lyonne fait partie de la lignée de Columbo par Peter Falk.
Mais comme pour le premier À couteaux tirésle détective privé Benoit Blanc (incarné par Daniel Craig avec un accent du sud des Etats-Unis qui se coupe aussi au couteau) reste parfois trop en retrait sur cette version moderne du Ils étaient dix par Agatha Christie. Et si son personnage brille de mille feux dans la suite sortie en 2022, Oignon en verreil a du mal à briller aussi fort que l’une de ses plus grandes inspirations : Hercule Poirot.
La tête dans le sable
Mais la grandeur d’un héros de fiction se mesure à l’adversaire qu’il affronte, et celle d’un détective à l’enquête qui lui est proposée. Si Mort sur le Nil constitue l’une des plus grandes aventures du détective Christie’s, cette adaptation peine à convaincre à bien des égards. Si le casting choral du volet précédent aurait pu servir le mystère, celui de cette nouvelle histoire manque d’alchimie au point de créer un désintérêt total chez le spectateur. Et là où le style des deux autres films de la trilogie de Branagh pourrait au moins justifier une nouvelle réadaptation des aventures de Poirot, la forme de Mort sur le Nil n’est pas assez innovant pour compenser le contexte parfois catastrophique de ce travail.
Un problème de rythme, notamment dans le premier acte, finit par enterrer l’escapade égyptienne du détective moustachu. Et puisque nous sommes au registre des cheveux, avions-nous vraiment besoin de consacrer autant de temps àhistoire d’origine drame de la moustache de Poirot ?
Côté casting, le film de Rian Johnson se démarque grâce à une galerie de personnages hauts en couleur et de nombreux rôles inadaptés. Chaque acteur offre une performance jubilatoire. Jamie Lee Curtis, Daniel Craig et les autres éveillent les sens du spectateur, où Gal Gadot se livre à un acte d’hypnose qui confine au sommeil profond. Et quandÀ couteaux tirés plonge aussi dangereusement que le film de Branagh dans les clichés du genre, c’est seulement pour mieux les mettre en valeur et les détourner. Nous ne pouvons donc que recommander de sauter France 2 ce soir, et économisez votre énergie pour les deux autres films de cette nouvelle trilogie Poirot. Ou pourquoi pas, de redécouvrir Mort sur le Nil de John Guillermin qui a réussi là où cette nouvelle adaptation échoue.
