Les Guignols de l'info : "A tchao bonsoir"… et à jamais

Les Guignols de l'info : "A tchao bonsoir"… et à jamais

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Les Guignols de l'info : "A tchao bonsoir"… et à jamais

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La marionnette de l'émission de télévision "Les Guignols de l'Info" du journaliste et présentateur Patrick Poivre d'Arvor est installée sur le plateau, le 11 février 2009 à Saint-Denis
La marionnette de l'émission de télévision "Les Guignols de l'Info" du journaliste et présentateur Patrick Poivre d'Arvor est installée sur le plateau, le 11 février 2009 à Saint-Denis
© AFP - STEPHANE DE SAKUTIN

Après 30 ans de diffusion, "Les Guignols de l'info" disparaissent du petit écran. C'est ce qu'a annoncé la direction de Canal + ce 1er juin. En 1993, sur France Culture, Philippe Meyer recevait les auteurs de ce qui était alors la satire la plus médiatique de France : Gaccio, Delépine et Arguillère.

Les femmes et hommes politiques, les médias, la société... ils n'en prendront plus pour leur grade dans Les Guignols de l'info. La direction de Canal + vient d'annoncer la disparition de leur grille du JT parodique et de son cortège de marionnettes mythiques, à la rentrée prochaine. Déjà menacée en 2015, l'émission poil à gratter avait réussi à survivre moyennant son cryptage et le départ de ses auteurs : Julien Hervé, Lionel Dutemple, Philippe Mechelen et Benjamin Morgaine.

En 1993, "Les Guignols" étaient devenus un véritable phénomène de société. Ils avaient été créés cinq ans auparavant par Alain de Greef, qui avait voulu reprendre le conseil anglais des Spitting Image, en les reliant avec l’idée d’un faux JT, qu’il avait eue avec Coluche. Notons que l'ancien directeur des programmes de Canal + censurait si peu les sketchs qu'il s'était vu attribuer une marionnette. Trois de ses auteurs historiques (sur quatre... il manquait Jean-François Halin) étaient venus sur France Culture, cette année là, livrer quelques ficelles du succès de la quotidienne satirique la plus regardée de l'Hexagone. C'était dans l'émission "Allegro Serioso", au micro du producteur Philippe Meyer.

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Les Guignols de l'info dans l'émission Allegro serioso, 4 septembre 1993

41 min

Franck Arguillère, directeur artistique des "Guignols" ("c'est un travail de direction d'acteurs, sauf que les acteurs sont des marionnettes et des imitateurs"), racontait notamment le rigoureux rodage du sketch, condition sine qua non d'une parfaite coordination entre les imitateurs et les marionnettistes :  

Tout est extrêmement répété. Avant l’émission du soir qui est à moins cinq, on a une heure et demie de répétition. On fait trois filages complets à partir des textes qui ont été écrits et chaque marionnettiste et imitateur communique par le biais d’écrans de contrôle vidéo.

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Cantona, Pap1, Chirac... Le bal des caricatures savoureuses

Et à propos de l'écriture des dialogues ? On la devait alors à l'humoriste Bruno Gaccio, ancien chevrier-fromager. Il insistait pourtant sur le fait que le succès drolatique de l'émission était vraiment tributaire d'un travail d'équipe, lui-même estimant par exemple être médiocre pour le comique de situation :

Les sketchs, ce n’est pas trop mon truc. Je ne suis pas un homme d’idées. Par exemple, il y a un sketch que je prends toujours en exemple : Raymond Barre grunge ou en jean. C’est une idée que je n’aurais jamais eue. Je ne peux pas avoir ce genre d’idées. J’admire le mec qui les a : c’est Jean-François Halin. Par contre, sur un dialogue, quand deux personnages vont vraiment bien ensemble, je peux les faire parler pendant des heures : Chirac qui vient emmerder Balladur, c’est un régal. Pap1 qui vient expliquer ce qu’est la vie à PPDA, c’est un régal.

Parmi les figures qui reviennent : Cantona, Johnny, Chirac, Pap1… Et parmi celles ayant mal digéré la parodie... Françoise Sagan, qui suite à un procès a obtenu que son nom ne soit plus utilisé par l'émission, à l'inverse de son image : "A l’issue de ce procès, un vide juridique a été comblé en France : ce qui était considéré comme de la caricature en presse écrite n’avait pas d’équivalent pour l’audiovisuel. Maintenant, un arrêt fait jurisprudence et dit qu’un type d’émission comme "Les Guignols" est tellement fantaisiste qu’on ne peut pas croire qu’il y a une intention de nuire", analysait l'un des auteurs dans cette émission.

Quant aux politiciens, si aucun n'était allé jusqu'à traîner sa marionnette aux assises (préférant mettre leur conseiller en communication sur le coup), ils faisaient part de leur mécontentement dans les pages du Canard enchaîné, à l'image de Valéry Giscard d'Estaing.

Les médias, première cible des "Guignols de l'info"

A Philippe Meyer qui lui demandait dans cette archive pourquoi la télévision était la première victime des Guignols, Franck Arguillère répondait : 

Je trouve que c’est la vocation des "Guignols" d’attaquer non pas les événements eux-mêmes, mais la manière dont ils sont traités. C’est au moment de la Guerre du Golfe que l’on a vraiment trouvé la distance, qu’on a trouvé cet angle-là. On a découvert que la vocation essentielle des "Guignols" était de montrer comment, au moment de la Guerre du Golfe, il y avait des émissions pendant lesquelles rien n’était dit. Il y avait un espèce de grand vide général.

Une posture qui a permis aux audiences de l'émission de décoller à partir de la couverture de la Guerre du Golfe, et de damer le pion au "Bébête show", émission satirique de marionnettes diffusée sur TF1 et qui tenait le haut du pavé.

Bruno Gaccio dénonçait lui aussi le fait que la vacuité à la télévision devenait maîtresse du jeu, et que l'une des ambitions des "Guignols" était d'y pallier :

En fait, sur Bérégovoy, si on parle de la télévision le lendemain, c’est parce que c’est ce qui nous met en colère. Une guerre, ce n’est pas risible ; un suicide, c’est tout sauf risible. Les raisons d’un suicide sont tellement personnelles qu’on n’arrive jamais à les trouver. Par contre, quand on voit tous ces gens qui viennent à la télévision nous expliquer leurs propres malheurs, et leurs propres raisons à eux de se suicider - et qui ne se suicident pas d’ailleurs… On ne peut pas expliquer une guerre mais ils l’expliquent, on ne peut pas expliquer un suicide, mais ils l’expliquent. Ils allaient voir le gardien du parking, la petite sœur… c’est n’importe quoi ! Et ça, ça met en colère, et on écrit bien sous la colère.

Le Billet culturel
3 min