Alain Delon: la jeunesse d'un mythe
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Alain Delon: la jeunesse d'un mythe

A g., 1937 : Alain, 20 mois, est nu dans une bassine en cuivre. Le bras que l’on devine est celui de sa mère, Edith, qui baigne son bébé adoré. A d., en 1959, dans "Plein Soleil" de René Clément.
A g., 1937 : Alain, 20 mois, est nu dans une bassine en cuivre. Le bras que l’on devine est celui de sa mère, Edith, qui baigne son bébé adoré. A d., en 1959, dans "Plein Soleil" de René Clément. © DR; Getty Images
Ghislain Loustalot

Des larmes de l’enfance au mythe Alain Delon. Ou comment l’agneau abandonné qui faillit être coureur cycliste et charcutier est devenu loup aux dents acérées.

Qu’il est beau votre fils ! » Edith Delon, devenue Edith Boulogne, surnommée « Mounette », préparatrice en pharmacie, s’est habituée à cette remarque depuis le 8 novembre 1935, date de la naissance de son garçon chéri baptisé Alain, Fabien, Marcel, Maurice. Delon, donc. L’attachement entre la mère et le fils est plus que viscéral, entre adoration et dévoration. Ils se ressemblent trait pour trait.

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Quand, en 2011, Michel Drucker interviewe la star pour Paris Match et lui demande : « Quel est le premier visage de femme qui t’a marqué ? » Alain Delon lui répond : « Celui de ma mère. C’est la première photo du livre que j’ai réalisé sur les femmes de ma vie. Ma mère en train de me baigner dans une petite baignoire en cuivre. Mounette m’a adoré, admiré. Elle a compris très vite que je n’étais pas un gamin comme les autres. Elle aurait voulu être actrice. Elle en avait le tempérament mais la vie et un remariage en ont décidé autrement. Je suis devenu ce qu’elle avait voulu être et elle a été néanmoins heureuse de ma réussite. Je la remercie pour tout cela et pour le reste. »
La seule femme qui fut son épouse, Nathalie Delon, dira un jour : « Alain et sa mère ont deux points communs : le goût du travail et le goût du drame. »

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Alain Delon, enfant de l’amour. Son père, Fabien, dirige un cinéma de quartier, le Régina. L’harmonie puis la discorde, le couple se délite à Sceaux comme il l’aurait fait ailleurs. 1939, la Seconde Guerre mondiale éclate. Il a 4 ans, ses parents divorcent. Lui, étranger au conflit qui va plonger le monde dans le chaos, vit cette séparation comme un traumatisme, une blessure qui ne cicatrisera jamais. D’autant qu’au fil des années ses parents refont leur vie et des enfants, une fille pour Edith, deux garçons pour Fabien. Alain Delon, bébé de l’amour, devient le gamin de l’entre-deux-familles, celui qui dérange et se retrouve condamné au désert affectif. Il le décrit dans un formidable documentaire, « Alain Delon, cet inconnu », réalisé par Philippe Kohly : « La solitude ? Elle vient des larmes de la petite enfance. Je m’y suis fait depuis toujours. Elle fait partie de ma vie, je vis bien avec, j’en ai besoin. »

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Après la séparation de ses parents, il est placé en nourrice à Fresnes. Une nourrice comme une deuxième maman. Il n’a jamais oublié les grands yeux de Mme Nero, la bonté qu’ils reflétaient comme un rayon de soleil apaisant sur son visage encore vierge de colère. Il s’en souvient, proche des larmes : « Quand elle est morte, je l’ai beaucoup regrettée. » Son mari était gardien de prison. A Fresnes, le petit Alain passe une bonne partie de son temps derrière les hauts murs de la maison d’arrêt, joue avec les enfants des autres matons : « J’en garde des souvenirs sonores. » Portes qui se verrouillent, lourds pas des promenades rituelles et forcées, cris. On imagine. Et la prison peut prendre différentes formes. « Je me suis vite retrouvé en pension. »

Il passe parfois des mois sans voir sa famille

De 8 à 14 ans, il fréquente ainsi six établissements, enchaîne les bêtises, fugue comme s’il s’évadait en quête d’horizons lointains, se fait virer de partout. « J’étais insupportable, terrible. » Il paie le prix fort. Il est puni, consigné le week-end. Il passe parfois des mois sans voir sa famille, ses familles. D’une prison à l’autre, donc. Et ce n’est pas fini. Solitaire, sans amis. Delon, naissance d’un caractère. Une construction qui émergera dans nombre de ses films. Le mutisme comme mode d’expression. A 14 ans, il est finalement de retour chez Mounette. En secondes noces, elle a épousé un charcutier, Paul Boulogne. La maison de Bourg-la-Reine est réputée, fait travailler 16 employés. Alain – oui, Alain Delon – passe son CAP de charcuterie. « Aujourd’hui encore je sais manier un couteau, je désosse toujours très bien. » Et il travaille derrière le comptoir, faute d’autres projets.

Ce n’est pas la boxe qui est la première passion d’Alain Delon à l’adolescence mais le cyclisme, les coups d’éclat de Robic, les duels Coppi-Bartali, le charme de Koblet. Les échappées. A tel point qu’il prend une licence au club de l’US Métro. « J’ai passé du temps à rêver devant un vélo fabuleux et hors de prix qui trônait dans la vitrine d’un magasin. A l’époque je ne pensais même pas que j’aurais une voiture un jour. »
Tour de France et CAP de charcuterie… Alain Delon s’apprête à entrer dans la peau du Français moyen. Enfin presque. A 14 ans, il joue dans un court-métrage amateur et muet de vingt-deux secondes, baptisé « Le rapt ». Costume, imper, chapeau, faux pistolet, il tient le rôle d’un gangster qui, bien entendu, meurt à la fin du film. Tout y est déjà, mais il ne le sait pas.

A 17 ans, le jeune homme devance l’appel. Matelot première classe dans les fusiliers marins, il est affecté à la compagnie disciplinaire de garde et surveillance de l’arsenal de Saigon, en Indochine.
A 17 ans, le jeune homme devance l’appel. Matelot première classe dans les fusiliers marins, il est affecté à la compagnie disciplinaire de garde et surveillance de l’arsenal de Saigon, en Indochine. © DR

« A 17 ans, dira Mounette, dans la charcuterie familiale tenue par son beau-père, le môme désarmait les clientes rien qu’en les regardant. Il avait des yeux qui foudroyaient. Il possédait déjà cette aura et ce regard de loup qui mettent tout par terre. » Animal magnétique. L’agneau perdu serait-il devenu prédateur ? Il y a de la méfiance en lui, pas encore de haine. Elle va venir. Elle cohabite d’abord avec une grâce juvénile et une violence intériorisée, presque féminine. Il ne sait pas quoi en faire. D’abord fuir.

La charcuterie ou la guerre ? Il choisit l’Indochine

« J’avais envie de partir de chez moi, j’avais besoin de liberté. » Il ne sera jamais charcutier. Il n’a pas 18 ans et il devance l’appel du service militaire. Toulon. Dans la marine, qui n’était pas son choix, il aide un pote féru de technologie à voler quelques composants électroniques pour fabriquer un poste radio. Des gamins. Ils se font prendre. Cassés, radiés, virés. Et un choix pour s’en sortir : quitter l’armée ou s’engager pour l’Indochine. La charcuterie ou la guerre ? Il choisit l’Indochine. Le goût de l’aventure, l’inconscience dénuée de toute motivation idéologique le poussent à partir sur ce terrain de tous les dangers. Mais il est mineur et sa décision est suspendue à l’autorisation parentale. Il la veut, il l’obtient. Il est heureux. « Après, en y réfléchissant, est-ce qu’ils ne se débarrassaient pas de moi ? » Il en conçoit un sentiment de rupture avec ses parents.

En 1954 dans un cinéma de Saigon, rue Catinat, il assiste à une séance de « Touchez pas au grisbi » avec Gabin. « Un grand souvenir. » Il ne sait pas encore qu’il partagera l’affiche de « Mélodie en sous-sol » avec le boss du cinéma français à peine dix ans plus tard. Gabin est encore loin, inatteignable. Pour l’instant, Delon fête ses 20 ans seul dans le cachot d’une prison militaire parce qu’il a « emprunté » une Jeep pour aller faire la fête. Une forte tête sans cadre pour canaliser son impétuosité, un jeune chien fou, fougueux, surtout pas foutu. Libéré de cette énième geôle, il se confronte aux affres d’une guerre coloniale qui touche à sa fin et se joue encore avec un ennemi invisible : les patrouilles sur le fleuve à découvert, la peur d’être pris pour cible, les dents qui claquent dans un silence de plomb. « Tout ce que je suis devenu, tout ce que j’ai pu faire pendant cette vie d’homme, je le dois à mon enfance, à mon adolescence et à mes quatre années passées dans l’armée », dira-t-il. L’ordre, une famille, la droiture. Le sens de l’honneur. Le goût des armes aussi et de la virilité mise en avant. Autant de marqueurs de la légende « delonienne ».

Une du "Rapt", le premier film d'Alain Delon, un court-métrage tourné en 1949.
Une du "Rapt", le premier film d'Alain Delon, un court-métrage tourné en 1949. © DR

En 1956, la France se retire d’Indochine. Alain est renvoyé dans ses foyers. Il échoue finalement dans un petit hôtel de Pigalle. Un pote, une chambre minable. Mais c’est Paris, enfin, et la liberté puisqu’il a coupé les ponts avec sa famille. En revanche, il faut subsister. Il enchaîne les petits boulots – débardeur aux Halles, garçon de café sur les Champs-Elysées –, mais reste réfractaire à certaines formes de hiérarchie. Fier de la trouille surmontée en Asie, il porte comme un étendard sa jeunesse et sa gueule d’ange qui lui valent les faveurs des dames de la rue. Il n’a pas un sou ; elles l’aident à vivre, à manger. « C’est à cette époque que j’ai compris qu’on n’a pas les mêmes chances au départ et qu’un physique, ça compte beaucoup. » Il ne sait pas encore à quel point cela va être vrai.

Dans l’armée il a trouvé une famille. Ça le marque pour toujours. Mais c’est dans les bras des femmes qu’il va construire son futur. « Tout ce que je suis au départ, et cela m’a suivi toute ma vie, je le suis pour et à cause des femmes. » Quand un copain lui propose d’aller boire un verre à Saint-Germain-des-Prés, il répond : « Qu’est-ce que c’est Saint-Germain ? » Il y fait la connaissance d’un autre monde où sa beauté lui ouvre toutes les portes. Notamment celle de Brigitte Auber, son aînée de sept ans. Elle a tourné avec Marcel Carné, Jacques Becker, Julien Duvivier et même Alfred Hitchcock dans « La main au collet ». C’est une vedette. Il n’en revient pas de lui plaire. Ils tombent amoureux, vivent ensemble.

Delon à New York en 1958.
Delon à New York en 1958. © DALMAS/SIPA

Delon découvre la Côte d’Azur, s’éclate au soleil, vit enfin l’adolescence qu’il n’a pas eue. Mais c’est une autre femme, Michèle Cordoue, dont il devient ensuite l’amant, qui va décider de son destin. Elle est le satellite qui va le mettre sur orbite. Michèle est l’épouse du réalisateur Yves Allégret. Elle les fait se rencontrer. Mari, amant. Pas banal comme relation. Qu’importe. Ce que veut Allégret pour le rôle de jeune premier masculin de « Quand la femme s’en mêle » c’est exactement ce qu’est Delon à l’époque. « Il cherchait un garçon un peu voyou sur les bords et entre les bords aussi. J’ai dit non. Je n’y connaissais rien. Puis j’ai accepté pour leur faire plaisir. »

Le début de tout.

Au volant d’une voiture de sport, avec à ses côtés une jeune ingénue qui tombe amoureuse, Jo, incarné par Alain, jette cette réplique avant de démarrer sur les chapeaux de roue : « Causer, c’est pas mon fort. » Delon déjà. Pressé, introverti, séducteur. Sûr de lui. Trois ans plus tard, sa carrière explose en « Plein soleil » sous la direction de René Clément. Il a 25 ans. Plus rien ne va arrêter l’agneau de Mounette devenu loup. Implacable. Sans émotions, croit-on. Sauf quelques larmes, des chagrins cachés d’il y a si longtemps. 

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