La Cousine Bette - Honor� de Balzac - Babelio
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Roger Pierrot (�diteur scientifique)
EAN : 9782253010678
540 pages
Le Livre de Poche (01/09/1975)
  Existe en �dition audio
3.89/5   864 notes
R�sum� :
La Cousine Bette est le r�cit d�une vengeance implacable, celle d�une vieille fille, Lisbeth Fischer, qui travaille � la destruction syst�matique d�une famille � sa famille. Le poison de jalousie et de haine qu�elle distille r�pand autour d�elle son venin mortif�re ; la toile arachn�enne qu�elle tisse empi�ge ceux qui ont ouvert la bo�te de Pandore de ses passions contrari�es.
Nul ne sortira indemne de ce thriller r�aliste, pas m�me le lecteur de Balzac, plon... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (68) Voir plus Ajouter une critique
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sur 864 notes
Il s'en est fallu d'un cheveu, vraiment d'un cheveu, selon moi, pour qu'Honor� de Balzac produise encore avec La Cousine Bette un magistral chef-d'oeuvre (un de plus !). Au lieu de �a, il a " seulement " compos� un tr�s bon roman. Certes, beaucoup d'�crivains actuels s'en satisferaient amplement, eux qui en sont si loin, avec leurs pelles et leurs seaux dans les terres molles et collantes du roman contemporain, mais pour lui, c'est presque un peu d�cevant qu'il ne signe QUE ce tr�s bon roman.

On sait bien que chez Balzac la figure � sacrificielle � a une tr�s large place : c'�tait le cas par exemple dans le P�re Goriot avec cet homme litt�ralement d�vor� par les app�tits insatiables de ses deux filles ; c'�tait le cas �galement dans Eug�nie Grandet, d'une fa�on fort diff�rente, avec cette jeune femme prise en �tau entre l'avarice maladive de son p�re et les app�tits farouches des pr�tendants qui lorgnent sur l'h�ritage.

J'ai utilis� deux fois le mot � app�tits �, qui �voque l'argent, et on pourrait multiplier de la sorte les exemples chez l'auteur. Eh bien ici aussi, il y a ce genre de figure sacrificielle, toujours tr�s pure, tr�s noble dans le fond, un rien d�vote sur les bords, un genre de madone qui serait en m�me temps l'agnus dei, qu'on donne en p�ture aux vilains, aux mesquins, aux ex�crables, aux minables, aux ingrats, aux envieux, aux jaloux... La nuance, la diff�rence, si diff�rence il y a, c'est sur la nature m�me des app�tits d�vorants, qui ne sont plus, en premier lieu, l'argent (m�me si indirectement, un peu quand m�me).

L'agneau de dieu sacrifi�, ce sera bien entendu la baronne Adeline Hulot. Au rang des envieux, des jaloux, des combinards, on trouvera bien entendu sa cousine, dite la cousine Bette (diminutif de Lisbeth), m�me si je ne peux m'emp�cher de penser que Balzac a bien cherch� � nous faire entendre dans ce nom les autres sonorit�s homophoniques du mot, � savoir le l�gume, long, insipide, inint�ressant au go�t (bon, je sais, il y en a qui aiment, mais moi non : j'ai l'impression de perdre mon temps quand j'en mange et ce sont toujours la sauce ou les aromates qui me les font avaler, preuve selon moi de son manque d'int�r�t gustatif en lui-m�me), mais aussi et surtout le mot " b�te ", qui signifie � la fois la b�tise et la f�rocit�.

Bette est laide quand sa cousine est belle ; elle est vieille fille et pauvre quand sa cousine est bien mari�e � un baron richement pourvu, et, ce qui la bouffe litt�ralement, elle a le sentiment (pas totalement injustifi� au demeurant) d'�tre un meuble dans la famille, une domestique, quelqu'un � qui l'on fait l'aum�ne et que l'on tol�re aupr�s de soi tel un mal n�cessaire, telle une infirme, qui serait infirme de son manque de beaut� et de son esprit �triqu�.

Alors elle se consume la Bette, elle rumine, elle fulmine int�rieurement, elle m�rit en elle-m�me ce qu'elle pourrait combiner de chausse-trappe et de fange � �taler sur sa trop belle, trop bonne, trop parfaite cousine. On ne peut pourtant pas dire qu'Adeline soit trop chanceuse avec son mari, le baron Hector Hulot d'Ervy, brave gars dans le fond, mais coureur de jupons inv�t�r� et surtout... incurable !

Tout cela irait encore � peu pr�s pour notre toxique et t�n�breuse Lisbeth, mais un jour, Hortense, la fille de la baronne, qui b�n�ficie d'une aussi jolie figure que sa m�re, commet le faux pas de lorgner sur le petit prot�g� de Bette, le Polonais Wenceslas. Alors l�, mes a�eux, �a, c'est une grosse, grosse, grosse maladresse, car ce Wenceslas, voyez-vous, c'�tait un genre de chasse gard�e, c'�tait son jardin secret � la Bette, pas un v�ritable amant, certes non, mais une sorte de platonicit� accessible, une affection faute d'autre chose, une relation qui la faisait se sentir bonne et honn�te et utile et (sur un malentendu) d�sirable pour quelqu'un...

Et Bette, voyez-vous, c'est un peu comme un volcan actif : en temps normal, �a gronde, �a grognonne en sous-sol, �a fumotte, �a toussotte en surface pendant un bon moment, des mois, des ann�es, des si�cles, parfois, et puis un mauvais jour, quand la pression est trop mont�e des entrailles, trop contenue, trop puissante, eh bien �a BAM ! et �a POUM ! et �a BRRAAAOOUUUM ! et �a crache le feu et la mitraille de tout c�t� sur des kilom�tres, et �a vomit de la lave et des gaz atroces � n'en plus finir, et �a balaie tout, et �a �clabousse tout, et �a fait trembler la terre de partout et dans toutes les directions.

Quel sera l'instrument de sa vengeance, ou plut�t QUI sera l'instrument de sa vengeance ? Ah, ah ! �a, mes bons amis, myst�re, et ne comptez pas sur moi pour vous le d�voiler ; lisez-le si vous voulez le savoir...

� pr�sent, quel semble �tre le th�me de ce roman ? La lutte, la constante, l'incessante, la sempiternelle lutte du bien contre le mal, ou, en l'esp�ce, plut�t celle du vice contre la vertu. C'est un combat toujours � l'oeuvre et de tout temps et de partout, o� que l'on jette le regard, on le retrouve, des tr�fonds de l'Asie ou de l'Oc�anie � l'Alaska ou � la Terre de feu, c'est toujours la m�me rengaine.

Il y a, au surplus, une autre nuance : le vice v�ritable et av�r� d'un c�t�, et l'apparence du vice de l'autre. C'est particuli�rement illustr� dans ce roman par le personnage de Josepha (qui rappelle beaucoup Esther, " la torpille " de Splendeurs et mis�res des courtisanes), un th�me et un personnage que reprendra plus tard Guy de Maupassant dans sa Boule de Suif. de m�me, il y a la vertu et l'apparence de la vertu, et Bette sait se faire experte dans le domaine de l'apparence de la vertu...

On sait que Balzac a �crit ce roman (qui est un gros roman) tr�s vite. Il est rondement men�, �a s'encha�ne tr�s bien : Balzac est �videmment l'immense �crivain qu'on conna�t. En revanche, ce qui n'est pas trop son cas d'ordinaire, je l'ai trouv� un peu trop moralisateur sur la fin. Jusque-l� j'�tais enthousiaste, �blouie comme souvent avec lui, et puis, il y a cette fin, fa�on Liaisons dangereuses, o� la m�chante Marquise de Merteuil se choppe la v�role et que c'est bien fait pour elle, n'est-ce pas ?

Or l�, c'est du Balzac, c'est un observateur expert de la r�alit� normalement, du monde et des gens, dans ce qu'ils ont de complexes et d'ind�chiffrables, il ne peut normalement pas nous infliger une fin � morale � voire � moralisante �, car le monde n'est ni moral ni immoral en soi, il est amoral ; il n'est ni optimiste ni pessimiste, il est, un point c'est tout, il est, dans toute sa diversit�, dans l'�ventail quasi infini des variations et des nuances s'�talant d'un extr�me � l'autre, du gerbant au formidable. Je me dis que sur cette fin, il est peut-�tre all� trop vite, il aurait peut-�tre pu prendre le temps de la m�rir un peu plus comme il sait si bien le faire.

Alors quand j'ai lu cette fin, j'ai �t� d��ue, forc�ment, d'o� ces 4 �toiles et non 5, tandis que j'�tais persuad�e tout du long que j'irais � 5, avec cette magnifique galerie de personnages encore une fois, allant du Crevel � la Marneffe, du mar�chal sourd au sculpteur rat�, de la putain � l'�pouse mod�le en passant par l'amante et la courtisane, mais il y eut ces quelques derni�res pages... Bien entendu, cette d�ception n'est que ma Bette vision, ma Bette attente et ma Bette sensibilit�, c'est-�-dire, pas grand-chose, car le mieux sera toujours de vous en faire votre propre opinion par vous-m�mes.
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��Depuis le sommet de l'aristocratie jusqu'aux bas-fonds de la pl�be, tous les acteurs de sa Com�die sont plus �pres � la vie, plus actifs et rus�s dans la lutte, plus patients dans le malheur, plus goulus dans la jouissance, plus ang�liques dans le d�vouement, que la com�die du vrai monde ne nous les montre. Toutes les �mes sont des armes charg�es de volont� jusqu'� la gueule. C'est bien Balzac lui-m�me.��

Charles Baudelaire

Dot�es d'une vitalit� hors du commun, ces �mes comme des armes charg�es de volont� jusqu'� la gueule poursuivent avec hargne, avec candeur, avec abn�gation, avec d�termination leur objectif. Objectif, le mot est faible, il ne rend pas justice � la sorte de folie qui anime et habite les hommes et les femmes chez Balzac. Attach�s de fa�on absolue � l'une des grandes illusions de l'existence � l'amour, l'art, l'argent, la politique, la beaut�, la jeunesse, la religion� � vou�s � une unique passion qui le plus souvent vire � l'obsession, ils se hissent � des sommets d'o� les exc�s, une monomanie les poussant � aller trop loin, � en demander toujours plus, � tout sacrifier � leur cause, les pr�cipitent dans le vide avec pertes et fracas. Leur passion, feu d�vorant qui les stimule, les aiguillonne et les am�ne � se surpasser, est aussi ce qui les consume et les d�truit. C'est �a, Balzac. Et c'est grandiose et path�tique, c'est hideux, c'est repoussant et c'est d'une beaut� stup�fiante. �a vous souffle dans les bronches, �a vous requinque un moribond, �a vous r�veillerait un mort tant c'est plein de vie. Comme le dit Stephan Zweig avec un sens admirable de la litote, ��Les hommes ti�des n'int�ressent pas Balzac��. Ah �a non!

Je n'avais jamais relu Balzac depuis mes ann�es de lyc�e. le hasard du calendrier, un engagement pris avec mon amie H�l�ne (@4bis) que je tiens � remercier pour sa compr�hension et sa patience, ont voulu que je me plonge dans la lecture de la cousine Bette au moment o� j'�tais clou�e au lit par une vilaine grippe. C'est peu dire que cet auteur incroyable, traversant all�grement les deux si�cles qui nous s�parent, est parvenu � m'insuffler son �nergie vitale. Il m'a litt�ralement port�e pendant cette semaine �reintante. J'en aurais pleur� de reconnaissance. Certes, il y a des choses qui ont vieilli chez Balzac, un style parfois un poil grandiloquent, des situations un peu trop rocambolesques pour para�tre r�alistes, des retournements de situations un peu trop th��traux pour para�tre cr�dibles� mais quelle �nergie! Et quel sens de la psychologie! � force d'�tudier ses personnages sous toutes les coutures, d'en d�cortiquer tous les rouages, il les rend plus r�els � nos yeux que ceux qu'on c�toie tous les jours, p�les ectoplasmes traversant furtivement notre existence.

Mais de quoi parle La cousine Bette, roman tardif, paru en feuilleton en 1846? Eh bien, je dirais des passions humaines d�clin�es sous toutes leurs formes, et c'est � peu pr�s tout. le contexte socio-historique est � peine �bauch�, on y trouve tr�s peu de digressions d'ordre artistique, sociologique, philosophique, on reste coll�s aux personnages et � l'intrigue pendant 540 pages, ce qui, personnellement, m'allait tr�s bien.
Lisbeth, la cousine qui donne son titre au roman, vieille fille laide et d�sargent�e, est tout enti�re habit�e par une passion d�vorante, une de ces passions tristes susceptibles d'engendrer malheur et d�solation : le ressentiment. Mue par une jalousie f�roce � l'endroit de sa belle cousine Ad�la�de Hulot, une jalousie recuite qui plonge ses racines loin dans l'enfance, la Bette voue sa vie � l'accomplissement de son unique obsession : la vengeance. Mais si la vengeance est un th�me r�current en litt�rature depuis l'Antiquit� jusqu'au dix-neuvi�me si�cle, j'ai trouv� particuli�rement originale la fa�on dont le traite Balzac. Bette se venge non pas de personnes qui lui ont fait du tort, au contraire, puisque la famille Hulot l'a extraite de sa campagne pour l'accueillir en son sein. Non, elle se venge � des d�cennies de distance des humiliations re�ues dans l'enfance, quand on r�servait � sa cousine Ad�la�de, en raison de sa beaut�, les t�ches d�licates quand elle, Bette, devait s'adonner aux rudes travaux des champs. de m�me, j'ai trouv� tr�s int�ressant que Lisbeth ne soit pas r�duite au r�le de fruit sec dess�ch� racorni par l'amertume, incapable de sentiments auquel l'intrigue semblait devoir la cantonner. C'est une femme de passion capable de tomber �perdument amoureuse d'un jeune r�fugi� polonais sans le sou qu'elle va litt�ralement faire rena�tre � la vie, puis bichonner et soutenir, enfin entretenir financi�rement jusqu'� ce que l'ingrat, lass� de ses soins constants et tyranniques, ne lui �chappe et �pouse Hortense Hulot, la fille de la cousine honnie. le coup est terrible pour Bette qui, d�s lors, poursuit le cours de sa vengeance avec une vigueur renouvel�e, mais cela ne l'emp�che pas de retomber en amour, d'une femme cette fois, l'irr�sistible Val�rie Marneffe.
��Lisbeth, �trangement �mue de cette vie de courtisane, conseillait Val�rie en tout, et poursuivait le cours de ses vengeances avec une impitoyable logique. Elle adorait d'ailleurs Val�rie, elle en avait fait sa fille, son amie, son amour�; elle trouvait en elle l'ob�issance des cr�oles, la mollesse de la voluptueuse�; elle babillait avec elle tous les matins avec bien plus de plaisir qu'avec Wenceslas, elles pouvaient rire de leurs communes malices, de la sottise des hommes, et recompter ensemble les int�r�ts grossissants de leurs tr�sors respectifs.��

Quant � Val�rie Marneffe, v�ritable coeur du roman, vortex dans lequel tous les personnages du livre semblent destin�s � sombrer, elle incarne � elle seule l'objet de la passion. Devenu le bras arm� et consentant de Bette dans l'accomplissement de sa vengeance, elle s'y adonne avec une rouerie, une bonne humeur, un naturel d�concertants. Mais l� encore, si Val�rie ne repr�sentait qu'une Id�e, la figure de la courtisane d�nu�e de tout scrupule qui ruine les hommes et leurs familles, ce serait certes �difiant, mais pas tr�s int�ressant. Ce qui est passionnant, c'est la fa�on dont Balzac s'attache � son personnage, nous d�crivant sa coquetterie, son esprit, son �l�gance, sa beaut� avec une telle minutie, avec une telle attention, une telle affection qu'il nous la ferait presque aimer en retour.
Comme Choderlos de Laclos avec sa marquise de Merteuil, Balzac campe un personnage particuli�rement malfaisant mais grandement excusable. Ainsi que le r�sume le critique Hippolyte Taine, ��Balzac aime sa Val�rie�; c'est pourquoi il l'explique et la grandit. Il ne travaille pas � la rendre odieuse, mais intelligible.��
Et c'est pourquoi il me semble que ce livre, au-del� de l'ind�niable plaisir qu'il procure, a encore beaucoup � nous dire.

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Dans la famille Fisher, je demande la cousine.
La Cousine Bette s'appelle Lisbeth Fisher pr�cis�ment, mais tout le monde s'attache � l'appeler Bette, jusqu'� ce fac�tieux Balzac qui, ici, n'h�site pas � donner de temps en temps et affectueusement, � travers les mots de certains personnages, du � ma bonne Bette �. Or, b�te elle ne l'est pas, m�chante allez savoir... Laide et pauvre, s�rement. Sa laideur et sa pauvret� auront sans doute cristallis� son destin dans le chemin complexe empli d'�pines et de m�andres, que nous d�peint ici de mani�re somptueuse Honor� de Balzac.
Dans la Cousine Bette, le personnage �ponyme n'est pourtant pas le personnage principal.
Le personnage principal revient � sa cousine, la belle Adeline Hulot.
Il serait fastidieux de tenter de vous r�sumer tous les chass�s-crois�s multiples et biscornus qui sillonnent et tissent le ressort narratif. Ce n'est d'ailleurs pas mon intention, d'une part je risquerais de vous perdre et d'autre part un billet litt�raire, tel que je l'imagine, n'est pas pr�cis�ment d�di� � cela.
En quelques mots, la Cousine Bette est le r�cit d'une vengeance implacable, celle d'une vieille fille, Lisbeth Fischer, qui va oeuvrer � la destruction syst�matique d'une famille - sa propre famille.
Pour situer le roman sous l'angle historique, il s'agit pour Balzac d'illustrer la d�ch�ance d'une famille sous la Monarchie de Juillet. Dans cette oeuvre s'exerce sa f�rocit� redoutable qui se fait un plaisir de d�peindre la r�alit� telle qu'elle est, dans toute sa m�diocrit� et sa noirceur. L'influence du contexte historique n'est sans doute pas anodin dans l'effet recherch� et obtenu.
Alors, bien s�r toujours chez Balzac il y a cette atmosph�re particuli�re li�e � l'argent. Chez Balzac, l'argent a une odeur, celle du soufre. S'entrem�lent ici comme ailleurs dans ses autres romans des op�rations financi�res soit frauduleuses ou soit au d�triment d'un des personnages. Ici on ne d�roge pas � la r�gle.
La Cousine Bette est appel�e presque � la rescousse � Paris par Adeline Hulot, sa ch�re et belle cousine, qui supporte tant bien que mal les infid�lit�s de son vieux mari, le Baron Hulot, vieux beau, libertin �perdu. le Baron Hulot entretient des femmes l'une apr�s l'autre et dilapide sa fortune et celle de ses enfants, incapable de surmonter son penchant. Sur ce terrain, il est le rival du beau-p�re de son fils, un certain C�lestin Crevel, qui, quoiqu'il aborde ses relations comme des affaires et se pr�serve ainsi de la ruine, est tout aussi aveugl� par son d�sir. Ils ont m�me eu une amante commune, c'est dire...
La Cousine Bette voit tout de suite comment tirer profit de cette situation pour elle. Jalouse de cette famille qui n'a que condescendance et m�pris pour elle depuis des lustres, elle voit dans ces relations adult�res une occasion inesp�r�e d'enfoncer encore un peu plus cette famille ador�e dans sa perdition. Elle va alors imaginer tisser dans l'ombre des relations d�vastatrices et immorales entre les protagonistes et surtout elle va les mettre en oeuvre.
Il s'agit ici aussi pour la Cousine Bette de se venger de la beaut� de sa cousine Adeline dont elle souffre depuis l'enfance, puis de sa r�ussite sociale qu'elle ne supporte pas, et enfin du mariage de sa ni�ce Hortense avec l'artiste qu'elle avait pris sous sa protection et auquel elle portait un amour pour le moins ambigu. Elle d�cide d'oeuvrer sans rel�che � l'an�antissement de ses proches, impitoyable.
Avec une sorte de d�lectation presque jubilatoire, nous voyons cette famille Hulot tanguer comme un paquebot digne du Titanic qui aurait �peronn� un iceberg nomm� la Cousine Bette. Cependant, il est utile de pr�ciser que la charge de la responsabilit� du naufrage vaut autant pour l'iceberg, c'est-�-dire la mani�re de la cousine Bette d'�tre � la manoeuvre, que pour l'�tat du paquebot qui �tait d�j� bien gangren� de l'int�rieur, c'est-�-dire une famille Hulot marqu�e par la pr�sence d'un certain Baron capable d'entra�ner � lui seul l'ensemble de la famille vers le naufrage.
Aussi, la Cousine Bette est bien aid�e dans son entreprise par la victime toute d�sign�e.
�trangement, Bette ne se pose pas en ennemie de ses cousins, bien au contraire. Alors qu'elle travaille chaque jour � leur perte, elle se fait passer pour leur unique soutien et leur derni�re amie dans la suite des d�b�cles qu'ils traversent. Hypocrite au plus haut point, la vieille fille est pr�te � vivre chaque jour pr�s de ceux qu'elle ha�t pour mieux assister � leur chute, pour �tre certaine d'avoir une place aux premi�res loges pour admirer le spectacle de leur souffrance et de leur d�sespoir.
Apr�s vous avoir pos� ce d�cor harmonieux, je vous laisse deviner l'ambiance qui s'en est suivie : manoeuvres, manigances en tous genres, petits arrangements, chantages, bref ! La belle vie, quoi !
Ici les hommes sont fourbes, couards, avides, aveugl�s. Quoi ! Vous imaginiez peut-�tre l'inverse ?
Finalement, la Cousine Bette a juste le beau r�le tr�s facile de pousser certains pions d�j� positionn�s sur la sc�ne, - la sc�ne non pas de crime mais presque -, juste un peu plus les uns vers les autres. C'est juste un petit r�le modeste et ingrat de facilitatrice.
C'est donc un personnage tr�s complexe construit avec beaucoup de subtilit� que nous offre ici ce charmant et fac�tieux Balzac.
Mais la Cousine Bette n'est pas le personnage le plus pervers du roman, je vous laisse le soin de d�couvrir qui la d�tr�ne � ce titre et bien plus largement.
Que dire des th�mes qui s'invitent ? Bien s�r c'est la vengeance, une vengeance implacable qui porte l'ensemble du roman comme l'arc d'une nef. � la source de cette vengeance, il y a la jalousie et � la source de la jalousie, il y a beaucoup de blessures et d'incompr�hension. Balzac dit tout cela aussi, de mani�re subtile, sans forcer le trait, nous invitant � porter ce regard de compr�hension, �vitant d'enfermer la Cousine Bette dans une forme de manich�isme. Elle vient avec son histoire, sa fragilit�, sa douleur, sa m�chancet� peut-�tre, son d�sespoir s�rement.
S'agissant de la morale, je trouve que Balzac est cruel avec son lecteur et s'en joue � chaque instant avec beaucoup de cynisme. Je ne parle pas de la fin, d'ailleurs je n'en parlerai pas, tiens !
J'ai aim� ici retrouv� Balzac dans son art des portraits, son habilet� � mettre en sc�ne les �pisodes clefs de son r�cit, par son talent pour la chute romanesque, il d�peint les hommes de son temps comme un peintre, c'est beau et sans concession.
Mise � part Adeline Hulot, Balzac n'�pargne aucun de ses personnages et d�peint leur m�diocrit� avec plaisir et duret�. Mais derri�re cette satire, se lit aussi une pointe de compassion pour ces �tres fragiles soumis � des forces qui les privent de toute bont�. C'est cruel.
Mais le personnage le plus ambigu dans cette histoire, celui qui tire toutes les ficelles, triomphant par son art de la manipulation du lecteur, illusionn� par le narrateur, ne serait-ce pas finalement un certain Balzac lui-m�me ?

� L'amour de soi, pris comme principe de toutes nos maximes, est la source de tout mal.� Emmanuel Kant.
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Il ne faudrait pas revenir sur le th��tre de nos amours anciennes. Et encore, Honor� n'a pas �t� mon pr�f�r�. Quelle admiration j'avais pour Gustave, quel plaisir j'ai pris � d�vorer Emile ! Oui mais voil�, tout passe. Ou plut�t tout change et il faut croire que mes lectures r�centes ont tu� Balzac et avec lui, l'affection que je lui portais. Lahire, Froidevaux Metterie, Bourdieu, Chollet et consorts, assasins !

La Cousine Bette est du c�t� sombre de la Com�die humaine. En existe-t-il un vraiment ensoleill� me demanderez-vous ? le lys dans la vall�e, les folles ambitions d'un Rastignac dans le P�re Goriot laissaient au moins croire qui � un amour heureux, qui � une ambition �nergique porteuse d'avenir fructueux. Et les romans plein de fantastique comme La Peau de chagrin offrent le recours � un surnaturel jugement. Mais La Cousine Bette appartient aux � Sc�nes de la vie parisienne �, cette section de 19 romans dont elle partage une sous-partie avec le Cousin Pons au titre des � parents pauvres �. Elle est donc les deux pieds dans le r�el, parfait rouage contribuant au vaste projet de son auteur de � faire concurrence � l'�tat civil �.

La Com�die humaine : 91 romans achev�s, 48 �bauch�s, entre 4000 et 6000 personnages selon les d�comptes. Rien moins que l'�tablissement de tous les caract�res humains class�s selon leur appartenance sociale, leur temp�rament et leurs lieux d'habitation. Une entreprise sociologique � la hauteur de ce qui fit Buffon et son Histoire naturelle pour la zoologie. Balzac �crit � Mme Hanska en 1844, trois ans avant la r�daction de Bette donc : � Quatre hommes auront eu une vie immense : Napol�on, Cuvier, O'Connell, et je veux �tre le quatri�me. le premier a v�cu de la vie de l'Europe ; il s'est inocul� des arm�es ; le second a �pous� le globe ; le troisi�me s'est incarn� un peuple ; moi, j'aurai port� une soci�t� toute enti�re dans ma t�te. � On retrouve la modestie proverbiale du bonhomme.

Allez, vas-y, mon Nono, prenons un exemple, explique-moi la vie : � En ceci peut-�tre consiste toute la diff�rente qui s�pare l'homme naturel de l'homme civilis�. Le Sauvage n'a que des sentiments, l'homme civilis� a des sentiments et des id�es. Aussi, chez les Sauvages, le cerveau re�oit-il pour ainsi dire peu d'empreinte, il appartient alors tout entier au sentiment qui l'envahit, tandis que chez l'homme civilis�, les id�es descendent sur le coeur qu'elles transforment ; celui-ci est � mille int�r�ts, � plusieurs sentiments, tandis que Le Sauvage n'admet qu'une id�e � la fois. �. Hum. Et cette pens�e subtile s'applique �� ? La cousine Bette bien s�r, qui, depuis ses origines d'arri�r�e, ne peut pas avoir la lumi�re � tous les �tages, �a se comprend� Mais �a vaudrait pour le baron Br�silien dont je ne vous ai pas encore parl�. Bah ouais, il est quand m�me un peu noiraud�. Bon� En fait, Nono, je pr�f�re quand t'expliques pas(1). �a promet une vraie partie de plaisir, ce roman... Mais mettons les choses dans l'ordre et faisons les pr�sentations.

Nous voici donc avec Bette, cette solide vosgienne qui a le malheur de ne pas �tre belle, emport�e � Paris � la suite de sa jolie cousine Adeline laquelle a fait un mariage d'amour avec le riche, brillant et volage baron Hulot. Bette est donc laide, pauvre et obstin�e. Jetez � ce petit bois de pr�dispositions l'allumette d'un amour contrari� et vous en ferez un boulet de canon. La puissance qui ne peut s'�panouir en vertu se d�multiplie dans la rancoeur et la vengeance, postule et professe Balzac. Et pour que cette d�monstration emporte avec elle d'autres illustrations de sa th�orie sociale, pour qu'elle s'int�gre dans la grande fresque de son � �tude de moeurs �, nous aurons 1) Adeline, une prude et admirable �pouse immol�e � sa famille et � sa r�putation (l'impeccable Elvire de Dom juan version matrone ou la splendide Mme de Tourvel sans qu'elle ait jamais rencontr� Valmont si vous pr�f�rez), 2) Hortense, sa fille, une tendre et passionn�e jeune fille payant le p�ch� d'avoir rus� pour assouvir son amour na�f (comprenez que la femme reste Eve, d�chue et p�cheresse donc, m�me - surtout ? - quand elle aime), 3) l'abominable Val�rie, �pouse au petit pied de l'insignifiant et corrompu Marneffe, belle � se damner - et elle le sait, la garce ! -, dont l'intrigue et la v�nalit� confinent au g�nie. Une que Balzac aimerait qu'on compare � Merteuil, et si je n'y suis pas parvenue, ce n'est pas faute qu'il me l'ait sugg�r� � moulte reprises, fin abominable comprise.

On comptera aussi a) un Comte polonais, Wenceslas Steinbock, artiste sculpteur aussi beau, jeune, id�al que vell�itaire (Tragicomix dans La fianc�e d'Ast�rix si vous voulez une image), b) un arriviste ancien boutiquier, le sieur Crevel, bourgeois gentilhomme fa�on 19e si�cle, sans lustre et sans candeur, se r�clamant du libertinage � la Louis XV quand son avarice de petit bourgeois le range plut�t dans la cat�gorie des tristes Harpagon. le sommet d'une �poque d�sesp�rante, quand les �piciers cupides ont fini de remplacer les h�ros �mancipateurs. Quand les sombres manoeuvres ont pris la place des grands desseins. Ajoutez-y c) le baron Hulot, d�j� mentionn�, tristement r�duit - nous sommes chez La Bruy�re cette fois - � un toupet qu'il met pour masquer ses cheveux rares, des favoris teints, un ventre que ne retient qu'un corset et des ambitions d�mon�tis�es de vieux beau aussi path�tiques que ridicules. Pour faire bonne mesure, mettez un peu d'exotisme facile et de racisme bien tremp� avec d) le Maure qui sera ici Br�silien, baron de Mont�janos, richissime et premier amant de Val�rie Marneffe ayant le double tort d'avoir abandonn� la donzelle trois ans auparavant et de revenir quelques mois trop t�t avant que la belle ait liquid�, laissez-moi compter, son mari, ses deux, non trois amants ! Quatre avec lui ! Versez pour finir quelques utilit�s du monde des arts, des administrations comme autant d'arcanes capables de jouer le destin des personnages sur les deux seuls aspects ayant v�ritablement de l'importance � Paris : la renomm�e et l'argent. Et d�roulez ! Ce sera cruel, ce sera sanglant, ce sera sans merci.

Alors quoi ? Pourquoi n'ai-je pas aim� ?

Parce qu'il en fait des tonnes, le p�re Balzac ! Non content de nous brosser des caract�res selon les besoins de sa d�monstration, de nous proposer une intrigue � d�sesp�rer le plus enthousiaste des optimistes, il faut encore qu'il pontifie, proph�tique et p�remptoire, qu'il assassine tout le sexe f�minin � coup de phrases d�finitives : A propos d'Adeline, la Sainte de service, lorsqu'elle comprend que son barbon d'�poux l'a trahie � La passion fait arriver les forces nerveuses de la femme � cet �tat extatique o� le pressentiment �quivaut � la vision des Voyants. Une femme se sait trahie, elle ne s'�coute pas, elle doute, tant elle aime ! et elle d�ment le cri de sa puissance de pythonisse. � Passez donc consid�ration pour la capacit� individuelle � jouer sa partition, libert� de penser et foi dans l'intelligence ! La femme est tragiquement, constitutivement fichue. Par son sexe, ses talents m�mes ne sont utiles qu'� la desservir. L� o� l'homme d�sire, elle aime ou se vend. L� o� il butine, elle se prostitue ou s'immole. Ou comment enterrer la moiti� de l'humanit� sous un tombereau d'hommages am�rement fleuris.

Vous me direz qu'il n'est pas tendre avec les hommes non plus. Certes mais lisez ce qu'il �crit par exemple � propos du baron Hulot lorsque ce dernier d�couvre que sa ma�tresse, la d�moniaque Val�rie, le trompe avec l'affreux Crevel (entre autres), et jugez ensuite : � Les catastrophes poussent tous les hommes forts et intelligents � la philosophie. le baron �tait, moralement, comme un homme qui cherche son chemin la nuit dans une for�t �. Voil�. Quoique sublime, la meilleure des femmes est damn�e par son sexe, � l'image de toutes ses soeurs. le plus l�che et lubrique des hommes reste lui en de�� d'une perfection, certes, mais cela n'entache en rien le reste de ses comparses, toujours appel�s, eux, � pr�tendre � des id�aux philosophiques.

Juge et parti, voil� ce que je reproche � Balzac. C'est de son temps, Hugo, Zola et quelques-uns de leurs continuateurs ont, jusqu'� des �poques pas si recul�es, continu� de nous assommer de leur vision du monde, colorant pour cela de leurs tristes opinions la peinture soi-disant objective qu'ils faisaient de leur si�cle. On pourrait consid�rer donc la Cousine Bette comme un t�moignage dat� sur le monde, le r�sultat d'une certaine vision de l'�crivain, du r�le de la litt�rature et d'un talent � la mise en fiction romanesque. Ce serait, � ce titre pr�cis, un tr�s bon roman m�me si ses personnages ont plus � voir avec la charge d'une carricature qu'avec l'analyse psychosociologique la plus fine.

Ce que je n'admets plus aujourd'hui toutefois, c'est que, sur la base de son discours moral, on l'encense. Qu'on y applaudisse la peinture des moeurs pass�es comme si elle �tait objective et d�pourvue de toute intentionnalit� id�ologique. C'est qu'on oublie qu'en l'�tudiant, en le relisant et s'en d�lectant, on cautionne le monde qu'il d�peint et qui, sans l'existence de tous ces romans, de toutes ces oeuvres de fiction corroborant un mercantilisme triomphant, une division des sexes � la d�faveur des femmes, une hi�rarchisation des humains avec les Occidentaux tout en haut, ne serait peut-�tre pas � ce point pr�dominant. Plus que simple peinture � vis�e moralisante ou critique, la Com�die humaine me semble avoir �t�, comme d'autres oeuvres de son si�cle, un pr�cieux adjuvant � une id�ologie patriarcale et capitaliste en train de se constituer. Vous me direz, l'oeuf, la poule, qui de la Com�die humaine ou de l'id�ologie capitaliste a fait qui ? Je vous l'accorde. Mais que cette oeuvre soit cons�quence ou cause partielle, on n'est peut-�tre pas oblig� de continuer � lui faire tout ce cr�dit.

Est-ce que cela signifie qu'il faut d�boulonner Balzac ? Naturellement non ! C'est un monument qui appartient � notre histoire. Pond�rer sa lecture d'une analyse critique �clair�e et la panacher d'autres oeuvres moins color�es de cette orgueilleuse et d�l�t�re ambition, oui !

J'ai entrepris cette lecture sur l'impulsion d'Anna. H�las, les circonstances ne nous ont pas permis cette fois de la suivre exactement au m�me rythme. Ses rendez-vous successifs avec des kleenex et des pyl�nes, mes propres aventures avec des bus scolaires enneig�s et des frigos myst�rieusement vid�s se seront ajout�s � une diff�rence initiale d'approche (elle a tout de suite ador�, en a fait une lecture plaisir, moi pest�, m'imposant de d�cortiquer les raisons de mon agacement, ce qui vous vaut cette micro critique, oui, je sais, je sais, moi aussi j'aimerais faire autrement parfois). Ca ne peut pas marcher � chaque fois et m�me s'il n'a pas �t� aussi plaisant qu'escompt�, ce voyage commun avec la Cousine Bette m'aura bien d�pays�e.

**************************************

(1) Pour ceux qui plaideraient le � autre temps, autres moeurs � et le tour d�formant avec lequel notre regard contemporain peut indument exiger des hommes anciens une lucidit� que la marche de l'Histoire ne leur autorisait pas, je rappellerais simplement la mani�re si humble et juste dont Montaigne, Jean de L�ry, au 16e si�cle donc, Montesquieu ou Diderot, au 18e si�cle, envisageaient l'autre, qu'il soit noir, f�minin ou sauvage.
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� Bonjour les Bab�lionautes ! Aujourd'hui, je viens causer d'un grand beau classique, La cousine Bette, d'Honor� de Balzac.

-Oh noooooon !

-Ah siiiiiiiii !

-C'est pourri, Balzac ! T'as vu l'�paisseur du bouquin, en plus ? Ca sent encore des pages et des pages de description qui ne font pas avancer l'action, c'est nul !

-H� bien tu as tort : la premi�re page ne s'ouvre pas sur quatre kilotonnes de description, mais sur un dialogue.

Or donc, Adeline Hulot, �pouse du baron Hulot, rencontre des soucis d'argent : son �poux dilapide leur fortune avec ses amantes. Adeline ne peut donc pas marier sa fille. Qu'� cela ne tienne : Hortense, ladite fille, va se trouver un fianc� en s�duisant l'amoureux de la cousine Bette� qui va machiner...

-Qui va machiner ?

-Une Terrible Vengeance !

-Mou�. Pourquoi pas.

-Tu parlais plus haut des pages de description : il n'y en a point autant dans ce livre. En revanche, je reconnais que les textes dissertant sur la nature du Polonais, des Sauvages, des Corses, des femmes m'ont quelque peu agac�e. Ces passages-l� ont mal vieilli, je le crains. Fort heureusement, ils sont peu nombreux si l'on consid�re l'oeuvre dans son ensemble, oeuvre qui fait la part belle � la peinture de caract�res.

-Y a des trucs, quand m�me, nan mais, y a des trucs� �a va pas, quoi !

-Quels trucs ?

-Mais tu as vu le traitement d'Adeline ? comment la figure de victime est valoris�e, donn�e pour mod�le de perfection, alors que� alors qu'aujourd'hui, on lui dirait de divorcer et de mettre Hector en taule s'il ne lui paye pas sa pension alimentaire ?

-Oui, mais le roman ne se passe pas � aujourd'hui �. Je pense que c'est une erreur de le lire enti�rement avec ses lunettes de lecteur/trice du XXIe si�cle. Bien s�r que sa situation est inadmissible et injuste, cependant, Balzac �crit sur et dans son si�cle, pas sur et dans le n�tre, avec tout ce que cela comporte comme pr�jug�s culturels et jugements religieux.

Le roman, disais-je plus haut, est parfaitement r�ussi en ce qui concerne les portraits. Les personnages ont les d�fauts de leurs qualit�s, leur bonheur provoque paradoxalement leur malheur (je pense ici � Hortense et � son �poux). La cousine Bette constitue un personnage ambigu : sa vengeance ne tombe pas compl�tement du ciel, il y a un contexte fort d�favorable pour elle et l'on peut se demander quelle est la responsabilit� de ses parents dans le ressentiment qu'elle �prouve pour Adeline. Il n'en reste pas moins qu'elle est habit�e par une soif de pouvoir malsaine, d�montr�e par sa relation avec Wenceslas, l'artiste qu'elle soutient, soigne et torture en m�me temps.

Voil� ce que j'ai appr�ci� dans ce roman : il plonge au fond des coeurs pour nous les livrer dans ce qu'ils poss�dent de pur et de noir. Evidemment, ces nuances ne sont pas �galement r�parties entre les personnages et j'avoue m�priser le baron Hulot.

Un autre des points forts de ce roman r�side dans ses dialogues. Plusieurs sc�nes sont trait�es comme des sc�nes de th��tre, ce qui dynamise le texte et l'action, les rendant plus prenantes.

Et puis, c'est tr�s sexuel, comme roman.

-Pardon ? Balzac ? Sexuel ?!

-Oui, bon, pas de fa�on explicite, bien entendu, nous sommes en 1846 quand m�me. Toutefois, il est plaisant de rep�rer les sous-entendus, les m�taphores dissimulant la v�rit� crue et nue.

Il reste une derni�re chose que je voulais mentionner : l'humour.

-L'humour? Ah, parce que maintenant, Balzac, ce poids lourd de la morale, de l'analyse psychologique, devient un blagueur faisant rire les foules ? Ben j'aurais tout lu, D�idamie.

-Non, tu exag�res ! Bien s�r que non, tu ne vas pas trouver des boutades d�sopilantes � la fa�on d'un humoriste ma�tre de l'art du stand-up. Cependant, tu vas lire dans ce roman des tournures pince-sans-rire, une ironie discr�te, de l'humour authentique, mais appliqu� en touches l�g�res et subtiles, parfois si t�nues qu'elles ne se remarquent qu'� la deuxi�me lecture. Je regrette, quand la cousine Bette foudroie du regard sa bobine, cela me fait sourire.

La cousine Bette est un roman incroyablement riche par son style et ses portraits approfondis. Oui, le texte est pessimiste, parfois alourdi par des r�flexions d�su�tes et des allusions bibliques ou antiques (qui conna�t encore aujourd'hui Combabos* ?), je le reconnais. D'un autre c�t�, il offre une exploration extraordinaire de la soci�t� du XIXe si�cle avec une prose intelligente et complexe.

-C'est beau, quoi.

-Oui, voil�. C'est beau. �

*Combabos (r�sum� rapide) : son roi le chargea d'escorter la reine Stratonice, d�sireuse d'�lever un temple � Hi�rapolis. Terrifi� � l'id�e de trahir le roi, il se coupa les parties g�nitales avant de partir. Lorsqu'il fut accus� d'avoir couch� avec la reine, il put ais�ment prouver son innocence.
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Citations et extraits (107) Voir plus Ajouter une citation
Une soupe aux herbes et � l�eau de haricots, un morceau de veau aux pommes de terre, inond� d�eau rousse en guise de jus, un plat de haricots et des cerises d�une qualit� inf�rieure, le tout servi et mang� dans des assiettes et des plats �corn�s avec l�argenterie peu sonore et triste du maillechort, �tait-ce un menu digne de cette jolie femme ?
- Vous voil� comme je vous veux mon enfant, dit-elle en le regardant avec ivresse.
La vanit� chez nous tous est si forte, que Lisbeth crut � son triomphe. Elle �prouva la plus vive �motion de sa vie, elle sentit pour la premi�re fois la joie inonder son coeur.
- Je suis engag�, r�pondit-il, et j'aime une femme contre laquelle aucune autre ne peut pr�valoir. Mais vous �tes et vous serez toujours la m�re que j'ai perdue.
Ce mot versa comme une averse de neige sur ce crat�re flamboyant. Lisbeth s'assit, contempla d'un air sombre cette jeunesse, cette beaut� distingu�e, ce front d'artiste, cette belle chevelure, tout ce qui sollicitait en elle les instincts comprim�s de la femme, et de petites larmes aussit�t s�ch�es mouill�rent pour un moment ses yeux. Elle ressemblait � ces gr�les statues que les tailleurs d'images du moyen �ge ont assises sur des tombeaux.
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[...] ... Ces malheurs de famille, la disgr�ce du baron Hulot, une certitude d'�tre peu de chose dans cet immense mouvement d'hommes, d'int�r�ts et d'affaires, qui fait de Paris un enfer et un paradis, dompt�rent la Bette. Cette fille perdit alors toute id�e de lutte et de comparaison avec sa cousine [Adeline Hulot], apr�s en avoir senti les diverses sup�riorit�s ; mais l'envie resta cach�e dans le fond du coeur, comme un germe de peste qui peut �clore et ravager une ville, si l'on ouvre le fatal ballot de laine o� il est comprim�. De temps en temps, elle se disait bien : "- Adeline et moi, nous sommes du m�me sang, nos p�res �taient fr�res, elle est dans un h�tel et je suis dans une mansarde." Mais, tous les ans, � sa f�te et au jour de l'An, Lisbeth recevait des cadeaux de la baronne et du baron ; le baron, excellent pour elle, lui payait son bois pour l'hiver ; le vieux g�n�ral Hulot [fr�re du baron] la recevait un jour � d�ner, son couvert �tait toujours mis chez sa cousine. On se moquait bien d'elle mais on n'en rougissait jamais. On lui avait enfin procur� son ind�pendance � Paris, o� elle vivait � sa guise.

Cette fille avait en effet peur de toute esp�ce de joug. Sa cousine lui offrait-elle de la loger chez elle ? ... Bette apercevait le licou de la domesticit� ; maintes fois, le baron avait r�solu le difficile probl�me de la marier ; mais, s�duite au premier abord, elle refusait bient�t en tremblant de se voir reprocher son manque d'�ducation, son ignorance et son d�faut de fortune ; enfin, si la baronne lui parlait de vivre avec leur oncle et d'en tenir la maison � la place d'une servante-ma�tresse qui devait co�ter cher, elle r�pondait qu'elle se marierait encore bien moins de cette fa�on-l�.

La cousine Bette pr�sentait dans les id�es cette singularit� qu'on remarque chez les natures qui se sont d�velopp�es fort tard, chez les Sauvages qui pensent beaucoup et parlent peu. Son intelligence paysanne avait d'ailleurs acquis, dans les causeries de l'atelier [la cousine Bette est une ancienne ouvri�re en passementerie d'or et d'argent de la Maison Pons], par la fr�quentation des ouvriers et des ouvri�res, une dose du mordant parisien. Cette fille, dont le caract�re ressemblait prodigieusement � celui des Corses, travaill�e inutilement par les instincts des natures fortes, e�t aim� � prot�ger un homme faible ; mais � force de vivre dans la capitale, la capitale l'avait chang�e � la surface. Le poli parisien faisait rouille sur cette �me vigoureusement tremp�e. Dou�e d'une finesse devenue profonde, comme chez tous les gens vou�s � un c�libat r�el, avec le tour piquant qu'elle imprimait � ses id�es, elle e�t paru redoutable dans toute autre situation. M�chante, elle e�t brouill� la famille la plus unie. ... [...]
Au moment o� la cousine Bette, la plus habile ouvri�re de la maison Pons, o� elle dirigeait la fabrication, aurait pu s��tablir, la d�route de l�Empire �clata. L�olivier de la paix que tenaient � la main des Bourbons effraya Lisbeth, elle eut peur d�une baisse dans ce commerce, qui n�allait plus avoir que quatre-vingt-six au lieu de cent trente-trois d�partements � exploiter, sans compter l��norme r�duction de l�arm�e. Epouvant�e enfin par les diverses chances de l�industrie, elle refusa les offres du baron, qui la crut folle. Elle justifia cette opinion en se brouillant avec M. Rivet, acqu�reur de la maison Pons, � qui le baron voulait l�associer, et elle redevint simple ouvri�re.

La famille Fischer �tait alors retomb�e dans la situation pr�caire d�o� le baron Hulot l�avait tir�e.

Ruin�s par la catastrophe de Fontainebleau, les trois fr�res Fischer servirent en d�sesp�r�s dans les corps francs de 1815. L�a�n�, p�re de Lisbeth, fut tu�. Le p�re d�Adeline, condamn� � mort par un conseil de guerre, s�enfuit en Allemagne, et mourut � Tr�ves, en 1820. Le cadet, Johann, vint � Paris implorer la reine de la famille, qui, disait-on, mangeait dans l�or et l�argent, qui ne paraissait jamais aux r�unions qu�avec des diamants sur la t�te et au cou, gros comme des noisettes et donn�s par l�empereur Johann Fischer, alors �g� de quarante-trois ans re�ut du baron Hulot une somme de dix mille francs pour commencer une petite entreprise de fourrages � Versailles, obtenue au minist�re de la Guerre par l�influence secr�te des amis que l�ancien intendant g�n�ral y conservait.
[...] ... En examinant les fen�tres de sa nouvelle belle, [Hulot a d�j� aper�u Mme Marneffe mais sans lui parler] le baron aper�ut le mari qui, tout en brossant sa redingote lui-m�me, faisait �videmment le guet et semblait attendre quelqu'un sur la place. Craignant d'�tre aper�u puis reconnu plus tard, l'amoureux baron tourna le dos � la rue du Doyenn�, mais en se mettant de trois-quarts afin de pouvoir y donner un coup d'oeil de temps en temps. Ce mouvement le fit rencontrer presque face � face avec madame Marneffe qui, venant des quais, doublait le promontoire des maisons pour retourner chez elle. Val�rie �prouva comme une commotion en recevant le regard �tonn� du baron, et elle y r�pondit par une oeillade de prude.

- "Jolie femme !"s'�cria le baron, "et pour qui l'on ferait bien des folies !

- Eh ! monsieur !" r�pondit-elle en se retournant comme une femme qui prend un parti violent. "Vous �tes bien monsieur le baron Hulot, n'est-ce pas ?"

Le baron, de plus en plus stup�fait, fit un geste d'affirmation.

- "Eh ! bien, puisque le hasard a mari� deux fois nos yeux, et que j'ai le bonheur de vous avoir intrigu� ou int�ress�, je vous dirai qu'au lieu de faire des folies, vous devriez bien faire justice ... Le sort de mon mari d�pend de vous.

- Comment l'entendez-vous ?" demanda galamment le baron.

- "C'est un employ� de votre direction, � la Guerre, division de monsieur Lebrun, bureau de monsieur Coquet," r�pondit-elle en souriant.

" - Je me sens dispos�, madame ... madame ?

- Madame Marneffe.

- Ma petite madame Marneffe, � faire des injustices pour vos beaux yeux ... J'ai dans votre maison une cousine, et j'irai la voir un de ces jours, le plus t�t possible, venez m'y pr�senter votre requ�te.

- Excusez mon audace, monsieur le baron ; mais vous comprendrez comment j'ai pu oser parler ainsi, je suis sans protection.

- Ah ! ah !

- Oh ! monsieur, vous vous m�prenez," fit-elle en baissant les yeux.

Le baron crut que le soleil venait de dispara�tre.

' - Je suis au d�sespoir mais je suis une honn�te femme," reprit-elle. "J'ai perdu, il y a six mois, mon seul protecteur, le mar�chal Montcornet.

- Ah ! vous �tes sa fille.

- Oui, monsieur, mais il ne m'a jamais reconnue.

- Afin de pouvoir vous laisser une partie de sa fortune.

- Il ne m'a rien laiss�, monsieur, car on n'a pas trouv� de testament.

- Oh ! pauvre petite, le mar�chal a �t� surpris par l'apoplexie ... Allons, esp�rez, madame, on doit quelque chose � la fille de l'un des chevaliers Bayard de l'Empire."

Madame Marneffe salua gracieusement et fut aussi fi�re de son succ�s que le baron l'�tait du sien.

- "D'o� diable vient-elle si matin ?" se demanda-t-il en analysant le mouvement onduleux de la robe auquel elle imprimait une gr�ce peut-�tre exag�r�e. "Elle a la figure trop fatigu�e pour revenir du bain, et son mari l'attend. C'est inexplicable et cela donne beaucoup � penser. ... [...]

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