Douglas for ever
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Au royaume des ombres : les souvenirs de films

Douglas for ever

Épiphanie de Douglas Fairbanks
Myriam Juan
p. 69-88

Résumés

Découvert par les spectateurs français au cœur de la Grande Guerre, Douglas Fairbanks a joui auprès d’eux d’une immense popularité qui n’eut guère d’équivalent, à l’époque du muet, que celle de Charlie Chaplin. Retiré des écrans à la suite de la généralisation du parlant, il décède prématurément en 1939, soulevant dans la presse une vive émotion. À travers un ensemble de textes parus immédiatement ou quelques années après sa mort, cet article propose de se pencher sur le souvenir laissé par Fairbanks en France afin de cerner les significations qu’il revêt alors au regard de l’essor du cinéma, de l’aventure cinéphile et de la Grande Histoire.

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Texte intégral

  • 1 Ce qui impliquerait en anglais le recours à « The Tramp » ou à « Charlie » (Charlot désignant en fr (...)
  • 2 Douglas dans la Lune (Reaching for the Moon, 1917, John Emerson), Douglas, nouveau d’Artagnan (A Mo (...)
  • 3 Voir Myriam Juan, « Aurons-nous un jour des stars ? » Une histoire culturelle du vedettariat cinéma (...)

1Douglas Fairbanks fut, au premier âge de la cinéphilie, l’objet d’une passion française. Comme les courts-métrages de Charlie Chaplin, dont les titres français mentionnent presque systématiquement « Charlot » alors que les titres originaux n’y font pas référence1, la plupart des films sortis en France avec la star bondissante à la fin des années 1910 l’ont été sous des intitulés signalant la présence de « Douglas »2. Le fait est d’autant plus remarquable que les personnages interprétés à l’écran par l’acteur ne portent pas son nom. Ce mode de diffusion signale l’immense popularité de celui-ci, de même que le diminutif affectueux – Doug – par lequel il est souvent désigné dans les journaux. Un faisceau de signes indique en effet que, de la fin de la Grande Guerre aux derniers feux du cinéma muet, Douglas Fairbanks fut assurément, avec Charlie Chaplin, la star masculine étrangère préférée des Français (unes des magazines, concours de vedettes préférées, couverture médiatique)3. De plus en plus concurrencé dans la seconde moitié des années 1920, Fairbanks se retire peu à peu des écrans après l’arrivée du parlant. Lorsqu’il meurt le 12 décembre 1939 à l’âge de 56 ans, des suites d’une crise cardiaque, sa carrière est terminée depuis plusieurs années, son dernier film remontant à 1934. Alors que sa présence dans la presse n’était plus qu’épisodique, sa disparition provoque néanmoins une forte émotion. Cette ferveur interroge. Est-elle simplement proportionnelle à la célébrité de l’acteur au temps de son activité sur les écrans (plus grande serait la célébrité, plus grand serait mécaniquement l’hommage) ? Que signifie-t-elle ? En d’autres termes, de quoi Douglas Fairbanks est-il le souvenir pour les Français ?

  • 4 Ce corpus repose sur la consultation des principaux périodiques spécialisés de la période (Cinémond (...)

2Pour le comprendre, cet article propose d’étudier un corpus d’articles parus dans la grande presse et la presse spécialisée à la suite du décès de l’acteur en 1939, ou évoquant ce dernier au moment de l’anniversaire de sa mort entre 1945 et 19474. Les spectateurs dont il sera question sont donc des critiques de cinéma, mais dans un exercice qui, on le verra, ne relève pas précisément de la critique. Si ces auteurs s’efforcent d’évaluer l’apport de Fairbanks à l’art cinématographique, leurs souvenirs les conduisent en effet souvent à exprimer la nostalgie de leurs premiers émois cinéphiles et, ce faisant, à inscrire la star dans la grande Histoire.

L’hommage à un grand artiste

Bilan d’une carrière

  • 5 Cette réécriture trouve sa source dans les biographies de stars fabriquées par les studios hollywoo (...)

3La vocation la plus évidente de ces textes est de replacer Douglas Fairbanks dans l’histoire du cinéma. Sa disparition est ainsi unanimement présentée comme celle d’un grand acteur, dont il s’agit de remémorer les principales étapes de la carrière. Plusieurs articles reviennent donc chronologiquement sur la vie de Fairbanks. En partie erronés et surtout totalement romancés5, les faits rappelés à cette occasion dessinent la personnalité de la star telle que s’en souviennent les auteurs. C’est le cas, par exemple, dans cette présentation de la vocation du jeune homme parue dans Cinémonde :

  • 6 Tom Tattle, « Douglas Fairbanks est mort, vive Douglas Fairbanks », Cinémonde, no 582, 27 décembre  (...)

Tandis qu’il poursuivait ses études à l’École militaire de Jarvis, il lui vint, brusquement, l’idée de tout abandonner et de faire du théâtre. Ses parents s’opposèrent énergiquement à ce projet. Mais le jeune « Doug » était tenace6.

  • 7 Voir Myriam Juan, « La célébrité de l’écran à l’écrit : les biographies de vedettes de cinéma en Fr (...)
  • 8 La mention au pluriel des parents de la star suffit à mettre en doute ce récit, son père ayant aban (...)

4L’opposition à la famille, dont fait état le journaliste, est un topos des biographies de vedettes7. Quelle que soit sa véracité historique8, elle permet ici de mettre en valeur la détermination et l’énergie de Fairbanks, laquelle s’exprime aussi dans le caractère impulsif de sa décision.

  • 9 « Il y a sept ans, aujourd’hui : Zorro mourait debout », Jeudi-cinéma, 1946, BNF-ASP, fonds Rondel, (...)
  • 10 René Bizet, « Plus qu’un acteur : l’influence de Douglas Fairbanks », Pour Vous, no 579, 20 décembr (...)

5Un seul des articles consultés dans le cadre de cette recherche propose une filmographie de l’acteur, du reste très incomplète9. Ce que la majorité des textes mettent en évidence en revanche, c’est l’organisation en trois temps de sa carrière, suivant une progression conférant à celle-ci des allures de destin : début et ascension fulgurante dans les années 1910 ; apogée dans les années 1920 ; déclin ou plutôt mise en retrait volontaire dans les années 1930, à la suite de l’arrivée du parlant. Au sein de chaque période, des titres de films reviennent : pour les années 1910, Une aventure à New York (Manhattan Madness, 1916, Allan Dwan), « le premier film de Douglas Fairbanks qui ait frappé notre ignorance par sa nouveauté »10, commente René Bizet ; pour la période du parlant, La Mégère apprivoisée (The Taming of the Shrew, 1929, Sam Taylor), unique production dans laquelle l’acteur partage la vedette avec sa femme, Mary Pickford, et La Dernière Aventure de Don Juan (The Private Life of Don Juan, 1934, Alexandre Korda), son dernier film. Ce sont toutefois surtout les productions des années 1920 dont les auteurs convoquent les titres et la mémoire, à l’instar de la journaliste Françoise Airelle :

  • 11 Françoise Airelle, « Le cinéma en deuil : good bye, Douglas ! », coupure sans référence, BNF-ASP, f (...)

C’est alors la série éblouissante de ses acrobaties. […] Il apporte son souffle d’athlète, sa marche dansante, sa joie de vivre. Le Signe de Zorro, Le Gaucho, Le Voleur de Bagdad, La Poule mouillée, Robin des Bois, Le Pirate noir, Les Trois Mousquetaires… c’en est assez pour devenir l’idole du monde11.

  • 12 Le film de Niblo fait ainsi très tôt partie des « classiques du cinéma » dont les cinéphiles dresse (...)
  • 13 Tom Tattle, « Douglas Fairbanks est mort… ».

6Un titre s’impose cependant devant les autres (premier à figurer d’ailleurs dans la liste dressée par Françoise Airelle) : Le Signe de Zorro, vers lequel s’est portée très tôt la préférence des cinéphiles12. Un journaliste écrit ainsi, semblant juger superflu le rappel des autres rôles de Fairbanks : « il réalisa plusieurs productions parmi lesquelles le prestigieux Signe de Zorro. Il est inutile d’énumérer les titres de tous ses films. Les admirateurs de Douglas Fairbanks les ont tous dans la mémoire […]. »13

7Curieusement, les auteurs convoquent très peu le souvenir d’images et de scènes précises. Quand ils le font au demeurant, ils restent allusifs à l’instar de ce critique de Jeudi-cinéma énumérant en 1946 les « clous » de quelques films :

  • 14 « Il y a sept ans, aujourd’hui… ». Don X, fils de Zorro est un film réalisé par Donald Crisp, sorti (...)

Ses tours de force sont innombrables, depuis le saut de quelques [sic] 7 mètres d’un toit à l’autre du « Signe de Zorro », en passant par le duel à deux épées du « Pirate noir », et les tours du fouet californien de « Don X. », jusqu’à l’admirable course dans les palmiers du « Gaucho » […] et j’allais oublier le plongeon dans la Manche de d’Artagnan dans « Les Mousquetaires du Roi » [sic]14.

8Ce que ces textes évoquent avant tout, ce sont en effet davantage une personnalité et un corps, qui tendent à éclipser les films pris individuellement. Alexandre Arnoux écrit à ce sujet dans L’Écran français en 1945 :

  • 15 Alexandre Arnoux, « Voici Douglas ! », L’Écran français, no 25, 19 décembre 1945, p. 17. Rêves et H (...)

Ses films : la série des « Zorro », le « Voleur de Bagdad », cet étrange « Rêves et Hallucinations », […] cent autres encore, ses films, je les ai tous oubliés. Il les dévore, il les écrase ; lui seul demeure15.

  • 16 « Il y a sept ans, aujourd’hui… ».
  • 17 Ibid.
  • 18 Henri Diamant-Berger, « La carrière pittoresque de Douglas Fairbanks : souvenirs sur le grand acteu (...)
  • 19 Ibid., p. 8.
  • 20 René Bizet, « Plus qu’un acteur… ».

9Plus que de ses films, c’est donc de Douglas Fairbanks lui-même que les journalistes se souviennent, évoquant tour à tour une « silhouette bondissante »16, « lumineuse »17, « un corps sans cesse en mouvement »18, « une figure étonnamment bronzée et des dents éclatantes, que laissait voir un sourire toujours jeune »19. C’est que Fairbanks était, comme le rappelle le titre de l’hommage que René Bizet lui consacre dans Pour Vous, « plus qu’un acteur »20 (fig. 1).

Fig. 1 – Pour Vous, no 579, 20 décembre 1939.

Fig. 1 – Pour Vous, no 579, 20 décembre 1939.

« Plus qu’un acteur »

  • 21 Anonyme, « Douglas est mort », Cinémonde, no 581, 20 décembre 1939, p. 33.
  • 22 Edgar Morin, Les stars, Paris, Galilée, 1984 [1re éd. 1957], p. 47-50.
  • 23 Tom Tattle, « Douglas Fairbanks est mort… ». Cet investissement complet de l’artiste est attesté pa (...)

10Douglas Fairbanks appartient en effet à la première génération des stars de cinéma. À ce titre, l’intérêt qu’il suscite déborde ses prestations à l’écran comme le relèvent les critiques qui rappellent son immense popularité (« Ses arrivées à Paris provoquaient des embouteillages extraordinaires. Ses déplacements aux États-Unis arrêtaient des villes entières », se remémore par exemple un journaliste de Cinémonde21) et reviennent sur son mariage avec Mary Pickford, « la petite fiancée de l’Amérique ». À maintes reprises également, l’acteur et ses personnages sont volontiers confondus, phénomène constitutif de la star comme l’a montré Edgar Morin22. Plus qu’une star cependant, Fairbanks est encore, comme le soulignent les auteurs, un créateur total, produisant ses films dès la fin des années 1910, écrivant souvent ses scénarios, choisissant ses partenaires, contrôlant les moindres détails, allant jusqu’à organiser des previews auprès du personnel de sa maison, selon le journaliste Tom Tattle, afin de recueillir l’avis du public ordinaire23. Il fait enfin figure de novateur, tant sur le plan économique par la fondation en 1919 des Artistes associés, rappelée par nombre de textes, que sur le plan technologique, avec l’expérimentation du procédé Technicolor bichrome dans Le Pirate noir. Confiant à Pour Vous ses « Souvenirs du grand acteur disparu », le réalisateur Henri Diamant-Berger évoque ainsi une scène de ce film sorti en 1926 qu’il juge inoubliable :

  • 24 Henri Diamant-Berger, « La carrière pittoresque de Douglas Fairbanks… ».

Très intelligemment, Fairbanks utilisa une dominante brune qui donna à son film, le premier grand film tourné en couleurs naturelles, une personnalité et une valeur artistique indiscutables. Qui ne se souvient encore du plongeon des pirates et de leur nage entre deux eaux, image qui mérite de demeurer parmi les classiques du cinéma24 ?

11En définitive, René Bizet résume l’opinion générale quand il écrit :

  • 25 René Bizet, « Plus qu’un acteur… », p. 9.

Il ne faut pas considérer Douglas Fairbanks seulement comme un grand interprète de grands films. Ce serait singulièrement diminuer son importance et le cinéma lui doit un plus bel hommage.
[…] Douglas Fairbanks est plus qu’un acteur, un véritable créateur, non seulement d’un type romantique et sportif, mais d’un style cinématographique. On ne pourra pas séparer son nom d’une étude critique sur l’essor du cinéma, sur ses foudroyantes conquêtes et sur son esthétique25.

  • 26 Françoise Airelle, « Le cinéma en deuil… ».

12Les analyses esquissées dans ces textes ne prennent toutefois jamais le pas sur l’émotion que soulève le souvenir de la star. « Le cœur de Douglas Fairbanks a cessé de battre un matin de décembre. Et le cinéma entier est en deuil, car il fut l’un des grands créateurs de ce mythe nouveau : l’image mouvante »26, commente ainsi Françoise Airelle. À lire ces articles, on réalise qu’il fut plus encore : l’un de ceux par qui l’amour du cinéma prit son essor en France.

La nostalgie des premiers émerveillements cinéphiles

Un héros de jeunesse

13Dans la mémoire de ses admirateurs, Douglas Fairbanks apparaît comme un héros de jeunesse, et ce à plus d’un titre. Il incarne tout d’abord l’idée même de jeunesse. Le fait que sa mort précoce lui épargne les affres du vieillissement revient d’ailleurs sous la plume de plusieurs journalistes. Ainsi peut-on lire dans Paris-Midi :

  • 27 « Par sa jeunesse et son audace Douglas Fairbanks avait conquis le monde entier », Paris-Midi, 13 d (...)

Doug, aimé des dieux, ne pouvait laisser ici-bas le souvenir d’un vieillard chenu et perclus. Il disparaît à 55 ans [sic], tel que nous l’avons toujours connu, pareil à l’étonnante révélation qu’il fut dès ses premiers films, qui remontent déjà à vingt ans27 !

  • 28 Anonyme, « Douglas est mort ».
  • 29 Claude Bernier, « Que sont-ils devenus ? », et Rémy Garrigues, « Mais où sont les stars d’antan ? » (...)

14Douglas Fairbanks est également associé à la jeunesse du cinéma, une période qui fut aussi un premier âge d’or. « Il fut de la grande époque : de cette époque qui nous donna Chaplin, Mary Pickford, les Talmadge »28, rappelle à cet égard Cinémonde. La nostalgie qui se fait jour ici est, du reste, antérieure à la mort de l’acteur. Elle se manifeste en effet dès la seconde moitié des années 1930 à travers des articles célébrant le cinéma muet, dont la fin est désormais entérinée. Quelques semaines auparavant par exemple, l’almanach de Ciné-Miroir proposait à ses lecteurs deux articles au ton élégiaque sur les stars disparues des écrans29. En première page de celui consacré à des actrices : Gloria Swanson ; en première page de celui portant sur des acteurs : Douglas Fairbanks (fig. 2).

Fig. 2 – Almanach de Ciné-Miroir 1940, 1939.

Fig. 2 – Almanach de Ciné-Miroir 1940, 1939.

15En 1945, dans le texte qu’il consacre à Fairbanks dans un numéro de L’Écran français commémorant les cinquante ans de l’invention des frères Lumière, Alexandre Arnoux exprime à son tour sa nostalgie d’un cinéma révolu :

  • 30 Alexandre Arnoux, « Voici Douglas ! ».

Le cinéma, hélas ! peut-être, a, depuis ces temps de l’origine, de la prime adolescence, accompli beaucoup de progrès, nourri de vastes ambitions, qu’il a parfois réalisées. […] L’écran a lu Proust et Freud ; il a tenté de s’intellectualiser. Je m’en réjouis, certes […]. Et cependant, lorsque j’évoque Douglas Fairbanks, puis-je m’empêcher de m’attendrir sur les vieilles images en mouvement, naïves et lyriques […]. Les héros alors n’avaient pas le droit de s’asseoir ; nous leur interdisions l’obésité, le repliement, l’arthritisme. La civilisation s’arrêtait aux portes des salles ; nous retournions à notre enfance, à celle de notre tribu, en achetant le billet d’entrée30.

  • 31 Sur les débuts de la cinéphilie en France, voir les travaux de Christophe Gauthier, en particulier (...)
  • 32 Françoise Airelle, « Le cinéma en deuil… ».
  • 33 Cet usage est courant en la matière, comme le relèvent Annette Kuhn, Daniel Biltereyst et Philippe (...)
  • 34 « Il y a sept ans, aujourd’hui… ».

16Comme le révèle ce texte, le souvenir de Douglas Fairbanks renvoie enfin plusieurs critiques à leur propre jeunesse, sur le plan non seulement biologique mais aussi et surtout cinéphile. De fait, la carrière de l’acteur ne se situe pas, contrairement à ce qu’écrit Arnoux, aux tout débuts du cinéma. En revanche, sa découverte par les spectateurs français coïncide très exactement avec les débuts de la cinéphilie et ce phénomène, qui possède une dimension générationnelle, accompagne le souvenir de l’acteur pour ceux qui l’ont vécu31. « Doug le fantaisiste, l’ardent cavalier de nos premiers films, est entré au royaume des ombres »32, écrit par exemple Françoise Airelle dans le seul texte du corpus étudié doté d’une signature féminine, la cinéphilie savante qui, dans la presse, a porté Douglas aux nues étant essentiellement masculine. L’usage du « nous », révélateur du sentiment d’avoir partagé une expérience collective, se retrouve dans plusieurs textes33. Après la Seconde Guerre mondiale encore, un journaliste s’adresse en ces termes à ses lecteurs : « Qui donc n’a pas aimé Doug ? Bien peu d’entre nous certainement »34.

17Le même journaliste évoque les « treize années merveilleuses ! » du couple Fairbanks-Pickford. Or c’est bien d’une forme de reconnaissance encore émerveillée que témoignent ces textes. Évoquer « Doug », c’est retrouver l’enchantement non pas des débuts du cinéma mais de l’entrée en cinéphilie, moment dont la magie est rapportée avec humour par Alexandre Arnoux à celle qu’il attribue à l’acteur lui-même :

  • 35 Alexandre Arnoux, « Voici Douglas ! ».

Il faut être sérieux maintenant et « penser ». Occupation honorable et triste. Mais je vous conseille, par expérience, même si vous ne partagez pas mes erreurs, de ne jamais médire de Douglas. Une fois, une seule, il m’est arrivé de ne pas louer entièrement une de ses bandes, la « Mégère apprivoisée », je crois, où Shakespeare l’intimidait, où il perdait un peu de son naturel spontané, dionysiaque. Le lendemain une foulure de la cheville me clouait pour quinze jours. Je n’ai plus recommencé35.

  • 36 Tom Tattle, « Douglas Fairbanks est mort… ».
  • 37 Ibid.

18« Ne jamais médire de Douglas » : le conseil s’adresse aux cinéphiles de tous temps et, surtout, aux nouvelles générations qui n’ont pas eu le bonheur de vivre cette époque glorieuse du cinéma. En 1939, plusieurs critiques voient cependant dans Douglas Fairbanks Jr., le fils unique de la star, lui-même acteur depuis les années 1920, le continuateur de son père. « Douglas Fairbanks est mort, vive Douglas Fairbanks », titre ainsi Cinémonde36, élevant Fairbanks à la dignité des rois (il avait d’ailleurs été surnommé – bien avant Clark Gable – « The King of Hollywood »). Le magazine reproduit quelques photographies du jeune homme et convoque surtout sa figure en conclusion, constatant que « [le] sourire [du] jeune fils [de Douglas Fairbanks] si éclatant, si semblable au sien, pendant des années encore perpétuera son bonheur… »37. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Douglas Fairbanks Jr. est pourtant lui-même un peu oublié en France. Mobilisé, il ne tourne pas entre 1941 et 1947 ; les films américains ont de surcroît disparu pendant plusieurs années des écrans français. Un journaliste évoque alors une autre forme de survivance :

  • 38 François Timmory, « Douglas Fairbanks l’homme au rire clair est-il vraiment mort ? », L’Écran franç (...)

[…] les moins de quinze ans qui ne fréquentent pas les ciné-clubs n’ont jamais vu Douglas Fairbanks. Tous, cependant, le reconnaissent sur ses photographies. Les « séries dessinées » dont Zorro est le héros, continuent d’inonder les continents. Doug, suprême victoire, n’a disparu de l’écran que pour régner en maître dans les imaginations38.

Retrouver et transmettre une émotion

  • 39 Sur le mouvement et la programmation des ciné-clubs au sortir de la Seconde Guerre mondiale, voir L (...)

19À en croire ce texte, les films de Fairbanks passaient alors dans les ciné-clubs39. Quoi qu’il en soit, ces articles sont manifestement animés par la volonté de faire revivre la star autrement que sur l’écran. Plusieurs critiques s’évertuent ainsi à restituer, par l’écriture même, le plaisir que procurèrent ses films en leur temps. Pour ce faire, deux procédés sont utilisés de manière récurrente : les points d’exclamation, qui traduisent à la fois l’enthousiasme des auteurs et le dynamisme de l’acteur, et les accumulations, à travers lesquelles ces textes tentent de rendre compte de l’énergie débordante de Fairbanks. En témoigne le premier hommage paru dans Cinémonde, dont le rythme des phrases semble mimer l’irruption de la star à l’écran, puis les bonds dont elle avait fait sa signature :

  • 40 Anonyme, « Douglas est mort ». Ce petit texte publié dans le numéro paru immédiatement après la mor (...)

Douglas Fairbanks ! Nous connaissons mieux Zorro, Le Gaucho, Robin des Bois, Le Voleur de Bagdad, L’Homme au masque de fer.
Doug ! C’était le cinéma qui vivait, sautait, ferraillait, crevait tous les écrans du monde40.

  • 41 Voir par exemple un article intitulé « Présentation de Douglas Fairbanks », dans lequel Louis Dellu (...)

20De la même manière, après-guerre, le style d’Alexandre Arnoux tente de retrouver l’énergie communicative des films de Fairbanks. Lyrisme et vélocité se conjuguent ici pour réactualiser une émotion qui, comme le relevait déjà Louis Delluc, se transmettait physiquement aux spectateurs41 :

  • 42 Alexandre Arnoux, « Voici Douglas ! ».

Cher vieux Douglas ! La mort même ne voile pas son souvenir de mélancolie, ne paralyse pas, n’obscurcit pas la joie physique que j’éprouve rien qu’à prononcer son nom. Hardi, aventureux, athlétique, bondissant, répandant autour de soi une contagion d’alacrité, les pectoraux nus, les dents blanches, riant de tout son corps, le voici : il a pris ma mémoire pour champ de course et de danse ; il me saisit, il m’entraîne ; il me promet la force, la vitesse, la possession de l’avenir. Jamais inerte, toujours actif et généreux42.

  • 43 Françoise Airelle, « Le cinéma en deuil… ».

21Plus sobrement, le texte de Françoise Airelle débute pour sa part par une exclamation réduite au diminutif de l’acteur écrit en lettres capitales : « DOUG ! »43, retranscrivant de la sorte l’effet fracassant produit par le bondissant Douglas.

  • 44 Les légendes comprennent d’ailleurs plusieurs erreurs.

22Si la typographie confère, dans ce dernier exemple, une dimension graphique au texte, des images viennent au demeurant souvent porter le discours. En 1939, les deux principaux périodiques spécialisés que sont Cinémonde et Pour Vous procèdent sur ce plan-là aussi par accumulation, mais l’effet n’est guère concluant. Les photographies reproduites paraissent assez hétéroclites, conduisant à s’interroger sur les documents auxquels les journalistes ont eu accès dans l’urgence44. Le sourire de Fairbanks s’impose néanmoins, ainsi que dans une moindre mesure sa silhouette énergique. En 1945-1947, un tri a été effectué. Dans L’Écran français en 1947 (fig. 3), on retrouve le sourire de Douglas en médaillon, tandis que des portraits en pied le représentent auprès de ses partenaires féminines et effectuant sans effort apparent de périlleuses acrobaties. C’est toutefois la photographie unique qui accompagne l’article d’Alexandre Arnoux qui illustre le mieux les souvenirs de l’auteur (fig. 4). Fairbanks y apparaît souriant en équilibre sur une balustrade dans Le Voleur de Bagdad. Les bras ouverts, une jambe levée, il est en pleine action, ce que souligne un léger flou au niveau du pied droit ; la photographie, de plus, n’est pas délimitée par un cadre, donnant l’impression que rien ne peut contenir une telle énergie.

Fig. 3 – L’Écran français, no 129, 16 décembre 1947.

Fig. 3 – L’Écran français, no 129, 16 décembre 1947.

Fig. 4 – L’Écran français, no 25, 19 décembre 1945.

Fig. 4 – L’Écran français, no 25, 19 décembre 1945.

23En définitive, l’émotion que réactivent ces articles galvanise mais, dans le même temps, elle porte à la nostalgie. En effet, les auteurs prennent acte que le cinéma a changé. Or il n’est pas le seul : le monde qui a porté Douglas Fairbanks aux sommets de la gloire n’est plus, conduisant les hommages qui lui sont rendus à évoquer la signification historique que recouvrit en son temps la passion dont il fit l’objet.

La gravité derrière le rire

D’une guerre à l’autre

24Fin 1939, quand le sourire de Douglas Fairbanks s’éteint, l’Europe est déjà entrée en guerre – même s’il s’agit encore, en France, d’une « drôle de guerre ». Aucun article ne revient explicitement sur le conflit en cours. Pourtant, les souvenirs de Françoise Airelle, rappelant le contexte de la découverte de l’acteur, font immanquablement écho à la situation que connaissent alors ses lecteurs :

  • 45 Françoise Airelle, « Le cinéma en deuil… ».

C’est au sortir des horreurs de l’autre guerre qu’il creva l’écran de ses bonds d’athlète, de son grand rire muet, de son allégresse d’enfant terrible. Il nous apprenait à aimer la vie, la joie physique d’être en bonne santé. Il fut le magicien de notre jeunesse au sortir d’un long cauchemar45.

  • 46 « Il est grand temps de rallumer les étoiles » (Guillaume Apollinaire, prologue des Mamelles de Tir (...)

25L’usage du « nous » ne renvoie pas seulement ici à une génération de cinéphiles ou plutôt, il rappelle que ce qui a constitué cette génération en tant que telle n’est pas uniquement l’entrée concomitante en cinéphilie, mais l’expérience de la guerre. Pour nombre de jeunes gens témoins ou acteurs de la barbarie inimaginable du premier conflit mondial, la découverte de Douglas Fairbanks a réalisé en quelque sorte le vœu formulé par Guillaume Apollinaire en 1917, année justement de la sortie en France d’Une aventure à New York : celui de « rallumer les étoiles »46. Dans ces conditions, la disparition de l’acteur à l’orée d’une nouvelle guerre revêt presque une dimension symbolique.

  • 47 Alexandre Arnoux, « Voici Douglas ! » (nous soulignons).

26Les hommages qui lui sont rendus dans la seconde moitié des années 1940 prennent également une signification particulière. Quand Alexandre Arnoux écrit de Douglas Fairbanks en 1945 : « il me promet la force, la vitesse, la possession de l’avenir »47, l’usage du présent œuvre à l’actualisation de ses souvenirs. Mais il relève aussi, peut-être, d’un besoin de Fairbanks en ce lendemain de Seconde Guerre mondiale, un besoin de « rallumer les étoiles » à nouveau et de croire encore en l’avenir.

La fin de l’innocence

  • 48 Tom Tattle, « Douglas Fairbanks est mort… ». Cette citation est extraite d’un livre de Douglas Fair (...)

27La disparition de Fairbanks, à cet égard, ce n’est pas seulement celle d’un cinéma naïf et merveilleux, c’est la fin d’une certaine innocence. À travers la star, c’est un monde insouciant qu’évoquent avec nostalgie les critiques (quand bien même cette insouciance relève en grande partie du fantasme). Le terme d’« optimisme » revient d’ailleurs très fréquemment. C’est le cas, par exemple, dans Cinémonde, qui choisit en plus de rappeler quelques maximes de Fairbanks sur le rire comme : « Il existe une chose certaine dans ce vieux monde : le bonheur est pour tous ceux qui s’efforcent d’être heureux et ceux-là qui rient sont heureux »48.

28Douglas Fairbanks, tel que les auteurs en dressent chacun le portrait d’après leur mémoire, est le prototype du self-made-man, le héros d’un monde rêvé où les problèmes se résolvent à force de volonté et d’énergie. Or cet héroïsme paraît daté, en 1939 comme au sortir de la Seconde Guerre mondiale. L’époque est en effet désormais trouble et ambiguë, de nouvelles menaces planent. Sur les écrans commencent à arriver les weak guys du film noir, renvoyant au passé le valeureux Douglas.

29En définitive, la triste conclusion à laquelle conduit le souvenir de la star est qu’il faut vivre désormais dans un monde où celle-ci n’a plus sa place. Dans ce monde violent et divisé qui a sombré une nouvelle fois dans la folie, il devient en effet difficile de croire que l’énergie et l’optimisme triomphent de tout, et c’est pourquoi personne n’a succédé à Douglas Fairbanks selon Alexandre Arnoux :

  • 49 Alexandre Arnoux, « Voici Douglas ! » (nous soulignons).

Qui l’a remplacé ? Je cherche en vain. Personne. Qui, aujourd’hui, comme il faisait avec tant d’étourderie, de santé et de bonne grâce, éclaircit, à son tour, le sombre univers, pulvérise les chimères de l’arrière-monde ? Qui délivre en nous ce qui est infernal ou captif ? Aucun héritier n’assume plus cette charge. Quel jeu de muscles infaillibles remplit l’écran ? Et quelle grande foulée innocente et barbare ? Quel héritier a recueilli la rapière, le fouet, le lasso, le cheval, la cape, le masque, le mépris de la pesanteur, la jovialité romanesque, la chance infaillible ; l’acrobatie héroïque, le bonheur de celui qui enchanta pendant près de vingt années la projection, dissipant le désespoir et les ténèbres ? Qui ? Non. Personne ne répond49.

  • 50 Ce sentiment de désenchantement conduit certainement Arnoux à négliger des acteurs pouvant pourtant (...)
  • 51 « Il y a sept ans, aujourd’hui… ».

30Le ton est lyrique, mais le constat est amer : c’est celui d’un cinéma et plus encore d’un monde profondément désenchantés50. Le critique de Jeudi-cinéma conclut pour sa part simplement, en 1946 : « Douglas Fairbanks n’est plus, et nous aurions pourtant bien besoin de lui à l’heure actuelle […]. »51

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  • 52 Voir les pages consacrées à l’acteur par Laurent Guido dans L’âge du rythme : cinéma, musicalité et (...)

31Ces articles, on le voit, ne constituent pas seulement des notices nécrologiques. Ils cherchent avant tout, entièrement ou ponctuellement, à faire revivre Douglas Fairbanks : ce sont, au sens étymologique du terme, des épiphanies, qui tentent de nous faire comprendre la nature profonde de la star. Cette nature, deux éléments la caractérisent principalement selon ces textes. Le premier d’entre eux est le mouvement. Pour ces critiques, dans la continuité des écrits consacrés à l’acteur en France depuis la fin des années 1910, Douglas Fairbanks se définit par sa capacité d’action, sa sportivité et son dynamisme52. Son jeu tout en mobilité en fait l’un des plus emblématiques représentants du cinéma, art qui fixe sans le figer le temps, en l’occurrence l’énergie et la jeunesse.

32Mais Fairbanks c’est aussi une émotion, un sourire éclatant qui se teinte désormais de nostalgie. À ce titre également, il incarne le cinéma, art émotif par excellence comme il le définissait lui-même dans un texte traduit en 1926 dans la revue Cinéa-Ciné pour tous :

  • 53 Douglas Fairbanks, « Le cinéma, art émotif », Cinéa-Ciné pour tous, no 71, 15 octobre 1926, p. 9 (s (...)

Jusqu’alors le cinéma a été retardé dans son évolution par de sérieux problèmes d’ordre matériel et mécanique […] ainsi que par des erreurs profondément enracinées concernant le véritable domaine de l’art silencieux ; erreurs nées de cette notion que le cinéma n’était qu’un sous-produit des différents moyens d’expression, et n’avait aucune personnalité propre. Qu’il s’appuie sur l’art de l’écriture et essaie de rendre ce que les mots rendent mieux que lui et il demeure faible et boiteux ; qu’il se dresse seul, sans appui, et il grandira en taille et en force. Ce n’est qu’en niant sa dépendance des autres formes d’art qu’il peut prendre conscience de lui-même.
L’art de l’écran est presque purement émotif […]. Sans sacrifier cet élément essentiel, il ne peut enseigner, analyser, philosopher trop, ou, en un mot, essayer de s’adresser aux domaines de la pensée. […] Le cinéma devrait exercer son attraction sur l’œil, et, au moyen du contact oculaire, toucher les émotions. Il devrait faire sentir53.

33Joyeux, physique, le cinéma de Douglas Fairbanks soulève les émotions des spectateurs dont il engage tout entier les corps comme il engage, à l’écran, le corps du comédien. C’est sans doute ce qui fonde en grande partie son pouvoir évocateur, d’autant que ces émotions ont été partagées et qu’elles renvoient à une période difficile mais avide de rêve, à laquelle la star sut insuffler un vent d’optimisme et d’insouciance.

  • 54 En plus d’interpréter le rôle principal du film, Douglas Fairbanks en est comme à son habitude le s (...)
  • 55 La montée au ciel de l’acteur à la fin du film illustre en effet le rapprochement opéré dès l’époqu (...)

34Finalement, à la lecture de ces textes, le problème posé par le souvenir de Douglas Fairbanks paraît inverser celui soulevé dans les années 1920 par l’acteur : comment des mots pourraient-ils parvenir à retranscrire ce que les images animées ont si bien exprimé ? Son entrée dans la légende, Fairbanks l’avait du reste lui-même mise en scène (avec la complicité du réalisateur Allan Dwan) dans ce qu’il savait être son dernier film muet : Le Masque de fer (1929)54. L’acteur y retrouvait le personnage de d’Artagnan, qu’il avait déjà interprété avec succès au début de la décennie. Après une première partie où s’illustrait une fois de plus sa prodigieuse énergie, une ellipse de vingt ans découvrait un héros aux cheveux argentés, toujours vigoureux mais vieilli. À la fin du film, d’Artagnan est une nouvelle fois victorieux de la mission qui lui a été confiée mais il a perdu l’un après l’autre Athos, Portos et Aramis. Lui-même est gravement blessé. Sentant son heure arriver, il s’éloigne du Roi et gagne en titubant les jardins du palais. Au ciel, ses trois amis lui apparaissent alors, qui l’appellent joyeusement. Tendant les bras vers eux, il s’effondre au sol, sans vie. Mais tandis que l’on se presse auprès de sa dépouille, d’Artagnan rejoint ses fidèles compagnons, à nouveau et éternellement jeune. Les quatre mousquetaires regardent amusés les hommes et les femmes éplorés sur terre, puis ils brandissent leurs épées et s’éloignent dans les nuages vers de nouvelles aventures. Apparaît alors l’inscription « The Beginning » (fig. 5). Anticipant sa disparition, Fairbanks en triomphait ainsi à l’écran et dans l’imagination des spectateurs, comme déifié55. Ce faisant, il concrétisait le pressentiment des Français qui, dès la fin des années 1910, lui avaient déclaré leur flamme : Douglas for ever.

Fig. 5 – La fin du Masque de fer (The Iron Mask, 1929, Allan Dwan – captures d’écran).

Fig. 5 – La fin du Masque de fer (The Iron Mask, 1929, Allan Dwan – captures d’écran).
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Notes

1 Ce qui impliquerait en anglais le recours à « The Tramp » ou à « Charlie » (Charlot désignant en français tantôt le personnage du vagabond, tantôt son interprète).

2 Douglas dans la Lune (Reaching for the Moon, 1917, John Emerson), Douglas, nouveau d’Artagnan (A Modern Musketeer, 1917, Allan Dwan), Douglas a le sourire (He Comes up Smiling, 1918, Allan Dwan), Douglas au pays des mosquées (Bound in Morrocco, 1918, Allan Dwan), Douglas for ever (Headin’ South, 1918, Arthur Rosson), Douglas reporter (Say ! Young Fellow, 1918, Joseph Henabery), Le Lieutenant Douglas (Arizona, 1918, Albert Parker), Douglas, brigand par amour (The Knickerbocker Buckaroo, 1919, Allan Parker), Sa Majesté Douglas (His Majesty, the American, 1919, Joseph Henabery). Les dates indiquées sont celles des sorties américaines, les sorties françaises ayant parfois eu lieu l’année suivante avec quelques mois de décalage. Fairbanks n’est pas le seul à faire alors l’objet d’un tel traitement, comme l’illustre l’exemple précédemment cité de Chaplin ou encore celui de Max Linder. Ce procédé reste toutefois rare et réservé aux plus grandes stars de l’époque.

3 Voir Myriam Juan, « Aurons-nous un jour des stars ? » Une histoire culturelle du vedettariat cinématographique en France (1919-1940), thèse de doctorat d’histoire, université Paris I – Panthéon-Sorbonne, 2014, p. 69-80 et p. 897-902 (dactyl.). Si de très nombreux ouvrages se penchent à des titres divers sur la star, les monographies qui lui sont consacrées sont rares. Le livre de Jeffrey Vance fait désormais référence (Douglas Fairbanks, Berkeley, University of California Press, 2008). En français, les écrits qui lui sont consacrés datent et n’ont pas bénéficié du renouvellement de l’historiographie du cinéma (voir notamment Bernard Eisenschitz, L’Avant-scène cinéma : anthologie du cinéma, no 50 : Douglas Fairbanks, décembre 1969, et Charles Ford, Douglas Fairbanks ou la nostalgie de Hollywood, Paris, France-Empire, 1980).

4 Ce corpus repose sur la consultation des principaux périodiques spécialisés de la période (Cinémonde, Ciné-Miroir, L’Écran français, Pour Vous), ainsi que les quotidiens numérisés sur Gallica et les revues de presse conservées dans le fonds Auguste Rondel au département des Arts du spectacle de la BNF (4° RK 16862 et 8° RK 18286).

5 Cette réécriture trouve sa source dans les biographies de stars fabriquées par les studios hollywoodiens, abondamment reprises par la presse française.

6 Tom Tattle, « Douglas Fairbanks est mort, vive Douglas Fairbanks », Cinémonde, no 582, 27 décembre 1939, p. 12.

7 Voir Myriam Juan, « La célébrité de l’écran à l’écrit : les biographies de vedettes de cinéma en France pendant l’entre-deux-guerres », in La biographie d’artistes, actes du CXXXIVe Congrès national des sociétés historiques et scientifiques (Bordeaux, 2009), Dominique Poulot (dir.), Paris, Éd. du CTHS, 2012, p. 50-66.

8 La mention au pluriel des parents de la star suffit à mettre en doute ce récit, son père ayant abandonné sa famille alors que Douglas n’avait que cinq ans (Fairbanks est d’ailleurs le nom de feu le premier mari de sa mère, l’acteur étant né Douglas Elton Thomas Ullman).

9 « Il y a sept ans, aujourd’hui : Zorro mourait debout », Jeudi-cinéma, 1946, BNF-ASP, fonds Rondel, 4° RK 16862 (la coupure conservée dans le fonds ne permet pas d’identifier l’auteur).

10 René Bizet, « Plus qu’un acteur : l’influence de Douglas Fairbanks », Pour Vous, no 579, 20 décembre 1939, p. 2.

11 Françoise Airelle, « Le cinéma en deuil : good bye, Douglas ! », coupure sans référence, BNF-ASP, fonds Rondel, 4° RK 16862. Les titres originaux des films cités sont, dans l’ordre : The Mark of Zorro (1920, Fred Niblo), The Gaucho (sur les affiches américaines Douglas Fairbanks as the Gaucho, 1927, F. Richard Jones), Robin Hood (1922, Allan Dwan), The Thief of Bagdad (1924, Raoul Walsh), The Mollycoddle (1920, Victor Fleming), The Black Pirate (1926, Albert Parker) et The Three Musketeers (1921, Fred Niblo).

12 Le film de Niblo fait ainsi très tôt partie des « classiques du cinéma » dont les cinéphiles dressent la liste et organisent des projections dans des salles de répertoire (voir Christophe Gauthier, Une composition française : la mémoire du cinéma en France, des origines à la Seconde Guerre mondiale, thèse de doctorat d’histoire, université Paris I – Panthéon-Sorbonne, 2 vol., 680 p., 2007 [dactyl.], à paraître aux Éditions de l’Association française de recherche sur l’histoire du cinéma).

13 Tom Tattle, « Douglas Fairbanks est mort… ».

14 « Il y a sept ans, aujourd’hui… ». Don X, fils de Zorro est un film réalisé par Donald Crisp, sorti en 1925 aux États-Unis sous le titre Don Q, Son of Zorro.

15 Alexandre Arnoux, « Voici Douglas ! », L’Écran français, no 25, 19 décembre 1945, p. 17. Rêves et Hallucinations désigne par erreur Cauchemars et Superstitions (When the Clouds Roll by, 1919, Victor Fleming).

16 « Il y a sept ans, aujourd’hui… ».

17 Ibid.

18 Henri Diamant-Berger, « La carrière pittoresque de Douglas Fairbanks : souvenirs sur le grand acteur disparu », Pour Vous, no 579, 20 décembre 1939, p. 9.

19 Ibid., p. 8.

20 René Bizet, « Plus qu’un acteur… ».

21 Anonyme, « Douglas est mort », Cinémonde, no 581, 20 décembre 1939, p. 33.

22 Edgar Morin, Les stars, Paris, Galilée, 1984 [1re éd. 1957], p. 47-50.

23 Tom Tattle, « Douglas Fairbanks est mort… ». Cet investissement complet de l’artiste est attesté par de nombreuses sources contemporaines et ultérieures (voir entre autres Robert Florey, Deux ans dans les studios américains, Paris, Éd. Jean-Pascal, 1926, p. 132-134, et Kevin Brownlow, La parade est passée…, Lyon / Arles, Institut Lumière / Actes Sud, 2011 [1re éd. américaine 1968], p. 405-418).

24 Henri Diamant-Berger, « La carrière pittoresque de Douglas Fairbanks… ».

25 René Bizet, « Plus qu’un acteur… », p. 9.

26 Françoise Airelle, « Le cinéma en deuil… ».

27 « Par sa jeunesse et son audace Douglas Fairbanks avait conquis le monde entier », Paris-Midi, 13 décembre 1939, BNF-ASP, fonds Rondel, 4° RK 16862. Le journaliste rajeunit l’acteur d’un an.

28 Anonyme, « Douglas est mort ».

29 Claude Bernier, « Que sont-ils devenus ? », et Rémy Garrigues, « Mais où sont les stars d’antan ? », Almanach de Ciné-Miroir 1940, p. 216-224 et 231-241. Le premier texte clôt les pages de l’almanach consacrées au mois d’octobre, le second est associé au mois de novembre, l’un et l’autre étant ainsi implicitement liés à la Toussaint.

30 Alexandre Arnoux, « Voici Douglas ! ».

31 Sur les débuts de la cinéphilie en France, voir les travaux de Christophe Gauthier, en particulier La passion du cinéma : cinéphiles, ciné-clubs et salles spécialisées à Paris de 1920 à 1929, Paris, Association française de recherche sur l’histoire du cinéma / École des chartes, 1999.

32 Françoise Airelle, « Le cinéma en deuil… ».

33 Cet usage est courant en la matière, comme le relèvent Annette Kuhn, Daniel Biltereyst et Philippe Meers dans l’introduction du récent numéro de la revue Memory Studies consacré au cinéma : « Les souvenirs de cinéma sont exprimés sur un mode collectif davantage qu’individuel ou personnel – les personnes interrogées tendent à s’impliquer dans leurs souvenirs en utilisant le “nous” davantage que le “je” » (Annette Kuhn, Daniel Biltereyst et Philippe Meers, « Memories of Cinemagoing and Film Experience : an Introduction », Memory Studies, vol. X, no 1 : Cinemagoing, Film Experience and Memory, 2017, p. 7 – nous traduisons).

34 « Il y a sept ans, aujourd’hui… ».

35 Alexandre Arnoux, « Voici Douglas ! ».

36 Tom Tattle, « Douglas Fairbanks est mort… ».

37 Ibid.

38 François Timmory, « Douglas Fairbanks l’homme au rire clair est-il vraiment mort ? », L’Écran français, no 129, 16 décembre 1947, p. 16.

39 Sur le mouvement et la programmation des ciné-clubs au sortir de la Seconde Guerre mondiale, voir Léo Souillés-Debats, La culture cinématographique du mouvement ciné-club : une histoire de cinéphilies (1944-1999), Paris, Association française de recherche sur l’histoire du cinéma, 2017. Le livre n’évoque toutefois pas la diffusion à l’époque de films de Fairbanks, dont l’auteur nous a dit ne pas avoir trouvé trace.

40 Anonyme, « Douglas est mort ». Ce petit texte publié dans le numéro paru immédiatement après la mort de la star est suivi d’un autre, beaucoup plus long, une semaine plus tard (Tom Tattle, « Douglas Fairbanks est mort… »). L’Homme au masque de fer désigne Le Masque de fer (The Iron Mask, 1929, Allan Dwan).

41 Voir par exemple un article intitulé « Présentation de Douglas Fairbanks », dans lequel Louis Delluc écrit : « Douglas Fairbanks m’a toujours donné de grandes joies. Ses films nous aèrent. Il semble que nos artères fonctionnent mieux après une heure passée dans sa folle et saine compagnie. » (Coupure de presse sans référence, consultée à la Cinémathèque française, fonds Jacques de Baroncelli, BARONCELLI52-B18 – ce texte est en partie identique à celui écrit par Louis Delluc pour un projet d’ouvrage sur Douglas Fairbanks, repris dans Louis Delluc, Écrits cinématographiques I. Le cinéma et les cinéastes, édition établie par Pierre Lherminier, Paris, Cinémathèque française, 1985.)

42 Alexandre Arnoux, « Voici Douglas ! ».

43 Françoise Airelle, « Le cinéma en deuil… ».

44 Les légendes comprennent d’ailleurs plusieurs erreurs.

45 Françoise Airelle, « Le cinéma en deuil… ».

46 « Il est grand temps de rallumer les étoiles » (Guillaume Apollinaire, prologue des Mamelles de Tirésias, Paris, Éd. du Bélier, 1946, p. 29 – drame créé à Paris le 24 juin 1917).

47 Alexandre Arnoux, « Voici Douglas ! » (nous soulignons).

48 Tom Tattle, « Douglas Fairbanks est mort… ». Cette citation est extraite d’un livre de Douglas Fairbanks paru aux États-Unis en 1917, dont l’article ne rappelle cependant pas l’existence.

49 Alexandre Arnoux, « Voici Douglas ! » (nous soulignons).

50 Ce sentiment de désenchantement conduit certainement Arnoux à négliger des acteurs pouvant pourtant prétendre à la succession de Fairbanks, au premier rang desquels Errol Flynn, star incontestée du film d’aventures dans la seconde moitié des années 1930, dont l’interprétation de Robin des Bois avait d’ailleurs connu un immense succès en France avant-guerre (Les Aventures de Robin des Bois / The Adventures of Robin Hood, 1938, Michael Curtiz et William Keighley). Il est vrai que l’interdiction des films américains durant le second conflit mondial renforce sans doute la sensation de disparition qu’éprouve le critique et la nostalgie qui en découle.

51 « Il y a sept ans, aujourd’hui… ».

52 Voir les pages consacrées à l’acteur par Laurent Guido dans L’âge du rythme : cinéma, musicalité et culture du corps dans les théories françaises des années 1910-1930, Lausanne, Payot (Cinéma), 2007 (notamment p. 231, 281 et 336-337).

53 Douglas Fairbanks, « Le cinéma, art émotif », Cinéa-Ciné pour tous, no 71, 15 octobre 1926, p. 9 (souligné dans le texte).

54 En plus d’interpréter le rôle principal du film, Douglas Fairbanks en est comme à son habitude le scénariste (avec l’aide de Lotta Woods pour le découpage) ainsi que le producteur ; il y retrouve pour la douzième et dernière fois Allan Dwan derrière la caméra. Le Masque de fer ne comprend aucun dialogue parlé mais il est accompagné d’une bande-son synchronisée (musique et effets sonores) et chacune de ses deux parties s’ouvre sur une tirade prononcée par la star. Il ne s’agit donc déjà plus, à strictement parler, d’un film muet.

55 La montée au ciel de l’acteur à la fin du film illustre en effet le rapprochement opéré dès l’époque par les contemporains entre les stars de cinéma et les divinités antiques. Elle justifie en un sens les entreprises d’épiphanie – toutes profanes soient-elles – dont Fairbanks fait l’objet.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1 – Pour Vous, no 579, 20 décembre 1939.
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Titre Fig. 2 – Almanach de Ciné-Miroir 1940, 1939.
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Titre Fig. 3 – L’Écran français, no 129, 16 décembre 1947.
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Titre Fig. 4 – L’Écran français, no 25, 19 décembre 1945.
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Titre Fig. 5 – La fin du Masque de fer (The Iron Mask, 1929, Allan Dwan – captures d’écran).
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Pour citer cet article

Référence papier

Myriam Juan, « Douglas for ever »Double jeu, 16 | 2019, 69-88.

Référence électronique

Myriam Juan, « Douglas for ever »Double jeu [En ligne], 16 | 2019, mis en ligne le 31 décembre 2020, consulté le 11 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/doublejeu/2516 ; DOI : https://doi.org/10.4000/doublejeu.2516

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Auteur

Myriam Juan

Université de Caen Normandie

Elle est maîtresse de conférences à l’université de Caen Normandie et membre du LASLAR. Ses recherches portent sur l’histoire culturelle du cinéma, la célébrité et les imaginaires sociaux dans la première moitié du XXe siècle. Auteure de plusieurs articles sur le vedettariat, les acteurs et les publics de cinéma, elle a également codirigé, entre autres, le numéro 14 de Double Jeu : Violences et passions : retour sur Henry Bernstein (avec Chantal Meyer-Plantureux, 2017). Elle est membre du conseil d’administration de l’Association française de recherche sur l’histoire du cinéma.

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