Salut les Copains, bien plus qu'une émission de radio

Johnny Hallyday et Catherine Deneuve devant un disque de "Salut les copains", le 17 janvier 1962 à Paris. © Keystone/Hulton Archive/Getty Images

Le 19 octobre 1959, Salut les copains devenait une émission quotidienne sur la radio Europe 1 et de fait, ouvrait les portes de la musique populaire au plus grand nombre, en particulier aux jeunes. Une petite révolution dans le domaine de la radio comme dans celui de la musique.

Y a-t-il dans l’histoire de la radio en France une émission aussi célèbre que Salut les copains ? Pour le début des années 60, elle est à la fois le symbole de l’émergence de la jeunesse en tant que force sociale et culturelle autonome, de la modernisation des médias, de la révolution de la radio miniature, de l’appropriation de larges pans de la culture populaire américaine par la France… et aussi, pour toute une génération, d’une excitation et d’une ivresse partagées que n’avaient pas connues leurs devancières.

Au commencement, Salut les copains n’est qu’une expérimentation radiophonique tentée une fois par semaine au cours de l’été 1959 par deux figures d’Europe 1, station qui depuis quelques années bouscule le paysage des ondes en France. Pour résumer, c’est la radio sur laquelle on invente le "matraquage" des chansons, la cohérence absolue de la programmation musicale (avec la première playlist en France), une mise en scène de la publicité, une modernisation de l’information avec beaucoup de reportages et la possibilité de faire entendre la voix des "vrais gens"…

Sur cette radio, Daniel Fillipacchi et Frank Ténot animent l’émission Pour ceux qui aiment le jazz. Ils l’aiment, mais pas seulement dans sa version canonique d’avant-guerre. Ils sont passionnés par les innovations d’avant-garde, par le rhythm’n’blues de Ray Charles mais aussi par une bonne partie du rock’n’roll qui, depuis l’envol d’Elvis Presley en 1956, se morcèle en de nombreux sous-genres et esthétiques variés, qui ne sont pas toujours bien acceptés par les auditeurs de "vrai" jazz.

Leur idée est de détacher ce répertoire-là de Pour ceux qui aiment le jazz, qui restera une émission variée mais plus adulte. Pourquoi ne pas donner aux plus jeunes une émission sur la musique la plus jeune ? Une marée de courriers enthousiastes les convainc qu’ils ont vu juste, mais surtout donne confiance à la direction d’Europe 1.

Première quotidienne musicale

En octobre 1959, Salut les copains devient une émission quotidienne du lundi au vendredi, de 17 à 19 heures. Son titre est emprunté à une chanson de Gilbert Bécaud sortie en 1958. D’ailleurs, elle n’a rien à voir avec la musique aimée par les jeunes, puisque qu’elle raconte un voyage en Italie d’un banlieusard qui s’arrache à la France et à son quotidien.

Peu importe : Salut les copains va immédiatement trouver son public. L’émission présente l’actualité musicale avec un hit parade et de fréquents appels aux auditeurs pour qu’ils écrivent et fassent connaître leurs préférences. La chanson "chouchou de la semaine" est diffusée trois fois au cours de chacune des cinq émissions de la semaine ; le "coup de chapeau" fait entendre à la suite plusieurs versions d’un même titre… L’émission est en complète connivence avec les maisons de disques, qui tiennent scrupuleusement compte des positions au classement de Salut les copains et parfois même consultent l’équipe d’Europe 1 sur leurs nouvelles signatures.

Car Salut les copains est complice de la naissance du rock français, avec Richard Anthony, Danyel Gérard, Danny Boy, Rocky Volcano ou la chanteuse Gélou… Et, malgré l’hostilité au départ du patron de la programmation d’Europe 1, Lucien Morisse, Salut les copains sera la machine de guerre de Johnny Hallyday, ainsi que des Chaussettes Noires et de toute la génération d’artistes qui éclosent à partir de 1960 et 1961.

Dès lors, à la sortie des classes, c’est la ruée vers les transistors et le jingle "SLC, sa-lut les co-pains !" devient un élément majeur du paysage sonore. On estime que la moitié des collégiens écoutent l’émission ! Chaque jour est diffusée au moins une nouvelle chanson en français, ce qui aiguillonne toute l’industrie du disque émerveillée par l’eldorado rock. Quand les petites radios à transistor et à piles sont apparues, personne n’imaginait qu’elles aboutiraient massivement dans les chambres des jeunes Français. Salut les copains explique une part du boom spectaculaire de l’équipement en postes de radio qui, en ville, dépasse le nombre de foyers.

Un magazine et un concert gratuit

Au printemps 1962, l’émission se prolonge par un magazine, Salut les copains, dont certains numéros se vendent à un million d’exemplaires. Pour fêter son premier anniversaire, l’hebdomadaire organise, le 22 juin 1963, un concert gratuit place de la Nation. La formule, pour être à peu près inédite à Paris, est simple : une scène et une grosse sono en plein air, dos à la place, face au Cours de Vincennes, avec au programme Richard Anthony (c’est lui la tête d’affiche), Sylvie Vartan, Johnny Hallyday. On attend 15000 personnes, mais il en viendra au moins dix fois plus. La police, la RATP, l’organisation, tout le monde est évidemment débordé. Il en résulte quelques bagarres et dégâts au mobilier urbain…

La presse se déchaîne : "Salut les voyous !", titre Paris Presse. Mais, dans Le Monde daté des 6 et 7 juillet, le sociologue Edgar Morin parle de cette génération comme de "yé-yé", en s’inspirant du "yeah" américain que les jeunes amateurs de rock emploient abondamment. Il évoque la "formation d'une nouvelle classe d'âge". De sa subtile analyse des évolutions de la jeunesse, les Français retiendront un mot : yé-yé.

Mais Salut les copains va peu à peu se laisser distancer, rater les virages d’une époque où la musique connait plusieurs révolutions par an. L’émission disparait dans l’indifférence, peu avant Mai 68, sans même atteindre dix ans d’existence. Elle est remplacée par Campus, qui relaiera, amplifiera et incarnera les révoltes d’une partie jeunesse plus politique que les yé-yé. Salut les copains s’installera au rayon des souvenirs enchantés, symbole de l’épopée souriante des premier rockers français.