"Toutes ces blessures provoquent une rage, une révolte." Dans un puissant et nécessaire texte, l’actrice française se livre pour la première fois sur les violences qu’elle a subies dans le milieu du cinéma.

Violences sexistes et sexuelles, objectification de son corps, obsession des réalisateurs pour la nudité… Juliette Binoche écrit pour Libération vendredi 26 avril 2024 comment elle a appris "à dire non, à reconnaître ce qu’[elle devait] quitter".

Juliette Binoche dénonce une agression du réalisateur Pascal Kané

Juliette Binoche est au lycée lorsqu'elle veut déjà devenir actrice. Et dès le début, elle doit se montrer nue. "J’ai eu la possibilité de prendre un café avec Dominique Besnehard [producteur, ndlr] qui m’a proposé de passer à son bureau pour apporter une photo de moi nue, précision qui m’avait embarrassée, dans l’éventualité d’être prise dans Mortelle Randonnée de Claude Miller au début des années 80", raconte-t-elle avant de décrire une agression sexuelle de la part du réalisateur Pascal Kané.

À cette époque, elle vient de tourner durant "deux jours" dans le film Liberty Belle, réalisé par cet homme et sorti en 1983. Elle raconte qu'il l'invite à dîner à l’hôtel Nikko afin d’échanger avec elle au sujet d’un nouveau projet : "Alors qu’il me désigne la vue sur le front de Seine, il se jette sur moi pour m’embrasser. Je l’ai repoussé vigoureusement : 'Mais j’ai un amoureux !' Je n’en revenais pas."

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Agressée sexuellement à l'âge de sept ans

Juliette Binoche confie aussi à Libération avoir été "touchée par un maître d’école à sept ans", alors que l’enseignant lui "apprenait à lire en caressant [son] sexe derrière son bureau devant la classe". Elle compare les deux agressions : "Le choc était de m’apercevoir que ce réalisateur se servait lui aussi d’un stratagème et de ma bonne foi pour arriver à ses fins."

Quelques années après, à l’époque où l’omerta dans le cinéma était encore au sommet, l’actrice de la série The New Look dénonce le comportement du réalisateur dans une revue de cinéma. "Il a exigé que je demande un rectif, pour dire que la journaliste m’avait mal comprise. Refus de ma part. En plus il faudrait se taire ?", s’insurge-t-elle.

Je me suis débattue pour survivre dans ma quête d’être actrice.

Auprès de Libération, la femme de 60 ans raconte plusieurs castings où elle a dû se mettre nue : "Pendant ces deux ans interminables où je me suis débattue pour survivre dans ma quête d’être actrice, il était souvent demandé de se déshabiller pour passer un casting. Je m’exécutais." "Mais il y a eu une fois de trop : sous le regard de Sébastien Japrisot, auréolé du succès de l’Eté meurtrier qu’il avait écrit, nous devions jouer les mêmes scènes encore et encore en sous-vêtements et jarretelles. Je suis sortie en plein milieu de ce casting en rage, j’avais compris que le dessein poursuivi n’était pas celui du film", poursuit-elle.

Le cinéma malgré les violences

Lors du tournage Rendez-vous réalisé par André Téchiné, Juliette Binoche se souvient avoir été "stupéfiée" après qu’une main ait "touché subitement" son sexe, et sans son consentement. "Je n’ai pas été capable de le dire. Je n’ai jamais su si cette main provenait d’une demande du metteur en scène, ou si c’était l’acteur qui avait pris cette liberté et je n’ai pas trop envie de le savoir. Focaliser ma colère sur une personne précise ? Pourquoi ?", se demande-t-elle.

Durant le tournage de l’Insoutenable légèreté de l’être, le réalisateur Philip Kaufma serait lui entré "dans sa caravane pour la peloter". "Je l’ai repoussé, il n’a pas insisté. Lena Olin, qui tenait l’autre rôle féminin, m’a dit qu’elle avait eu droit aux mêmes tentatives", regrette-t-elle. "Les coups bas, les gestes déplacés, les remarques sexistes : je ne les oublie pas, elles empoisonnent la vie, mais elles restent secondaires. Au fond, tout est pardonné" ajoute-t-elle en précisant que sa passion pour le jeu est plus fort.

L'actrice "soulagée" par #MeToo

À la fin de son texte, Juliette Binoche raconte avoir également été témoin de plusieurs violences sexuelles et ne pas avoir toujours su protéger ses "camarades" de jeu. "Avant Rendez-vous, j’avais rendu visite sur un tournage à une amie actrice de mon âge alors très en vogue. Son partenaire de jeu avait sa tête dans son entre-jambe. Elle était nue sans aucune protection. Ils filmaient sans gêne, je suis restée sans voix. Je n’ai pas su trouver les mots, elle semblait si insouciante. Je suis partie vite, défaite", se remémore-t-elle.

Un autre jour, la comédienne a pris conscience qu’une figurante avait été violée lors du tournage du film les Enfants du siècle. "J’ai aperçu la jeune femme partir sonnée une fois le tournage terminé, comme si elle avait reçu un coup de poing. J’avais la haine. Cet acteur est mort aujourd’hui."

Elle affirme en revanche que la sororité entre actrices existe depuis plusieurs années. Bien avant le mouvement #MeToo en 2017. Celle qui assure n’avoir "plus besoin d’être sauvée par cette image masculine du père protecteur ou de l’amant qu’il faut satisfaire" se dit "soulagée de voir et d’entendre les témoignages de femmes et d’hommes qui osent exposer les abus qu’elles et qu’ils ont subis".

L'artiste estime que "nous devrions tous les remercier" et note que lors de la dernière cérémonie des César, "les cinq actrices en lice pour la meilleure interprétation" ont toutes jouées dans "des films signés par cinq femmes et pour des rôles étonnamment forts".