Civilisation(s) : pertinence ou résilience d'un terme ou d'un concept en géographie ? | Cairn.info
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1 Le mot, l’idée, le concept de civilisation traverse l’ensemble des sciences humaines et sociales. Si le mot a commencé à être utilisé à la fin du XVIIIe siècle au singulier par opposition à barbarie par le physiocrate Mirabeau-père, et, d’une façon plus générale, dans l’Europe des Lumières, les sciences sociales ne se le sont véritablement approprié, au pluriel, que dans la première moitié du XXe siècle, notamment à la suite d’un débat organisé et publié en 1929 par le Centre international de synthèse d’Henri Berr avec les articles de Lucien Febvre et Marcel Mauss. Très récemment (2008), la Revue de synthèse a cru bon de revenir sur ce mot réapparu dans l’actualité au cours des années 1990, en se référant à sa première publication (1930). De même, la revue Sciences humaines s’est interrogée en 2003 sur les raisons d’un retour à la mode du concept de civilisation (Ruano-Borbalan, 2003). Les historiens, les archéologues, à moindre égard les sociologues, ont abondamment utilisé ce terme, alors que les ethnologues ou anthropologues lui ont assez tôt préféré celui de culture. Les politologues ou géopolitistes, notamment Samuel Huntington (1996), s’en sont emparés plus récemment avec fracas. Il ne faut pas oublier non plus que les géographes y ont également eu recours à des titres divers, surtout dans les années 1950-1960, qu’il figure dans tous les dictionnaires récents de la discipline et qu’il réapparaît périodiquement dans les publications des géographes. Beaucoup l’utilisent, à l’égal des historiens, comme un mot du langage courant ou littéraire. Mais quelques-uns, tels Max Sorre, Pierre Gourou, Fernand Braudel, en ont fait une notion centrale dans leur approche de l’espace géographique ou des territoires, en prenant le soin de le définir plus précisément.

2 Il n’est donc pas inutile de tenter aujourd’hui d’esquisser un bilan sur la façon dont cette notion a été introduite dans la géographie francophone et dont elle a été utilisée, d’en montrer l’intérêt et les limites pour une approche géographique. Y a-t-il une spécificité de l’utilisation scientifique de la notion de civilisation en géographie ? Qu’a-t-elle apporté et que peut-elle encore apporter à la discipline ?

3 Après avoir rappelé l’origine du mot et son introduction dans le champ des sciences sociales, on analysera la façon dont les géographes, et plus particulièrement certains d’entre eux, se le sont approprié. On se demandera s’il y a une géographie des civilisations ? Quelle est la pertinence aujourd’hui de l’approche par les civilisations en géographie humaine, culturelle ou politique ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une simple résilience du terme ? S’agit-il d’un concept véritablement scientifique ?

1 Du mot au concept de civilisation

4 Dérivé de civil, civilité, civiliser qui lui sont antérieurs, le mot de civilisation a d’abord été un terme de jurisprudence (rendre civile une cause criminelle). Il n’acquit une signification proche de l’actuelle que dans l’ouvrage de Mirabeau-père L’Ami des hommes en 1757, où il désigne à la fois l’adoucissement des mœurs, l’éducation des esprits, le développement de la politesse, la culture des arts et des sciences, l’essor du commerce et de l’industrie, l’acquisition des commodités matérielles et du luxe [1]. En 1767, civilization, dans son sens moderne, est introduit en Angleterre par Ferguson dans son Essay on the History of Civil Society.

5 Ce mot est donc apparu dans l’Europe des Lumières, à peu près en même temps que celui de progrès, avec lequel il a entretenu des liens étroits. D’où l’idée d’un processus civilisateur faisant passer par différents stades une société pour l’amener de la barbarie, son contraire, aux Lumières, à ce qu’on appellera plus tard la modernité. Dans l’esprit de son premier utilisateur, le mot peut désigner un état plus ou moins stable susceptible de différer d’une nation à une autre, donc d’être au pluriel dans une acception relativiste. Coexistent donc, dès le début, une signification universaliste du concept, plaçant la civilisation européenne occidentale comme le stade le plus avancé de la Civilisation vers lequel doivent tendre les sociétés humaines, et une signification relativiste, attribuant une civilisation à chaque grande nation.

6 Ces civilisations distinctes possèdent chacune leur spécificité et leur légitimité propre, qui peuvent les opposer les unes aux autres dans des relations de voisinage, de concurrence ou de conflit. C’est alors qu’intervient une autre notion rivale, issue du monde germanique au début du XIXe siècle, celle de culture (die Kultur), développée par Herder dès 1774 et mettant l’accent sur les particularités de chaque peuple, de chaque nation, du peuple allemand d’abord [2]. C’est l’ensemble des acquis artistiques, intellectuels et moraux qui fondent l’unité d’une nation. En France, ce terme prend une acception plus large, désignant l’ensemble des caractères propres à une communauté, prenant un sens voisin sinon identique à celui de civilisation.

7 L’élaboration du concept de civilisation s’est poursuivie au XIXe siècle, influencée par une idéologie européenne de supériorité (Guizot, 1985) par rapport aux civilisations antérieures ou aux civilisations « autres » contemporaines. Le racisme, impliquant la supériorité de la race blanche, est même devenu pour certains (Gobineau) un fondement de cette idéologie. Le colonialisme a été l’occasion de découvrir d’« autres » civilisations ou cultures, dans un rapport inégal en faveur de la civilisation européenne dont l’indéniable supériorité scientifique et technique a été extrapolée idéologiquement en une supériorité générale, voire raciale. B. Mazlish (2004, 100-111) montre comment les civilisations japonaise puis chinoise, thaïlandaise, ont dû assimiler une partie de la civilisation européenne pour survivre, et finalement se hisser au même niveau que la civilisation occidentale. En anthropologie, les théories évolutionnistes et diffusionnistes du XIXe siècle ont situé au centre de leur approche ce concept de civilisation. Mais à partir des années 1930, l’anthropologie culturelle de Franz Boas puis de Claude Lévi-Stauss l’a remplacé par celui de culture, plus pertinent pour les études de terrain portant sur des micro-sociétés. Le terme de civilisation ne fut plus utilisé que pour la seule culture occidentale.

8 La distinction entre culture et civilisation, notions qui sont apparues concomitamment et concurremment, est donc souvent difficile à faire (Mazlish, 2004, 148-151)  [3]. Pour M. Mauss (1929) un phénomène de civilisation couvre une aire plus large que la nation. Il en propose la définition suivante : « Un ensemble de faits, un ensemble de caractères de ces faits correspondant à un ensemble de sociétés, en un mot une sorte de système hypersocial de systèmes sociaux, voilà ce qu’on peut appeler une civilisation » (Mauss, 1929, 89)  [4]. Les phénomènes de civilisation relèvent de la technologie, de l’esthétique, de la linguistique, de la mythologie... L’ethnographie et l’histoire sont les mieux à même de tracer « les aires de civilisation, de rattacher des civilisations diverses à leur souche fondamentale »  [5].

9 Les géographes, parallèlement aux historiens, ont utilisé le mot et/ou la notion de civilisation en l’appliquant d’abord à l’analyse des structures agraires et du monde rural. Certains d’entre eux en ont fait ensuite un concept central de leur approche, concurremment avec celui de « genre de vie » puis de « culture » et d’« aire culturelle ».

2 Le mot de civilisation et le concept de « genre de vie » dans la géographie vidalienne

10 Vidal de la Blache utilise souvent dans ses textes le terme de civilisation et de « formes de civilisation », jusqu’à parler de « géographie humaine ou géographie des civilisations » (Vidal de la Blache, 1902, in Sanguin, 1993, 220). Il utilise ce mot dans le sens actuel de « culture [6] ». Cependant Vidal a choisi de privilégier dans sa géographie humaine le concept de « genre de vie » plutôt que celui de civilisation [7]. Il associe systématiquement milieu à genre de vie : « Un genre de vie constitué implique une action méthodique et continue, partant très forte, sur la nature, ou, pour parler en géographe, sur la physionomie des contrées » (Vidal de la Blache, 1911, 339)  [8]. Il définit les genres de vie comme « des modes de groupements sociaux originairement sortis de la collaboration de la nature et des hommes, mais de plus en plus émancipés de l’influence directe des milieux... À l’aide de matériaux et d’éléments pris dans la nature ambiante, il a réussi, non d’un seul coup, mais par une transmission héréditaire de procédés et d’inventions, à constituer quelque chose de méthodique qui assure son existence, et qui lui fait un milieu à son usage. Chasseur, pêcheur, agriculteur, il est cela grâce à une combinaison d’instruments qui sont son œuvre personnelle, sa conquête, ce qu’il ajoute de son chef à la création » (Vidal de la Blache, 1922, 115).

11 Vidal définit des « domaines de civilisation » qu’il met en rapport avec les genres de vie : « Il se forme, à la longue, des domaines de civilisation absorbant les milieux locaux, des milieux de civilisation imposant une tenue générale qui s’imprime dans beaucoup d’usages de la vie » (Vidal de la Blache, 1922, 288-290). Il parle de civilisation supérieure à propos de l’Islam, de l’Hindouisme, de la Chine, de l’Europe, du Yankee [9]. Il distingue de ces civilisations supérieures ce qu’il appelle des « civilisations stéréotypées » ou autonomes plus rudimentaires, nées de l’affrontement entre des groupes humains relativement isolés et un milieu naturel hostile ou difficile (populations de la forêt dense équatoriale ou esquimaux du grand Nord)  [10]. La circulation, le commerce, les échanges les plus divers mettant en relation des foyers, des noyaux distincts dotés d’une vie propre, ont propagé le progrès et sont à l’origine des organisations sociales et religieuses de grande ampleur qui ont engendré les civilisations supérieures [11].

12 Le mot sera repris, sans être toujours défini, par les historiens et les géographes ruralistes dans les années 1950. Les expressions de civilisation rurale, urbaine ou traditionnelle sont couramment utilisées dans les sciences humaines au cours de cette période.

3 Des historiens aux géographes : les civilisations agraires

13 F. Guizot dans ses cours sur « l’Histoire de la civilisation en Europe puis en France » (1830) a inauguré l’histoire des civilisations, un genre promis à un grand avenir. S’il décline le mot au singulier et au pluriel, le développement intellectuel et le développement social sont les deux composantes essentielles de la civilisation de tout groupe d’êtres humains et de la civilisation européenne, supérieure, portée par le progrès. Les collections d’histoire des civilisations se sont multipliées dans la seconde moitié du XXe siècle.

14 Le mot de civilisation y est généralement défini de façon très empirique par leur directeur. Par exemple, Raymond Bloch (1960) pour Les Grandes Civilisations chez Artaud. Chacune après avoir été présentée dans son cadre temporel et dans son aire géographique fait l’objet d’une description plus détaillée de ses divers aspects moraux et matériels [12]. Le grand historien britannique Arnold Toynbee, dont la plus grande partie de l’œuvre est consacrée à l’histoire des civilisations (22 en tout selon lui), voit dans la civilisation « un état de la société où une minorité de la population est libérée de tout travail, non seulement de la production de vivres, mais aussi de toutes les autres activités économiques... ». Ce sont les habitants des villes, « soldats de métier, administrateurs et, peut-être, plus que tout, prêtres ». Il complète sa définition en présentant chaque civilisation comme « une tentative de créer un état de société dans lequel toute l’humanité pourra vivre ensemble et en harmonie comme les membres d’une seule et même famille » (Toynbee, 1972, 50-51). Les géographes n’ont adopté progressivement la notion, non pas dans sa globalité mais partiellement, à partir des phénomènes agraires ou ruraux relevant de la longue durée, des paysages avant tout.

15 C’est l’historien Marc Bloch (1931) qui a créé l’analyse des civilisations agraires : paysages, formes d’occupation du sol et d’habitat, conçues comme le produit des interactions entre le milieu, l’état des techniques et les forces de production propres à une société rurale [13]. Marc Bloch a clairement formulé l’hypothèse d’une existence de civilisations agraires, à savoir que les aménagements du paysage rural seraient associés à des formes de civilisations agraires dont les racines sont à chercher dans un passé révolu [14].

16 A. Meynier (1958) dans son étude des paysages agraires a pris le soin de définir assez précisément le concept de civilisation agraire : « la façon dont les réactions [devant le milieu physique ou social] se combinent révèle tout un complexe de techniques, de genres de vie, de psychologie et de traditions assimilables les uns aux autres » (Meynier, 1958, 182). Ce concept est étroitement associé à celui de paysage agraire qui en est la partie visible, observable à la surface de la terre. Il trouve son unité dans « l’occupation agronomique essentielle » et se fonde sur une agriculture : sur la production agricole qui elle-même se règle d’après un régime social et juridique. La notion de genre de vie est également invoquée à l’arrière-plan [15].

4 Des genres de vie aux civilisations : Max Sorre

17 Max Sorre se situe dans le prolongement de la pensée vidalienne sur le concept de genre de vie qu’il a essayé d’actualiser et qu’il considère comme toujours pertinent en 1961. Il a également précisé la notion de civilisation dans la conclusion générale de son ouvrage (Max. Sorre, 1952, tome III, 437-482). Reprise à Vidal de la Blache, il continue de donner à la notion de « genre de vie » une place centrale dans son approche. Il nous dit que « la connaissance des genres de vie fournit le meilleur critère pour la définition des unités humaines » (ibid., 448)  [16].

18 Dans sa forme originelle, le genre de vie ne peut se définir que par rapport au milieu biophysique, en particulier lorsqu’il est difficile. Il est empreint d’une relative stabilité et autonomie. Mais le développement et la modernisation provoquent une altération et une dépendance de plus en plus grande à un complexe géographique économique et social. C’est la profession et le pli qu’elle imprime qui continue à la définir et les éléments naturels du complexe géographique jouent un rôle de plus en plus faible. Les genres de vie beaucoup moins autonomes s’uniformisent. La notion se charge de plus en plus d’éléments sociaux : le genre de vie des ouvriers mineurs, des agents de la circulation... Avec les formes nouvelles de production, on se trouve en présence d’une multitude de genres de vie professionnels. Cette notion, qui avait une cohérence et une unité dans les sociétés archaïques et préindustrielles, la perd dans les sociétés modernes industrialisées [17].

19 Max Sorre appelle à une « géographie des civilisations » : « Par-delà les traits matériels du genre de vie, la géographie saisit une dernière source de différences : le trésor des valeurs spirituelles propres à chaque groupe » (ibid., 444). Il veut prendre en compte dans cette géographie « les valeurs religieuses, esthétiques, philosophiques » trop négligées par la discipline. Il a une approche territoriale de ces deux notions. « Si l’appréhension directe, intuitive, du complexe géographique à travers le paysage nous révèle, antérieurement à toute analyse, l’individualité de la région géographique, la connaissance totale du genre de vie nous éclaire sur les régions humaines » (ibid., 448). Les civilisations se situent au-delà du genre de vie, caractérisé essentiellement par des traits matériels ou de « la culture au sens le plus étroit du terme » : « Une civilisation, c’est essentiellement un certain style de vie dont tous les éléments caractéristiques sont solidaires les uns des autres. Elle est aussi un objet de connaissance géographique par sa localisation et par les conditions de sa formation... L’œkoumène se répartit entre des domaines caractérisés par la prédominance d’un type de civilisation. Celui-ci tend à s’étendre dans la suite des temps hors de ses limites, sur des aires plus vastes où il peut se mélanger à d’autres types, donner naissance à des formes composites, - ou bien encore il se dégrade » (ibid., 444). Il distingue « l’aire de la civilisation hindoue, celle de la civilisation chinoise, les aires où ces deux civilisations se rencontrent » (ibid., 445). Il donne même une classification des unités spatiales ou géographiques : au-dessus du « pays », au sens vidalien, ou « région élémentaire » et de la « région humaine » caractérisée par un « paysage humain [18] », il y a la « grande région humaine » ou aire de civilisation qui est « une association de genres de vie d’un type plus général, ayant en commun ces formes supérieures de vie auxquelles on reconnaît une civilisation » (ibid., 449).

20 Max. Sorre distingue des « foyers de civilisation » qui correspondent aux « formes supérieures de civilisation » : indienne, chinoise..., des « aires marginales », des « aires de rencontre ou des aires de refuge » (ibid., 445). Il analyse aussi « les foyers de civilisation irano-méditerranéens et occidentaux » (ibid., 463). Il en vient à définir une civilisation européenne. : « Elle repose sur un complexe d’éléments communs. Chaque peuple lui a apporté sa contribution avec son tempérament propre... Le synchronisme des grands moments politiques et spirituels de tous les pays de l’Europe occidentale et centrale est remarquable. Les étapes sont les mêmes partout, avec des nuances sans doute, mais inspirées d’un même esprit » (ibid., 466). Il décrit également entre Tchad et Atlantique « un foyer de civilisation noire originale mais avortée » à cause de la traite transatlantique, de même les civilisations précolombiennes d’Amérique avortées également du fait de la conquête espagnole. Il s’agit de « foyers primaires » moins brillants que les précédents. Des foyers secondaires (dans le temps) plus récents ont une grande force d’attraction : les foyers japonais, américain et russe [19]. Max Sorre donne une carte des grands foyers de civilisation sur le continent eurasiatique.

21 Il est le géographe francophone qui, avant Pierre Gourou, a le plus élaboré ce concept de civilisation [20]. Par contre, la notion de genre de vie n’a été volontairement reprise ni par le géographe des civilisations qu’a été Pierre Gourou ni par l’historien Fernand Braudel très proche des géographes. Mais ils ont placé la notion de civilisation au cœur de leur approche.

5 Le paradigme civilisationnel de Pierre Gourou

22 P. Gourou introduisit la notion de civilisation dès la conclusion de sa thèse sous la dénomination de « civilisation paysanne » : « une civilisation complexe qui entoure l’individu d’un réseau de relations familiales et villageoises... D’autre part cette civilisation fait corps avec le milieu où elle s’est développée » (Gourou, 1936, 575). Elle présente « les caractères d’une civilisation stabilisée dans un accord matériel et esthétique avec les conditions naturelles. Civilisation stagnante et retardataire, dira-t-on... civilisation équilibrée et raisonnable ». Cette notion de civilisation apparaît ensuite de façon systématique dès les premiers ouvrages qu’il publie après sa thèse et qui en sont une extension dans l’espace : L’utilisation du sol en Indochine française (Gourou, 1940a) La terre et l’homme en Extrême-Orient (1940b). Sa formulation plus conceptuelle figure dans un article sur « La civilisation du végétal » (1948).

23 La géographie de P. Gourou est une analyse des paysages humanisés qu’il relie au milieu naturel qui est leur support (Bruneau, 2000). La configuration actuelle de ces paysages n’est pas directement déterminée par ce milieu, comme l’était celle de genre de vie, mais résulte de l’interposition d’un troisième terme qui est la civilisation [21]. Dans « la civilisation du végétal », il définit la civilisation comme « d’abord l’ensemble des techniques d’exploitation de la nature, et, dans une moindre mesure, la plus ou moins grande aptitude à l’organisation de l’espace » (Gourou, 1948, 227). Le géographe doit prendre cette civilisation comme une donnée externe à son propre domaine de recherche, s’en servir comme d’un facteur explicatif des paysages et surtout ne pas tenter d’en rendre compte par le milieu physique local. Il y a des rapports d’interactions et d’interdépendances entre éléments physiques et humains d’un paysage mais « par l’entremise de la civilisation qui sert de milieu de transmission » (ibid., 228). Dans cet article l’accent est mis presque exclusivement sur « les techniques d’exploitation de la nature » qu’il appellera par la suite « techniques de production » au centre desquelles se trouve l’alimentation végétarienne. Cela mène à « un véritable déterminisme de civilisation » qui oblige les Chinois dans ce cadre traditionnel à persévérer dans cette voie, une fois leurs densités démographiques devenues très fortes. L’autre élément rendant compte de l’organisation de l’espace, qu’il met alors au second plan, n’est pas véritablement abordé dans cet article [22].

24 Tout au long de son œuvre, P. Gourou ne cessera d’utiliser ce concept de civilisation dont il fera évoluer le contenu peu à peu au fil des années et des publications. Il y distingue « les techniques de production » qui règlent les rapports que les hommes entretiennent avec le milieu et « les techniques de contrôle territorial » réglant les rapports des hommes entre eux (1966, 76). « La civilisation est un système intellectuel, moral et technique qui agit sur les paysages et ne dépend pas d’eux. Les changements de civilisation changent les paysages, mais la réciproque n’est pas vraie » (1971, 107). Ces changements ne sont pas liés à des adaptations à un milieu ou à « une pression sélective », mais plutôt à des dérives renforçant un caractère dominant (le « végétal » par exemple), ou à des contacts entre civilisations (imitations, acquisitions). P. Gourou n’a plus cru par la suite au déterminisme de civilisation : « Les éléments humains des paysages ne sont pas plus déterminés par une civilisation que par un cadre physique... Rien de tout cela n’est déterminant. Les paysages humains résultent d’un équilibre de facteurs contraignants mais se limitant et s’orientant les uns les autres » (ibid., 113-114).

25 La terminologie de son deuxième terme « technique », celui qui a trait aux rapports que les hommes entretiennent entre eux, a varié constamment dans le sens d’un élargissement de son domaine de signification [23]. À partir de son livre Pour une géographie humaine (1973), il parle systématiquement de « techniques d’encadrement » donnant à cette dénomination une acception plus large que celle des termes précédents. Il s’agit d’encadrements relevant de la société civile (famille, langage, régime foncier, préjugés, mentalités, religion...) et de la société politique (cadres villageois, tribaux, étatiques...). Le culturel et le politique sont profondément imbriqués dans cette notion d’encadrement.

26 En 1982 dans Terres de bonne espérance, P. Gourou renverse très clairement la perspective de la « La civilisation du végétal » (1948). Ce ne sont plus les techniques de production qui sont premières mais les encadrements : « Ce serait renoncer à trouver les ultimes réponses aux questions posées par la géographie que de voir dans l’homme avant tout un producteur et d’expliquer par les techniques de production l’organisation des sociétés et le nombre des habitants. L’homme est premièrement un organisateur... Une forte densité de la population sur une grande surface et une longue durée s’explique d’abord par l’ouverture et l’orientation des techniques d’encadrement, ouverture et orientation qui n’ont pas été déterminées par les techniques de production » (1982, 29). Ainsi P. Gourou récuse tout déterminisme économique sur la société : « Les hommes sont beaucoup plus contrôlés par leur encadrement social et intellectuel que par l’économie » (Lannes, 1983, 124)  [24].

27 Si, à bien des égards, P. Gourou est l’un des grands héritiers de la géographie vidalienne, il s’en démarque cependant très tôt, en récusant à la fois le possibilisme et la notion de genre de vie (1966, 80-82). Un groupe humain ne procède pas à un choix conscient parmi un éventail de « possibilités » qui lui seraient offertes par la nature, mais « il exploite celles auxquelles s’appliquent les techniques qu’il maîtrise ». Ce groupe ne peut percevoir dans le milieu naturel que ce qui est familier à sa civilisation et ne peut l’utiliser qu’à l’aide des techniques dont il dispose au sein de sa propre civilisation. Il dénonce en outre le caractère fallacieux de la notion de genre de vie, parce qu’elle fait tout découler de la technique de production qui permet la subsistance d’un groupe en relation étroite avec le milieu dans lequel il vit et est entachée ainsi de déterminisme.

28 Lucien Febvre affirme qu’il existe une notion géographique de la civilisation, plus restreinte que celle qui est utilisée en histoire ou en philosophie : « Elle ne consiste que dans la mise en valeur par les sociétés des ressources que leur offre le milieu naturel ou de celles qu’elles finissent par découvrir en lui ; elle est presque mathématiquement mesurable en tant que pour cent d’utilisation des possibilités » (Febvre, 1922, 219). Au départ, la notion de civilisation définie par P. Gourou était, conformément à ce qu’en avait dit L. Febvre pour la géographie, limitée de fait à la culture matérielle. Mais elle n’a cessé par la suite de s’élargir, surtout à partir du moment où il a introduit les encadrements. D’où vient cette notion d’encadrement devenue centrale dans le concept de civilisation de la géographie de P. Gourou, à partir des années 1970 ? Elle a été utilisée par Georges Hardy (1933), dans sa géographie coloniale, à propos des colonies d’encadrement, là où les colonisateurs en nombre restreint se contentaient d’encadrer, c’est-à-dire de guider, de diriger les indigènes, par opposition aux colonies d’enracinement où les colonisateurs en plus grand nombre s’installaient pour y vivre durablement sinon définitivement. Le sens de cette notion a donc connu une dérive importante chez P. Gourou. Son sens premier a bien été celui d’encadrement administratif et politique (1973, 17-18), pour englober ensuite la sphère du social, de l’économique, puis du culturel. Ce sens premier P. Gourou nous le rappelle lui-même dans un texte révélateur : « Les techniques d’encadrement viennent en premier rang dans l’ordre d’urgence ; aucun progrès économique durable et profond n’est possible si n’existent pas des techniques correctes d’encadrement, et tout d’abord, des techniques d’administration élémentaire permettant de contrôler de vastes surfaces, une population nombreuse, et cela de façon durable » (1969, 98). Ces techniques d’encadrement n’ont pas à être analysées pour elles-mêmes par le géographe « dans la finesse de leurs agencements spécifiques mais sous l’angle de leur efficacité pour le contrôle des espaces et des hommes » (ibid., 99). Elles relèvent de sciences humaines ou sociales autres que la géographie. Elles n’intéressent celle-ci que par les effets qu’elles ont sur les paysages et l’espace [25].

29 Le paradigme civilisationnel de P. Gourou est également lié à sa conception du progrès technique [26]. Citons un texte révélateur de sa première approche du phénomène technique : « Il existe des techniques “arriérées” de la production (ramassage, agriculture itinérante sur brûlis par exemple), des techniques “évoluées” de la production (par exemple la riziculture inondée), des techniques “supérieures” (agriculture scientifique moderne non liée à la routine et à des préoccupations de subsistance locales, grâce aux progrès de la science et des transports). Il existe également une série de techniques de l’espace, depuis les plus arriérées, qui sont incapables de contrôler autre chose que l’espace restreint nécessaire à la subsistance d’une horde d’une dizaine de personnes, jusqu’aux techniques supérieures aptes à organiser des empires. Une civilisation “supérieure” se définit mieux par sa maîtrise de l’espace que par ses techniques de la production » (1953, 48). P. Gourou a nuancé par la suite cette vision très hiérarchisée des techniques [27].

30 Une notion, qui est apparue plus tard chez Gourou mais qui va dans le même sens, celui d’une progression et d’une hiérarchie des civilisations, est la notion de « niveau d’efficacité paysagiste » : « Par l’action plus ou moins interdépendante de ses diverses techniques une civilisation manifeste son efficacité : il s’agit seulement ici d’efficacité paysagiste. Dans l’ensemble de leurs manifestations, les civilisations sont peut-être égales ; il est imprudent de considérer certaines d’entre elles comme primitives. Mais, pour le paysage, les effets des diverses civilisations sont inégaux, et mesurables par l’étendue plus ou moins grande de la surface utilisée par l’homme, par la densité de la population, par le nombre, la nature et la localisation des constructions, l’importance du réseau des communications » (1973, 26)  [28]. P. Gourou aboutit ainsi tout naturellement à un classement hiérarchisé des civilisations en fonction de leur efficacité paysagiste. Au haut de l’échelle se trouvent les « civilisations supérieures traditionnelles » (chinoise, indienne, européenne pré-moderne) qui aboutissent à l’humanisation totale des paysages. Au sommet est la « civilisation moderne » qui a « la plus grande puissance d’action paysagiste », parce que bénéficiant « de techniques d’exploitation très efficaces » et « de techniques d’encadrement irrésistibles qui peuvent contrôler vastes espaces, nombreuses populations, énormes villes » (ibid., 29-31).

31 À la fin de sa vie, P. Gourou (1900-1999) écrivait un ouvrage Géographie et civilisations qu’il n’a malheureusement pas pu achever, mais dont des extraits inédits ont été publiés après sa mort dans un numéro d’hommage de la Revue belge de géographie (Gourou, 1998). Ces textes se situent dans la droite ligne des précédents : « le thème essentiel de ce livre qui est le rôle directeur, dans l’analyse géographique, de la civilisation, c’est-à-dire de l’ensemble des techniques de production et d’encadrement » (ibid., 139).

6 La géohistoire des civilisations de Fernand Braudel

32 Fernand Braudel a également beaucoup développé la réflexion sur la notion de civilisation d’un point de vue historique et géographique, se démarquant à la fois des approches peu conceptualisées des nombreux historiens des civilisations et des philosophies de l’histoire de O. Spengler et A. Toynbee.

33 F. Braudel, historien, est curieusement plus attentif à l’espace que P. Gourou géographe, qui préfère le terme de paysage à celui d’espace. Braudel associe systématiquement chaque civilisation à « un espace aux limites à peu près stables », à une « aire culturelle » (Braudel, 1997, 154). Il précise même que « cette aire aura son centre, son noyau, ses frontières, ses marges » (ibid., 226). Pour Braudel, les civilisations peuvent toujours se localiser sur une carte et entretiennent des liens étroits avec « le milieu à la fois naturel et fabriqué par l’homme ». Elles ont chacune « une géographie particulière, la sienne, qui implique un lot de possibilités, de contraintes données, certaines quasi permanentes, jamais les mêmes d’une civilisation à l’autre [29] ». Si les aires culturelles des anthropologues sont généralement plus étroites, correspondant à un groupe ethnique, celles des historiens et géographes sont plus vastes ; ce sont « des espaces chaque fois décomposables en une série de districts particuliers ». Leurs limites, dotées d’une certaine fixité, peuvent être fréquemment franchies par toutes sortes de biens culturels. Yves Lacoste (1988, 198) a montré comment Braudel, dans son ouvrage sur la Méditerranée (Braudel, 1949), a abordé le problème de la diversité des limites de civilisations, et leur caractère différentiel selon les phénomènes observés. La représentation spatiale d’une civilisation est pour Braudel associée à toutes sortes de mouvements sur des distances plus ou moins longues qui définissent des aires d’influence, des auréoles.

34 Ces civilisations, « chacune solidement enracinée, chacune dans leur espace, avec leurs vieilles frontières », ont des zones de recouvrement, ces recouvrements résultant de conflits entre civilisations voisines. Pour Braudel, les civilisations sont de véritables êtres géographiques comparables à ces « économies-monde », espaces signifiants ayant « des limites d’ordinaire facilement repérables parce que lentes à se modifier ». La Méditerranée au XVIe siècle en est un exemple [30]. La différence est que les civilisations se situent dans une plus longue durée qui dépasse de loin celle des économies-mondes, dans « l’histoire immobile », à l’échelle du « temps géographique ». « Réalités de longue, d’inépuisable durée, les civilisations, sans fin réadaptées à leur destin, dépassent donc en longévité toutes les autres réalités collectives ; elles leur survivent » (Braudel, 1997, 234).

35 Les civilisations sont aussi des sociétés, plus complexes que les groupes sociaux plus égalitaires des cultures. Elles se fondent sur des rapports hiérarchisés et sont caractérisées par la présence de villes et d’États. Des sociétés plus élémentaires avec leur propre culture, au sens ethnologique du terme, sont incluses dans leur aire culturelle. Ce sont aussi des économies créatrices de surplus qui connaissent leurs fluctuations, les unes courtes, les autres longues. Les civilisations d’autre part sont des mentalités collectives qui influent fortement sur les comportements et les mouvements des sociétés. La religion se trouve au cœur de leur psychisme collectif. Ainsi, « une civilisation, ce n’est donc ni une économie donnée, ni une société donnée, mais ce qui, à travers des séries d’économies, des séries de sociétés persiste à vivre en ne se laissant qu’à peine et peu à peu infléchir » (Braudel, 1963, 167).

7 La civilisation en géopolitique

36 Le mot et même la notion de civilisation sont à la mode chez les politologues et les spécialistes de géopolitique depuis la fin des années 1980. Jean-Luc Racine (1988), à l’égal des anthropologues L. Dumont et M. Biardeau, revendique l’utilisation de ce concept, à propos de l’Inde, malgré toutes ses ambiguïtés. Les normes idéologiques issues de l’hindouisme fondent la civilisation indienne dans la durée. Son unité est sociale et religieuse, non politique [31]. Sans faire l’économie d’analyses plus politiques, économiques ou sociales, le recours à cet héritage idéologique des temps longs nourrit des représentations collectives et des manifestations spontanées ou manipulées qui influent sur les dynamiques et stratégies politiques et géopolitiques. C’est pourquoi J.-L. Racine entend bien ne pas se priver d’une analyse en terme de civilisation (s) pour rendre compte des phénomènes géopolitiques du monde indien.

37 Les principaux traités de géographie politique qui ont été publiés depuis la Première Guerre mondiale ont tous adopté l’État et son territoire comme objectif principal de leur recherche. Ils étudient la façon dont les peuples, les nations, les États s’inscrivent sur l’espace terrestre et maritime. La civilisation, si elle est parfois évoquée, ne constitue jamais une notion essentielle ou signifiante pour leur approche. Le concept d’« iconographie » a été conçu par Gottmann (1952) pour rendre compte du cloisonnement du monde en « organisations politiques » ou territoires à diverses échelles, en relation avec des peuples et/ou des États. L’« iconographie » peut être mise en rapport avec les concepts d’identité territoriale et de culture pas avec celui de civilisation. Un seul auteur récent, très controversé, S. Huntington (1996), place la notion de civilisation, les civilisations, au centre de son approche. Son ouvrage précédé par un article dans la revue Foreign Affairs (1993) a eu un retentissement considérable, dans la mesure peut-être où il se voulait l’inspirateur de la politique extérieure de l’hyperpuissance étasunienne.

38 Le livre de Huntington (1996) est à bien des égards un ouvrage de géopolitique [32]. Il distingue huit ou neuf grandes civilisations définies pour une majorité d’entre elles en fonction d’une religion dominante (islamique, chrétienne occidentale, orthodoxe, hindoue, bouddhiste) ou bien de la combinaison d’une langue, d’un État-nation et d’une idéologie religieuse comme le confucianisme (chinoise, japonaise), d’une langue et d’un ensemble géographique (latino-américaine) ou bien d’un ensemble géographique et de cultures proches (africaine). Elles sont dans le monde des acteurs majeurs de la politique et des conflits à côté des États-nations affaiblis. Il cartographie les civilisations sous la forme caricaturale d’agrégations d’États-nations (Huntington, 1996, 21). Il affirme que les conflits majeurs entre ces blocs commencent à être et seront de nature culturelle plus que politique et économique : « Les communautés culturelles remplacent les blocs de la guerre froide, et les frontières entre civilisations sont désormais les principaux points de conflit à l’échelon mondial » (Huntington, 1996, 135). De même qu’O. Spengler, il imagine les civilisations comme des êtres vivants (naissant, s’épanouissant et entrant en déclin) et les voit beaucoup trop comme des entités séparées.

39 Chacun de ces blocs civilisationnels est constitué d’États membres qui ont tendance à se distribuer en cercles concentriques autour du ou des États phares qui sont les sources de l’ordre au sein des civilisations [33]. Il s’agit bien sûr d’un monde multipolaire et multi-civilisationnel complexe, différent du monde tripolaire de la guerre froide. Mais des ensembles tels que l’Amérique latine, l’Afrique noire ou l’aire bouddhiste, à la fois theravada (Sri Langka, Myanmar, Thaïlande, Laos, Cambodge) et tantrique (Tibet, Mongolie), sont trop hétérogènes, sans État phare, pour constituer des blocs. En fait, ce paradigme fonctionne bien lorsqu’il existe un ou quelques États nations forts donnant cohésion et dirigeant l’ensemble civilisationnel qu’ils dominent [34].

40 Aux frontières de ces ensembles, il étudie ce qu’il appelle des « guerres civilisationnelles » au cours des années 1990 (ex-Yougoslavie, Caucase, Afghanistan, Sri Langka, Cachemire...). Ce sont des conflits très violents de groupes ou d’États appartenant à des civilisations différentes dont l’enjeu est le pouvoir sur un territoire. Ils durent très longtemps et sont particulièrement aggravés par les différences de foi religieuse. Des formules telles que « l’islam a effectivement du sang à ses frontières ainsi que sur ses propres territoires » (Huntington, 1996, 286) ou « la propension historique des musulmans aux conflits et à la violence » donnent un exemple des simplifications ou caricatures auxquelles se livre cet auteur qui tend à constituer des entités civilisationnelles fermées déterminées par leur religion dominante.

8 Les géographes et le concept de civilisation aujourd’hui

41 Les dictionnaires de géographie récents (George-Verger, 1970-2004 ; Brunet et al., 1992 ; Lévy, Lussault, 2003 ; Lacoste, 2003), celui des mondialisations (Ghorra-Gobin, 2006), contiennent tous le mot civilisation, alors qu’ils omettent la notion de « genre de vie » ou en soulignent le côté désuet. A. Frémont (2005, 289-290), comme le dictionnaire de Lévy-Lussault (2003), dit que les géographes contemporains utilisent peu ou pas du tout le concept de civilisation à cause sans doute de son caractère ambigu et peut-être de son appartenance à une géographie classique surannée. Ils lui préfèrent le mot de culture, promu surtout par les anthropologues anglo-saxons puis francophones, en grande partie synonyme de civilisation, mais plus neutre. En effet la notion de civilisation, qui a été beaucoup utilisée à l’époque coloniale, peut apparaître trop européocentriste. Comme on l’a vu, elle implique trop souvent une hiérarchie des civilisations et la supériorité de la civilisation occidentale considérée comme devant devenir la Civilisation mondiale. J. Diamond (2006 et 2007), qui traite des rapports entre les civilisations et leur environnement, préfère utiliser le terme de société. Les géographes ont d’ailleurs eu au cours des dernières décennies tendance à parler d’aires culturelles plutôt que de civilisations (Douzant-Rosenfeld, Gandjean, 1997, 248-258).

42 La géographie culturelle de Paul Claval et de la revue Géographie et Cultures met au premier plan la notion de culture et n’utilisent le plus souvent civilisation que comme mot, non comme notion ou concept défini. P. Claval (2001, 34-35) montre que les géographes d’aujourd’hui travaillent davantage à l’analyse des processus culturels dans leur relation avec l’espace à l’échelle locale « qu’à ces grandes entités que sont les cultures et les civilisations [35] ».

43 Cependant Joël Bonnemaison (2001, 102), dans son livre posthume sur la géographie culturelle, est revenu sur les différents niveaux spatiaux de l’analyse des aires culturelles, des cultures et des civilisations en les hiérarchisant : « Ainsi une civilisation rassemble-t-elle plusieurs cultures qui intègrent des ensembles culturels définis à leur tour par une pluralité de traits culturels ». Ces traits culturels s’organisent en systèmes ou en combinaisons. Les civilisations sont des « cultures englobantes, souvent réparties sur de grands espaces à peu près fixes, et souvent à vocation universelle » sur le temps long des historiens et chacune d’entre elles « contient un nombre indéterminé de cultures et de systèmes culturels » (Bonnemaison, 2001, 86). Il considère que « la géographie culturelle englobe à la fois l’étude des cultures et des civilisations ; elle n’est pas dépaysée, puisqu’elle étudie au fond le même processus – culturel – mais à des échelles différentes : celui de la civilisation et celui des cultures » (ibid., 87). Le fait qu’une civilisation prétende toujours à l’universel, portant un message et une prétention hégémonique, est générateur de conflits, d’où « le choc des civilisations », alors que les cultures cohabitent et sont plus portées au dialogue [36].

44 Peu de livres ont été consacrés à une géographie des civilisations au cours d’une période récente. Roland Breton (1987), après s’être référé aux philosophies de l’histoire de Spengler et surtout de Toynbee et défini le cadre éco-géographique à l’échelle continentale et mondiale des civilisations, opte pour une présentation de sept « grandes aires de civilisations actuelles », qui rejoint à peu de choses près celle que proposait Fernand Braudel dans sa Grammaire des Civilisations (1re éd. 1963)  [37].

9 La (les) civilisation (s) : résilience d’un terme et d’un concept ambigu et ?ou

45 Les géographes francophones ont souvent utilisé le terme de civilisation comme un mot de la langue courante et continuent de le faire, à l’égal de beaucoup d’autres chercheurs des sciences humaines, et en particulier des historiens qui les ont précédés. Ils utilisent concurremment, et maintenant plus fréquemment, le mot ou le concept de culture, promu par les anthropologues, dans le même sens que civilisation, ou sans prendre le soin de clairement les différencier. Depuis Vidal de la Blache, la notion de civilisation a été longtemps complémentaire de celle de genre de vie qui occupait une position beaucoup plus centrale dans sa géographie humaine et dans celle de certains de ses successeurs, Max Sorre et plus tard Max Derruau, sans doute à cause de ses liens avec le milieu. Cependant cette notion, qui s’appliquait bien à des populations préindustrielles, est rapidement tombée en désuétude à cause de la complexification des relations socio-économiques et de l’accroissement des mobilités dans les sociétés industrielles et post-industrielles. Pierre Gourou, qui n’a pas utilisé ce concept qu’il jugeait par trop entaché de déterminisme, a, par contre, mis la notion de civilisation au centre de son approche et a beaucoup précisé et affiné sa signification pour en faire une notion de base de sa géographie humaine. Parallèlement, Fernand Braudel géo-historien a également beaucoup précisé la notion en lui donnant une dimension spatiale essentielle en plus de ses dimensions sociale, économique et de psychologie collective, à côté de ses autres concepts d’« économie-monde », d’« empire-monde » ou d’« espace-monde » empruntés à I. Wallerstein.

46 Le paradigme civilisationnel que P. Gourou a patiemment élaboré tout au long de sa carrière n’a pas eu de véritables continuateurs, même en géographie tropicale où l’empirisme et le refus de théorisation ont dominé. Le mot de civilisation, qui figure dans la plupart sinon tous les dictionnaires de géographie, n’occupe pas dans la discipline et de loin une position aussi centrale que celui d’« espace », de « territoire », de « paysage » ou même de « culture ». De nombreux géographes, en particulier tout le courant de l’analyse spatiale (Brunet, Dollfus, 1990) et une grande partie de la géographie sociale (Di Meo, 1998) l’ignorent ou lui font une place très marginale sans le définir, ni lui reconnaître une pertinence dans les découpages majeurs du monde. Les tenants de la géographie culturelle, en dehors de J. Bonnemaison et d’A. Berque qui l’utilisent à la marge, lui préfèrent de loin le mot et le concept de culture, à qui ils donnent parfois le même sens. Ceux qui se réclament de la géohistoire, tel Christian Grataloup (1996 et 2007), lui préfèrent les concepts d’économie-monde, d’empire-monde et d’espace-monde à l’intérieur du système-monde, plus précis, alors que civilisation est trop polysémique ou connoté [38].

47 Comment comprendre malgré tout la résilience de ce concept de civilisation qui est réapparu en géopolitique à la fin du XXe siècle, non pas chez Yves Lacoste qui ne l’utilise guère, mais chez S. Huntington, dont l’objectif avoué est de maintenir l’Occident le plus possible dans sa position prééminente dans le système-monde ? « Son apparente clarté due à une compréhension intuitive globale toujours possible, confère à ce concept une valeur discursive » (D. Dory, 1989, 113). Utilisé dans presque tous les domaines des sciences sociales, il a l’avantage de juxtaposer un nombre indéterminé de traits culturels touchant de façon cumulative à tous les phénomènes techniques, sociaux, politiques ou économiques qui affectent une société ou un ensemble de sociétés. La grande confusion sémantique, en même temps que la polysémie et l’approche évolutionniste, sont à l’origine de son succès passe-partout et de son extrême faiblesse théorique. P. Gourou est le seul géographe à l’avoir situé au centre de son approche sans restrictions, mais en précisant son contenu avec ses deux composantes techniques, de production et d’encadrement.

48 En restant délibérément au niveau descriptif des encadrements sociopolitiques et culturels, en renvoyant aux autres disciplines pour leur analyse plus approfondie, P. Gourou se refuse à intégrer son étude des encadrements dans une théorie sociale plus générale. Il préfère enfermer les rapports sociaux de production dans une « boîte noire », qu’il nomme « encadrements », pour s’orienter vers des études de cas mettant l’accent sur les particularités locales, en invoquant les civilisations comme principe explicatif. Daniel Dory (1989, 114) a fait remarquer qu’il est difficile, voire impossible de distinguer éléments humains du paysage et faits de civilisation chez P. Gourou. « Civilisation et éléments humains du paysage étant des signifiants dont les champs sont coextensifs », la civilisation ne représente donc pas véritablement un troisième terme entre milieu physique et éléments humains du paysage, qui aurait une valeur explicative. Ce terme a un pouvoir évocateur que P. Gourou utiliserait de façon itérative, mais sans validité théorique réelle.

49 Appartenant au langage littéraire et courant, le terme de civilisation a l’inconvénient d’enfermer les sociétés dans des entités culturelles juxtaposées et prêtes à s’affronter, dans une vision simpliste du monde facilement mobilisable par toutes sortes de propagandes politiques, d’où sa résilience. Il fonctionne bien lorsque se combinent un empire ou un vaste État-nation, une économie-monde et une religion pour former une unité homogène. Sinon des configurations multipolaires avec des frontières mouvantes et autant de conflits que d’unités sont des ensembles socioculturels et économiques plus ou moins hétérogènes plutôt que des civilisations. C’est sans doute la raison pour laquelle les géographes actuels sont dans leur grande majorité si réticents à utiliser le terme de civilisation comme concept.

Notes

  • [1]
    Ce mot est associé par Mirabeau à la religion, qui, à la fois, réprime et rassemble fraternellement tout en adoucissant les mœurs, ainsi qu’à la sociabilité (Starobinski, 1983, 16).
  • [2]
    E. Tonnelat (1929) donne la dé?nition de la notion de Kultur pour les Allemands qui « sert à désigner les traits distinctifs d’un peuple déterminé... La Kultur, ce sont les façons de vivre et de penser collectives qu’un peuple s’est formé durant un long contact avec la nature, au cours des luttes qu’il a dû mener contre elle. Ce sont aussi les transformations qu’il a fait subir à la nature qui l’entoure ».
  • [3]
    On peut retenir la distinction proposée par J. Starobinski (1983, 44) : « On appelle cultures tantôt certains développements sociaux limités, cohérents et sans accomplissements monumentaux, qui n’ont pas atteint l’ampleur d’une grande civilisation, tantôt des sous-groupes de valeurs et de comportements différenciés, qui peuvent coexister à l’intérieur d’une seule et même civilisation... À la limite on admettra qu’une civilisation peut intégrer un nombre assez grand de micro-cultures. »
  • [4]
    Il avait dès 1913 analysé avec E. Durkheim (M. Mauss, 1969, 451-455) « ces phénomènes sociaux qui ne sont pas strictement attachés à un organisme social déterminé. Ils s’étendent sur des aires qui dépassent un territoire national ou bien ils se développent sur des périodes de temps qui dépassent l’histoire d’une seule société ». Mauss et Durkheim y voient « des systèmes complexes et solidaires qui, sans être limités à un organisme politique déterminé, sont pourtant localisables dans le temps et dans l’espace ».
  • [5]
    L. Febvre, dans le même ouvrage (1929), englobe les deux notions sous celle de civilisation qu’il conçoit comme double : « la dissociation des deux notions, scienti?que et pragmatique, de la civilisation ; l’une ?nissant par aboutir à cette notion que tout groupe d’êtres humains, quels que soient ses moyens d’action matériels et intellectuels sur l’univers, possède sa civilisation ; l’autre, maintenant quand même la vieille conception d’une civilisation supérieure, portée, véhiculée par les peuples blancs de l’Europe occidentale et de l’Amérique septentrionale et s’incorporant aux faits comme une sorte d’idéal » (Febvre, 1929, 58)
  • [6]
    « Ces diverses formes de civilisation se manifestent d’une façon concrète par les objets qu’elles créent à leur usage, ce qu’on a pris l’habitude d’appeler leur matériel ethnographique... la civilisation la plus rudimentaire comme la plus raf?née est digne d’attention, a sa place, si modeste qu’elle soit, dans les archives de l’humanité. Mais le mot, dans ce qu’il implique de signalement caractéristique, est tout aussi applicable à de grands types de civilisation » (Vidal de la Blache, 1902, 212).
  • [7]
    Il a emprunté cette expression à Montesquieu (L’Esprit des Lois, I, 3) qui l’utilise pour classi?er des activités productives et pour qui les lois doivent être relatives « au genre de vie des peuples, laboureurs, chasseurs ou pasteurs » (Brunet, 1992, 214).
  • [8]
    Plus loin il dit que « les genres de vie, tels qu’ils ont prévalu sur de grandes étendues terrestres, sont des formes hautement évoluées, qui, sans avoir assurément la ?xité des sociétés animales, représentent aussi une série d’efforts accumulés, aujourd’hui cimentés. L’homme est un être d’habitude encore plus que d’initiative... Ses habitudes traditionnelles se renforcent des superstitions et des rites qu’il a forgés lui-même à l’appui. Son genre de vie devient ainsi le milieu presque exclusif dans lequel s’exerce ce qui lui reste de dons d’invention et d’initiative » (Vidal de la Blache, 1911, 355-356).
  • [9]
    « Un long travail de syncrétisme a abouti à composer ces rassemblements sociaux que résument les mots Islam, Europe chrétienne, Hindouisme, Chine, centres d’in?uences dans lesquels beaucoup de centres moindres coexistent, mais qui gardent leur physionomie d’ensemble » (Vidal de la Blache, 1922, 288-290).
  • [10]
    Ces civilisations ont à un moment cessé de progresser, ont été frappées de stagnation à cause de leur isolement. Engluées dans des rites, des préjugés, des structures sociales ou communautaires trop contraignantes, elles sont paralysées, perdant l’esprit d’initiative et d’innovation.
  • [11]
    « La civilisation dont l’Europe moderne est l’héritière ?nale, s’est nourrie à l’origine d’une foule de foyers distincts, a absorbé la substance d’un grand nombre de milieux locaux. C’est de ces antécédents, de cette longue élaboration séculaire, que des rapports mutuels ont maintenue active, qu’elle a tiré sa richesse et sa fécondité » (Vidal de la Blache, 1922, 214).
  • [12]
    « Coutumes et lois, mœurs et religions, arts et techniques, réalités économiques et sociales, tous les aspects culturels qui contribuent, inégalement suivant les cas, à donner ses traits particuliers à chacune des grandes civilisations serviront tour à tour de thèmes d’étude et d’illustration » (Bloch, 1960, 13). Maurice Crouzet (1961), pour l’Histoire générale des civilisations aux PUF, part d’une dé?nition pluraliste des civilisations : « tout groupe humain organisé possède sa civilisation », « le passé de l’humanité nous offre le spectacle de nombreuses civilisations : chacune se dé?nit par un ensemble d’idées et d’institutions politiques, de conditions de la vie matérielle et de la technique, de forces de production et de rapports sociaux, par toutes les manifestations de l’activité religieuse, intellectuelle et artistique ». Il récuse toute hiérarchie : « un classement des civilisations, les notions de « progrès » et de « décadence » impliquent d’ailleurs une conception métaphysique de l’évolution humaine qui doit rester, par dé?nition même, étrangère à l’historien ».
  • [13]
    Il utilise aussi l’expression de régime agraire : régime des enclos, régime de l’open ?eld septentrional (assolement triennal avec une emprise collective) et méridional (assolement biennal avec une dose moins forte d’esprit communautaire). Il les appelle aussi « trois grands types de civilisation agraire, en liaison étroite à la fois avec les conditions naturelles et l’histoire humaine » (Bloch, 1988, 138).
  • [14]
    Roger Dion (1981, 149-154) utilise peu le terme de civilisation, seulement dans un sens très général ou dans celui de « civilisations agricoles, l’une septentrionale, l’autre méridionale » ou de « deux antiques civilisations agraires ». D. Faucher parle de « la civilisation rurale du Sud-Ouest de la France » sans dé?nir très précisément ce terme. En opposant les régions d’assolement triennal du Nord de la France et celles d’assolement biennal du Sud, il parle de « civilisations agraires » constituées par des traditions, des recettes techniques et des faits sociaux (Faucher, 1962, 53).
  • [15]
    Par exemple, le champ ouvert perd l’assolement collectif et la vaine pâture qui l’expliquaient. On lui a opposé le bocage formé d’enclos à visée défensive, mais rien n’est moins sûr. On observe, cependant, une grande inertie de ces paysages agraires malgré la disparition de certains traits du complexe qui les sous-tend. Leurs différences proviennent en grande partie de leur origine et/ou de leur évolution qui ne correspond pas nécessairement à une civilisation pérenne. A. Meynier récuse l’approche des civilisations agraires par l’origine ethnique (germanique, celtique, romaine), faute d’arguments solides en sa faveur. Il déplore cependant ce qu’il appelle les faiblesses de l’idée de civilisation agraire. Il y a d’abord « l’absence de véritable permanence totale séculaire des types agraires ». Des changements les affectent plus ou moins rapidement. D’autre part, les différents éléments du complexe se dissocient les uns des autres.
  • [16]
    Il dé?nit les genres de vie de la façon suivante : « On entend par là un ensemble collectif de pratiques transmises et consolidées par la tradition grâce auxquelles un groupe humain entretient son existence dans un milieu déterminé. Un ensemble de techniques adaptatives avec ce qu’elles comportent d’éléments spirituels. Il présente le maximum de stabilité dans des sociétés soumises à la tyrannie d’un milieu naturel très spécialisé (éleveurs nomades de désert, Eskimos). À mesure que les hommes s’affranchissent de la sujétion de la nature, le centre se déplace, la notion se charge, comme on vient de le suggérer, d’éléments sociaux. On parlera du genre de vie des ouvriers mineurs, des agents de la circulation, etc. Elle ne perd pas pour autant son intérêt. » (M. Sorre, 1961, 4).
  • [17]
    Ce concept de genre de vie qui liait cultures et milieux est resté longtemps central en géographie humaine. Chez Max Derruau (1963), par exemple, pour qui la civilisation lui est étroitement subordonnée dans ce qu’il appelle les domaines de civilisation : « caractérisés par un genre de vie dominant ou par une association de genres de vie, se forment par un choix du groupe, mais par un choix constamment modi?é, et cependant vite passé à l’état d’habitudes » (Derruau, 1963, 109). Max Derruau est l’un des derniers géographes à employer la notion de genre de vie et à tenter de l’appliquer aux sociétés les plus modernes, en introduisant l’organisation économique et sociale qui devient prépondérante et se combine aux contraintes du milieu naturel. Celui-ci intervient à l’échelle locale mais n’est plus la contrainte principale des genres de vie traditionnels. Cependant il renonce à les étudier en tant que tels parce que, très liés aux structures économiques et sociales, ils ne peuvent en être séparés.
  • [18]
    Ce sont des « régions de second ordre caractérisées soit par la pratique de genres de vie du même type général, mais séparés par des caractères secondaires (genres de vie des ouvriers du textile, des mineurs, des métallurgistes dans la région industrielle du Nord), soit par l’association de genres de vie complémentaires, soit par l’association de contrées subissant l’ascendant d’une même métropole » (ibid., 449).
  • [19]
    En aval de tout cela Max. Sorre postule et appelle de ses vœux l’avènement « d’une civilisation humaine dont les normes générales respecteraient l’originalité des civilisations régionales, réaliseraient l’unité dans la diversité » (ibid., 480).
  • [20]
    En 1961, il écrit : « Chaque paysage humain, expression d’un genre de vie, repose sur une combinaison de techniques destinées à maîtriser les forces naturelles ou surnaturelles » (ibid., 267) et plus loin « Dans cette analyse du paysage, nous nous attachons seulement à la valeur de celui-ci comme expression d’une civilisation spirituelle et matérielle » (ibid., 270).
  • [21]
    P. Gourou n’a jamais dé?ni ce qu’il entend exactement par paysage. Il a seulement précisé que « ces paysages ne sont pas des écosystèmes. Quand l’homme, c’est-à-dire la civilisation, intervient, la notion d’écosystème s’évanouit. Les rapports entre civilisation et nature ne sont pas des rapports d’interdépendance et d’équilibre » (1982 : 411). Fidèle à la tradition vidalienne, il a toujours combattu le déterminisme physique. La civilisation s’interpose toujours entre éléments physiques et humains d’un paysage.
  • [22]
    Jusque dans les années 1960, P. Gourou parle volontiers de « déterminisme de civilisation » : « Le groupe humain auteur du paysage est contraint par la civilisation à laquelle il appartient. Il ne voit et n’utilise dans le milieu naturel que ce qui peut être pris en compte par les techniques dont il dispose au sein de sa propre civilisation, il continue de faire ce qu’il sait faire » (1966, 80).
  • [23]
    Dans L’Asie (1953 : 48), il utilise l’expression « techniques de l’espace » qui se traduisent par la plus ou moins grande capacité qu’a une civilisation de maîtriser l’espace. Dans L’Afrique (1970), il parle de « techniques d’organisation » qui ont une plus ou moins grande aptitude à encadrer un nombre plus ou moins grand d’individus, pendant une durée plus ou moins longue, sur un espace plus ou moins vaste.
  • [24]
    Cette prépondérance des encadrements sur les techniques de production apparaît très nettement dans Riz et civilisation : « La riziculture inondée fait partie de l’ensemble de techniques qui forme une civilisation ; mais elle fait partie de celle-ci sans la déterminer » (1984, 8). Les grandes civilisations chinoise et indienne sont nées dans des espaces où les céréales nourricières étaient le blé et les millets et se sont étendues ensuite aux zones rizicoles plus méridionales ; des peuples aux « encadrements sans ambition » pratiquent la riziculture irriguée intensive, les Ifugao des Philippines, par exemple. On ne peut donc pas parler de civilisation du riz.
  • [25]
    P. Gourou (1973, 27) dé?nit ce qu’il appelle des critères de ces techniques d’encadrement : la « profondeur » (extension de l’espace et importance de la population contrôlés), l’« envergure » (les degrés supérieurs ayant la plus large compétence, mondiale au maximum), la « pluralité » (plusieurs systèmes encadrent les individus, leur nombre accroît l’ef?cacité de l’encadrement d’une civilisation).
  • [26]
    L’approche de P. Gourou se veut avant tout empiriste, sans apriorisme, à partir de la connaissance des faits locaux : « Les situations sont ce qu’elles sont parce qu’une série d’accidents historiques se sont accumulés et ont provoqué certaines dérives qui aboutissent aux situations présentes. Mais rien de tout cela n’était nécessaire. Les choses se font, elles ne sont pas faites » (Hérodote 1984, 68).
  • [27]
    Cependant dans Riz et civilisation (1984) il y revient à propos de l’essartage qui « ne peut être une technique de progrès », d’ailleurs « les hautes civilisations ne se sont pas appuyées sur l’essartage » (ibid., 69). Le terme change mais l’idée reste la même.
  • [28]
    « Les techniques d’encadrement sont capables de contrôler des surfaces et des effectifs illimités. L’ef?cacité paysagiste se manifeste à son maximum dans les villes, où chaque centimètre carré témoigne de l’action de l’homme » (ibid., 29).
  • [29]
    Il évoque ainsi les civilisations liées à un ?euve (Nil, Tigre et Euphrate, Indus, Fleuve Jaune) ou celles liées à la mer (Phéniciens, Grecs, Romains, Europe du Nord).
  • [30]
    Une économie-monde « implique un centre au béné?ce d’une ville et d’un capitalisme dominant... Hiérarchisé, cet espace est une somme d’économies particulières, pauvres les unes, modestes les autres, une seule étant relativement riche en son centre » (Braudel, 1997).
  • [31]
    Elle transcende la pluralité des formes religieuses tout en incluant en elle ou à ses marges plusieurs aires culturelles (hindouisme, islam, bouddhisme, terres tribales animistes ou chrétiennes de l’Assam). Ce concept de civilisation indienne permet de rendre compte de l’interférence des castes et des classes, du recoupement des identités de castes, des identités ethniques ou religieuses, et de l’idéologie, des stratégies des partis politiques. La pluralité des centres politiques (Pakistan, Inde, Sri Langka...) n’empêche pas la conservation d’une intégrité culturelle d’essence socio-religieuse.
  • [32]
    Pour lui, une civilisation est une « entité culturelle » qui se dé?nit « par des éléments objectifs communs, comme la langue, l’histoire, la religion, les coutumes, les institutions, et par le processus subjectif d’identi?cation de ceux qui les partagent »
  • [33]
    Ils attirent ceux qui sont culturellement semblables et repoussent ceux qui sont culturellement différents. Ce modèle fonctionne assez bien dans le cas des civilisations chinoise, japonaise, indienne, du bloc orthodoxe, unipolaires, et de l’Occident bipolaire (États-Unis Union européenne). La civilisation musulmane qui s’étire de la Turquie à l’Indonésie a cinq ou six États qui peuvent prétendre jouer le rôle d’État phare. Elle constitue un ensemble très hétéroclite, sans compter les minorités appartenant à des États voisins faisant partie d’autres blocs civilisationnels.
  • [34]
    Dans le cas de l’Islam, c’est la conjugaison de richesses pétrolières donnant une puissance économique, d’une démographie en forte expansion et d’une religion très liée à la politique favorisant un militarisme qui donnent une cohésion relative à ce vaste ensemble d’États nations très hétéroclite. La montée en puissance économique, militaire et culturelle de l’Extrême-Orient englobant plusieurs civilisations (trois ou quatre selon l’extension qu’on lui donne) apparaît également comme un autre ensemble dé?ant l’Occident. Celui-ci doit, selon Huntington, garder son identité reposant sur le fond chrétien (catholique protestant) et quelques principes sociopolitiques (individualisme, démocratie, droits de l’homme).
  • [35]
    En travaillant sur des petits groupes ou des individus, ils étudient les attitudes, les images, la transmission des savoirs, les discours, la construction des identités à l’échelle des territoires non pas des aires culturelles.
  • [36]
    Augustin Berque, qui se réclame aussi de la géographie culturelle, a ré?échi sur la société, la culture, la civilisation japonaises dans ses rapports avec la nature à travers l’analyse des milieux et des paysages. Il emploie indifféremment culture ou civilisation à propos du Japon ou de la Chine, tout en utilisant beaucoup plus fréquemment celui de culture. À propos de leur imaginaire géographique, Berque montre que les Japonais ont construit et arti?cialisé leur milieu visible à travers les paysages à un degré extrême, plus poussé que la plupart des autres civilisations. La riziculture irriguée est devenue l’assise écologique de la civilisation japonaise. La société a « paysagé » son territoire. Berque accepte l’approche anti-déterministe de P. Gourou donnant le primat à la civilisation sur la nature à travers ses techniques d’encadrement. Mais il regrette que Gourou néglige les aspects immatériels de la relation entre la société et son milieu : « le milieu n’est pas seulement agi ; il est aussi perçu et conçu ; et il n’est pas dit que les représentations que l’homme se fait de son milieu en soient aussi indépendantes que semblent l’être les techniques qu’il lui applique » (Berque, 1986, 138). Il pense qu’il ne convient pas de dissocier le technique dans son sens le plus large des autres dimensions de la culture (ou civilisation) comme le mythe.
  • [37]
    Il distingue ces « grands systèmes sociétaux » des cultures nationales ou ethniques qui sont autant de subdivisions à l’intérieur de ces civilisations. Son concept de civilisation est très proche de celui de P. Gourou qu’il cite à plusieurs reprises. Il met à part la civilisation occidentale moderne qui s’est projetée dans le monde entier et l’a fait entrer dans l’âge moderne et critique. Des indices d’une « civilisation planétaire » qui lui sont empruntés ont tendance à se généraliser. L’ouvrage très récent de G. Wackermann (2008) sur la géographie des civilisations, volumineux patchwork, reprend la plupart des dé?nitions antérieures et n’apporte malheureusement rien de nouveau sur le sujet. Il ne contribue pas à réhabiliter la notion en géographie.
  • [38]
    Ce qui n’empêche pas l’utilisation ponctuelle de « civilisation », comme mot du langage courant, sans en faire une notion ou un concept, dans l’expression « un vaste corridor ou un ensemble central de civilisations » en Eurasie.
Français

Le terme et le concept de civilisation(s) sont revenus à la mode dans les sciences humaines au cours des deux dernières décennies. Fruit de l’Europe des Lumières, le terme a connu un vif succès en histoire, alors qu’en sociologie et en anthropologie, il a été vite remplacé par le concept très proche de culture. La géographie l’a adopté plus tardivement par le biais des études rurales à travers les « civilisations agraires » et lui a longtemps préféré le concept plus spécifique de « genre de vie », lui-même tombé en désuétude à partir des années 1960. Pierre Gourou a fait des civilisations le concept central de sa géographie humaine, concept qu’il a affiné tout au long de son œuvre. De même, le géohistorien Fernand Braudel a mené une réflexion approfondie sur la dimension spatiale des civilisations, tout en ressentant le besoin de leur adjoindre des concepts connexes. L’ambiguïté, la polysémie, le caractère flou du concept de civilisation ont fait sa fortune en même temps que sa faiblesse théorique. La plupart des géographes l’ont aujourd’hui abandonné, tout en continuant à utiliser ponctuellement le terme et en le conservant dans leurs dictionnaires, mais en lui préférant les termes de culture ou de société. Toutefois, il a été récemment réintroduit en géopolitique par S. Huntington (1996) pour rendre compte des conflits ethniques ou « civilisationnels » de la fin du XXe siècle. Cette approche très controversée, qui tend à essentialiser des entités culturelles juxtaposées sur une carte, ne rend pas suffisamment compte des interférences et influences réciproques entre ces réalités mouvantes au sein desquelles les États-nations continuent à jouer un rôle essentiel.

Mots-clés

  • Civilisation
  • culture
  • genre de vie
  • société
  • géographie culturelle
  • géohistoire
  • géopolitique
  • économie-monde
  • techniques
  • encadrements

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Michel Bruneau
Directeur de recherche émérite au CNRS – UMR Europe-Européanisation-Européanité – CNRS-Université de Bordeaux-III
Mis en ligne sur Cairn.info le 28/10/2010
https://doi.org/10.3917/ag.674.0315
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