Christine Angot : "'Monique s’évade' est une sorte de travaux pratiques de 'La Pensée straight'"

Christine Angot : "'Monique s’évade' est une sorte de travaux pratiques de 'La Pensée straight'"

Monique Wittig, 9 mai 1966. ©Getty - Les Lee
Monique Wittig, 9 mai 1966. ©Getty - Les Lee
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Monique Wittig, 9 mai 1966. ©Getty - Les Lee
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Christine Angot nous parle de Monique Wittig et d'Édouard Louis.

Monique Wittig était une écrivaine, française, qui a quitté la France quand elle a compris que le MLF, le Mouvement de Libération des Femmes, dont elle faisait partie, n'envisageait cette libération qu'en référence aux hommes, qu’être femme impliquait être hétérosexuelle, et que la lutte de la libération portait en elle-même la soumission. Elle décrit l’hétérosexualité comme une injonction, liée à la natalité. On ne la comprend pas. Elle part pour les États-Unis, avec un sentiment d’échec, d’exclusion et de tristesse. Mais elle écrit. Et elle parle.

Beauvoir avait dit : On ne naît pas femme, on ne le devient.

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Elle en rajoute. Elle dit : Les lesbiennes ne sont pas des femmes.

Et : « Je me souviens que j’ai pris une décision consciente à l’âge de 12 ans : j’échapperai à la dépendance des femmes, je n’aurai pas une vie de femme qui sert un homme, qui n’a pas de vie à elle. »

Aujourd’hui, on l’étudie dans les universités, une thèse lui a été consacrée il y a quelques années, et son écriture est au centre du débat.

En 1992, Monique Wittig écrit dans La Pensée straight

Straight, ça veut dire hétéro, mais aussi droite, raide, rigide.

Elle écrit, à la première phrase : « L’hétérosexualité est le régime politique sous lequel nous vivons, fondé sur l’esclavagisation des femmes. »

Elle nous met dans un problème plus vaste que la vaisselle et la charge mentale, et poursuit :

« Dans une situation désespérée comparable à celle des serfs et des esclaves, les femmes ont le « choix » entre être des fugitives et essayer d’échapper à leur classe (comme font les lesbiennes), et/ou de renégocier quotidiennement, terme à terme, le contrat social. »

La négociation pied à pied. Qui ne se reconnaît pas là-dedans ?

Comme l’esclavage qui n’était pas seulement l’affaire du maître et de l’esclave mais un système de production, si l’hétérosexualité est un régime politique, on ne peut que négocier de l’intérieur, ou s’évader. On sait, on connaît. Comme pour l’inceste, pour parler de quelque chose que je connais bien, qu’on l’ait vécu ou pas, et qui s’exerce à l’intérieur d’un régime de soumission au personnage puissant de la famille, reconnu comme tel par la société.

Elle écrit : La seule chose à faire est donc de se considérer (…) comme une fugitive, une esclave en fuite, une lesbienne.

Et ajoute : « Il n’y a pas d’autre moyen de s’évader. »

LSD, La série documentaire
54 min

L’actualité littéraire s’occupe actuellement et d’une autre évasion, et d’une autre Monique, la mère d’Edouard Louis, dans Monique s’évade.

Après avoir essayé de négocier, Monique s'évade

De la situation dans laquelle elle vit depuis toujours.

Avec l’aide de son fils-écrivain, qui est à l’étranger.

Première phrase du livre :

- Elle m’a appelé au milieu de la soirée. Elle pleurait.

La honte sociale, au cœur des livres d'Edouard Louis depuis En finir avec Eddy Bellegueule est remplacée par la fierté d’aider sa mère à partir, à quitter l’homme avec qui elle vit. Ou habite. Il tient à la nuance.

Il décrit l’évasion concrètement, stratégie, argent, meubles qu’on emporte, qu’on laisse, annonces immobilières, bouche à oreille. Les moyens de l’écrivain qui ne sont pas ceux de sa mère. Il n’est pas question d’inconscient ni de choses qui échappent à la pensée. On est dans la sociologie, appliquée à la littérature.

D’une certaine façon, Monique s’évade est une sorte de travaux pratiques de La Pensée straight.

Page 40, presqu'au milieu du livre :

- Tu ne vas pas retourner chez cet homme, tu me le promets ?

- Ah ça non, j'ai ma liberté, je la garde. Je te le promets.

9 min
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