Charlotte Bonaparte, le destin romanesque de la nièce de Napoléon

Par Philippe Delorme | 19 mai 2024, 11h00

 Portrait de Charlotte Bonaparte (1795-1865) par Jean-Pierre Granger en 1808.
Portrait de Charlotte Bonaparte (1795-1865) par Jean-Pierre Granger en 1808.© Art Images via Getty Images

Ce n’est certes pas le membre le plus connue de la lignée impériale française ! Cette nièce de Napoléon Ier, fille cadette du roi Joseph, n’a vécu que 36 ans. Un destin de météore, au parfum de romantisme...

Le poète Giacomo Leopardi assure que son visage était "charmant mais point beau, avec de jolis yeux." Elle semblait "plus distinguée par les dons de l’esprit et de l’âme que par ceux de la figure", confirme l’un de ses biographes. Simple et naturelle, d’un caractère affable, ne se faisant d’illusions sur rien, Charlotte était à la fois une jeune femme forte et fragile, indépendante, une femme moderne parfois écrasée par la notoriété de son nom. Deuxième fille de Joseph Bonaparte, Charlotte Napoléone voit le jour le 31 octobre 1802, à Mortefontaine, au nord de Paris, un château que son père a acheté quatre années auparavant. À cette époque, Napoléon n’est encore que Premier consul à vie. Après son sacre, en 1804, Charlotte sera promue princesse française et altesse impériale… Quant à Joseph, il coiffe la couronne de Naples, puis celle d’Espagne. Mais son épouse, Julie Clary, fille d’un négociant marseillais, ne se laisse pas étourdir par cette soudaine élévation. Si elle daigne accompagner son mari en Italie – pour n’y résider que brièvement –, elle se gardera bien de le suivre à Madrid. Avec ses deux filles, Zénaïde et Charlotte, elle préfère la quiétude campagnarde de sa résidence de l’Oise, entrecoupée de quelques apparitions à la cour des Tuileries, de Saint-Cloud ou de Fontainebleau.

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Les deux "infantes" y reçoivent une éducation teintée de principes rousseauistes, inspirée par Madame de Genlis. La chute de l’Empire contraint Joseph à s’installer en Suisse avec les siens. Sous le nom d’emprunt de "comte de Survilliers", il achète le domaine de Prangins, qui appartient toujours aux Napoléon. Au lendemain des Cent Jours, la famille de "l’Ogre Corse" devient indésirable. L’ex-roi d’Espagne gagne les États-Unis, tandis que Julie et ses filles commencent une longue errance. Elles séjournent à Francfort et à Ems, puis à Bruxelles où, vers 1820, Charlotte fréquente l’atelier du peintre David, lui aussi proscrit. La jeune princesse se prend alors d’une passion pour le dessin qui saura la divertir des ennuis de l’existence.

La reine Julie Clary avec ses filles Zénaïde et Charlotte par Jean-Baptiste Wicar (1762-1834).
La reine Julie Clary avec ses filles Zénaïde et Charlotte par Jean-Baptiste Wicar (1762-1834). © akg-images

À la fin de l’automne de 1821, Charlotte embarque à Anvers, sur le Ruth & Mary, afin de rejoindre son père outre-Atlantique. Joseph Bonaparte possède une propriété à Point Breeze, dans le New Jersey. Charlotte y côtoie une société ouverte et démocratique. Elle découvre aussi une nature sauvage et les grands espaces américains, source inépuisable d’inspiration artistique. Après son retour en Europe, durant l’été de 1824, la princesse publiera une série de lithographies de ses Vues pittoresques de l’Amérique, sous le nom de "comtesse Charlotte de Survilliers". C’est alors que décide son mariage avec son cousin germain, Napoléon Louis, deuxième fils de Louis, éphémère roi de Hollande, et d’Hortense de Beauharnais. Dans son testament de Sainte-Hélène, Napoléon a en effet prescrit à sa famille de privilégier ce genre d’union endogamique, au sein même du "clan" Bonaparte. Ainsi, la sœur aînée de Charlotte, Zénaïde a épousé en 1822 un autre cousin, Charles Lucien, fils du prince de Canino, Lucien, le frère "rebelle" de l’Empereur.

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De deux ans son cadet, Napoléon Louis hésite à s’engager. Il paraît assez indifférent au charme discret de sa cousine qui, elle, est conquise par sa prestance. Après des mois de négociations difficiles et d’atermoiements, les noces seront finalement célébrées à Bruxelles, le 23 juillet 1826. Le couple s’installe à Florence, au palais Gianfigliazzi, sur le quai Corsini. Charlotte et son mari vont y connaître quelques années d’un réel bonheur. Il partage les mêmes idéaux politiques et la pratique des beaux-arts. Dans la capitale toscane, et à Rome où réside sa grand-mère Letizia, la princesse reçoit les leçons des meilleurs peintres de son temps, auprès desquels elle améliore ses connaissances techniques. Charlotte et Napoléon Louis fréquentent surtout les libéraux qui hantent le salon de la reine Julie. Le prince s’engage avec son frère cadet (le futur Napoléon III), auprès des "carbonari" qui préparent l’insurrection de l’Italie centrale. C’est ainsi qu’il meurt, le 17 mars 1831, durant le combat de Forli, face aux Autrichiens et aux troupes pontificales.

Zénaïde et Charlotte Bonaparte par Jacques-Louis David, 1821.
Zénaïde et Charlotte Bonaparte par Jacques-Louis David, 1821. © akg-images

Charlotte, veuve à 28 ans, sera longtemps inconsolable. Pour apaiser son âme inquiète et blessée, elle part pour Londres, à l’invitation de son père, qui a décidé de réunir tous les Bonaparte au lendemain de la mort du duc de Reichstadt ("Napoléon II"), le 22 juillet 1832. Elle y retrouve ses cousins Charles Lucien, Achille Murat et son beau-frère, l’ambitieux Louis-Napoléon, le futur empereur. Peu à peu, elle reprend quelque goût à la vie, en s’adonnant plus que jamais au dessin et à l’aquarelle, qu’elle étudie auprès de la célèbre Water Color Society. De retour à Florence, à l’automne de 1833, Charlotte va se plaire dans une société cultivée, Italiens ou étrangers de passage, amateurs éclairés effectuant le "Grand Tour" des villes d’art européennes. Elle fait de fréquentes visites à sa sœur Zénaïde, à Rome, au palais Paolina, égayé par la présence de ses neveux et nièces. Grâce au legs de leur tante Pauline Borghèse, les deux sœurs connaissent une certaine aisance. La personnalité forte et généreuse de Charlotte lui conquiert de nombreux amis. On lui prête aussi quelques aventures galantes. Ainsi, le peintre Léopold Robert, qui rêvait de l’épouser et qu’elle éconduit, se tranchera la gorge par désespoir d’amour…

Cependant, Charlotte ne sera pas toujours aussi cruelle. D’une liaison secrète avec un homme marié, elle se trouve enceinte. En février 1839, elle quitte Florence, fuyant les médisances et s’embarque à Civitavecchia, à destination de Nice. Mais son état de santé l’oblige à s’arrêter à Livourne où elle rédige son testament. Elle s’éteindra le 3 mars à Sarzane, sur la côte ligure, en accouchant d’un enfant mort-né. Sa mère, la reine Julie, la fera enterrer dans la chapelle de l’Assomption, à l’église Santa Croce de Florence, face à l’autel consacrée à la Vierge Consolatrice des affligés. Son tombeau, œuvre du sculpteur Pampaloni, est surmonté d’un buste et de cette simple inscription : "Ici repose Charlotte-Napoléone Bonaparte, Digne de son nom…"

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