Plan de relance, Pacte vert, devoir de vigilance… Ces textes majeurs votés par le Parlement européen
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BILAN EUROPÉEN

Plan de relance, Pacte vert, devoir de vigilance… Ces textes majeurs votés par le Parlement européen

Les députés européens ont pris part cette semaine à la dernière session au Parlement européen de Strasbourg, achevant cinq années riches d’une législature (2019-2024) durant laquelle de nombreux textes majeurs ont été votés. France 24 en dresse le bilan avec Laurent Warlouzet, historien spécialiste des questions européennes.

Une session du Parlement européen à Strasbourg, le 12 décembre 2022.
Une session du Parlement européen à Strasbourg, le 12 décembre 2022. © Frederick Florin, AFP
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"L’Europe se fera dans les crises et sera la somme des solutions apportées à ces crises", écrivait Jean Monnet dans ses Mémoires, publiés en 1976. Une affirmation qui s'est encore vérifiée lors de la législature 2019-2024 du Parlement européen, qui a notamment eu à répondre aux défis posés par la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine.

"On est passé d’une phase de crises à une autre. De 2005 à 2015, l’Union européenne a connu des crises qui l’ont plutôt affaibli – traité constitutionnel rejeté, crise de l’euro, crise migratoire. En revanche, à partir de 2016, les crises du Brexit, du Covid-19 et de la guerre en Ukraine ont plutôt eu tendance à la renforcer. L’Europe a su réagir de manière collective, rapide et imaginative", affirme Laurent Warlouzet, professeur d’histoire à Sorbonne Université, spécialiste de l’Union européenne et auteur de "Europe contre Europe. Entre liberté, solidarité et puissance" (CNRS Éditions, 2022).

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Pour répondre à ces crises, l'Union européenne dans son ensemble – Commission, Conseil, Parlement – a opéré un virage lors des cinq dernières années, s'éloignant quelque peu d'un logiciel néolibéral vers davantage de protectionnisme et d'interventionnisme. Un tournant favorisé par plusieurs facteurs, selon le chercheur.

"Il y a d’abord 2016 avec l’arrivée au pouvoir aux États-Unis de Donald Trump, qui met en place des mesures protectionnistes. Il y a aussi la politique commerciale de la Chine, qui devient plus agressive et qui irrite les Allemands. Alors qu’elle était jusque-là toujours favorable à plus d’ouverture, l’Allemagne commence alors à devenir plus méfiante vis-à-vis des Chinois", souligne Laurent Warlouzet, pour qui ce contexte a préparé le terrain aux réponses européennes lors de la crise du Covid-19 et de la guerre en Ukraine.

Entre réponses aux crises et volonté d’opérer une transition verte, le Parlement européen a eu plusieurs textes majeurs à voter ces cinq dernières années. Tour d’horizon.

  • Covid-19 : stratégie vaccinale et plan de relance

Pour faire face à la pandémie de Covid-19, l’Union européenne (UE) a rapidement choisi de faire front commun pour centraliser les achats de vaccins et les distribuer équitablement à chacun des États-membres, en fonction du nombre d’habitants dans chaque pays. Alors que les premiers malades ont été recensés en janvier 2020, la stratégie vaccinale est arrêtée dès le mois de juin. Des contrats d’achat anticipé sont signés par l’UE avec des laboratoires pharmaceutiques pour obtenir 4,6 milliards de doses. La vaccination commence au sein de l’Union fin décembre 2020.

En parallèle, l’UE met rapidement en place un plan de relance économique de 750 milliards d’euros. Voté en juillet 2020, le plan "Next Generation EU" est le résultat d’un endettement commun des États-membres. Il octroie notamment à la France 40,3 milliards d’euros sur plusieurs années.

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"La réponse au Covid a montré que l’Europe était capable de réagir en seulement quelques mois avec des décisions qui étaient jusqu’alors impensables, en particulier dans un secteur, la santé, qui est normalement du ressort des États. Bruxelles a suspendu les règles budgétaires et a européanisé la distribution des vaccins, ce qui a permis d’éviter les inégalités entre États-membres et les trafics parallèles. Quant au plan de relance, c’est la première fois qu’il y a une émission de dette européenne aussi massive. Olaf Scholz avait alors parlé d’un 'moment hamiltonien' de l’Europe, en référence à Alexander Hamilton, qui a émis la première dette fédérale américaine en tant que premier secrétaire au Trésor. La crise du Covid a en tout cas rendu possible quelque chose qui n’était pas prévu par l’Union monétaire", analyse Laurent Warlouzet.

  • Pacte vert pour le climat et la biodiversité

Les élections européennes de 2019 ont été marquées par une progression des écologistes et, plus largement, par un contexte favorable à une prise de conscience de la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique et pour la protection de la biodiversité. Si bien que la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pourtant issue d’une droite libérale, a poussé dès son arrivée pour l'adoption d'un Pacte vert ambitieux. Celui-ci a pour but de mener l’UE vers une réduction d’au moins 55 % de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990 et vers la neutralité climatique en 2050.

Cette trajectoire impacte l’ensemble des politiques européennes : du plan de relance à la production agricole en passant par la réglementation des entreprises. Le Parlement européen a ainsi voté la fin de la vente des voitures neuves à moteur thermique en 2035, l’obligation d’affecter 37 % des fonds du plan de relance à la transition écologique, la stratégie "De la ferme à la table" dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) qui a pour but d’instaurer des productions alimentaires respectueuses de l’environnement ou encore le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).

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Mais si le contexte de 2019 était favorable à une telle ambition, l'heure est désormais au retour de bâton avec de nombreux pans du Pacte vert qui n'ont finalement pas été votés, tandis que certains autres ont fini par être édulcorés, à l'image des reculs environnementaux sur la politique agricole commune (PAC) votés mercredi 24 avril.

"Il y a eu une vraie mobilisation de l’Union européenne par rapport au défi climatique et à la biodiversité qui est inédite et qui ont permis des avancées importantes. La fin des voitures thermiques, ce n’est pas rien, insiste Laurent Warlouzet. Pour autant, cela reste insuffisant et, surtout, face à des mesures environnementales perçues par certains acteurs comme ayant un coût excessif, il y a eu des reculs sur les pesticides, la biodiversité et la PAC."

  • Aide militaire à l'Ukraine

L'invasion de l'Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, a entraîné une aide militaire de l’Union européenne. Deux règlements ont été votés en 2023 par le Parlement de Strasbourg : le règlement EDIRPA, qui vise à encourager les acquisitions conjointes dans le domaine de la défense, et le règlement ASAP, qui vise à augmenter la production des munitions et missiles par l'industrie européenne de défense.

EDIRPA est doté d’un budget de 260 millions d’euros, tandis que ASAP affiche un budget de 500 millions d’euros. Le but affiché par l’Union européenne est d’être capable, à terme, d’envoyer en Ukraine un million de munitions (obus et missiles) par an. Avec ces deux règlements qui renforcent ce que les spécialistes appellent la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), l’UE se dote également d’outils permettant aux États-membres de renouveler leurs propres stocks nationaux.

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"Là encore, il était inédit que l’UE, qui est un projet pacifiste à l’origine, s’implique dans l’achat de matériels létaux. C’est une avancée en terme de construction européenne et d’Europe de la défense. Malgré tout, ces programmes sont relativement modestes et le règlement ASAP est temporaire puisqu’il expire en 2025. Est-ce que ces mesures vont déboucher sur une 'Europe puissance' qu’Emmanuel Macron appelle de ses vœux ou bien restera-t-on dans un cadre très national et très 'otanien' ? Ce sera l’un des enjeux de la prochaine législature", note Laurent Warlouzet.

  • Pacte sur la migration et l’asile

Ce Pacte de dix textes votés le 10 avril 2024, mais qui doit entrer en application en 2026, vise à lutter contre l’immigration illégale et à accélérer la reconduction en-dehors de l’Union européenne des personnes en situation illégale. La réforme met en place un "filtrage" obligatoire des migrants arrivant aux frontières de l'UE, consistant à les enregistrer dans la base de données commune Eurodac.

Une "procédure à la frontière" est également prévue pour ceux qui sont statistiquement les moins susceptibles d'obtenir l'asile : ils seront retenus dans des centres le temps que leur dossier soit examiné de façon accélérée, dans le but de renvoyer les déboutés plus rapidement.

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Le Pacte vise enfin à améliorer la solidarité entre États-membres dans la gestion des migrants. Pour aider les pays où arrivent de nombreux exilés, comme l'Italie, la Grèce ou l'Espagne, les autres États de l’UE doivent contribuer en prenant en charge des demandeurs d'asile (relocalisations) ou en apportant une contribution – financière ou matérielle – au profit du pays sous pression migratoire.

"Il y a eu un vrai clivage droite-gauche au Parlement européen sur cette question migratoire, observe Laurent Warlouzet. Alors que l’immigration et l’asile étaient traditionnellement plutôt acceptés par les députés européens, il y a eu un virage à partir de 2015 et l’accent a été mis sur le contrôle des frontières. L’approche est désormais sécuritaire et le Parlement vient de voter des textes beaucoup plus durs, qui ont suscité l’indignation de la gauche."

  • Régulation du numérique

L’Union européenne s’est efforcée lors de la dernière législature de réguler le numérique. Trois textes majeurs ont ainsi été votés : le règlement européen sur les services numériques des géants du Net (DSA), le règlement sur les marchés numériques (DMA) et le règlement sur l’intelligence artificielle.

Le DSA s'impose aux dix-neuf plus grands réseaux sociaux, places de marchés et moteurs de recherche, parmi lesquels Google, YouTube, Amazon, Facebook, Instagram, X (ex-Twitter) ou TikTok. Ces entreprises, qui comptent chacune plus de 45 millions d'utilisateurs actifs dans l'UE, sont désormais soumises à des obligations pour combattre la désinformation, la haine en ligne, la pédopornographie ou encore les contrefaçons.

Le DMA a pour objectif de lutter contre les positions dominantes de ces géants du numérique en agissant avant que les comportements abusifs n'aient déjà détruit la concurrence. Le texte impose aux acteurs les plus puissants un carcan d'obligations et d'interdictions à respecter sous peine d'amendes qui pourront atteindre 20 % de leur chiffre d'affaires mondial en cas de récidives. L’UE espère ainsi favoriser l'émergence de start-ups européennes et améliorer les services offerts aux consommateurs.

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Enfin, la législation sur l’intelligence artificielle (IA) prévoit une approche à deux niveaux. Les modèles d'IA à "usage général" devront respecter des obligations de transparence ainsi que les règles européennes en matière de droit d’auteur. Quant aux systèmes considérés comme à "haut risque" – utilisés par exemple dans les infrastructures critiques, l'éducation, les ressources humaines, le maintien de l'ordre –, ils seront soumis à des exigences plus strictes. Ils devront par exemple prévoir la mise en place d'une analyse d'impact obligatoire sur les droits fondamentaux. Les images, textes ou vidéos générés artificiellement (deep fakes) devront être clairement identifiés comme tels. Le texte interdit aussi les systèmes de notation citoyenne ou de surveillance de masse utilisés en Chine, ou encore l'identification biométrique à distance des personnes dans les lieux publics.

"Avec ces trois textes, l’UE affirme sa capacité de régulation des marchés et sa volonté d’éviter la loi de la jungle dans un secteur stratégique qui suscite des questions par rapport à la protection des données ou à l’intégrité du débat démocratique. C’est une régulation qui cherche le bon équilibre entre logique libérale et contrôle absolu", juge Laurent Warlouzet.

  • Devoir de vigilance des entreprises

Avec le devoir de vigilance voté le 24 avril 2024 par le Parlement européen, les entreprises concernées seront tenues de prévenir, d'identifier et de remédier aux violations de droits humains et sociaux (travail des enfants, travail forcé, sécurité...) et dommages environnementaux (déforestation, pollution...) dans leurs chaînes de valeur partout dans le monde, y compris chez leurs fournisseurs, sous-traitants et filiales.

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Un texte qui place l’Union européenne à l’avant-garde de ce combat, mais dont la version finale est moins ambitieuse qu’à l’origine. Le texte voté ne cible plus que les entreprises de plus de 1 000 employés affichant un chiffre d’affaires mondial d'au moins 450 millions d’euros – contre 500 employés et 150 millions d’euros de chiffre d’affaires à la base. Avec ces seuils modifiés, seulement 5 400 entreprises seraient concernées, contre 16 000 dans l'accord initial, d'après l'ONG Global Witness.

"Cela reste un texte important et ambitieux malgré tout, qui peut avoir un impact fort sur le travail forcé notamment. Tout va dépendre de l’application mais si la Commission, les États et les ONG surveillent de près le dossier, cela peut aboutir à de vraies avancées. Surtout, il pourrait entraîner une manifestation de ce que la chercheuse Anu Bradford appelle 'l’effet Bruxelles' : à savoir le fait que les règles de l’UE finissent par s’imposer petit à petit au monde entier", conclut Laurent Warlouzet.

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