Mort de Jean-Louis Trintignant: le sublime et le tragique
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Mort de Jean-Louis Trintignant: le sublime et le tragique

Décédé ce vendredi 17 juin 2022 à l’âge de 91 ans, Jean-Louis Trintignant laisse l’image d’un acteur sobre et subtil qui a traversé avec grâce six décennies du cinéma français. Marqué par deux tragédies familiales, il était revenu à l'écran un peu à contrecœur pour triompher dans Amour de Michael Haneke, film unanimement célébré.

Sur scène à Lille en avril 2004.
Sur scène à Lille en avril 2004. Franck CRUSIAUX/Gamma-Rapho via Getty Images
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« Un jour, j’ai dit à Margaret Ménégoz : "Je ne peux pas faire ce film. Je n’ai pas l’esprit à cela ; je pense plutôt à me suicider". Et Margaret m’a répondu : "faites ce film, et vous vous suiciderez après" ». Ainsi s’exprimait, entre tristesse et dérision, Jean-Louis Trintignant dans Du Côtés d’Uzès, un livre d’entretiens accordés au journaliste André Asséo paru en mai 2012. Le film en question, c’était Amour, le chef-d'œuvre Michael Haneke dont Margaret Ménégoz était la productrice, œuvre qui marquait le retour de l’acteur français au cinéma après dix ans d’absence, une longue parenthèse due à la disparition de sa fille Marie, tuée par son compagnon, le chanteur du groupe Noir Désir, Bertrand Cantat, lors d’une violente dispute en juillet 2003.

Que peut faire un acteur lorsque le destin lui inflige, à 72 ans, l’horreur d’un drame mille fois plus douloureux que tous ceux qu’il a jamais eu à interpréter sur scène ou à l’écran ? Que faire après la mort d’une fille adorée, d’une fille complice, la deuxième disparition d’une enfant de surcroît, le couple qu’il formait avec Nadine Trintignant ayant déjà eu la douleur de perdre une fille en bas âge, Pauline, en 1970 ? Se donner la mort ? Venger Marie ? Se laisser gagner par la folie ? À tout cela, Jean-Louis Trintignant a pensé bien sûr. Et puis, après être resté littéralement prostré pendant deux mois après la mort de Marie, l’acteur s’était réfugié dans la poésie, lui qui déclarait dans ce même ouvrage de 2012 connaître par cœur « plus de mille-cinq-cents poèmes ». « Au bout de ce long temps, confiait-il à André Asséo, j’ai décidé de vivre. De revivre. La poésie est venue à mon secours ».

Timides débuts

En 1967 sur le tournage de «Mon Amour, Mon Amour» de Nadine Trintignant.
En 1967 sur le tournage de «Mon Amour, Mon Amour» de Nadine Trintignant. REPORTERS ASSOCIES/Gamma-Rapho via Getty Images

Pour le natif de Piolenc, dans le Vaucluse, commune située près d’Orange où il vit le jour le 11 décembre 1930, il s’agissait autant d’une mesure de survie que d’un retour aux sources. Dès l’âge de 13 ans, il s’était en effet pris de passion pour la prose et les vers de Prévert, Apollinaire et Aragon, une éclectique trilogie. Fils d’un industriel qui sera brièvement maire SFIO de Pont Saint-Esprit, le jeune Jean-Louis rêvera longtemps d’imiter son oncle, Maurice Trintignant, célèbre coureur automobile qui sera notamment pilote Ferrari en Formule 1 dans les années 1950, remportant deux fois le Grand Prix de Monaco (1955 et 1958), avant de devenir plus tard viticulteur.

Sans parvenir à égaler son oncle, Trintignant-l‘acteur fera quand même plusieurs fois la caméra buissonnière pour s’adonner à ces deux autres passions avec, en points d’orgue, une participation aux 24 heures du Mans, trois au rallye de Monte-Carlo et une belle 2e place aux 24 heures de Spa-Francorchamps, performances réalisées entre 1976 et 1984. Une décennie plus tard, comme son oncle Maurice, il deviendra lui aussi vigneron, produisant avec un couple d’amis l’un des Côtes du Rhône les mieux appréciés de la région de Vergèze, dans le Gard : le domaine Rouge Garance, hommage avoué à Arletty. Le coup de foudre pour le théâtre lui était venu à peu près en même temps que l’envie de devenir pilote, précisément en 1949, lors d’une représentation de L’Avare, l’un des tout derniers spectacles montés par le légendaire Charles Dullin.

Alors étudiant en droit à Aix-en-Provence, le fils de notable lâche les études, monte à Paris et s’inscrit dans des cours de théâtre, une manière de thérapie pour surmonter sa timidité autant que pour assouvir le besoin vibrant d’embrasser une carrière. Prévoyant, il suit également des cours à l’IDHEC avec l’idée de devenir un jour, peut-être, metteur en scène. Diction précise, regard perçant, présence marquante malgré sa taille modeste, l’acteur Trintignant se révèle petit à petit, même s’il avouera s’être très longtemps trouvé mauvais. il est alors bien loin de se douter qu’on dira un jour de lui qu’il possède « la plus belle voix du cinéma français ». Il frôle une première fois la célébrité pour sa troisième apparition au cinéma, en amoureux transi de Brigitte Bardot dans Et Dieu... créa la femme de Roger Vadim (1956). Une liaison à l’écran qui se poursuit dans la vie, au point qu’il divorce de Stéphane Audran, épousée deux ans plus tôt, pour vivre avec Bardot qui a elle-même quitté Vadim.

Le film qui a tout changé

Au volant, sa passion, dans «Un Homme et une Femme» en 1966.
Au volant, sa passion, dans «Un Homme et une Femme» en 1966. Allied Artists/Getty Images

Le film est un succès mondial, mais toute la gloire rejaillit sur BB, vite emportée loin de son « Jean-Lou » car toute la planète est à ses pieds. Et alors que Babette s’en va-t'en guerre, Jean-Louis est appelé sous les drapeaux. « J’ai fait mon service militaire durant la Nouvelle Vague. Et j’ai donc loupé ce train-là », confiait-il à France 3, il y a quelques années. « Et c’est sans doute pour ça que je suis allé en Italie. Ça m’avait complètement anéanti, l’armée. Il fallait "pacifier l’Algérie". J’avais 26 ans quand même. On réfléchit un peu plus à cet âge-là ». Une fois rentré de l’armée, il tourne à la fois en France et en Italie, notamment dans Le Fanfaron de Dino Risi (1962), Le Combat dans l’Île, premier film d’Alain Cavalier (1962), Compartiment Tueurs, premier film de Costa Gavras (1965), sans toutefois devenir une vedette, jusqu’à Un Homme et Une Femme de Claude Lelouch (1966). Succès planétaire, renommée mondiale et chabada-bada...

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« J’ai fait au moins 25 films avant "Un homme et Une femme" où j’étais certainement bien moins payé que les machinistes. J’étais un comédien sérieux, mais c’est tout » ironisait-il dans cette même interview de France 3. « Après, je suis devenu un comédien important, un comédien sur qui on pouvait monter un film ». Dès lors, il va enchaîner les tournages durant une bonne trentaine d’années, entrecoupés de rares incursions au théâtre et d'escapades automobiles évoquées plus haut. Relativement exigeant et éclectique dans ses choix de films et de metteurs en scène (Bernardo Bertolucci, Alain Robbe-Grillet, Éric Rohmer, Yves Boisset, Pierre Granier-Deferre, Robert Enrico, Michel Deville, Francis Girod, Claude Berri, Ettore Scola, Bertrand Blier, Jacques Audiard, Krzysztof Kieslowski, André Téchiné etc.), Jean-Louis Trintignant tourne en moyenne trois à quatre films par an pendant 30 ans avant de ralentir, à l’arrivée des années 1990.

Un jour qu’il est juré dans un festival aux côtés de François Truffaut, Trintignant a le culot de demander à l’auteur des Quatre-Cents Coups pourquoi il n’avait jamais pensé à lui pour ses films. Quelques mois plus tard, le voilà aux côtés de Fanny Ardant dans Vivement Dimanche(1983), l’une des œuvres les plus jubilatoires de la filmographie truffaldienne, un tournage dont Jean-Louis Trintignant garde un souvenir impérissable. « Vivement Dimanche, je l’ai fait le peigne dans le maillot [expression empruntée au vocabulaire cycliste, ndlr]. Tout était facile. Il était léger, ce n’était jamais grave. Truffaut vivait son idylle avec Fanny Ardant et cela rejaillissait sur le tournage ». Première et dernière collaboration hélas, puisque François Truffaut décédera l'année suivante, sans avoir pu tourner d’autre film.

Plus rare donc au cinéma dans les années 1990 – mais toujours bien inspiré dans ses choix (Merci la Vie de Blier, Trois couleurs : Rouge de Kieslowski, Regarde les Hommes Tomber et Un Héros Très Discret de Jacques Audiard, Ceux Qui m’aiment prendront le train de Patrice Chéreau) – il se tourne donc de plus en plus vers le théâtre sous la direction de Bernard Murat, Claude Santelli, Yasmina Reza et de Samuel Benchetrit, ex-conjoint de sa fille Marie. « Le cinéma, c'est de la conserve », expliquait-il au Monde en 2008 pour justifier son absence du grand écran. « On est libre au théâtre, on invente, poursuivait-il. Laurent Terzieff dit qu'un interprète perd son âme dès qu'il est enregistré. Il peut se passer des tas de choses, un rideau qui tombe. Et cette mise en danger, à plusieurs, devant le public, c'est le bonheur. Au cinéma, je n'arrive pas à imaginer les spectateurs ».

Le cinéma, il allait pourtant y revenir grâce à l’insistance du metteur en scène autrichien Michael Haneke, un admirateur de longue date qui n’a pensé qu’à lui pour jouer le rôle de Georges dans Amour (2012). Cet octogénaire voit la santé de son épouse, interprétée par Emmanuelle Riva, se dégrader petit à petit, suite à une attaque cérébrale. « Je l'ai découvert dans plusieurs films, dans lesquels il m'a toujours particulièrement impressionné dans sa façon de ne pas jouer les choses jusqu'au bout, mais de seulement y faire allusion, déclarait l’auteur du Ruban Blanc au Monde en mai 2012. Donc il a, en tant qu'acteur, toujours gardé son secret ». Multi-récompensé (Palme d’Or, BAFTA, César, Golden Globe, Oscar, etc.), Amour fut une telle réussite – « Je crois que c’est un des plus grands films de l’histoire du cinéma et je pèse mes mots » avait-il dit avant même la sortie du film – que Trintignant s’est laissé tenter, non pas pour la gloire et encore moins pour l’argent, par une deuxième coopération avec le metteur en scène autrichien : Happy End, sorti en France en octobre 2017, avec les migrants de Calais en toile de fond, mais qui s'est soldée par un échec.

Finalement, il retrouvait en 2019 Claude Lelouch et sa partenaire Anouk Aimée pour Les plus belles années d'une vie, suite d'Un homme et une femme 53 ans après.

Aux côtés d'Emmanuelle Riva et Michael Haneke avec la Palme d'Or à Cannes pour «Amour» en 2012.
Aux côtés d'Emmanuelle Riva et Michael Haneke avec la Palme d'Or à Cannes pour «Amour» en 2012. Reuters/路透社

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