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Noémie Merlant et Hafsia Herzi : «Nous aimons filmer l'autre, le regarder , c'est pour cette raison que nous sommes devenues réalisatrices»

Les deux trentenaires (Hafsia Herzi à gauche et Noémie Merlant à droite), présentes à Cannes, sont passées derrière la caméra pour y proposer un nouveau regard de cinéma.
Les deux trentenaires (Hafsia Herzi à gauche et Noémie Merlant à droite), présentes à Cannes, sont passées derrière la caméra pour y proposer un nouveau regard de cinéma. Photo Esther Haase

ENTRETIEN CROISÉ - Ardentes, libres, atypiques, les deux trentenaires, présentes à Cannes, sont passées derrière la caméra pour y proposer un nouveau regard de cinéma.

Avril 2024, séance de shooting exceptionnelle avec deux figures envoûtantes du cinéma français : Hafsia Herzi et Noémie Merlant. Chez ces deux trentenaires, une admiration mutuelle et une sensibilité partagée. Leurs points de convergence ? Elles sont hors sérail, hors système. Deux autodidactes à l'exigence et à l'intransigeance chevillées au corps. L'une est née à Marseille, quartier nord, d'une mère algérienne qui a élevé seule quatre enfants. «Pas beaucoup de place pour le rêve», dit-elle. L'autre a grandi à Rezé, dans la banlieue de Nantes, auprès de parents agents immobiliers. Elle n'avait jamais songé à jouer, a débuté comme mannequin avant que son père ne la pousse à s'inscrire au Cours Florent.

Révélées chacune par des cinéastes radicaux (Hafsia, à 17 ans, par Abdellatif Kechiche dans La Graine et le Mulet ; Noémie, à 30 ans, par Céline Sciamma dans Portrait de la jeune fille en feu), elles n'ont jamais cessé depuis d'enchaîner les rôles. Puis, un jour, elles sont passées derrière la caméra. Pour ces filles passionnées, persévérantes, au tropisme féministe humaniste prononcé, réaliser n'était pas une option. Une nécessité. Les deux écrivent leurs propres scénarios. Alors, à un moment, elles se sont lancées, sans un sou en poche, dans des premiers films farouches et fauchés. Mais aussi solaires, fiévreux, dans lesquels leurs regards sont tournés dans la même direction : la passion amoureuse hors contrôle (Tu mérites un amour pour Hafsia en 2019, et Mi iubita, mon amour pour Noémie en 2021). Autre signe de ralliement ?

Leur «naissance» au Festival de Cannes, la même année, en 2019. Noémie en tant qu'actrice pour Portrait de la jeune fille en feu (prix du scénario), Hafsia en tant que réalisatrice pour Tu mérites un amour (présentée à La Semaine de la critique). Ces prochains jours, la première montera à nouveau les marches du Palais des festivals pour son deuxième film, Les Femmes au balcon. La seconde est elle aussi attendue sur la Croisette pour son rôle dans La Prisonnière de Bordeaux, de Patricia Mazuy. Et c'est son troublant visage – tiré du film Le Ravissement, d'Iris Kaltenbäck – qui a été choisi pour illustrer l'affiche de La Semaine de la critique. Rencontre avec un duo incandescent.

Madame Figaro. – Qu'avez-vous en commun ?
Noémie Merlant.- C'est Hafsia qui m'a donné la force de passer derrière la caméra. Quand j'ai découvert son film Tu mérites un amour, je l'ai tout de suite appelée pour lui demander des conseils. Voir qu'il était possible de réaliser des films comme le sien, superbe, spontané, avec si peu de moyens, a été un véritable moteur pour mon projet. Quel courage de sa part d'avoir osé se lancer seule dans la réalisation ! Je l'admire aussi en tant qu'actrice : elle est d'une puissance et d'une sincérité rares.

Hafsia Herzi. - Tu sais, je me souviens très bien de la première fois où je t'ai vue : c'était dans une vidéo d'essai de casting que m'avait montrée Abdellatif Kechiche…

Robe-pull Louis Vuitton. Mise en beauté Dior avec Dior Forever 2N, Dior Forever Natural Bronze Glow 032 Pink Bronze, Diorshow Mono Couleur 098 Pied- de-Poule, Diorshow On Set Brow 05 Black et Rouge Dior 999 fini satin. Photo Esther Haase

N. M. - Quoi ? Je ne savais pas…

H. H. - Oui, il souhaitait monter un film qui se déroulerait au Moyen Âge. Il m'a dit : «Regarde, cette fille est magnifique, elle semble sortie d'un tableau.» Malheureusement, le projet est resté lettre morte. Ce que j'aime aussi chez Noémie, c'est son petit grain de folie. C'est une grande actrice et, dans la vie, un être lumineux, généreux et très drôle. Pour en revenir à votre question, je crois qu'elle et moi aimons filmer l'autre, le regarder ; c'est pour cette raison que nous sommes devenues réalisatrices. Mais ce n'est pas évident pour une femme de passer derrière la caméra et de diriger une équipe. Il m'est arrivé de devoir gérer de vrais comportements misogynes sur un plateau. Nous endossons beaucoup de responsabilités.

Hafsia : Manteau style Perfecto en cuir, Rokh. créole, Collier et bracelet Juste un clou, Cartier. Noémie : robe-pull en maille gaufrée, Louis Vuitton. boucle d'oreille et bague Clash, Cartier. Pour Hafsia : maquillage Dior par Angloma, coiffure Leslie Thibaud. Pour Noémie : maquillage Dior par Fred Marin, coiffure Alexandrine Piel. Photo Esther Haase

Diriez-vous que le Festival de Cannes a changé votre destin ?
H. H.- Oui, en sélectionnant mon premier film, Tu mérites un amour, à La Semaine de la critique en 2019, le festival lui a donné la vie. J'ai autoproduit ce long-métrage avec 1 000 euros en poche, et je n'avais aucun distributeur. Je savais qu'on pouvait ne pas l'aimer, mais je sentais aussi qu'il trimballait une vérité et une sincérité nées de l'urgence. Cette mise en lumière m'a encouragée et m'a aidée à réaliser mon deuxième film (Bonne mère, sorti en 2021).

Chemise en popeline et jupe évasée en bouclette de laine et coton, Dior, escarpins Christian Louboutin. Collier et boucle d'oreille Move Link, et bracelet Move Uno, Messika. Mise en beauté Dior avec Dior Forever 2WO, Dior Forever Natural Bronze Glow 032 Pink Bronze, Diorshow 5 Couleurs 073 Pied- de-Poule, Diorshow Iconic Overcurl 090 Black et Rouge Dior 458 Paris fini satin. Photo Esther Haase

N. M.- C'est Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma, qui m'a fait naître en tant qu'actrice, en 2019. Il y a vraiment eu un avant et un après. Deux ans plus tard, le film que j'ai réalisé, Mi iubita, mon amour, a été sélectionné en séance spéciale. J'étais comblée, car je n'avais pas du tout confiance en moi. Le passage de mannequin à comédienne avait été une épreuve, et il fallait à nouveau me réinventer en réalisatrice et convaincre.

Et votre deuxième film, Les Femmes au balcon , est programmé aux séances de minuit du Festival…
N. M.- J'ai pleuré de joie en l'apprenant. Quand on écrit un film, malgré l'équipe ou les coauteurs qui nous ont accompagnée, on reste seule face à ses choix, et cette sélection m'a montré que j'avais peut-être raison. Dans le passé, j'ai toujours cherché à plaire. J'essaie désormais de me détacher du regard des autres lorsque je réalise. Pour Les Femmes au balcon, j'ai suivi mes désirs et osé le film de genre, une farce macabre teintée d'humour. C'est l'histoire de trois amies qui fantasment sur le voisin d'en face. Mais rien ne va se passer comme prévu, et tout va virer au gore… C'est cathartique et libérateur. Au cinéma, je n'hésite pas à me montrer radicale, quitte à déranger. Je veux pouvoir tout m'autoriser.

Hafsia, vous êtes vous aussi attendue à Cannes, en tant qu'actrice…
H. H. - Pour le film de Patricia Mazuy, La Prisonnière de Bordeaux, sélectionné à la Quinzaine des cinéastes. Je m'en réjouis d'autant plus que ce projet a été compliqué à financer et que nous avons terminé le tournage cet hiver. Tout s'est enchaîné très vite. Après Cannes, je repartirai sillonner la France à la recherche de l'héroïne de mon prochain film, La Petite Dernière, l'histoire d'une jeune fille de banlieue qui se découvre une attirance pour les femmes. Il s'agit d'un casting composé uniquement de non-professionnels.

Manteau Carven. Collier Juste un clou, Cartier. Photo Esther Haase

Pourquoi faites-vous du cinéma ?
N. M.- Jouer ou réaliser me permet de mettre la vie à distance. Elle devient plus intense, plus intéressante et plus lisible aussi.

H. H. - Le cinéma m'autorise à m'évader, me dépasser. Il m'aide aussi à me connaître. C'est un travail thérapeutique. Je suis d'une nature anxieuse, mais quand je joue un personnage, là, je n'ai plus peur, je me sens plus à l'aise que dans la vie. D'un coup, je suis dans l'ici et le maintenant. Le cinéma nourrit mon feu sacré.

Vos premiers films ont été réalisés avec peu de moyens…
H. H. -Tu mérites un amour a été monté avec des bouts de chandelle, dans l'urgence absolue. S'autoproduire apporte une grande liberté, mais aussi de vraies contraintes. Je m'y suis investie comme une folle, je me suis battue. Mais il me fallait tourner ce film coûte que coûte, comme une pulsion incontrôlable. Réaliser un film, c'est comme dévoiler un secret intime, il y a toujours une part autobiographique dans un scénario. Moi, je voulais parler de l'amour, cette «maladie du cœur» qui nous relie tous, ces sentiments extrêmes, beaux et compliqués. Mon deuxième film, Bonne Mère, s'inspirait quant à lui de ma mère.

Manteau ceinturé, en laine, Carven. Collier Juste un clou, Cartier. Photo Esther Haase

N. M. - Comme toi, la fabrication de mon premier film a été « sauvage », sans producteur au départ. Nous avons tourné en Roumanie, avec une équipe réduite, des non-professionnels, ma bande d'amies et mon amoureux de l'époque. Nous étions portés par notre envie. Tout en faisant voyager, rêver ou frissonner le public, je veux le pousser à se connecter davantage aux autres.

La réalisation constitue-t-elle une forme de militantisme ?
H. H. -Comme actrice, j'ai vite compris que je ne voulais pas uniquement dépendre du désir des autres, rester indéfiniment dans l'attente : on sait bien qu'un acteur ne tourne pas douze mois sur douze. Je voulais bouger, me sentir libre, me dire «si le téléphone ne sonne pas, je prends mon cahier, mon stylo et j'avance.» C'était un défi personnel. Abdellatif Kechiche a été le premier à m'encourager. Je lui avais donné à lire quelques courts scénarios. Il m'a donné la force : «Fonce ! J'ai réalisé mon premier film à 40 ans, et j'avais déjà trop attendu», m'a-t-il dit.

N. M. - Quand j'ai commencé à écrire et à réaliser, je voulais seulement raconter mes doutes, mes cris, mes douleurs. Très vite, j'ai compris que ces sujets pouvaient s'avérer universels. Écrire m'est vital, et il m'importe d'imaginer des récits de femmes avec des regards purement féminins. Alors, oui, cette démarche est peut-être militante et politique. Je pense aussi qu'être engagée, c'est tout simplement être en vie.

Redingote Louis Vuitton. Collier Clash et bague Trinity, Cartier. Photo Esther Haase

Quel regard portez-vous sur vos débuts ?
H. H.- C'était formidable, j'avais à peine 18 ans, et je rêvais de cinéma depuis toute petite. J'avais conscience que ce qui m'arrivait était incroyable, mais la réalité de la vie était là aussi. J'ai gardé les pieds sur terre grâce à ma famille, installée à Marseille, ancrée et totalement étrangère au cinéma.

N. M. - Quand je vois où j'en suis aujourd'hui, je ne regrette rien. Pourtant j'avais 30 ans quand j'ai joué dans Portrait de la jeune fille en feu. À l'époque, je me disais «Mais quand est-ce que cela va enfin arriver ?» D'autant que j'avais toujours en tête cette phrase qui circulait au Cours Florent : «Si une actrice ne perce pas avant 30 ans, c'est fichu.» Imaginez la pression… Et puis, on avait aussi tendance à me rappeler que j'avais commencé comme mannequin, ce qui était mal vu. Je suis parfois étonnée d'avoir tenu bon.

Lors des Césars, Judith Godrèche a asséné : «Je parle, mais je ne vous entends pas.» Qu'auriez-vous envie de lui répondre ?
H. H. - «Je te crois, je te soutiens et j'admire ton courage.» Je pense que sa parole va aider beaucoup de victimes à se libérer. On parle ici de cinéma, mais le harcèlement sexuel et moral touche aussi tous les métiers.

Redingote pied- de-coq en matière technique, top asymétrique et pantalon, Louis Vuitton. Mise en beauté Dior avec Dior Forever 2N, Dior Forever Natural Bronze Glow 031 Coral Bronze, Diorshow 5 Couleurs Coral Flame, Diorshow Iconic Overcurl 090 Black et Dior Addict 658 Coral D-Lite. Photo Esther Haase

N. M. - Judith le sait, je la soutiens à 1 000 %. Je lui témoigne ma reconnaissance éperdue, tout comme j'ai remercié Adèle Haenel, qui a été l'une des premières à s'exprimer - voire la première-, mais n'a pas été écoutée. Je pense que leurs paroles vont désormais porter leurs fruits. C'est fou de constater que de plus en plus de femmes et d'hommes témoignent.

Noémie, parlez-nous d'Emmanuelle, votre rôle dans le prochain film d'Audrey Diwan ?
N. M. - C'est l'histoire d'une femme qui cherche son plaisir, ses propres vibrations, et c'est beau. Rien à voir avec le film originel de 1974. Le film d'Audrey Diwan parle, lui, du désir féminin.

Vous avez également joué avec Cate Blanchett (Tàr ) et avec Kate Winslet (Lee , sortie le 9 octobre). Hollywood vous fait rêver ?
N. M. - Hollywood n'est pas une fin en soi, et je suis comblée par mes rôles en France, mais c'est une façon de s'ouvrir à d'autres cultures, d'autres cinémas. Tourner avec Kate Winslet, je n'osais même pas en rêver.

Noémie : veste à double boutonnage et pantalon, en denim, Louis Vuitton. boucles d'oreilles, Bracelet et bague Clash, Cartier. Hafsia : Veste en denim, Dries Van Noten, débardeur Uniqlo. Collier Juste un clou, Cartier. Hafsia : mise en beauté Dior avec Dior Forever 2WO, Dior Forever Natural Bronze Glow 032 Pink Bronze, Diorshow 5 Couleurs Coral Flame, Diorshow Iconic Overcurl 090 Black et Dior Addict 680 Rose Fortune. Pour Noémie : coiffure Alexandrine Piel, maquillage Fred Marin pour Dior. Pour Hafsia : coiffure Leslie Thibaud, maquillage Angloma pour Dior. Photo Esther Haase

Et vous, Hafsia, en lice pour Hollywood ?
H. H.- Pas du tout ! Mon anglais est terrible, et j'ai affreusement peur de prendre l'avion. Si Scorsese m'appelait pour me proposer un film, il faudrait qu'il vienne le tourner en France !

Noémie Merlant joue et réalise Les Femmes au balcon, présentées en Séances de minuit, au Festival de Cannes.
Hafsia Herzi joue dans La Prisonnière de Bordeaux , de Patricia Mazuy, présentée à la Quinzaine des cinéastes.

Noémie Merlant et Hafsia Herzi : «Nous aimons filmer l'autre, le regarder , c'est pour cette raison que nous sommes devenues réalisatrices»

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6 commentaires
  • Postumus

    le

    « Deux figures envoûtantes » …ça nous change des femmes puissantes et des femmes inspirantes..

  • Anonyme

    le

    Quel désastre ! Mais pourquoi notre argent sert-il à ces créations-quota ? On n'a plus les moyens de ce luxe, il faut laisser le marché décider et arrêter la gabegie d'argent public dans la culture. On entretient le wokisme artificiellement comme ça.

  • Anonyme

    le

    Madame Figaro, ou le féminisme pour les nuls.
    Très utile pour attirer les mémères de droite qui n'osent pas s'abonner à Elle...

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