Petite fille : critique d'un amour inconditionnel
Films

Petite fille : critique d’un amour inconditionnel

Par Antoine Desrues
28 septembre 2022
MAJ : 29 mai 2024
27 commentaires

Petite fille est ce soir à 23h05 sur Arte.

Si 2020 a été l’année d’un cinéaste en France, c’est bien celle de Sébastien Lifshitz. Le documentariste français, auteur des Invisibles et des Vies de Thérèse, a délivré durant l’été le passionnant Adolescentes, chronique de deux jeunes femmes face à leurs espoirs, leurs doutes, et leur avenir, doublement césarisé lors de la cérémonie 2021. Mais le réalisateur nous a également offert un autre tour de force avec Petite fille, événement cinématographique et sociétal choc, qui a rencontré un succès mérité sur Arte.

photo

ma fille ma bataille

Depuis qu’elle a trois ans, Sasha se sent fille, bien qu’elle soit née dans un corps de garçon. À l’écoute de ce postulat, on pourrait s’attendre à un documentaire attendu sur le mal-être d’une enfant incomprise, voire rejetée par un cercle familial incapable de la prendre au sérieux à cause de son jeune âge. Pourtant, Petite fille débute dans le confort d’une chambre, sur des images à la lumière tamisée et rassurante, tandis que Sasha, âgée de sept ans au moment du tournage, essaye de manière espiègle des vêtements et des accessoires, pour déjà affirmer qui elle est.

Peut-être est-ce dû à une habitude résignée face à la discrimination visant la transidentité, mais le long-métrage de Sébastien Lifshitz affiche une dimension solaire presque désarmante. Sa note d’intention ne pourrait être plus claire : son film sera à l’image de la famille qu’il dépeint, à savoir une pure déclaration d’amour, de tolérance et de liberté.

La théorie du cinéma a souvent considéré la caméra comme un outil d’immortalisation, arrachant à la fuite immanente du temps un moment, une action, une personne. Bien entendu, Stéphane Lifshitz est conscient de cet état de fait, mais Petite fille parvient à passer outre. Plutôt que de figer sa jeune héroïne dans sa phase transitoire, il l’approche à la manière d’une tendre caresse, et opère une véritable danse des corps avec son objectif, la laissant lui échapper pour mieux représenter la métamorphose de cette chrysalide en papillon.

 

Petite fille : photoRenaissance

 

À vrai dire, le regard du réalisateur est tout entier porté vers la bienveillance, une bienveillance qui se ressent par la distance parfaite (et pourtant si complexe) qu’il trouve avec son sujet. Sans jamais risquer l’intrusion d’un cercle trop intime, il évite cependant une pudeur trop froide. Plutôt que d’intellectualiser la situation de Sasha, le réalisateur la capte avec une évidence aussi belle que bouleversante : l’évidence de son identité, qui se transcrit dans ses mouvements et ses actions.

Lifshitz comprend d’ailleurs avec beaucoup de justesse que les mots lui sont insuffisants, d’où la force d’évocation d’une mise en scène souvent épurée et silencieuse, s’attardant sur des détails de la vie, sur des textures ou des rais de lumière. C’est même de cette façon que Petite fille touche au miracle. La mélancolie qui l’irrigue n’est jamais de l’ordre de la nostalgie, mais est au contraire tournée vers un temps qui n’a pas encore eu lieu, celui d’un épanouissement attendu avec impatience, bien que le périple pour y parvenir soit long et semé d’embûches. Un « retour vers le futur », en somme.

 

photoGirlhood

 

Cœur et âme 

En s’attardant ainsi sur la vie dans sa plus grande simplicité, le documentaire déploie le récit d’une magnifique famille soudée, un cocon qui doit pourtant faire face à un monde extérieur froid et insensible. Tandis que l’école de Sasha refuse de la considérer comme une fille, l’enfant se retrouve ostracisée dans le cours de danse classique qu’elle a rejoint. Perçu en tant que garçon par la professeure, cette dernière lui donne un costume différent des autres élèves, ne serait-ce qu’au niveau de la couleur. Tel un coup de poing en plein ventre, la sobriété de l’approche de Lifshitz amplifie la violence de ces gestes a priori anodins, de ces codes arriérés et pourtant si ancrés dans nos sociétés dites évoluées.

C’est pourquoi le cinéaste n’oublie pas de faire de Petite fille une œuvre dirigée par une colère enfouie, et par le combat déchirant de Karine, la mère de Sasha. Le film prend alors la forme d’un portrait touchant, celui d’une femme pétrie de doutes, confiant à la caméra ses nombreuses questions, mais aussi sa peur de mal agir, de blesser la chair de sa chair. De cette façon, Lifshitz met en avant le manque flagrant d’informations et de pédagogie sur la dysphorie de genre (c’est le nom de la condition de Sasha, et non, ce n’est pas une maladie).

En réalité, le long-métrage se révèle particulièrement fort lorsqu’il traite d’une absence, d’un vide. Si d’aucuns peuvent juger le manque de visibilité d’un point de vue externe sur cette situation, le hors-champ souligne à lui seul une oppression larvée, notamment du côté de l’école et de son administration.

 

photoUne scène qui donne la rage

 

Mais heureusement, Petite fille choisit l’espoir, un espoir qui prend la forme de rendez-vous chez une pédopsychiatre, où la famille a enfin l’occasion de sortir de la brume. Les mots retrouvent alors de leur puissance, tandis que Sébastien Lifshitz capture avec beaucoup de délicatesse le poids énorme qui s’extrait de leur poitrine. D’un simple gros plan statique, fixant le visage de Sasha qui passe du sourire à des larmes salvatrices, le cinéaste libère toute la souffrance de ses personnages, pour mieux dessiner l’avenir radieux qui les attend.

Bien entendu, Petite fille est par définition un film éminemment politique, voire d’utilité publique. Mais là où d’autres se seraient cachés derrière la force de ce sujet pour délivrer un bête reportage télévisé, Sébastien Lifshitz n’en oublie jamais le cinéma. C’est pourquoi, en plus d’être un merveilleux documentaire, réfléchi et émotionnellement dévastateur, son film est tout aussi exigeant envers lui-même que son spectateur. Rien que pour cela, son dernier chef-d’œuvre en date n’en est que plus essentiel.

 

affiche

Rédacteurs :
Résumé

Magistral, passionnant, bouleversant, les adjectifs en viendraient à manquer pour qualifier la réussite de Petite fille. À partir d'un portrait sur la différence, Sébastien Lifshitz a l'intelligence de toucher à une humanité dans ce qu'elle a de plus universelle, et s'affirme définitivement comme l'un des meilleurs documentaristes en activité. Si vous ne pleurez pas devant son dernier chef-d'oeuvre, c'est que vous êtes mort à l'intérieur.

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Quand je fais mien le désir de l’autre

Est-ce le désir de l’enfant ou est-ce le désir de la mère ?
Depuis quand un enfant qui est d’abord totalement dépendant et sous influence du désir de sa mère et de l’absence du père en tant que soutien de l’appropriation de son corps de garçon petit-il désirer librement un changement d’identité alors qu’il a besoin d’être soutenu dans le génie de son sexe et protégé des conséquences de la douleur des deuils non faits par sa mère – et dont pourtant elle parle en toute honnêteté, sans que cela soit sérieusement entendu – de fausse couches qui ont précédé sa naissance ? Et du désir d sa mère d’avoir une fille quand elle l’attendait ?
Autant de questions que personnes ne prend sérieusement en compte tellement c’est la figure de la big mother qui triomphe dans cette apologie de l’emprise du désir d’une mère en souffrance et non soutenue dans le soin d’elle même. qui par défaut se transforme en défenseur d’une cause qui la met en transe …
Qu’elle tristesse que ce retournement d’un scénario d’aliénation en discours de libération …

Aktayr

@Antoine Desrues

Vous l’avez bien dit : un film solaire et plein d’espoir malgré les difficultés rencontrées par Sasha et sa famille. Et un regard plein de bienveillance du réalisateur Sébastien Lifshitz. Difficile de ne pas être ému devant le visionnage.

Merci pour votre critique qui décrit avec justesse le film.

2ithcnitnitneir

@Paulo
Si vous lisez mon pavé jusqu’au bout, vous verrez que non 😉
Mais merci de vous inquiéter.

Paulo

Vos weekends sont si vide messieurs pour avoir besoin de taper des pavet de texte avec des inconnus ?

rientintinchti2

@2ithcnitnitneir
Bonsoir et merci pour votre message.
Je suis d’accord avec pas mal de choses que vous dites. Même avec presque tout.
Par contre rien de transphobe derrière l’esprit de mes messages au sujet des Wachowski. C’est en partie de l’humour gras à haute teneur en beaufitude. C’est aussi une façon de démonter toute cette cancel culture qui lisse les esprits en permanence. Faut arrêter de crier au loup et de voir de la haine ou du harcèlement là où il n’y en a pas.
Par ailleurs, pourquoi accepter de les requalifier en femmes et ne pas accepter de requalifier en ce qu’ils veulent les gens qui se pensent être un alien,chien,Elvis, Napoléon, robot etc???
Où est le curser? Qui le définit et en fonction de quels critères?
C’est aussi une façon pour moi de démonter tous ces progressistes artificiels qui se foutent royalement des autres. Beaucoup ne crient à l’homophobie que parce que c’est dans l’air du temps, c’est à la mode et brandir une tolérance même fausse est valorisant pour beaucoup. Beaucoup se foutent de l’humain. Rien d’humaniste donc chez ces gens. Il y a des gens qui crèvent la dalle ici et ailleurs et tout le monde s’en balance. Tout le monde balance son petit slogan par ci par là par simple besoin d’appartenance. Par ailleurs, vous ne me connaissez pas. Je pourrais très bien être transgenre moi-même. SI tel était le cas, comment percevriez-vous mes messages?
Un transgenre n’a t’il pas le droit de faire de l’humour sur les transgenres.
N’a-t-il/elle pas le droit de tenir des propos comme les miens. Par exemple. J’ai un ancien voisin h**o qui est contre l’adoption par les couples homos. Est-il homophobe???
Si vraiment vous m’assignez à une identité masculine tendance machiste patriarcal. N’est-ce pas vous qui au final faites un raccourci en m’assignant à une identité?
J’espère que vous ne vous sentez pas attaqué(e) et j’espère ne pas vous offenser car votre dernier texte me laisse supposer que vous êtes de bonne foi.
Bonne soirée