L'honneur m'est plus cher que la vie ; Jean-Michel Riou - ALittleBitDramatic
  • L'honneur m'est plus cher que la vie ; Jean-Michel Riou

    « A quoi bon combattre l'inévitable ? Mon chemin était de me glisser dans votre gloire, d'être une ombre d'où jaillirait de temps à autre une étincelle de fantaisie et d'amusement. »

     

     

     

         Publié en 2024

      Éditions Robert Laffont 

      352 pages

     

     

     

     

     

    Résumé :

    « J'entends grincer la plume de mes détracteurs, je sens le parfum empoisonné de leur encre, je devine que leurs bouches se tordent de plaisir à l'idée de commettre bientôt ma nécrologie - car elle sera impitoyable. Rien ne me sera épargné. On écrira que je fus mou de corps et d'esprit, on se moquera de la préciosité de mes mœurs à rebours du caractère viril du Quatorzième, le Soleil éblouissant du puissant royaume de France. Jusqu'à ce jour, je me suis tu. Désormais, il est temps de dire la vérité. Et d'obtenir ce qui m'est dû. »

    Alors qu'il se sent mourir, Monsieur, cadet de Louis XIV, vient réclamer le prix de sa fidélité sans faille à son frère. Dans une confession captivante, il raconte sans concession ce qu'il vécut dans l'ombre écrasante de son aîné, lui, le témoin le plus intime des secrets d'un règne éblouissant.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

     Au printemps 1701, alors qu’il sent ses forces l’abandonner, Monsieur décide de se lancer dans la rédaction d’une longue confession dont le destinataire sera son frère, le roi Louis XIV. Alors que la mort est proche, Philippe d’Orléans tient une dernière fois, non pas à se justifier, mais à montrer une image tout autre de celle véhiculée par ses contemporains – à commencer par Saint-Simon – et qui, malheureusement, restera pendant bien longtemps la seule vision historique – et par conséquent biaisé – de ce Fils de France trop souvent réduit à sa seule homosexualité et à sa vie faite supposément de débauches et de plaisirs.
    Né en septembre 1640, soit un peu plus de deux ans après son aîné Louis-Dieudonné, Philippe, titré duc d’Anjou puis duc d’Orléans à la mort de son oncle Gaston, est condamné dès sa naissance à n’être qu’un éternel second, un faire-valoir. S’il devait monter sur le trône, ce serait au prix d’un drame familial terrible, celui de la disparition de son frère aîné ou de ses enfants. Et si Anne d’Autriche se défend de préférer son fils aîné au détriment de son cadet, ses actes parlent pour elle : la plupart des attentions et la protection vont à Louis, devenu roi à cinq ans et qui devra affronter dans sa prime jeunesse les fragilités d’un royaume en période de régence puis les troubles de la Fronde. Philippe sera condamné, toute sa vie, à marcher dans l’ombre de ce frère avec lequel les relations ne sont pas simples, entre admiration, tendresse et rivalité.
    Marqué par le caractère comploteur de Gaston d’Orléans, Louis XIV ne fera jamais entièrement confiance à son frère, craignant de reproduire ce que Louis XIII avait connu avec son cadet, de tous les complots, de toutes les cabales du règne, s’opposant ouvertement à son frère ou au pouvoir du cardinal de Richelieu. Malgré le souhait de Philippe de travailler à la gloire de son frère, de marcher côte à côte avec lui sans avoir jamais la volonté de le trahir ou de le doubler, il ne sera jamais exaucé et le passé déchirera un fossé de plus en plus infranchissable entre les deux frères qui, effectivement, ne peuvent être plus dissemblables.
    Souvent, on a réduit Philippe d’Orléans à son orientation sexuelle, lui qui ne cachait pas son homosexualité et ses relations avec des hommes, dans un siècle où cela est encore mal accepté et mal compris. A-t-on forcé la nature du jeune garçon, que sa mère se plaisait parfois à grimer en fille et à appeler, d’ailleurs « ma petite fille » ? Dressant le portrait d’un prince efféminé, entouré d’hommes et menant la vie dure à ses deux épouses successives – Henriette d’Angleterre puis Elisabeth-Charlotte du Palatinat –, inféodé à ses favoris comme le duc de Guiche ou plus tard, le chevalier de Lorraine, on a opposé dos à dos deux frères qui, pourtant dans leur jeunesse, n’étaient pas si différents l’un de l’autre. Et qu’aurait pu faire Philippe si on l’avait autorisé à mener son rôle de prince du sang ? Certainement de grandes choses car quand on est le frère du Roi-Soleil, on n’est pas un « incapable » comme Saint-Simon avait jugé lapidairement Monsieur.

    La famille de France sur l'Olympe par Jean Nocret : Philippe se trouve à gauche du tableau avec l'une de ses premières filles, née de son union avec Henriette d'Angleterre


    C’est côte à côte sinon main dans la main que les deux jeunes princes traversent une enfance bousculée par la mort précoce de leur père, Louis XIII, alors que Philippe n’a que trois ans et Louis, cinq. Ce dernier devient roi à un âge bien trop tendre pour régner et ce sont sa mère et Mazarin, créature de Richelieu, qui prennent les rênes du pouvoir. Enfance protégée, parfois livrée à elle-même : Louis XIV et son cadet sont des enfants comme les autres, qui aiment faire des bêtises, se chamailler, échapper à la surveillance de leur mère ou des femmes chargées de leur éducation. Parfois aussi, ils tombent malades ou se mettent en danger, comme Louis XIV qui manquera se noyer dans une fontaine du Palais-Royal. Mais l’enfance d’un petit roi ne peut pas être normale bien longtemps, même si, dans les premières années, il ne fait qu’acte de présence et que ce sont les autres qui prennent les décisions à sa place. Louis XIV sera profondément marqué par l’épisode de la Fronde et par la trahison de princes du sang, comme Condé, son frère Conti ou encore, Gaston d’Orléans, dont ce sera le dernier fait d’armes. On le sait, la Fronde sera un déclencheur de l’absolutisme de Louis XIV, qui musèlera sa noblesse pour l’empêcher de se révolter. On oublie surtout que cette volonté vient d’un traumatisme profond d’enfant, un choc profond qui marqua pareillement le petit Philippe, qui percevra la peine et l’angoisse de sa mère, l’incertitude et la colère impuissante de son frère. La Fronde et l’ultime trahison de leur oncle Gaston marqueront aussi son destin, car elles l’empêcheront toutes deux de pouvoir occuper une vraie place près de son frère, le conseillant, l’aidant, l’influençant parfois – dans le bon sens du terme.
    Dans cette longue confession écrite, où Philippe se confie à cœur ouvert à son frère, le duc d’Orléans souhaite rétablir la vérité et, en revenant sur leur longue histoire commune, livrer ses propres sentiments. Lorsque Monsieur mourut en juin 1701, à l’âge de soixante-et-un ans, probablement après plusieurs repas riches et arrosés, c’est surtout après une altercation violente avec le roi au sujet de son fils, le duc de Chartres, Philippe – le futur Régent – qu’il ressentit les premiers malaises qui devaient conduire à une mort prématurée. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les relations entre les deux frères, l’âge aidant, ne s’étaient pas améliorées et Philippe souhaite faire entendre une dernière fois sa vérité.

    Louis XIV et Philippe d'Orléans immortalisés par les frères Beaubrun vers 1645 : Louis XIV a sept ans, Philippe en a cinq


    Dans ce roman, on découvre la figure nuancée d’un prince amoureux des arts, marqué comme son jeune frère par une enfance chaotique puis par une jeunesse passée dans l’ombre alors qu’il ne rêvait que de champs de bataille, non pas pour sa propre gloire mais uniquement pour celle de son frère et de la France. Un homme soucieux de ses épouses malgré les discordes, sincèrement éploré à la mort d’Henriette d’Angleterre, malgré l’humiliation de l’idylle publique de cette dernière avec le roi, un bon père pour qui l’amour de ses enfants et l’attention portée à sa progéniture passaient avant tout. Concepteur de Saint-Cloud, un domaine qui lui ressemblait, où il pensionna Mignard ou encore Hardouin-Mansart, Philippe d’Orléans est un homme de son temps et bien plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord.
    J’ai aimé cette vision différente du règne de Louis XIV, sur lequel on a beaucoup écrit et sur lequel on le sentiment d’avoir tout lu. Eh bien, ce n’est pas le cas ! Voir le Roi-Soleil à travers les yeux de son frère cadet, partagé entre admiration, affection et hostilité permet d’en apprendre beaucoup, tant sur l’un que sur l’autre et sur leur conception respective du pouvoir.
    J’avoue que la forme de longue confession écrite à la première personne du singulier et adressée directement au roi – tantôt vouvoyé, tantôt tutoyé – m’a moyennement convaincue et j’ai trouvé que le roman manquait un peu de rythme. Selon moi, s’il avait été raconté tout du long, comme c’est le cas dans les derniers chapitres, par un narrateur omniscient, cela aurait été un peu moins monotone. Mais j’ai vraiment apprécié découvrir la « version des faits » si je puis dire de Monsieur, soucieux non pas de se dédouaner mais de laisser à la postérité une image un peu moins caricaturale que celle qui lui avait été forgée : une image d’homme faible, sans honneur et peu digne de son aîné, peu de digne de confiance également, alors qu’il fut surtout un homme aux mains liées toute sa vie par la peur irrationnelle de la trahison et de la sédition qui habita Louis XIV jusqu’au bout. Un homme à qui l’on refusa d’exercer ses talents militaires et que l’on humilia, parfois sans le vouloir, mais les blessures restèrent. Est-ce ainsi le sort de tous les seconds, de tous les suppléants ? Peut-être. Mais il est parfois important aussi de retourner le prisme et de regarder les choses autrement.

    Portrait de Philippe d'Orléans portant une armure fleurdelisée, vers 1660 par Michel Corneille l'Ancien

     

    COLLABORATION COMMERCIALE NON RÉMUNÉRÉE - LIVRE OFFERT (MERCI AUX ÉDITIONS ROBERT LAFFONT POUR CET ENVOI)

    En Bref :

    Les + : une autre vision du règne de Louis XIV à travers le regard de son frère cadet, tantôt admiratif, tantôt hostile mais trop souvent blessé par l'hostilité d'un frère qu'il admirait.
    Les - : la forme de confession m'a moyennement convaincue par moments.

     


     

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle  


    Tags Tags : , , ,
  • Commentaires

    1
    Mercredi 8 Mai à 12:13

    Découvrir le Roi-Soleil par la voix de son frère me plaît énormément et l'idée d'une confession aussi. Je note ce livre. Je n'ai jamais lu de livres de Jean-Michel Riou en plus !

      • Jeudi 9 Mai à 10:25

        C'était vraiment une approche séduisante ! On croit tout savoir (ou presque) du règne de Louis XIV tant il est documenté...il n'y a pas beaucoup de zones d'ombre, la chronologie n'est pas lacunaire...mais finalement non, on ne sait jamais tout, d'autant plus quand on oriente sa vision : verrait-on Louis XIV différemment si on donnait la parole à sa mère, à sa première favorite Louise de La Vallière, à Madame de Montespan répudiée ? Oui, probablement...et des visions toutes différentes sans être fausses non plus, c'est ça qui est passionnant ! 

        Dans ce roman, J-M Riou mais énormément en avant la relation fraternelle et ses difficultés : on sent l'affection que se portent mutuellement Louis et Philippe mais aussi que les circonstances les éloignent irrémédiablement et que Philippe sera aussi une victime collatérale des relations orageuses de Louis XIII avec son propre frère qui ne cessa de comploter contre lui, conditionnant en quelque sorte une méfiance instinctive de Louis XIV envers son unique frère, méfiance qui n'avait peut-être pas lieu d'être...bref ! C'était vraiment une lecture passionnante même si parfois, le ton direct de la confession ne m'a pas toujours convaincue, mais ceci n'est qu'un avis personnel et bien entendu tout à faut subjectif. 

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :