"Les affrontements de 1988 en Nouvelle-Calédonie" par Patrice Trapier

"Les affrontements de 1988 en Nouvelle-Calédonie" par Patrice Trapier

La Nouvelle-Calédonie traverse actuellement une vague de violences qu'elle n'avait plus connue depuis les affrontements de 1988. ©AFP - Theo Rouby
La Nouvelle-Calédonie traverse actuellement une vague de violences qu'elle n'avait plus connue depuis les affrontements de 1988. ©AFP - Theo Rouby
La Nouvelle-Calédonie traverse actuellement une vague de violences qu'elle n'avait plus connue depuis les affrontements de 1988. ©AFP - Theo Rouby
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C'est la France, le rendez-vous du 13-14, avec le regard de Patrice Trapier du 1 Hebdo sur un épisode passé des affrontements en Nouvelle-Calédonie.

Avec
  • Patrice Trapier Journaliste pour Le 1 hebdo

Une chronique en partenariat avec le 1 Hebdo .

Nous revenons aujourd'hui sur un épisode passé des affrontements en Nouvelle-Calédonie.

Aujourd’hui comme hier, des manifestations, des incendies criminels, des pillages et le GIGN dépêché en renfort… Tout cela nous remet en mémoire un moment de très grande tension qu’a vécu la Nouvelle Calédonie en 1988 avec l’attaque d’une gendarmerie sur l’île d’Ouvéa deux jours avant le premier tour de l’élection présidentielle. Quatre gendarmes sont tués avant que les Kanaks se replient avec d’autres otages dans une grotte. Des négociations sont alors entamées mais le Premier ministre de l’époque Jacques Chirac décide d’employer la manière forte. Au terme de l’assaut, les otages ont la vie sauve, deux militaires périssent ainsi que 19 indépendantistes dont certains ont été achevés d’une balle dans la tête ou à coups de botte. De part et d’autre, le choc est immense. Tout est en place pour que la situation dégénère.

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Et c’est là que commence la négociation des fameux accords de Matignon ?

Oui. Le président Mitterrand a été réélu face à Chirac, il nomme son « meilleur ennemi » à Matignon, Michel Rocard, qui ne perd pas une minute. Rocard envoie aussitôt une mission de réconciliation en Nouvelle-Calédonie, six hommes de bonne volonté, deux préfets connaisseurs de l’île, un ancien directeur de la gendarmerie, un pasteur protestant, un chanoine catholique et un ancien grand maître franc-maçon. Ces six envoyés spéciaux passent un temps infini à parler avec toutes les personnes qui comptent dans l’archipel, 1200 entretiens en tout, c’est énorme ! Il s’agit de rétablir la possibilité d’un dialogue entre des hommes prêts à s’entretuer.

Et là, miracle ou plutôt l’effet de ce travail patient, Jacques Lafleur le caldoche et Jean-Marie Tjibaou le kanak s’assoient à la même table et commencent à négocier les contours d’un projet commun. Ces accords seront signés à Matignon dans des conditions un peu rocambolesques puisque Michel Rocard traverse une crise épouvantable de coliques néphrétiques. A un moment, perclus de douleurs, il doit laisser Lafleur et Tjibaou discuter en tête-à-tête, le temps d’aller prendre un bain chaud.

Le 25 juin, pour les ultimes discussions, il n’a pas laissé le choix aux deux parties : « C’est la dernière réunion, nous sortirons avec la paix ou la guerre ». A 4h30 du matin, ce fut dont la paix avec un délai de dix ans pour organiser un référendum d’autodétermination, délai qui sera prolongé par les accords de Nouméa en 1998 et surtout l’entame d’un long travail de rééquilibrage des rapports de forces politiques entre les deux communautés mais aussi économiques autour de l’exploitation du nickel.

36 ans, où en sommes-nous de cette volonté de vivre ensemble ?

Beaucoup de choses sont à reprendre, les faiseurs de paix savent qu’en la matière, il faut toujours remettre le travail sur le métier. Deux référendums en 2018 et 2020 ont donné des majorités de plus en plus courtes au maintien dans la République, un 3ème a été boycotté par les Kanaks qui contestent actuellement l’élargissement du corps électoral. Mais dans ces temps d’extrême polarisation où tout pousse à l’affrontement, pas seulement en Nouvelle-Calédonie, il faut méditer la parole de ces leaders, aujourd’hui disparus, qui ont su faire la paix en 1988. Jacques Lafleur d’abord qui déclara : « Il n’y a jamais de bonne guerre civile. Je veux finir ma vie en laissant à ma famille une terre apaisée et réconciliée. » Et Jean-Marie Tjibaou qui lui répondit, les larmes dans les yeux : « Tout ce sang, encore du sang, trop de sang ! Il ne faut plus jamais cela. »

L'équipe

  • Patrice Trapier
    Journaliste
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