Malgré sa très mauvaise réputation, "la colère est une émotion qui n'est en soit ni négative, ni positive. C’est ce que nous faisons de la colère qui va la rendre négative ou positive. Et il est fondamental de ne pas confondre colère et violence", commence Monique de Kermadec, psychologue clinicienne, psychanalyste et autrice de Osez la colère ! (Flammarion, 2023).

Une émotion complexe, qui se définit comme "une réaction vive et puissante de notre psyché face à une situation que nous interprétons comme insupportable". 

Et "notre rapport à la colère subit l’impact de la culture dans laquelle nous vivons, de notre sexe mais aussi de notre éducation. Si nos parents ont été en lutte verbale ou physique, l'enfant a deux possibilités : soit il se dit que jamais plus il ne reproduira ça, soit il reproduit à l'âge adulte la même violence que ses parents", détaille-t-elle.

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Pourtant la colère peut nous servir aussi bien à nous qu'aux autres, bénéficiant à notre santé mentale et à nos relations. Mais pour cela, il est nécessaire de trouver la manière la plus saine de la laisser s'exprimer

Cachez cette colère que je ne saurais voir 

Gentilles, mignonnes, douces et à l'écoute : voilà via quels comportements les jeunes filles - et de fait les femmes - sont identifiées dès la naissance.

Un panel réduit d'émotions "douces" qui s'accompagne d'une nécessaire stabilité émotionnelle. Garçons et hommes, eux, sont forts, énergiques, bagarreurs et se mettent facilement en colère. Cette dernière devient alors un attribut masculin et une imperfection féminine. "La femme en colère perd le contrôle, alors que l’homme est puissant, il montre sa force par sa capacité à être en colère", ajoute l'experte.

Pourtant, la colère est un ressenti aussi courant que naturel, qui n'est attribué à aucun genre. "Des études ont montré que les femmes sont autant en colère que les hommes. Mais elles ne la freinent pas de la même manière et ne l'expriment pas aussi violemment. La colère des femmes dérange, elle est taboue. Car, quand on leur demande depuis si longtemps de correspondre aux stéréotypes, de respecter le confort des autres, leur colère donne une mauvaise image. Il y a toujours de bonnes raisons pour les femmes de mettre un mouchoir sur leur colère". 

La preuve, les mots utilisés pour dépeindre la colère des femmes : "on dit qu'elles sont hystériques, irrationnelles, pathologiques, que c'est leur 'moment du mois'", détaille Monique de Kermadec. Aussi célèbre que misogyne, le mot hystérie, signifiant “maladie de l’utérus”, est élaboré par Hippocrate, père de la médecine à l'Antiquité. Moment où "on considérait qu'un mauvais écoulement du sang entraînait des maladies proprement féminines et surtout… des sautes d'humeur propres aux femmes", ajoute l'historienne Jeanne Guéroud à France Inter.

Les bienfaits de la colère pour notre psyché

Si l'hystérie a été dénoncée, la colère reste encore péjorativement associée aux femmes. Pourtant, utilisée intelligemment, elle peut nous en apprendre beaucoup sur nous-même. "Elle dévoile, révèle nos vulnérabilités, nos fragilités, ce qui nous blesse et ce que parfois nous oublions, comme nos valeurs et nos limites. La colère parle de nous, de ce que nous voulons et de ce dont on ne veut plus. Elle révèle notre style, notre façon de faire, notre niveau d’affirmation de nous-même". 

Elle est même un indicateur plus que précieux de l’état de notre psyché. Elle est finalement, "un signal d'alarme" à nous-même et aux autres. Elle "rassemble notre énergie, notre attention, nos forces afin de préserver notre vie d’un danger", détaille la spécialiste. La colère nous aide à nous faire respecter, elle nous pousse à agir, nous donne confiance en nous et en les autres, nous permet d'exprimer ce que nous avons si longtemps gardé en nous et "offre une béquille" pour affronter la vie et ses tourments, à l'image d'une rupture ou d'un deuil.  

Certain.es auront une colère explosive, quand d'autres auront une colère froide, sourde ou passive-agressive. Mais peu importe la façon dont nous l'exprimons, la colère peut nous servir de langage. "Elle est positive quand elle nous aide à réorienter notre vie d'une meilleure façon, quand elle permet d'avancer dans la vie. Mais elle sera positive uniquement si elle est proportionnelle au dommage subi : si nous gardons ça en tête, la colère nous aidera à nous affirmer et nous permettra d’être authentique, d'être nous-même", continue la professionnelle. 

Une émotion qui nous aiguille dans nos relations

Autre bienfait de cette émotion délicate : "elle manifeste la façon dont on perçoit la qualité de nos rapports avec notre interlocuteur", explique toujours Monique de Kermadec.

En effet, elle est comme un curseur dans nos relations aux autres. Elle nous renseigne sur nos besoins, sur nos envies et sur leurs respects ou non dans nos contacts amoureux, amicaux et familiaux : "la colère nous apporte la force de nous défendre, nous permet de nous réaffirmer, d'affirmer nos besoins de liberté, de reconnaissance et d’amour", continue la psychothérapeute. 

Mais la colère atteste aussi de la possible présence d'une dépendance affective. Dans ce sens, "on hésite souvent à l'exprimer car on ne veut pas perdre la personne en face, mais surtout, on ne veut pas être excessif.ve. Ainsi, je suis prêt.e à marcher sur tout ce que je ressens pour ne pas rester seul.e. Il faut toujours questionner ce qui peut nous amener à faire taire notre colère, quelles sont les raisons qui nous poussent à nous taire. Il est important de rappeler à l'autre que certaines limites ne peuvent pas être dépassées", prévient Monique de Kermadec. 

Bien qu'il ne faille pas user de la colère pour tester la résilience du couple, "elle permet de voir la solidité des liens. Elle peut rétablir l'harmonie, faire que l'on se comprend enfin, permettre qu'on sache être attentif.ve aux besoins de l’autre". Car parfois, il faut savoir aussi gérer la colère d'autrui. Pour cela, "il faut éviter de surenchérir, de répondre dans le même registre. Pourquoi ne pas proposer à l'autre d’en parler à un autre moment ? Il n'est pas possible de se parler de manière sage et logique dans le feu de l’émotion", ajoute la psychologue. 

Comment se servir positivement de sa colère ? 

Mais alors comment user de la colère de manière positive et mesurée ?

"Une bonne colère est assumée mais aussi passagère. Car une colère bien gérée nous fait grandir. Il ne faut pas la chasser mais plutôt accepter nos émotions, d’être authentique, pour que nous ne nous sentions plus obligés de jouer un rôle et de faire taire qui nous sommes. Si elle est réprimandée, on risque d’aller jusqu’à la somatisation, on va continuer à vivre, à souffrir, dans un contexte qui ne nous convient pas, ou plus", prévient-elle.

Si vous ne parvenez pas gérer correctement votre colère, l'autrice propose, dans son livre, de tester le yoga, "une pratique spirituelle, corporelle et psychique qui vise à l’unification de l’être". Cette activité contribue à apaiser l'excitabilité de la psyché et conduit à une meilleure connaissance de nos émotions et ressentis.

Autre outil efficace : "accepter sa colère et celle d’autrui", dans la limite du raisonnable. Ainsi, écoutez ce que l'autre a à vous dire, sans jamais vous laisser "contaminer par l’énergie débordante de la colère adverse". 

Mais pour obtenir une colère saine et constructive, il faut toujours identifier le déclencheur. "On va analyser, chercher ce qui nous a blessé. Plutôt que de rester sur le fait que l’autre est coupable, demandez vous quel est l’acte, la façon d’agir qui a provoqué cette colère. Il est important de distinguer la personne de l’action. Mais finalement, l'essentiel reste de différencier la colère de la violence et prohiber toute violence physique, tout comme l'utilisation de mots qui portent atteinte à l’intégrité de l’être de l’autre", rappelle Monique de Kermadec.