(PDF) Anne de Pisseleu, duchesse d’Etampes, maîtresse et conseillère de François Ier | David Potter - Academia.edu
ANNE DE PISSELEU, DUCHESSE D’ETAMPES, ER MAITRESSE ET CONSEILLERE DE FRANÇOIS I (David Potter, Université du Kent) INTRODUCTION: LES FEMMES ET LE POUVOIR Anne de Pisseleu, duchesse d’Etampes, n’est pas parvenue à la même célébrité que sa contemporaine anglaise, Anne Boleyn. Ceci reflète en partie une certaine réticence à son égard de la part de ses contemporains. Les hommes politiques et les ambassadeurs à la cour de France la considéraient sans doute importante, mais elle n’est pas mentionnée dans les mémoires de Guillaume et Martin du Bellay, comme le remarque Montaigne, qui estime étrange cette omission1. Même le conteur Brantôme se montre étrangement réticent à son égard. Antoine du Verdier en 1583 soutient que François Ier la tenait tout simplement en haute estime « pour sa grâce et gaillardise » et que leurs relations en restaient là2. Mais plus tard, Mézeray raconte que François « tomba dans la captivité d’une belle dame » Anne de Pisseleu, tandis que, tout comme Varillas, il affirme que Louise de Savoie offre délibérément la jeune Anne à son fils à son retour d’Espagne3. Michelet, insouciant de la chronologie, embellit un scénario dans lequel Louise, voyant l’indifférence de son fils à l’égard de Mme de Châteaubriand, « avait deviné et trouvé la maîtresse du moment ». Dans sa haine pour l’Espagne et pour la nouvelle reine Eléonore, elle trouva « une demoiselle savante et bien disante, une parleuse, pour un roi parleur ». Comprenant mal la situation politique, il ne peut pas croire que la sœur du roi Marguerite de Navarre et la reine Eléonore puissent supporter l’influence d’Anne et affirme que « la maîtresse trôna et la sœur fut destituée » et même qu’Anne aurait défendu le mariage de Marguerite et Henri d’Albret ! 4 Quant aux accusations selon lesquelles elle aurait trahi la France au profit de l’empereur Charles Quint, elles ne remontent pour la plupart qu’au XVIIIe siècle, même si c’est François Beaucaire qui avança l’idée qu’Anne et son ami Longueval trahirent la France en 15445. A la fin du XIXe siècle, lorsque Paulin Paris publia la première monographie sérieuse sur sa vie, il se trompa à certains égards. Son intuition à propos des « bon sens, égalité d’humeur » de cette « plus charmante maîtresse », d’une liaison amoureuse glissant vers une amitié sentimentale et stable, est à la fois sensible et séduisante. D’un autre côté, trop poussé par un désir d’absoudre le roi de la honte de s’être donné à l’empire d’une maîtresse, certain de l’accord entre Anne et Marguerite de Navarre, il affirme à propos d’Anne que « on ne lui voit pas exercer d’influence sérieuse sur le mouvement des affaires publiques ». Pour lui, l’image romanesque de son influence sur la distribution des faveurs du roi n’était que « pure invention ». Il affirme même ne pas être certain du fait qu’Anne résidait à la cour au cours de la dernière année du règne de François Ier6. Quant aux témoins évoquant l’influence de Mme 1 Michel DE MONTAIGNE, Essais, J.-V. Leclerc éd., 4 t., Paris, 1925, II, p. 143. 2 A. DU VERDIER, Biographie et prosopographie des rois de France, Paris, 1583. 3 F. MEZERAY, Abregé chronologique, Paris, 1672, IV, p. 324; A. VARILLAS, Histoire de François Ier, Paris, 1686, II, p. 101. 4 J. MICHELET, Histoire de France, VIII, La Renaissance, ed. 1857, p. 296 5 P. PARIS, Etudes sur François Ier, Paris, 1885, II, p. 300-1 6 P. PARIS, op.cit., p. 294-325 aux p. 239, 204, 253, 311. Paris, s’appuyant sur des documents mal compris, suggère qu’elle ne pouvait être protestante, voir p. 316-17 où il lui attribue une lettre de sa nièce. Cette lettre se trouve maintenant à Amiens, Société des Antiquaires de Picardie [ci-après SAP], 57, nos. 38-43). E. DESJARDINS, Les favoris des rois. Anne de Pisseleu, duchesse d’Etampes, et François I er, Paris, 1904, est assez mince et sans appareil critique. d’Etampes sur le roi, Paris défendit l’idée qu’ils dérivaient pour la plupart de l’hostilité de son mari Jean de Brosse qui s’exprima au cours des procédures légales des années 15507. On peut maintenant plus facilement comprendre l’influence en coulisses des femmes du XVIe siècle8. Le rôle des femmes à la cour durant le premier XVIe siècle ayant été étudié par les historiens modernes, la question de leur influence dans la vie publique et dans la fondation de l’autorité des femmes a été mise plus nettement au point 9. On a suggéré, un peu imprudemment, que le déclin du statut et de l’indépendance des femmes à la Renaissance les encourageait à chercher des voies plus informelles de participer au pouvoir. Mais il n’y a pas lieu de supposer que ces voies étaient nouvelles ou que le pouvoir des femmes était plus en évidence avant le XVIe siècle10. Acceptait-on comme normal l’influence des princesses et des femmes nobles? En 1542, Clément Marot observe dans un coq à l’âne qui fait la satire de la corruption publique d’une manière particulièrement féroce : « Je ne leuz jamais en nul livre, Que une femme deust gouverner »11 Ce point de vue forme la substance des dépêches de la plupart des ambassadeurs et hommes d’Etat et même de quelques artistes qui ont connu Anne. Tous supposent que, comme femme d’origine relativement modeste, elle est en proie à ses passions et à son désir de vengeance, qu’elle ne peut pas soutenir une ligne politique cohérente, qu’elle manque de logique (comme s’il était évident que les hommes de pouvoir au XVIe siècle disposaient de telles caractéristiques). Pour Benvenuto Cellini, qui l’a connue plus que la tranquillité de son esprit ne l’aurait voulu, elle personnifie la fortuna dans tout son caprice ; selon lui, lorsqu’elle le dénonce à François Ier, celui-ci doit lui promettre de retirer à l’Italien la faveur qu’il témoigne à l’artiste : « essendo nata questa maladetta donna quasi per la rovina del mondo »12. Pour le nonce du Pape, Dandino, qui l’a beaucoup fréquentée, et a remarqué qu’elle n’aimait pas les Italiens bavards, le roi en 1543 était : « Piu dedito che mai a suoi piaceri et alle lascivie in preda totale di madame di Tampes, quale per para savia dice sempre al contrario degli altri et dà ad intendere al re che è un dio in questo mondo. »13 Pour l’ambassadeur impérial Marnol, Anne « toute sa vie a esté legiere et instable »14. En 1545, l’ambassadeur vénitien Cavalli affirme que, malgré sa préférence précédente pour la paix avec l’Angleterre, elle incita à la guerre : 7 P. PARIS, op.cit., p. 318-23. 8 David POTTER, “Politics and Faction at the Court of Francis I: the duchesse d’Etampes, Montmorency and the Dauphin Henri”, French History, 2007, p. 127-46. 9 M. CHATENET, La cour de France au XVIe siècle: vie sociale et architecture, Paris, 2002. 10 I. POUTRIN et M.-K. SCHAUB, Femmes et pouvoirs politiques. Les princesses d’Europe XVe-XVIIIe siècle, Bréal, 2007. 11 Clément MAROT, Œuvres satiriques, C.A. MEYER éd., Londres, 1962, p. 171. 12 Benvenuto CELLINI, La vita di Benvenuto Cellini, G. FERRERO éd., Turin, 1965, II, p. 433. 13 ANG, III, p. 22, 220. 14 Marnol à Charles V, 2 mai 1542, Vienne, Haus-, Hof- und Staatsarchiv [HHSA], Frankreich 10. « conoscendo che tutto il carrico serà su le spalle del armiraglio, del qual lei desidera la total ruina, è concorsa anchor essa in opinione, sperando con le molte difficultà et contrarii che vi è in questa impresa, precipitar il ditto sr armiraglio. »15 Tout cela pourrait sembler confirmer la part de caprice et l’intérêt vengeur qui étaient les siens, mais Madame d’Etampes se servait tout simplement du modus operandi de la plupart des hommes de cour de l’époque. L’Amye de court de 1540 évoque d’un air sombre la femme impitoyable qui se sert d’artifices afin de gagner le pouvoir sur les hommes 16. Nombre de critiques semblables se retrouve dans un genre de poésie satirique qui était largement diffusée17 et, à eux-seuls les coq-à-l’âne de Clément Marot semblent une mesure suffisante de l’opinion littéraire18. Un tel commentaire politico-littéraire dans un monde dominé par les hommes ne doit pas nous surprendre mais rend plus difficile la mesure de son rôle réel. Il nous faut, par conséquent, situer Anne de Pisseleu dans le contexte de la politique de cour en général, afin d’entrevoir de ce qu’il y avait particulier dans sa position. I. LES ORIGINES D’UNE ASCENSION SPECTACULAIRE Dans sa jeunesse, Anne n’est connue que du nom de « Mademoiselle d’Heilly », terre de Picardie. La famille est originaire du Beauvaisis, où elle tient la seigneurie de Fontaine- Lavaganne ; En 1508, Son grand-père, Jean, y est même enseveli à un âge fort avancé19. Parmi ses fils, Antoine hérite d’une partie des biens de la famille en Beauvaisis tandis que Guillaume devient seigneur d’Heilly. Des trois mariages contractés par Guillaume, une douzaine au moins d’enfants survivent20. Ses fils Adrien et Charles sont issus de son premier mariage. Du deuxième, avec Anne Sanguyn21, naissent Anne, François (évêque d’Amiens), Péronne et Marie, une religieuse. Son troisième mariage lui donne trois filles de plus : Marie, abbesse de Saint-Paul de Beauvais (en 1533), Louise et Charlotte (morte en 1604). Née en 1508 au château de Fontaine-Lavaganne, Anne appartient donc à une famille nombreuse et complexe. En 1526, « La belle Heilly » n’a que 18 ans lorsqu’elle devient (comme on dit par tradition) maîtresse de François Ier, à la place de Françoise de Foix, comtesse de Châteaubriant22. Elle fait ses débuts dans la suite de Marie de Luxembourg, comtesse douairière de Vendôme puis entre dans la maison de Louise de Savoie. Paulin Paris, qui se sert largement des poèmes de François Ier, qui, insiste-t-il, étaient destinés à Mlle d’Heilly, suggère étrangement que le roi tombe amoureux d’elle dès 1523-24, alors qu’elle n’avait que quinze ou seize ans23. En 1554, Arnoul Le Ferron raconte que François, triste après son retour d’Espagne, 15 Archivio de Stato [AS], Venice, Consiglio dei Dieci, Capi, Lettere di ambasciatori, Francia, busta 10 : Marino Cavalli aux chefs du Conseil des Dix, Melun, 3 février 1545. 16 Opuscules d’Amour, M. SCREECH éd., New York, The Hague, 1970, L’Amye de Court, e.g. p. 114-15 17 E.g. BM Lille, MS 623, f° 50. 18 Clément MAROT, Œuvres, GUIFFREY éd., Paris, 1875, II, p. 443. 19 Abbé E. JUMEL. ‘Monographie d’Heilly’, La Picardie, 19 (1874); Abbé FRIANT, ‘Lettres de plusieurs personnages célèbres, trouvées au château d’Heilly’, Mémoires de la société des antiquaires de Picardie, II (1839), 171-80; J. GARNIER, ‘Inventaire de quelques papiers provenant du château d’Heilly’, Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie, IX (1848), 311-55. 20 PERE ANSELME, Histoire généalogique et chronologique de la maison de France, 9 vols, Paris, 1726-33, VIII, ch.XIX 21 Contrat de mariage, SAP 58, I, n° 5. 22 R.J. KNECHT, Un prince de la Renaissance. François Ier et son royaume, Paris, 1998, p. 123. 23 P. PARIS, op.cit., p. 209-15, suggère qu’un poème écrit pendant le siège de Pavie en hiver 1524 lui est adressé. J.E. KANE, dans son édition critique, Œuvres poétiques de François Ier, Genève, 1984, p. 65-7 accepte l’hypothèse logique que ces poèmes sont adressés à Françoise de Châteaubriand. commença de regagner ses esprits à Mont-de-Marsan et rencontra Anne à Bordeaux dans la suite de sa mère et « se pleust fort en la douceur de sa conversation »24. Pour sa part, Brantôme relate que « madame la régente l’avoit prise avec elle pour l’une de ses filles et la produisit au roy François à son retour d’Espagne, laquelle il prit pour sa maistresse » en laissant Mme de Châteaubriand. Dans sa biographie d’Henri II il ajoute : « le Roy ne l’avoit point encores veue qu’à l’entreveue de madicte dame sa mère ; il l’a trouva très belle et à son gré ». Bien qu’en général les femmes soient inconstantes, « Ceste dame pourtant fut une bonne et honneste dame, et qui n’abusa jamais de sa faveur envers le monde »25. Dès 1527, Anne est celle, « whom above others, as the report is, he favoreth ». Elle appartient à la suite de Louise de Savoie pendant les négociations de Cambrai en 152926. Bien que Paris suggère sa consternation à l’annonce du mariage du roi avec Eléonore d’Autriche, au moment de l’entrée de la nouvelle reine à Paris en 1531, elle se montre à une fenêtre aux côtés du roi, démonstration publique et sans doute délibérée de l’affection du roi, « whych was not a lytyll marvelyd at of the beholders » comme dit l’ambassadeur anglais27. En septembre 1531, après la mort de Louise de Savoie, sa maison est cassée, mais Anne retrouve une charge de gouvernante dans celle des filles du roi, Marguerite et Madeleine et par conséquent sa place à la cour. Son mariage avec Jean IV de Brosse-Bretagne a lieu en 1532, l’année même où Jean devient gentilhomme de la chambre28. Le mariage de Mlle d’Heilly lui apporte rang et titre mais il fait aussi partie d’un complexe marché dynastique29. La famille de Brosse-Bretagne, comtes de Penthièvre, avait perdu ses terres en Bretagne pour avoir soutenu Louis XI pendant la Guerre du Bien Public mais n’avait pas réussi à les récupérer après la conquête française, peut-être à cause de l’opposition d’Anne de Bretagne. Le père de Jean, René, avait par conséquent suivi le connétable de Bourbon et partagé son exil. On a souvent soutenu que, pour Jean IV, le prix de la récupération de son comté de Penthièvre était son mariage à Anne de Pisseleu30, mais il semble que ce soit le traité de Cambrai (1529) qui l’ai remis formellement en son titre. En juin 1534, le comté d’Etampes, qui faisait partie de l’ancien domaine royal, auparavant donné à Jean de La Barre, premier gentilhomme de la chambre (mort en février 1534), est donné conjointement à Jean pour des services « à l’entour de nostre personne » et à Anne pour des services chez Louise de Savoie et chez les filles du roi Madeleine et Marguerite31. En janvier 1537, le roi érige le comté en duché et ajoute la châtellenie de Dourdan et la seigneurie de La Ferté-Alais32. Le moment où ce mariage devint insupportable au duc d’Etampes n’est pas certain. Il y a une tradition qui déclare qu’on avait effectué une « séparation de biens » entre eux dès 1541, mais l’évidence en est maigre et le duc conservait tous ses offices sous le roi François. I.1. Un réseau familial, les profits du pouvoir Il va sans dire que la duchesse d’Etampes reçoit de temps en temps force témoignages matériels de la largesse et de l’affection du roi, souvent sous la forme de biens et de terres confisquées à des personnages – et ils sont nombreux – condamnés au cours des perturbations 24 A. LE FERRON, De rebus gestis Gallorum, Paris, 1554, Livre VIII, f° 204v; Bernard, sr. du Haillan, Histoire générale des rois de France, Paris, 1629, II, p. 344. 25 P. DE BOURDEILLE DE BRANTOME, Dames galantes, VIGNEAU éd., p. 367; Vies des hommes illustres, Henri II 26 SP, VI, p. 599; P. PARIS, op.cit., p. 240. 27 SP, VII, p. 291. 28 BnF, ms frçs 21449, f° 195-196v. 29 Contrat de mariage, Amiens, SAP, 58,I, no.13. Paris date ce mariage de 1534. 30 J. LE LABOUREUR, Additions aux Mémoires de Castelnau, Paris, 1659, I, p. 863. 31 B. FLEUREAU, Les antiquitez de la ville et duché d’Estampes, Paris, 1683, p. 224-5; ANSELME, III, p. 131-3 32 Ibid., p. 227-8, ANSELME III, p. 133. politiques et financières des années 153033. En octobre 1545, le roi lui donne tous les biens au sud de Paris confisqués au chancelier Poyet34. Le duché d’Etampes se trouvait bien placé pour annexer Limours, propriété de Jean Poncher, général des finances, l’un des financiers poursuivis pour malversations au cours des années 1530. Ses enfants sont obligés d’accepter une transaction par laquelle François Ier peut donner Limours à Mme d’Etampes en juin 1538. Le roi le visite en juin 154035. En même temps Anne ajoute la seigneurie de Challuau36, où, dès 1542, le roi commence à bâtir une nouvelle maison de chasse, qu’elle appréciait : « un palazzo fabricato da lei a Mma d’Estampes »37. Quant au domaine de Meudon, acquis par le grand-père maternel d’Anne, ses cousins abandonnent leurs prétentions en 1542 et, dans les actes qui transfèrent leurs droits à Anne, on remarque que le château, à l’époque encore occupé par son oncle le cardinal de Meudon, est celui où elle « prend plaisir et y faict faire beaulx et sumptueulx édifices »38 et où le roi vient en janvier 1539 et en juin, juillet et octobre 154039. Enfin, avec Dourdan et Meudon, Angervilliers, qui faisait aussi partie de l’héritage des Sanguyn, complétait bien le duché d’Etampes au nord- est. La situation d’Anne lui permet de promouvoir les intérêts de sa famille. Au centre se trouvent ses frères, surtout Adrien, sieur d’Heilly. Homme d’armes dès 1519, il est nommé comme l’un des capitaines de 4 000 piétons picards en 152340. En 1534 son nom apparaît parmi les capitaines de la nouvelle légion picarde et il est nommé gouverneur de Hesdin, charge qu’il conservera jusqu’à 154741. En 1543, l’union de la fille d’Adrien, Jossine, avec Robert de Lenoncourt, renforce les liens avec un conseiller du roi, le cardinal de Lenoncourt42. Lorsqu’en 1538 son frère Charles atteint l’âge de 18 ans, elle obtient pour lui un monastère et l’administration du diocèse de Mende avant l’âge canonial – « cosa rara e insolita » - et le nonce du Pape lui dit que Paul III « l’amava da figliola ». Charles se rend à Rome immédiatement et gagne l’évêché « per respetto di quella dama »43. Bien que l’on ait parlé du mariage de sa sœur Péronne avec Gabriel marquis de Saluces en 1538-3944, celle-ci épouse finalement Michel de Barbançon, sieur de Cany, gentilhomme picard et lieutenant-général de la Picardie entre 1541 et 1543. Anne se soucia des affaires de sa nièce Diane, née de ce mariage45. Elle facilite aussi le mariage de sa demi-sœur Charlotte en 1537 avec François comte de Vertus, de la famille de Brosse-Bretagne, cousin de son mari46. Mais, le mariage auquel elle a attaché le plus d’importance est celui de sa demi-sœur Louise avec 33 CAF, III, 499, 9807; 562, 10097; IV, 360, 12690; IV, 441, 13073; IV,95, 11440 34 Inventaire des registres des Insinuations du Châtelet de Paris,. A. CAMPARDAN et A. TUETEY, Paris, 1906, n° 1899. 35 CAF III, 561, 10094; ANG, I, p. 579; CAF, IV, 81, 11372 36 CAF III, 652, 10497; 562, 10095; 352, 9140 37 M. CHATENET, op.cit., p. 52 et 302 38 Insinuations du Châtelet, n° 780 (7 août 1542); 822 (30 août, 3 septembre 1542) 39 ANG, I, p. 435, 566 et 611 (27-31 octobre). 40 G. et M. DU BELLAY, Mémoires, V.-L. BOURRILLY éd., Paris, 1908-19, I, p. 225. 41 DU BELLAY, Mémoires, op.cit., II, p. 290 ; David POTTER, War and Government in the French Provinces, Cambridge, 1993, p. 135-6. 42 ANSELME, op.cit., VIII, p. 747; ANG, III, p. 226. 43 ANG I, p. 399-401, ibid., p. 405 44 ANG, I, p. 399, 442, 483 45 David POTTER, War and Government in the French Provinces: Picardy 1470-1560 (Cambridge, 1993), p.76-7. David POTTER, “Marriage and cruelty among the Protestant nobility in sixteenth-century France”, European History Quarterly, 20, 1990, p. 5-38 46 CAF, VIII, 31414 (avril 1538) Charles Chabot, sieur de Jarnac, neveu de l’amiral Philippe Chabot de Brion, célébré en 1540-41. Il correspond avec le moment du retour de l’amiral à la faveur du roi après la chute de Montmorency et donne naissance à un lien durable. Sa parenté maternelle, les Sanguyn, la lie à une famille qui avait fait son chemin dans le monde des hautes charges financières, d’abord partisane des ducs de Bourgogne au cours du premier XVe siècle et anoblie vers 1400. Le grand-père d’Anne, Antoine Sanguyn, avait tenu le domaine de Meudon. Sa mère, Anne Sanguyn avait deux frères : Jean, sieur de Meudon et Angervilliers est maître d’hôtel du roi et lieutenant-gouverneur de Paris en 1539, année de son décès ; Antoine devient évêque d’Orléans en 1533. A la fin des années 1530, la duchesse use de son influence pour obtenir le cardinalat pour lui. A cette occasion, Marguerite de Navarre prévient le nonce que, si la nomination n’intervenait pas rapidement, ceci risquait de remettre en question la loyauté du roi à Rome « perché si ha da fare con una donna troppo inquieta »47. Antoine reçoit le bonnet rouge en 1539 et se fait appeler le cardinal « de Meudon ». En 1543, il est nommé grand aumônier de France. En 1544, il accède au gouvernorat de Paris. Et, à partir de 1553, il termine sa vie archevêque de Toulouse. On peut penser que le don de la seigneurie de Meudon à sa nièce, dont il se réserve l’usufruit sa vie durant48, constitue un remerciement pour son indéfectible soutien. Il lui avait déjà transféré ses intérêts dans les seigneuries d’Angervilliers et de Bures49. Nicolas de Bossut, sieur de Longueval, est peut-être un parent assez éloigné de la duchesse. On le dit parfois son « oncle » mais il n’existe aucune preuve de ce lien50. Cependant, en 1569, Anne écrit à Nicolas de Pellevé (évêque d’Amiens et archevêque de Sens), au sujet du mariage projeté entre son neveu Jean, sieur d’Heilly et Françoise de Pellevé, la nièce du prélat : « ce me sera d’heur que le nom et armes de vostre maison soit conioncte à la nostre de laquelle vous cognoissez l’antienneté et par le moien rendre indissoluble le lien d’amytié qui de long temps a esté en la personne de feu Monsieur de Longueval vostre oncle et depuys continué entre vous et moy. » Nicolas de Pellevé était le petit-neveu de Longueval par sa mère et Anne souhaitait qu’il accepte Jean comme une sorte de beau-fils « d’autant que vous serves à vostre niece de pere puys qu’il a pleu à Dieu l’en priver de sy bonne heure ». Qui plus est, Adrienne de Bossut (de toute évidence la fille de Longueval), dame d’honneur de la reine Eléonore, était la première femme de Guy Chabot de Jarnac51. Longueval compte parmi les amis et alliés les plus proches d’Anne. Il joue un rôle capital dans le monde de la politique, de la guerre et de la diplomatie, particulièrement dans la dernière période du règne de François Ier52. Par exemple, c’est lui qui gère les négociations pour l’alliance avec le duc de Clèves et le mariage entre le duc et Jeanne d’Albret en 1541. Au printemps de 1542, il lève des hommes sur les territoires du duc et dans d’autres terres de l’Empire avoisinantes et, la guerre avec l’Empereur ouverte, les mène contre les Pays-Bas. Par la suite, il est nommé gouverneur de Champagne, de la forteresse de Stenay, puis de Luxembourg53. A 47 ANG I, p. 435, 456. 48 ANSELME, op.cit., VIII, ‘grands aumoniers’, p. 263. 49 Insinuations au Châtelet, n° 183. 50 ANG III, p. 231, 384. 51 SAP 57, no.38. Anne à Nicolas de Pellevé, Egreville, 21 June 1569. ANSELME, op.cit., V, p. 736. 52 DU BELLAY, Mémoires, op.cit., I, p. 252; Robert de LA MARCK-FLORANGE, Mémoires, R. GOUBAIX et P. LEMOISNE éd., 2 t., Paris, 1913-24, II, p. 130, 136; CAF, 20046, 9945, 11785. 53 G. BERS, Die Allianz Frankreich-Kleve während des Geldrischen Kriegs … 1539-43, Cologne, 1969, p. 168, 171 et 340-41. Mézières en 1545, il collabore avec Jean de Fraisse, envoyé en Allemagne pour débaucher des mercenaires au service d’Henry VIII54. Il appartient ainsi au groupe politique dominant aux côtés de Tournon, Annebault et Grignan et travaille souvent avec un autre diplomate associé à Mme d’Etampes, La Planche55. Longueval a encouru une certaine damnatio memoriae à la suite de son association avec Mme d’Etampes et on lui attribue de nombreuses trahisons, bien que de Thou les ait rejetées à la fin du siècle56. Sa maison à Marchais, près de Laon, où il commença vers 1540 à bâtir un château renaissance, fut plus tard embellie par le cardinal de Lorraine57. Anne réussit de plus en plus pendant les années 1540 à placer ses amis et parents à la cour. Ainsi, Longueval apparaît dans la liste des maîtres d’hôtel du roi en 1540, Adrien de Pisseleu est écuyer d’écurie en 1530 et Jarnac panetier du roi. Tous trois deviennent gentilshommes de la chambre en 154458. De plus, elle cherche activement des nominations ecclésiastiques, par exemple le cardinalat pour Georges d’Amboise59. Anne possède le droit d’accès à la personne du roi. Elle jouit aussi de l’affectation d’appartements privilégiés dans les châteaux royaux et parfois, lorsque la cour est en marche, de logis bien placés. Il va sans dire qu’elle se sert de toutes les occasions pour obtenir des moments intimes avec le roi, (quitte à ne pas respecter le protocole). En novembre 1540, le roi montre sa chambre et sa galerie à l’ambassadeur anglais, Wallop. L’on arrive enfin à la suite des bains au dessous de la galerie, où Wallop observe : «fynding Madame de Estampes, and Madame Dowbeyney [d’Aubigny], in a chambre next unto them, where was two beddes: and in myn oppynion, theye more mete to be in the said baynes, then to lye with theire howsbandes. Madame de Estampes hathe ben long sycke, and lokes therafter; and Madame Dawbeyney ys leane, lame, and wetherd awaye; and that is the cause, by that I perceyve, of theire lying there.» A Fontainebleau en février 1541, pendant les préparatifs du mariage entre Louise de Pisseleu et Guy Chabot, elle reçoit fréquemment les visites de François 1er en restant au lit. En août 1542, lorsque la cour reste à Moulins, seules la duchesse d’Etampes et quelques autres familières du roi l’accompagnent à la chasse au cerf60. En mai 1543, le roi étant à Villers- Cotterêts, Anne demeure dans un château avoisinant61. Brantôme donne parfois l’impression que la cour de François Ier était une sorte de seraglio royal62. Les auteurs de mémoires écrivirent plus tard avec délectation au sujet de la « petite bande » de femmes, ayant comme centre Mme d’Etampes. Peut-être Brantôme lui-même a-t-il répandu le terme dans ses Dames galantes bien qu’il soit évident qu’il existait un tel groupe de femmes autour du roi63. Mais dans sa biographie de François Ier et dans les Dames galantes, Brantôme souligne le rôle civilisateur des femmes de cour et le contraste avec l’introduction des « putains » par les rois ses prédécesseurs. Il écrit même que François, au début de son règne, pensa que « toute la décoration d’une cour estoit des dames … Comme de 54 J. DES MONSTIERS MERINVILLE, Un évêque ambassadeur au XVIe siècle, Limoges, 1895, p. 53-5, 76, 81, 95- 8, 100, 103, 112-14, 119-20 et 124-6 55 LP, XVII, 838; BnF, ms frçs, 6616, f° 110. 56 J.-A. DE THOU, Histoire universelle, Londres, 1734, I, livre III, p. 239. 57 L.-H. LABANDE, Marchais. Château des ducs de Guise, des princes de Condé et des princes de Monaco, Monaco, 1927. 58 BnF, ms frçs 21450 59 ANG III, p. 353-4, 418, 426 et 441. 60 SP, VIII, p.479. ANG, III, p. 23, 25-6, 31; ibid, p. 74. 61 ANG, III, p. 227. 62 P. DE BOURDEILLE DE BRANTOME, Dames galantes, op.cit., p. 174, 256, 248, 348-9. Knecht, op.cit., p. 561-2. 63 Ibid., p. 345 vray, une cour sans dames c’est un jardin sans aucunes belles fleurs ». Selon lui aussi, François ne se comportait pas en Heliogabale, mais plutôt encourageait des « dames de maison, des demoiselles de réputation » dans sa cour. Il trouvait normal que le roi ait des liaisons amoureuses mais, selon lui, on ne pouvait l’en blâmer. N’était-il pas préférable « de recevoir une si honneste troupe de dames et damoiselles », plutôt que de suivre ses prédécesseurs en permettant une suite de « putains » ? Ainsi, pour Brantôme, une cour sans les femmes ne valait pas le nom : « une cour sans dames est une cour sans cour »64. Il montre curieusement beaucoup de retenu au sujet des contes qui impliquèrent Mme d’Etampes, ne nous relatant que l’histoire de son avènement comme maîtresse du roi, suite à l’histoire de la dignité montrée par Mme de Châteaubriant face à la demande du retour des joyaux offerts par le roi et réclamés par Mlle d’Heilly65. Il faut se souvenir des observations de Brantôme lorsque l’on discute de la « petite bande ». A part Mme d’Etampes et peut-être aussi Mmes de Canaples et de Massy, la plupart ne partage pas la qualité de « maîtresses ». Ce sont des femmes dans la compagnie desquelles le roi prend plaisir. Avec elles, il aime de temps en temps se retirer du tumulte de la cour dans la vie quasi-privée des maisons de campagne. En 1520, lorsqu’il se retire avec certains « pochissimi cortegiani », l’ambassadeur de Mantoue écrit que « le donne vi sono andate » avec le roi au petit château de chasse à Fontainebleau, pas encore reconstruit66. A la fin de son règne, en avril 1545, alors que la cour reste à Saint-Germain, le roi se retire pour la tranquillité à La Motte, car il désire chasser dans la première soirée avec le dauphin, la duchesse d’Étampes, l’amiral, le cardinal de Ferrare et madame de Massy « et insomma tutto il piccolo trayno »67. Qui compose cette « petite bande » ? Lors de son voyage à Bruxelles avec la reine Eléonore en septembre 1544 afin de symboliser la réconciliation du roi avec l’empereur, Anne est reçue - « enterteyned and fested » - par Charles-Quint lui-même. L’ambassadeur de Mantoue Annibale Caro décrit la scène dans les moindres détails et nous révèle qu’Anne a voyagé aux côtés de la reine dans sa litière. Quand les deux cours se rencontrent, on s’embrasse beaucoup et la sœur d’Anne, la comtesse de Vertus, chute de son cheval en embrassant l’empereur ; l’on rit68. Mmes de Vertus et de Massy et toute la compagnie des dames françaises reçoivent en cadeau de l’empereur des joyaux princiers. Qui plus est, on dit que quelques gens de la suite de l’empereur en sont venus aux mains à propos de la question de qui accompagnerait Mme de Massy, « she that the French King favoreth, as it is sayde, by Madame d’Estampes mediation ». Le vice-roi de Sicile prétendant qu’elle était sa maîtresse mais Feria, maître des cérémonies, ayant obtenu le droit de l’accompagner jusqu’aux portes de la ville, il a fallu que l’empereur, leur maître, intervienne pour les faire séparer afin d’éviter un combat69. En janvier 1547, l’ambassadeur de Ferrare mentionne les noms de Mme de Canaples, M de Massy, une demoiselle de Saint-Blancard et une Mlle de Nesles70. La « petite bande » me comporte aussi deux sœurs de la duchesse, la comtesse de Vertus et Mme de Cany, ainsi que Jacqueline de Longwy, duchesse de Montpensier et Françoise de Longwy, femme de l’amiral 64 P. DE BOURDEILLE DE BRANTOME, Œuvres complètes, J.A.C. BUCHON éd. 2 t., Paris, 1838, I, p. 257-8 65 Ibid., p. 367. 66 Monique CHATENET, “Etiquette and architecture at the court of the last Valois”, dans Court Festivals of the European Renaissance, J.R. Mulryne et E. Goldring éd., Ashgate, 2002, p. 83. 67 AS Modena, Cancelleria, Estero, Ambasciatori, Francia, busta 22, Alvarotti, Paris, 17 janvier 1546. 68 Lettere familiari dal commendatore Annibal Caro (1763), III, p. 137. SP, X, p. 151, 179 (LP, XIX, ii, 568). 69 SP X, p. 179-80 (LP, XIX, ii, 568); LP, XIX, ii, 570. 70 AS Modena, Francia, busta 24, Giulio Alvarotti au duc de Ferrare, La Ferté-Millon, 8 janvier 1547. Chabot, toutes deux filles du sieur de Givry et de Jeanne, la sœur bâtarde de François Ier71. On y joint parfois aussi Françoise d’Alençon duchesse de Vendôme, personnage d’influence à la cour, pour laquelle le roi a tant d’affection qu’il crée pour elle le duché de Beaumont. En 1546, l’ambassadeur de ses parents mantouans rapporte qu’elle a passé trois jours à Fontainebleau « a devisare co’l Christianissmo, la cui Maestà per questo a per mostrargli il luoco regale a godersi ancora un poco, l’havea mandato a dimandare honorata et accarezzata molto da quella e presentata de parecchie cosette del regio gabinetto se ne tornò alla Fera. »72 Cependant, de toute la “petite bande” la duchesse d’Etampes paraît être la seule à avoir eu une réelle influence politique sur le roi. I.2. L’apogée du pouvoir politique Même si l’on remarque une certaine influence personnelle d’Anne de Pisseleu sur le roi vers la fin des années 1520, c’est entre 1535 et 1540 que cette influence devient vraiment formidable, en partie à cause des conflits bien connus au sein de l’entourage royal entre les favoris Montmorency et Chabot. De prime abord, Mme d’Etampes n’est ni ennemie acharnée du connétable, ni amie loyal de l’amiral ; au milieu des années 1530, elle se revendique même parmi les amis de Montmorency73. A la fin des années 1530, l’existence de deux groupes rivaux va de soi. En octobre 1542, William Paget, ambassadeur anglais, ne déclare-t-il pas à Chabot « It is not unknowen unto all the woorld, that this Courte is divided, for there is the Quene of Navare, Monsr dOrleans, Madame dEstampes, and you, and on thother syde the Quene, the Dolphin, the Constable, and all moost all the Cardinalles against youe. » Paget estime d’ailleurs que même si l’amiral a la confiance du roi à ce moment, ses ennemis, qui prétendent qu’il est indécis, pourraient bien prendre leur revanche. A cela l’amiral sourit d’un air las et fait observer à son interlocuteur que nul homme ne peut servir sans ennemis, and « men must serve and abyde the aventure »74. Dès 1540, Mme d’Etampes devient un acteur permanent ès calculs politiques, sur lequel les ambassadeurs s’empressent de conjecturer. Les uns lui reconnaissent de talents de médiatrice. Les autres ne voient en elle qu’une force dangereuse et capricieuse. L’on a avancé que, bien qu’elle favorise l’alliance anglaise plutôt qu’impériale et qu’elle devient plus tard une protestante avérée, elle joue un rôle essentiellement capricieux dans la politique de cour, changeant d’avis selon son humeur du moment75. C’est une question difficile à résoudre. Le voyage de l’empereur à travers la France en 1539 est un moment révélateur. Il symbolise l’apogée de la politique menée par Montmorency de rapprochement avec Charles Quint. La duchesse d’Etampes sait habilement profiter de l’échec de cette politique en jetant le discrédit sur le connétable76. On a souvent suggéré que pendant les années 1540-47, la cour de France était déchirée par de fortes rivalités. Mais en fait, après 1541, les bouleversements sérieux des années 1535 à 1540 sont terminés car dès cette époque, François Nawrocki l’a 71 1 April 1547, HHSA, Frankreich 14, rapport du 6 avril, Frankreich, Varia 6, nachtrag, fos.16-19 72 M. CHATENET, op.cit., p. 38 73 BnF ms frçs 3032 f° 97. 74 SP, IX, p. 194-5. 75 R. J. KNECHT, op.cit., p. 497. 76 Ibid., p. 406-407; ANG, I, p. 546 confirmé, la plupart des conseillers importants sont des alliés ou des dépendants de M me d’Etampes, ce qui lui permet de dominer les affaires. L’accès à la faveur du roi dépend d’elle77. L’ambassadeur impérial, Saint-Vincent, suggère que l’entrée du cardinal Hippolyte de Ferrare au conseil du roi en 1540, a été accomplie par son intervention78. Toutefois, la nomination de ses clients et de ses amis ne s’est pas toujours accomplie sans heurs. En 1542, l’on parle de Longueval comme successeur de Montmorency à l’office de grand maître. Pourtant, cela n’arriva pas. Suite à la mort de Chabot en juin 1543, on parle du duc d’Etampes pour la charge de l’amiral mais en février 1544 c’est d’Annebault qui en est pourvu79. Un aspect fascinant de la domination de la duchesse d’Etampes est son rapport avec Marguerite de Navarre. Marguerite avoue au duc de Norfolk en février 1540 qu’il lui a fallu demander l’intervention de Mme d’Etampes lorsque le connétable avait essayé de monter le roi contre elle. L’ambassadeur John Wallop ajoute en avril que la reine de Navarre lui a dit que «these thinges must be wrought onely by Madame dEstampes, unto whom the King now of late hathe geven eayre merveylusly well.» En février 1542 rappelle ses mots à Norfolk en déclarant à William Paget que maintenant tous les ministres du roi sont favorables à Henry VIII et que «Madame dEstampes and I be his handmaydes.» 80. Les rapports des deux femmes sont complexes et ce n’est pas le lieu de les élucider. On les a parfois représentées comme rivales, mais elles ont souvent partagé des buts tactiques en matière de politique curiale. Bien que Marguerite ait souvent été hargneuse à l’égard des autres, elle ne l’a jamais été à l’égard d’Anne. Tandis que Marguerite regrette la politique du roi de marier sa fille Jeanne au duc de Clèves, elle loue Anne qui l’avait « molto ben servita e aiutata ». Mais en octobre 1541, on dit que la duchesse « est entierement pour » le duc de Clèves81. Marguerite va jusqu’à lui dédier son poème La Coche (1541-1542) dans lequel la duchesse est comparée à « un soleil au milieu des estoilles » qui « Pour ses amys elle n’espargne rien/ Et des meschants ennemis ne se venge ». Marguerite s’adresse à elle comme « ma cousine et ma maistresse ». On a suggéré que par ce poème Marguerite tente attirer la bienveillance d’Anne afin de regagner la faveur de son frère le roi, à un moment (en 1541) où leurs intérêts sont en conflit à propos du mariage de Clèves82. Dès 1543, on rapporte que Mme d’Etampes presse le mariage de Jeanne avec duc d’Orléans, le fils du roi83. En 1540, le maniement des affaires tombe entre les mains d’un groupe de cardinaux comportant du Bellay et Tournon avec Mâcon et l’évêque de Soissons en plus. En août 1540, l’ambassadeur impérial, Saint-Vincent remarque que « se tiene consejo donde el dicho Señor Rey halla alguna vez y las mas vezes a largas platicas aparte con el chanciller y cardinal de Tournon, las quales con Madame d’Etampes que es cabeza del Consejo mas privada son sin intermission cabe el dicho Senor Rey a deduzio el y a parle cada dia segun se presume del camino mas necessario al bien de la Christianidad. » 77 François NAWROCKI, « L’amiral Claude d’Annebault (vers 1495-1552): Faveur du roi et gouvernement du royaume au milieu du XVIe siècle », Ecole des Chartes, diplome d’études approfondis, 2001, 2 t.; Francis DECRUE, Anne de Montmorency, connétable et pair de France sous les rois Henri II, François II et Charles IX, Paris, 1885, p. 4. 78 A.N., K 1485 (Arch. Simancas), lettre de Saint-Vincent à l’empereur, 10 août 1540. 79 SP, VIII, p. 34; ANG, III, p. 229, 231. CAF, IV, 555, 13594 80 SP, VIII, p. 259, 318, 660. 81 ANG, III, p. 13; Bers, op.cit., n° 48. 82 Marguerite DE NAVARRE, La coche ou débat d’Amour, R. MARICHAL éd., Genève, 1971, p. 36-8. 83 ANG, III, p. 264 Saint-Vincent suggère que Mme d’Etampes, avec Tournon et le chancelier Poyet encouragent le roi à la paix avec l’empereur à cet effet. Leurs partisans préviennent l’ambassadeur des maux qui pourraient survenir « si dura el credito de aquellos que son contra dello ». Bien que le roi affecte une paisible sérénité en public, ils font allusion à des projets secrets, « de sus preparaciones de guerra », dont il discute seulement avec les dames84. En septembre 1540 elle provoque la colère du roi lorsqu’elle lui rappelle, à propos de Montmorency, que « C’est un grand coquin : il a trompé le roi en disant que l’empereur lui donnerait tout de suite le Milanais quand il savait le contraire »85. Parmi les autres grands personnages de la cour, il est évident que Marguerite de Navarre travaille contre le connétable tandis que le dauphin Henri reste méfiant à l’égard d’Anne et insiste pour que sa femme ne se montre pas amicale à son égard86. Chabot a toujours pu compter sur le soutien de la duchesse87, même au cours de son procès présidé par le chancelier. Paulin Paris a soutenu que le fait que Mme d’Etampes n’a pas pu éviter sa condamnation, indique qu’elle jouissait d’une influence politique très limitée88. Mais jusqu’à l’exil définitif de Montmorency de la cour, il aurait été impossible d’arrêter la procédure. Au moins Anne a su prolonger le procès, puis, dès que l’opportunité politique s’est présentée, c’est elle qui a assuré la libération de l’amiral de prison et son retour à la cour, tout en consolidant son alliance avec lui par le mariage du neveu de Jarnac à sa sœur en février 154189, des noces magnifiques dont l’amiral évidemment espérait tirer de grandes choses90. Début 1541 cependant, plus le crédit du connétable baisse, plus l’espérance d’une exonération définitive pour Chabot augmente91 car Mme d’Étampes et ses alliés le comte de Saint-Pol, le maréchal d’Annebault, les cardinaux de Givry et de Meudon travaillent à regagner sa faveur auprès le roi92. En juin 1541, après l’humiliation du connétable au mariage de Jeanne d’Albret, les ambassadeurs commencent à conjecturer sur le maniement des affaires. On mentionne les noms du chancelier, d’Annebault, de Tournon ou de Saint-Pol, et on suggère même celui de la duchesse d’Etampes. Dandino, espère qu’un cardinal prendrait la charge, « et tutto pende ogni di più dal cancelliere et da Tornone, lasciando da parte madama di Tampes, alla quale non si può dare comparatione, et est omni exceptione major »93. Au printemps et à l’été 1541, l’ambassadeur de Ferrare dit qu’elle a charge de tout et l’ambassadeur impérial ajoute : « N’y a personne du conseil, de moings s’il veut regner, qui ose parler au Roy de chose petite ou grande, s’il ne scet premierement que madame le trouvera bon »94. A part Poyet, les principaux membres conseil sont ses alliés : Annebault, Saint-Pol et Tournon. Quant aux cardinaux de Givry et de Meudon, bien que d’un moindre 84 5 Aug.1540, K 1485 n° 13, copie BL Add. 26592 f° 162v. et C. POREE, Un parlementaire sous François Ier: Guillaume Poyet, 1473-1548, Angers, 1898. SP, VIII, p. 329. 85 Michel FRANÇOIS, Le cardinal François de Tournon, Paris, 1951, p. 179. 86 ANG, III, p. 25-6. 87 LE FERRON, Lib.IX (1554), p. 264. 88 P. PARIS, op.cit., p. 253 89 Saint-Vincent à Marie de Hongrie, 14 mars, 1541, HHSA, Frankreich 9; D. POTTER, « Marriage and Cruelty », art. cité, p. 10. 90 AS Mantoue, A. G. 1954 (Carteggio di Margherita Paleologa), Sigismond de Gonzague à la duchesse de Mantoue, Blois, 1 mars 1541; Charles TERRASSE, François Ier, Paris, 1970, III, p. 77-80. 91 ANG, III, p. 6. Pardon pour Chabot, 12 mars 1541, HHSA, Frankreich, Varia 4, fo.252. 92 AS Mantoue, A. G. 639, Gian Battista Gambara au cardinal et à la duchesse de Mantoue, Paris, 30 octobre 1540 93 ANG, III, p. 11. 94 AS Modena, Francia, busta 17, Lodovico Thiene au duc de Ferrare, Moulins, 21 août 1541. Saint-Vincent, 7 mai 1541, HHSA, P.A.41, fo.47r. poids politique, ils sont parmi ses proches. Quoique plus indépendants, les cardinaux de Lorraine et du Bellay inclinent de plus en plus vers elle et délaissent le connétable95. En novembre on remarque que, bien que Chabot ait regagné la faveur du roi, il exerce son autorité « undir the wing of Madame d’Estampes »96. Dès février 1542, selon l’ambassadeur impérial Marnol, «lad. dame d’Estampes ... a de present entre ses mains tout pouvoir pour, conforme à son intention, establir ce que plus luy plait et deffaire entierement toutes personnes contres à ses desseings, et ne reste personne qui puist riens davantaige de son plaisir ... tous ceulx du present gouvernement dependent d’elle et des siens et entre aultres monsr. l’admiral, ayant ainsi aujourd’huy principale charge et entremise en ce royaulme.» Il ajoute que « la presente administration et gouvernement sera de longue duree »97. Les moyens employés par Anne de Pisseleu afin de maintenir son empire sentimental sur le roi donnaient lieux à beaucoup de conjectures de la part des contemporains, quoique des historiens modernes les aient étrangement minimisés98. En 1540, Marguerite de Navarre déclare au duc de Norfolk : « My brother is of this sort, that a thyng being fixed in his hed is half impossible to be plucked out » et ajoute que seuls Madame d’Etampes ou le cardinal de Lorraine pouvaient le faire99. L’incapacité de Montmorency à travailler avec Mme d’Etampes s’est avérée coûteuse pour lui. Dans un entretien en décembre1540 avec le connétable, le roi, selon le récit de l’ambassadeur anglais John Wallop lui dit, les larmes aux yeux, « ‘I can fynd but one fault in you: wiche is that you do not love those that I do’ meaning towardes Madame dEstampez »100. Anne a toujours su mettre en scène des tableaux dramatiques ou des crises de colère. En février 1541, le roi vient lui rendre visite dans sa chambre, où la femme de l’amiral, Françoise de Longwy, tombe à ses pieds et s’écrie : « Sire, ayez pitié et miséricorde de mon mari ! », suivie par toute la compagnie des dames. La scène, probablement préméditée, renforce colère du roi contre le chancelier Poyet. Un mois plus tard, l’on dit que la duchesse a soumis le chancelier à une dénonciation féroce, lui disant qu’elle ne lui pardonnerait jamais. Le chancelier est réduit aux larmes101. Début 1542, au moment où le connétable fait l’objet d’une enquête pour corruption, l’ambassadeur impérial Marnol rend compte qu’on avait entendu dire par le roi : «present plusieurs ministres, que l’on faisoit tort aud. sr. connestable de telles inquisitions, aussi de l’eslongner de son service condideré son ydoineyté, loyauté et suffisance ... lad. dame d’Estampes, advertye de ces propoz, vint devers led. sr. Roy se demonstrant triste selon sa coustume en tel cas, extremement desplaisanta sans expression de la cause de son courroux.» Dans la suite de son rapport, Marnol ajoute qu’après des questions répétées, le roi persuade la duchesse de dire ce qu’elle pense de sa décision. Elle dit alors que cela mettrait en cause l’autorité du roi par ce que le connétable se vantait déjà que le roi le rappelait au pouvoir avec plus grand « honneur et reputacion ». Convaincu de l’outrecuidance de Montmorency, 95 Cédric MICHON, « Les richesses de la faveur à la Renaissance. Jean de Lorraine (1498-1550) et François Ier », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2003, p. 34-61. 96 SP, VIII, p. 632. 97 Marnol, 11 fév.1542, HHSA, Frankreich 10; HHSA, P.A. 62 fo.29v 98 G. DODU, « Les amours et la mort de François Ier », Revue historique 161, 1929, p. 237-77. 99 SP, VIII, p. 259. 100 St.P., VIII, p. 501. 101 AS Modena, Francia, busta 16, Carlo Sacrati au duc de Ferrare, Paris, 14 février 1541. SP, VIII, p.533. François « sans aultre information desd. propoz de bien grant colère dit que led. sr. connestable verroit le besoing qu’il auroit de son service et entremise »102. Les ambassadeurs étrangers (tous, bien entendu, mâles) soulignent sa variabilité, quoiqu’il soit évident que tout était variable à la cour de France (sauf peut-être la routine cérémonielle). En septembre 1541, l’ambassadeur Howard est sur que «those that beyre all the stroke now abowt the Kinge is Ma Dame de Estampes chefely, for all the rest be affrayed of hyr.» En mai 1542, Marnol toujours, observe que la faveur de l’amiral Chabot est acquise mais ajoute que « son auctorité deppend de la seureté qui se peult prendre en Madame d’Estampes, qui toute sa vie a esté legiere et instable »103. Déjà en mars 1541, lors de la renaissance momentanée des fortunes du connétable, le même observateur avait constaté, bien qu’il ait parlé à Mme d’Etampes : « Quant tout est dit … il y a en ceste court si fréquent et continuel changement de toutes choses que l’on ne scet à quoy se tenir, et est le Roy plus souspeconneux et difficile à congnoistre qu’il ne souloit ». On venait de condamner l’amiral à une énorme amende immédiatement renversée par l’intervention de Mme d’Etampes, dont la haine contre le chancelier Poyet ne cessait de croître. En août 1542, lorsque le chancelier est incarcéré, il écrit une lettre servile à la duchesse104 qui ne prend même pas la peine de lui répondre. Dès le début de la guerre en 1542, Mme d’Etampes par nécessité joue un rôle plus effacé. Mais tandis que le roi se déplace vers le Languedoc afin de veiller sur les campagnes de Roussillon et de Piedmont (la reine et la dauphine restant à Blois), Mme d’Etampes et les autres dames accompagnent le roi jusqu’à Vienne et Valence, où elles lui font leurs adieux avant de rentrer à Lyon. Cependant, on tient la duchesse au courant de la campagne aux Pays-Bas par lettres de Longueval transmises par le secrétaire Bochetel105. Pendant la campagne de Landrecies en 1543, Mme d’Etampes et la princesse Marguerite accompagnent le roi jusqu’à Saint-Quentin. Mais, faute de vivres pour l’approvisionnement de la « petite bande », elles en repartent rapidement106. Jusqu’à 1543, compte tenu de la disposition volatile du roi, le retour du connétable demeure possible. En mars, le nonce du Pape décrit le tempérament guerrier du roi mais suppose que la plupart de ses conseillers sont las de la guerre. En outre, les « dames » n’apprécient pas les dépenses sur les matières de la guerre, l’amiral Chabot et Claude d’Annebault, conscients de leur échec à Perpignan, craignent le rappel du connétable, quant au cardinal de Tournon, dont la réputation dépend d’eux, il veut lui aussi la paix107. En mai 1543, l’on dit que le Dauphin « si dispera di questi modi del padre » avec Mme d’Etampes, tandis que ni Tournon ni Annebault ne peuvent parler franchement à propos des affaires. Chabot, malade dès l’automne de 1542, fut in articulo mortis et Annebault prêt à prendre sa place. Le nonce Dandino rend compte en mai 1543 que « Tornone et Annebao che governano di presente essendo l’amiral in termine che è più morto che vivo »108. Dès l’été 1543, Annebault prend en charge le maniement des affaires, en correspondant avec les ambassadeurs et les gouverneurs de province. En révélant ses capacités et son indépendance vis-à-vis de Mme d’Etampes, la récente thèse que François Nawrocki a consacré à d’Annebault a réhabilité un conseiller longtemps regardé dédaigneusement comme un 102 Marnol à Charles V, Paris, 11 fév. 1542, HHSA, Frankreich 10. 103 Howard, 24 septembre 1541, SP, VIII, p.608-9. Marnol à Charles V, 2 mai 1542, HHSA, Frankreich 10. 104 Saint-Vincent à Marie de Hongrie, 14 mars, 1541, HHSA, Frankreich 9 ; C. POREE, op.cit., p. 104-107. 105 Da Thiene, 10, 11, 15 août 1542, AS Modena, Francia, B 18; ANG, III, p. 155. 106 ANG, III, p. 232, 260. 107 ANG, III, p. 191. 108 ANG III, p. 220-21. personnage de petite capacité109. Ce travail a permis de redécouvrir un homme que ses contemporains regardaient comme le seul conseiller important de François Ier qui ne s’était pas engraissé pas sur le dos des revenus publics. La domination que Mme d’Etampes exerce sur la cour a-t-elle permis de diminuer les agitations qui la parcourent ? Une lettre bien connue, écrite au début de 1544 de la cour de France par Martin van Rossem, un soldat gueldrois longtemps demeuré au service du roi, révèle que des conflits continuaient. Elle signale l’importance croissante de Longueval et l’opinion générale que la maîtresse du roi, intervient dans les affaires militaires, ce qui irrite les capitaines « grandement despitéz que ceste femme a osé usurper telle autorité de commander et se mesler du fait de la guerre »110. Un rapport d’espion en mai rend compte que « Madame d’Estampes est tousjours en credit et en grace. Monsieur l’Amyral est le facteur du Roy et celluy auquel il commande toutes choses »111. En juillet, lors d’une maladie du roi, seuls Mme d’Etampes, le cardinal de Lorraine, la reine de Navarre et Boisy ont le droit d’accès à sa chambre112. L’on considère généralement l’amiral d’Annebault dès 1544 comme tout puissant (« governing all » comme disent les Anglais). Mais, selon William Paget en juillet 1545, Mme d’Etampes, le Dauphin (qui s’oppose formellement au traité de Crépy) et Longueval travaillent à l’exclure des affaires. Une fois l’amiral absent car en campagne de mer contre les Anglais, on dit que Longueval « cercasse di entrar nelle facende col favor di madame de Tampes »113. Même après la mort du duc d’Orléans, on continue de le lier avec eux, contre la politique de Tournon, Annebault et Bayard114. En conséquence de quoi, François Nawrocki a fermement repoussé l’idée que l’amiral était la créature de Mme d’Etampes115. Au contraire, il semble que leurs intérêts parfois s’harmonisaient et parfois s’opposaient. Qui plus est, ses relations avec le cardinal de Tournon devinrent très orageuses. En septembre 1545, le duc d’Orléans, gage du traité de Crépy, meurt en Picardie et Anne et Marguerite, alors à Beauvais, s’empressent de rejoindre le roi afin de le réconforter116. Une tentative de la part de Tournon en octobre 1545 de persuader le roi de nommer le Dauphin chef du conseil des affaires, afin de le préparer à son futur rôle (et pour se le concilier), échoue par ce que le dauphin a décidé d’éviter les affrontements avec son père et de vivre en paix avec lui117. Le conflit entre Mme d’Etampes et Tournon arrive à un point critique au début de 1545, peut-être en lien avec l’attaque du cardinal contre son protégé, Virginio Orsini, comte d’Anguillara, autrefois amiral de la marine du Levant mais maintenant en état d’arrestation. L’orage ne parvient à s’apaiser qu’avec la soumission du cardinal118. 109 Pierre de Bourdeille, seigneur de BRANTOME, Œuvres complètes, Ludovic LALANNE éd., Paris, 1864-1882, III, p. 210. E. DERMENGHEM, « Un ministre de François Ier: la grandeur et disgrâce de l’amiral Claude d’Annebault », Revue du XVIe siècle, IX, 1922, p. 34-50, maintenant remplacé par la thèse de François Nawrocki. 110 Charles PAILLARD, « Documents relatifs aux projets d’évasion de François Ier » Revue historique, 8, 1878, p. 345-7. 111 LP, XIX,I,573. 112 Calendar of State Papers Spanish, ed. Bergenroth et al. 12 t., Londres, 1862-95, VII, p. 268. 113 A. DESJARDINS, Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane 6 t., 1859-86, II, p. 150-51; II p. 140; M. FRANÇOIS, op.cit., p. 201. St.P. X, p. 52-22 (juillet 1545), 711-12 (nov. 1545). ANG, III, p. 384. 114 SP, X, p. 753 (déc. 1545). Gaston ZELLER, La réunion de Metz à la France, Strasbourg, 1926, I, p. 113; Londres, NA, SP1/222 fo.7. Robert Knecht, op.cit., p. 497-8. 115 F. NAWROCKI, thèse citée, II, p. 414-17. 116 ANG, III, p. 391. 117 M. FRANÇOIS, op.cit., p. 207, n.4; Calendar of State Papers Spanish, VIII, p. 30-2. Alvarotti, 1 oct. 1545, AS Modena, Francia B 21, fasc. 2, p. 7-5. 118 ANG III, p. 337, 341. Sur Anguillara, voir ibid., 295, 316, 325, 419. Spanish Calendar, VIII, p. 108; Desjardins, op.cit., III, p. 147, 160. François, op.cit., p. 207-209. II. LA DIPLOMATIE : A LA RECHERCHE DE LA PAIX L’entretien entre la duchesse d’Etampes et le nonce en janvier 1546, au sujet de la libération d’Anguillara, révèle son rôle important dans la diplomatie119. Dès la fin des années 1530, il est évident qu’elle manie des négociations délicates. Par exemple, l’on sçait que l’ambassadeur de Henry VIII, John Wallop, s’adresse à elle en 1540 afin de découvrir la direction de la politique française et que le reine de Navarre suggère Longueval pour une mission au roi d’Angleterre. Elle a aussi des entretiens réguliers avec le nonce, en dépit de quelques sympathies, plus ou moins cachées, pour la Réformation, parce que la cour de Rome reste une clef des nominations ecclésiastiques, si importantes pour sa famille et pour ses alliés. Par conséquent, il lui faut régulièrement demander des dispenses pour sa famille et des recommandations pour leurs intérêts120. Lorsqu’un nouveau nonce arrive à la cour, il porte un brevet du Pape à elle adressé comme aux autres conseillers importants du roi121. C’est le cas notamment du cardinal Sadoleto en août 1542. Venu pour servir d’intermédiaire entre le roi et l’empereur, il apporte avec lui un bref du pape à la duchesse et elle lui promet d’intervenir auprès du roi en faveur de la paix122. En décembre 1538, la duchesse a un long entretien avec le nonce à propos de l’alliance matrimoniale entre le jeune Antoine de Bourbon et la petite-fille du Pape, Vittoria Farnese. La famille des Farnese y était favorable mais le roi s’en méfiait. Ferrerio lui conseille de rassurer le roi en lui disant que le pape n’est pas mécontent de son opinion (elle, qui vient, bien sûr, de recevoir un évêché pour son frère). Pour sa part, elle excuse le roi et insiste que « non poteva mancar alla propria figlia » (Marguerite), qu’il veut marier à Antoine. Elle suggére à sa place le frère d’Antoine, le comte d’Enghien. Lorsqu’il est question du duc d’Aumale comme mari de Vittoria en 1540, le nonce prend la peine de discuter la partie avec Mme d’Etampes. Dès avril 1540, Montmorency, de plus en plus méfiant à l’encontre des entretiens entre Anne et le nonce, accuse Ferrerio d’ingratitude. En septembre la lutte pour le pouvoir se fait sentir dans la diplomatie. Mme d’Etampes insiste auprès du nonce, avec Longueval comme intermédiaire, sur le fait que le cardinal Farnese ne peut pas conserver le pouvoir de légat à Avignon à moins d’accepter le cardinal de Lorraine comme légat en France (et certainement pas le neveu de Montmorency, Odet de Coligny)123. Les entretiens entre Anne et le nonce deviennent de plus en plus réguliers vers la fin du règne, en dépit des questions sur ses loyautés religieuses. Les dépêches des nonces révèlent une diplomate accomplie124. Vers la fin de 1543, Le mariage de Vittoria Farnese reste un souci important du Pape et Mme d’Etampes – « nescio quo spiritu ducta » - indique son soutien pour un mariage entre Vittoria et le duc d’Orléans (ce qu’elle avait exclu la semaine auparavant)125. On pourrait avec raison se demander si Mme d’Etampes a été responsable, au moins en partie, de la reprise de la guerre contre l’Empereur en 1542. D’abord il faut signaler qu’elle n’est pas la seule à être intervenu dans la décision. Selon l’ambassadeur impérial en août 1540, Anne a conçu une certaine méfiance à l’égard de Charles Quint lors de son voyage à travers la France en 1539 pour un motif très personnel que « no hizo della estima que sperava » tel que « es muy difficil y impossible de la aportar dello »126. Cela pourrait être l’origine du conte fantasque, 119 ANG, III, p. 419-20. 120 SP, VIII, pp.276, 318, 327 (mars-avril 1540); ANG, I, p. 490, 503 121 ANG, VI, p. 61 122 F. BENOIT, « La légation du cardinal Sadolet auprès de François I er en 1542 » dans Mémoires et documents publiés par ordre de S.A.S. le Prince Louis II de Monaco, Monaco/Paris, 1928, p. 8, n° 5. ANG, III, p. 178. 123 ANG, I,. p. 425, 596, 556, 600-01. 124 ANG III, p. 35-6; ibid., p. 353-4; ibid., p. 419-20. 125 ANG, III, p. 296, 314. 126 Saint-Vincent, 10 août 1540, Simancas, K 1485 no.14, copie BL Add.28592 fo.169r. courant au XVIIe siècle selon lequel l’Empereur avait tenté de gagner sa bienveillance en laissant tomber un anneau précieux à ses pieds lors qu’elle présenta la serviette au dîner des souverains127. Mais la politique de rapprochement de son ennemi Montmorency avec Charles Quint suffit, à elle seule, pour déclencher l’hostilité de la duchesse à l’égard de l’Empereur. Cependant, cela n’est pas tout à fait aussi simple. L’invasion de Charles-Quint et le traité de Crépy ont suscité beaucoup de légendes à l’égard de l’intervention de la duchesse d’Etampes. Ces histoires suggèrent qu’Anne et Longueval ont trahi les intérêts de la France en faveur de l’Empereur et qu’ils sont responsables d’une paix désavantageuse128. Il est vraisemblable, bien sûr, que la duchesse, comme d’autres à la cour, a souhaité une bonne paix plutôt qu’une confrontation dangereuse pendant l’été de 1544. Fin juillet, il semble que des pourparlers ont été initiés par des intermédiaires de peu d’importance comme le confesseur de l’Empereur et qu’il y a eu une rencontre auprès de Bar entre Mme d’Etampes, Longueval et Mailly, bailli de Dijon du côté français et Granvelle et Gonzaga pour l’Empereur129. Même s’ils n’ont été qu’exploratoires, il est invraisemblable que ces pourparlers aient eu lieu sans l’aval du roi ; Cependant, il faut attendre l’intervention d’Annebault et du secrétaire de L’Aubespine pour les pousser plus en avant. Le roi jure de respecter le traité de Crépy à Clermont le 24 septembre, en présence de M d’Etampes « et une bande de dames qu’estoient avec Madame de Massy »130. Très vite, la me cour se divise sur la question de la paix, à commencer par les fils du roi, compte tenu de la promesse d’une souveraineté à part entière pour le duc d’Orléans. Toutes ces tensions entraînent une pression supplémentaire sur les épaules du roi. L’on a dit souvent que Mmed’Etampes a travaillé pour la paix afin d’avancer les intérêts d’Orléans. Mais d’autres comme Tournon et le secrétaire Bayard la désiraient aussi. En outre, les avantages de la paix sont évidents lors des difficultés militaires de l’année 1544131. Grâce à elle, le cardinal de Meudon peut se rendre à Bruxelles en tant qu’otage pour négocier les détails qui restent à résoudre. Les ministres de l’empereur le reçoivent somptueusement132. Une fois la paix conclue, Mme d’Etampes et d’autres de la « petite bande » accompagnent la reine Eléonore et le duc d’Orléans à Bruxelles. Cet événement est extraordinaire car il constitue le seul voyage à l’étranger accompli par la duchesse en qualité de représentant officiel du roi. Il est au moins possible qu’elle montre un souci de l’avenir en cultivant des liens plus proches avec la reine, quoiqu’il soit normal qu’elle accompagne la fille du roi, Madame Marguerite, en tant que gouvernante de sa maison. Une fois la reine arrivée aux Pays-Bas, elle donne une liste de sa suite au représentant de l’Empereur dont la teneur surprend le duc d’Aerschot : « Il me semble qu’elle a en meilleure recommandation le traictement de Madame d’Estampes que le syen ». L’Empereur rencontre la suite de la reine à Mons le 19 septembre et au dîner fastueux qui suit, Mme d’Etampes s’assoit au lieu d’honneur avec la reine133. Les envoyés d’Henry VIII, Hertford et Gardiner, ont reçu pour mission de découvrir sa disposition,. Jean du Bellay répète à eux que «few or none, except Madame dEstampes, the Quene of Navarre, and himself, was affected to Your Majeste of his masters 127 Scipion DUPLEIX, Histoire générale de France 3 t., Paris, 1621-8, embelli par A. VARILLAS, Histoire de France, 1685, II, p. 250. P. PARIS, op.cit., p. 290-93. 128 Ibid, p. 301-7 129 Albin ROZET et Jean-François LEMBEY, L’invasion de France et le siège de Saint-Dizier par Charles-Quint en 1544, Paris, 1910, p. 456. Spanish Calendar, VIII, p. 612. HHSA, P.A. 55, fos. 441-2 130 HHSA Frankreich, Varia 5, fo.172. 131 C. PAILLARD, L’invasion allemande de 1544, Paris, 1884, p. 338-42, 366-420; Louis-Prosper GACHARD, Trois années de l’histoire de Charles V (1543-46) d’après les dépêches de l’ambassadeur vénitien Bernardino Navagero, Bruxelles, 1865. 132 A. ROZET et J.-F. LEMBEY, op.cit., p. 485; BnF, ms frçs 5617, f° 195-196. 133 Ghislaine DE BOOM, Eléonore d’Autriche, reine de Portugal et de France, Bruxelles, 1943, p. 190-91. LP, XIX, ii, 450; Eléonore d’Autriche à François Ier, BL Add.21,404. Counsayl» … « considering thatt the Cardinall Bellay hath (as you know) sayd that the sayd Madame de Tampes is one among a few others thatt beareth good affection to thamyte with the Kinges Majeste ». Mais le favori du roi anglais, le duc de Suffolk, pense qu’Henry a de bonnes raisons de s’inquiéter, vue les dispositions affectives de François 1er envers la duchesse et la continuation de la guerre entre lui et l’Angleterre134. A Bruxelles, on sait qu’elle parle à Granvelle et que l’huissier à la porte entend que le cardinal lui dit qu’il fallait que François et Henry fassent la paix. La suite de la reine repart de Bruxelles le 3 novembre, appelée par des lettres urgentes du roi, qui se dit las de son absence et inquiet aussi peut-être des négociations avec l’Angleterre. Le duc d’Aerschot rend compte que « Madame d’Estampes a tant d’affection de trouver le Roy de France que, je crains, elle tiendra la main à plustost partir qu’elle ne desireroit ». La reine Eléonore aurait voulu rester plus longtemps, vu sa maladie. Pressée par la duchesse, elle lui répond adroitement : « Je vois que vous, Madame d’Estampes, craindrez de non trouver vostre mary, et vous Monsieur d’Orléans, avez grande envie d’aller trouver le roy. Faictes tous deux ce que vous voirez pour le myeulx et j’en auray très bon et grand contentement ». Munis de ce quitus, Anne et Orléans partent avant la reine.135 Durant les dernières années du règne, deux problèmes principaux préoccupent François er I : la continuation de la guerre avec Henry VIII et le rétablissement des liens avec les princes protestants allemands, liens formellement exclus par l’annexe secrète du traité de Crépy. Mme d’Etampes, soutenu par Longueval, semble vouloir encourager les relations avec les Allemands, ce à quoi s’opposent Tournon et Bayard. Toutefois, la question anglaise complique la donne car, bien que François Ier veuille encourager les ennemis de l’Empereur, il n’a pas les moyens de renouveler la guerre contre lui, certainement pas avant une paix avec l’Angleterre136. L’ambassadeur vénitien pense que Mme d’Etampes favorise le renouvellement de la guerre avec l’Angleterre afin de créer des difficultés à l’amiral d’Annebault, mais cette opinion n’est pas bien fondée. En avril 1545, son secrétaire joue un rôle comme intermédiaire dans une négociation provisoire avec les Anglais, mais celle-ci se solde par un échec. Tous les ambassadeurs l’observent mais sans rien savoir de l’échange préliminaire de lettres entre Marguerite de Navarre et l’habile diplomate William Paget, échange qui indique une fois de plus combien les tactiques de la duchesse et de la sœur du roi sont proches137. Marguerite s’est opposée au traité de Crépy, qui n’avait pas pris compte des intérêts de son mari, Henri d’Albret. Les dangers propres à la continuation de la guerre avec l’Angleterre paraissent pourtant évidents. Le conseil privé d’Henry VIII dit qu’un prisonnier italien à Boulogne, Hippolyto, avait demandé son retour en France afin d’arranger un échange de prisonniers. Lors de son arrivée à la cour de France, Longueval avait dit que, si Henry VIII n’avait aucune inclination à la paix, lui et Mme d’Etampes y aideraient. L’ambassadeur de l’Empereur en Angleterre ajouta que Mmed’Etampes elle-même avait envoyé son secrétaire et pensa que la démarche serait bien vue par Henry VIII. Néanmoins, tandis qu’en public Henry dit qu’il écouterait les offres pour le bien de la Chrétienté, il ne voulait pas sembler faible. Lors de l’arrivée du secrétaire à Boulogne, il demanda la restitution de la ville et le renvoya rapidement les mains vides138. L’intermédiaire est presque certainement Hippolyto ou Girolamo Marini l’ingénieur, renvoyé 134 SP, X, p.131; SP, X, p. 151-2 (LP, XIX, ii, 498); LP, XIX, ii, 515; SP, X, p. 178 (LP, X, XIX, ii, 568). 135 DE BOOM, op.cit., p. 200. LP, XIX, ii, 518; ibid., XIX, ii, 570; SP, X, p. 182. 136 David POTTER, “Foreign policy in the age of the Reformation: French involvement in the Schmalkaldic War, 1544-47”, Historical Journal, 20, 1977, p. 525-44. 137 SP, X, p. 333 (LP, XX, I, 334); Londres, National Archives, SP1/199, fo.9 (LP, XX, I, 342). Sur ces négociations, voir David POTTER, Henry VIII and Francis I, the Final Conflict, 1540-1547(à paraître, 2011), ch.9. 138 SP, X, p. 408 (LP, XX, i, 593). Spanish Calendar, VIII, p. 94, 96, 110. Alvarotti, 3, 15 avril 1545, AS Modena, Francia, B 21, fasc.1, p. 20-21, 71-80; ANG III, p. 340-1; A. DESJARDINS, op.cit., III, p. 153. encore une fois en Angleterre en juillet 1545, suivi d’un marchand florentin, Bartholomeo Compagni, par lequel Mme d’Etampes continuait ses démarches envers l’Angleterre.139 Après le traité de Crépy, Tournon et Annebault, espèrent établir une bonne paix durable avec l’Empereur140. D’autre part, les avis des autres conseillers du roi sont partagés. Comme on a vu, les provisions pour le duc d’Orléans ont suscité la rivalité entre les fils du roi. Elles sont à l’origine de l’attitude du dauphin Henri, lequel proteste formellement contre le traité en décembre 1544141. Pour sa part, Orléans n’a pas gagné les cœurs à Bruxelles et il semble de plus en plus évident qu’il ne recevra jamais la succession des Pays-Bas142. Mais jusqu’à sa mort en septembre 1545, les intérêts de son frère exigent son opposition au traité et sa bienveillance à l’égard de tentatives pour résoudre le conflit avec l’Angleterre par des intermédiaires protestants. Par conséquent, et paradoxalement, il partage brièvement les vues de Mme d’Etampes. En 1545 celle-ci est sans discussion possible une force dominante dans la formation d’une politique qui vise la paix avec l’Angleterre et l’encouragement des princes protestants allemands. La reine Eléonore elle-même assure l’ambassadeur Saint-Mauris que la duchesse est bien disposée à l’égard du protestantisme143. En septembre 1545, lorsque les princes protestants tentent, par leurs émissaires, d’arbitrer une paix entre la France et l’Angleterre, Jean Sturm décrit les dispositions de plusieurs membres de l’entourage royal. Il juge M me d’Etampes « syncere et candide et blande nobiscum egit » mais pense que Tournon et Bayard lui suscitent des obstructions144. De son côté, Ulrich Chelius, un autre diplomate protestant, rédige une liste de ceux qu’il regarde comme favorables : aux côtés de Mme d’Etampes, de Longueval et du cardinal Du Bellay, il range le roi et la reine de Navarre, le chancelier, Pierre Remon, premier président de Rouen, et le cardinal de Lorraine145. Même le Dauphin accepte les avantages des liens avec les Protestants146. En novembre-décembre, Marguerite de Navarre et Mme d’Etampes jouent un rôle moteur pendant les pourparlers tenus à Calais sous la médiation des Protestants avec, à leurs côtés, Longueval et La Planche. Tandis qu’on préparait les (Tout au long des préparatifs de) négociations, les Protestants se montrent rassurés que Mme d’Etampes essaie de convaincre le roi147. Paget rend compte des opinions confidentielles de Sturm : «And though I make thoverture to you as of myself, to see what you will saye to it, yet the trueth is that Madame d’Estampes, Monsr le Doulphin and Monsr Longuevale, which labour to set thAdmirall besides the cushyn, and desyre (specially Madame d’Estampes) thonour of making this peax, have willed me to open the same.»148 139 Spanish Calendar, VIII, p. 165, 183, 232. Alvarotti, 3, 15 avril 1545, AS Modena, Francia, B 21, fasc.1, p. 20-21, 71-80. A. DESJARDINS, op.cit., III, p. 153, 156-7, 158-9. ANG, III, p. 340-41. SP, X, p. 401 (LP, XX, I, 588). 140 F. NAWROCKI, thèse citée, II, p. 325. 141 RIBIER, Lettres et Mémoires d’Estat, 2 t., Paris, 1666, I, p. 578-9. 142 SP, X, p. 181. 143 Spanish Calendar, VIII, p. 502. 144 Alvarotti, 15 sept.1545, AS Modena, Francia, B 21, fasc.2, p. 51-2 . 145 A. HASENCLEVER, ‘Neue Aktenstucke zur Friedensvermittlung der Schmalkaldener’, Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, nouv. sér. 20, 1905, p. 244. 146 A. VON DRUFFEL, Beiträge sur Reichsgeschichte, 1545-6, Munich, 1873, vol. I , 3, 4, 5, 16, 24, 35, 37, 40, 46, 48, 52. 147 O. WINCKELMAN, Politische Correspondenz der Stadt Strassburg, Strasbourg, 1882-92, III, p. 680. 148 SP, X, p. 712, 714. Ces pourparlers échouent cependant. Mais lorsque les négociations définitives commencent sous la médiation d’un Vénitien, Francesco Bernardo, menées par Jean de Monluc au printemps 1546. A son retour à la cour ce dernier se rend chez Mme d’Etampes à Melun , avant partir encore une fois pour Ardres149. Fin mai, les négociateurs se montrent plus optimistes, et le 16, Alvarotti entend Mme d’Etampes dire que le roi a reçu une lettre de l’amiral affirmant que la paix était sûre, que Henry VIII avait accepté les articles et que Monluc reviendrait bientôt avec les termes définitifs150. Il n’y a pas lieu de douter, par conséquent, que Anne était une partisane efficace et résolue de la paix avec l’Angleterre pendant cette période et qu’Annebault avait aussi accepté la nécessité de la paix en jouant un rôle dans les négociations. Saint-Mauris rapporte ce que le cardinal de Ferrare avait dit à Anne, qui était que, vu la paix, Henry VIII pourrait venir à l’aide du roi dans l’hypothèse d’une nouvelle guerre contre l’empereur. Le cardinal de Meudon est alors chargé de préparer la réception de l’amiral anglais et l’on célèbre la paix avec l’arrivée de Sir Thomas Cheyney, représentant le roi d’Angleterre au baptême, le 4 juillet, de la fille du Dauphin, Elisabeth, M me d’Etampes tenant la traîne de la reine comme dame d’honneur151. III. LA CHUTE Le rétablissement de la paix avec Henry VIII est vécu avec un grand soulagement. Cependant, les derniers mois du règne voient des craintes croissantes des projets de l’Empereur en Allemagne et l’on commence encore une fois à lever des soldats au cas où la guerre reprendrait. Des envoyés protestants viennent en France pour solliciter de l’aide et on entend Mme d’Etampes les saluer en tant que frères évangélistes. On dit au surplus qu’elle est maintenant très bien disposée envers leur cause152. Au début de mars 1547, le roi arrive au château de Rambouillet en route pour Meudon, après avoir annulé un voyage à Nantes en raison de sa maladie. Cependant, il ne devait pas quitter Rambouillet en vie. Le 9 mars, on dit qu’Anne, Annebault et Tournon craignent tous sa mort mais qu’il continue de chasser en litière153. L’on ne fait pas grand bruit à la cour, quoique la duchesse, Catherine de Médicis, Mme Marguerite et Jeanne d’Albret restent avec lui154. Le 15, selon l’ambassadeur de Ferrare, François fait appeler Anne et Françoise de Massy, leur disant qu’après avoir régné trente-trois ans, il se sentait proche de la mort. Il leur conseille de vivre sagement et honorablement parce qu’il ne pourrait plus les protéger après son décès155. La nuit du 21, selon l’ambassadeur de l’Empereur, la maladie du roi empire et l’on appelle le dauphin afin qu’il entende les recommandations de son père en présence de Mme d’Etampes et du cardinal de Tournon: «entre lesquelz il luy enjoindit et pria de favoriser lad. dame d’Estampes en tous ses affaires, et continuer lesd. cardinal de Tournon et admiral en la charge qu’ilz avoient, l’asseurant qu’ilz estoient bien bons serviteurs et qui entendoient les affaires du royaulme.»156 Après le 27, l’état du roi s’aggrave encore. Ce jour-là, on rapporte que : 149 Alvarotti, 9 mai 1546, AS Modena, Francia, B 22, fasc. 3, fos.163r-164r (déchifr.). 150 Alvarotti, 26 mai 1546, AS Modena, Francia, B 22, fasc.3, fo.217. 151 LP, XXI, i, 1338, 1348; Spanish Calendar, VIII, p. 419, 431. 152 Spanish Calendar, VIII, p. 502. 153 Saint-Mauris, 6 et 9 mars 1547, HHSA, Frankreich 14. 154 17 mars, HHSA, Frankreich 14. 155 AS Modena, Francia, busta 24, Alvarotti, 15 mars 1547. 156 25 mars, HHSA, Frankreich 14. «Il parla aussi en secret lors aud. dolphin et tient l’on que ce fust de madame d’Estampes pour tenir regard à elle. Mais l’on conjecturé que cecy servira de peu à cause du mal que luy veult led. daulphin, ayant ja passé quinze jours sequestré de sa compagnie . . . et ja, sire, commencent la suyte de dames de la petite bende s’esquarter.»157 A en croire le compte-rendu que l’ambassadeur impérial rédige le 31 mars, au sujet de la mort du roi, Anne serait partie tout à coup de la cour. En vérité, elle a déjà quitté Rambouillet deux jours auparavant. Le départ de la maîtresse royale scelle le sort du reste des dames de la « petite bande ». On les chasse toutes de la cour, sauf Massy et la femme de l’amiral, pour lesquelles sa sœur, Mme de Montpensier, est intervenue avec le soutien de Marguerite de Navarre. L’on dit même que M. de Canaples est sur le point d’envoyer sa femme dans un couvent158. Le 3 avril, Saint-Mauris signale qu’Anne ayant demandé au nouveau roi le droit de rester à son logis accoutumé à Saint-Germain afin qu’elle prenne congé de lui, celui-ci lui fait répondre qu’elle s’adresse à la reine Eléonore, à laquelle elle avait tellement fait tort. Quant à ses alliés, ils sont chassés rapidement de leurs charges «en quoy l’on ne use d’aucune faintize avec icelle dame, ny autres ausquelz l’on veult mal, mais de plain sault l’on les deporte et ne veult led. daulphin oyr parler aucunement d’icelle dame d’Estampes ny ceulx de sa faryne.» Longueval, est privé d’une abbaye dès le 6 avril. Le Cardinal de Meudon l’est de son gouvernement de Paris. Les enfants du président Poncher intentent un procès afin de rentrer en possession de Limours, terre qu’ils disent injustement prise par l’intervention de la duchesse159. L’ambassadeur de Ferrare, Giulio Alvarotti, donne une impression un peu différente : «Dopo la morte de S. Maestà, il novo re disse a Madama d’Estampes ch’ella li saria sempre cara, sapendo quanto era stata amata dal re suo padre, però se vorria seguitare la Corte, sarà ben veduta, et havrà sempre il luogo honorato che havea havuto. Ella lo ringratiò trehumilimente, et non sa davantaggio, se non che è rettirata a Lymors, ove non vuol vedere persona, sta siapigliata, et non fa che gridare.»160 Mais celui de Venise est certain, le 16 avril, que « tutti quelli che sono sta ritrovati in qualche grado o dignità per intercessione di Madama di Tampes » avaient été privés de leur charges161. En mai, on dit qu’Anne a rencontré son mari, le duc d’Etampes, venant à la cour, et qu’elle a demandé en larmes sa protection. Une fois arrivé à la cour, Jean de Brosse est informé qu’il peut entrer en possession des biens de sa femme « pour le merite qu’il avoit receu d’estre si longuement coceu ». On dit aussi que Longueval, en état d’arrestation, a témoigné contre elle mais qu’elle n’a été condamnée qu’à une amende. Sa sœur, Mme de Canny, est aussi condamnée à rendre certains dons du roi, tandis que Montmoreau, « l’ame de lad. dame d’Estampes et celluy qui aida a deschasser le connestable » est contraint à rendre une abbaye à François de Dinteville, évêque d’Auxerre, nouvellement rentré en la faveur du roi avec ses frères. Tournon et Annebault s’empressant de s’excuser auprès du nouveau régime, se 157 31 mars, HHSA, Frankreich 14. 158 1 avril, HHSA, Frankreich 14; rapport du 6 avril, Frankreich, Varia 6, nachtrag, fos.16-19 159 ibid 160 AS Modena, Francia, busta 24. 161 Francesco Giustinian, 16 avril 1547, BnF ms it. 1716, p. 105 rendent chez la reine Eléonore, « excusans toutesfois cela par ce que le feu Roy en estoit distrait par Madame d’Estampes »162. En juin 1547, l’ambassadeur de Venise dresse un bilan des faits et des rumeurs concernant sa chute. Il dit qu’elle a été « in grandissime terrore di perdere tutto quello che in molti anni havea acquisitato » et risque de se faire poursuivre en justice par ses ennemis au nouveau conseil du roi ; qu’Henri II a encouragé son mari à « ruinarla et di redurla a quella miseria » ; qu’après avoir écouté tous ceux qui lui gardaient rancune, elle a été condamnée à payer 100 000 écus ; que le nouveau roi, certain qu’elle détenait des joyaux de la couronne, a commandé un inventaire de ses biens ; que Jean de Brosse a reçu tous ses biens mais qu’Anne reste en danger. L’on dit aussi que deux cardinaux, Odet de Coligny et Charles de Lorraine, veulent sa ruine et espérèrent lui faire partager le sort d’un traître, son favori, Bertheville, qui, dit-on, avait cherché un refuge pour elle en Angleterre163. Par la suite, le contrôleur de sa maison, Raniet, est poursuivi à travers la Bourgogne sous les ordres du duc de Guise et détenu, en vue d’organiser une confrontation entre lui et Longueval mais aussi de découvrir où se trouve l’argent liquide de la duchesse. Sous la surveillance de Mme de Penthièvre aux Essarts, on la contraint d’accepter que son mari vende ses biens164. Vers la fin de juin, le bruit se répand que l’on a envoyé Mme de Vertus sous garde en Poitou et Mme d’Etampes dans un château de son mari en Bretagne pour les « insolences » commises contre son honneur. Seule la promesse du roi à son père l’avait épargné des rigueurs de la loi mais Henri II permit que son mari la punisse165. CONCLUSION Bien que la division politique soit évidente au cours des dernières années du règne de François Ier, en comparaison avec les années 1530, la cour est restée assez stable depuis 1540 jusqu’en 1547. Cette stabilité résulte en partie de l’influence de la duchesse d’Etampes sur le choix des favoris royaux et sur la politique. Cependant, le rôle d’une femme, et certainement d’une femme dans la position d’Anne de Pisseleu, n’a jamais été bien compris. On pourrait dire qu’elle a été la première des grandes maîtresses en titre de la cour de France à exercer un pouvoir politique réel. Cela, peut-être, explique les confusions, les contradictions et l’invective des rapports des ambassadeurs étrangers et la polémique littéraire (qu’on n’a pas malheureusement le loisir d’étudier ici). Tous l’accusent et mettent en avant la poursuite acharnée de ses intérêts et un manque de cohérence, mais quand tout est dit, où sont les qualités opposées monopolisées par les hommes politiques ? On peut ajouter qu’une certaine cohérence se dégage de ses points de vue sur la politique étrangère, où elle a montré une réelle inclination en faveur d’une politique de la paix. Ceci pourrait provenir de la prise de conscience qu’elle risquait de perdre son emprise sur le roi si celui-ci ne se souciait que de guerre. On peut par ailleurs suggérer que François Ier s’appuya sur Anne à cause de sa conversation, sa disposition agréable, son savoir et son intelligence. Il était conscient qu’elle dépendait de lui seul et elle lui donnait de la stabilité personnelle. Les secrets personnels de leurs relations restent pour toujours au-delà de nos connaissances. D’abord il y avait sans doute un lien physique mais, in fine, leur amour aurait eu quelque chose d’agréable, y compris un élément de galanterie courtoise. L’on oublie trop souvent qu’elle était sans enfants, fait qui pourrait provenir de problèmes inconnaissables de gynécologie ou tout simplement du fait que ses relations avec le roi restaient sur le niveau d’un jeu d’amour courtois. 162 20 mai, HHSA, Frankreich 14. 163 Giustinian, 8 juin, BnF, it.1716 p. 177-; 3 juillet, ibid, p. 203-4. 164 Occurens, 15 June, HHSA, Frankreich 15. 165 Occurens, 30 June, HHSA, Frankreich 15. Sur la vie ultérieure de Mme d’Etampes, voir D. POTTER, « Marriage and cruelty », art. cité, p. 5-38.