Vincent - Tim Burton - Tortillapolis
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Vincent – Tim Burton

Vincent. 1982

Origine : États-Unis
Genre : Autobiographie fantastique en court-métrage animé
Réalisation : Tim Burton
Avec la voix de Vincent Price

C’est en réalisant un dessin animé nommé Stalk of the Celery Monster dans le cadre de ses études que Tim Burton fut repéré par Disney, attiré par ses talents de dessinateur et d’animateur. Cependant, amateur de science-fiction et d’épouvante depuis l’enfance (réalisant même à 13 ans une adaptation de L’Ile du Docteur Moreau de H.G. Wells), le jeune Tim Burton ne s’épanouissait pas pleinement au sein de la firme à Mickey Mouse, et ses mince travaux d’animateurs sur Rox et Rouky ou autres productions de ce genre (certaines sources avancent qu’il fut aussi impliqué dans Tron) n’étaient certainement pas suffisants pour lui assurer sa dose de créativité. Pour palier à ce manque, Burton réalisa quelques œuvres (Luau, Doctor of Doom) condamnées à rester inconnues faute de distribution. C’est également au cours de cette période que Burton développa plusieurs projets qui restèrent dans ses cartons jusqu’à des jours meilleurs. L’idée originale de L’Étrange Noël de Monsieur Jack date notamment de cette époque. Bien conscients du talent de leur employé, Julie Hickson et Tom Wilhite, deux cadres de chez Disney, lui permirent enfin de s’exprimer à une plus large échelle en 1982, lui apportant 60 000 dollars et lui donnant le feu vert pour réaliser l’adaptation d’un de ses propres poèmes, Vincent, avec l’aide de quelques autres animateurs (Rick Heinrichs ou encore Stephen Chiodo, des célèbres Chiodo brothers). Le résultat, outre le fait qu’il allait être projeté dans plusieurs festivals (y glanant plusieurs prix) devait servir de complément à Tex, drame familial avec Matt Dillon, pour son exploitation en salles à Los Angeles. Disney escomptait bien au passage expérimenter une nouvelle forme d’animation, différente des simples dessins animés.

Conservant son origine poétique, Vincent est un court-métrage en stop-motion ne dépassant pas les sept minutes, dont la narration (la lecture du poème) sert de commentaire à une action dans laquelle les personnages sont muets. Le choix du narrateur allait donc être déterminant. Au vu de l’histoire narrée, un petit garçon féru des écrits d’Edgar Poe se prend pour Vincent Price au point de se complaire dans le macabre, le choix était tout désigné : Vincent Price lui-même. Très grand admirateur de l’acteur et des adaptations d’Edgar Poe de Corman dans lesquels il tenait les rôles vedettes, Burton ne pouvait envisager quelqu’un d’autre. Pour son plus grand bonheur, son vœu fut exaucé, et Price, touché par l’admiration que lui portait le jeune réalisateur, commença avec lui une amitié qui durera jusqu’à sa mort en 1993.

Ainsi crédité de la plus belle voix du cinéma d’épouvante (Price se cantonnait d’ailleurs à cette époque dans les doublages), Vincent allait pouvoir coller au plus près à la personnalité de Burton, pour lequel ce court-métrage n’est rien d’autre qu’une autobiographie romancée véhiculant toutes les obsessions du réalisateur en devenir. Le visage de Vincent, le jeune garçon du film, est ainsi similaire à celui de Tim Burton, et sa passion pour Vincent Price et pour Edgar Poe fait écho à ses propres passions. Le poème lui-même se réfère avant tout au Corbeau d’Edgar Poe, et à plusieurs reprises Vincent s’imagine dans les mêmes situations que celles décrites par l’auteur et reprises au cinéma par Vincent Price dans les années 60. Outre les multiples références au Corbeau, La Chute de la Maison Usher est également indirectement citée par le biais de cette femme enterrée vive évoquant la Madeline Usher du film de Corman (davantage que celle de la nouvelle de Poe). Au-delà de Price et de Poe, Tim Burton convoque tout un pan du cinéma d’épouvante en ayant non seulement recours à un noir et blanc davantage noir que blanc (faisant songer à la Universal de l’âge d’or), en évoquant de vieilles imageries tels que les savants fous ou le Londres misérable de Jeckyll and Hyde, mais aussi et surtout en recréant un cadre expressionniste à la Caligari toujours prompt à exacerber les tourments que s’invente le personnage principal, jusqu’à faire naître un humour empreint d’auto-dérision. Et tout cela, Burton le fait dans un sens résolument progressiste : loin de se limiter à ses seules références, le cinéaste les imprègne de sa vision personnelle, que l’on retrouve d’une part avec cette forme moderne d’animation mais aussi via des créations qui lui sont propres, tels que ces monstres aux allures très longilignes (ainsi trouve-t-on dans Vincent la première ébauche de Mr. Jack ou encore le ver des sables qui sera réutilisé notamment dans Beetlejuice).

Une telle application dans la création de son court-métrage aurait toutefois été totalement vaine si Burton ne s’était pas investi dans l’histoire qu’il raconte. Etant essentiellement autobiographique, Vincent nous incite à suite la vie d’un garçon se détachant volontairement d’un réel beaucoup trop terne à son goût (sa soeur grassouillette, son chat, son chien, sa tatie, sa mère, leur jardin en fleur…) pour se fantasmer une vie à la Edgar Poe, où plus rien ne subsiste du monde alentours. Le chien devient un cobaye, la tante est imaginée comme un monstre, la mère est vue comme une figure d’oppression et les ténèbres morbides envahissent son quotidien avec les partis pris esthétiques déjà évoqués. Vincent Price, avec sa voix et ses intonations atypiques, de même que la musique, forcément lugubre, se fixent définitivement sur le point de vue de Vincent. En dehors des scènes purement fantastiques, la caméra elle-même reste clouée au niveau du regard de Vincent et ne nous montre jamais les visages des adultes, sortant toujours du champ par le haut de l’écran. Ainsi conçue, l’image accentue la solitude éprouvé par le petit Vincent en même temps qu’elle donne le sentiment d’un monde adulte ne pouvant pas comprendre le garçon, essayant en vain de l’inciter à faire comme les enfants de son âge (aller jouer dans le jardin, au soleil). L’idée de la marginalisation, récurrente dans l’oeuvre de Burton, est dors et déjà présente et conduit à un final dans lequel la logique romantique et morbide (typiquement Edgar Poe) de Vincent trouve son paroxisme.

Avec ses sept premières minutes officielles en temps que réalisateur, Tim Burton a déjà trouvé son propre style. Vincent apparaît comme une synthèse extrêmement dense mais pourtant tout à fait maîtrisée de la pensée du réalisateur. Tous ses futurs films seront d’une façon ou d’une autre rattachés à Vincent, œuvre-manifeste à l’aune de laquelle s’explique le cinéma d’un réalisateur dont tout l’art est issu de cette capacité à se replier lui-même en compagnie d’une culture choisie (tout comme Vincent, le personnage) pour mieux se forger des univers fantastiques, hermétiques aux contraintes extérieures.

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