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La Princesse de Montpensier/Texte entier

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La Princesse de Montpensier
Œuvres complètes de mesdames de La Fayette, de Tencin et de FontainesLepetit2 (p. 231-370).



LA PRINCESSE



DE MONTPENSIER.





LA PRINCESSE


DE MONTPENSIER.
Séparateur



Pendant que la guerre civile déchirait la France sous le règne de Charles IX, l’amour ne laissait pas de trouver sa place parmi tant de désordres, et d’en causer beaucoup dans son empire. La fille unique du marquis de Mézière, héritière très-considérable, et par ses grands biens, et par l’illustre maison d’Anjou, dont elle était descendue, était promise au duc du Maine, cadet du duc de Guise, que l’on a depuis appelé le Balafré. L’extrême jeunesse de cette grande héritière retardait son mariage, et cependant le duc de Guise, qui la voyait souvent, et qui voyait en elle les commencements d’une grande beauté, en devint amoureux, et en fut aimé. Ils cachèrent leur amour avec beaucoup de soin. Le duc de Guise, qui n’avait pas encore autant d’ambition qu’il en a eu depuis, souhaitait ardemment de l’épouser ; mais la crainte du cardinal de Lorraine, qui lui tenait lieu de père, l’empêchait de se déclarer. Les choses étaient en cet état, lorsque la maison de Bourbon, qui ne pouvait voir qu’avec envie l’élévation de celle de Guise, s’apercevant de l’avantage qu’elle recevrait de ce mariage, se résolut de le lui ôter, et d’en profiter elle-même, en faisant épouser cette héritière au jeune prince de Montpensier. On travailla à l’exécution de ce dessein avec tant de succès, que les parents de mademoiselle de Mézière, contre les promesses qu’ils avaient faites au cardinal de Lorraine, se résolurent de la donner en mariage à ce jeune prince. Toute la maison de Guise fut extrêmement surprise de ce procédé ; mais le duc en fut accablé de douleur, et l’intérêt de son amour lui fit recevoir ce manquement de parole comme un affront insupportable. Son ressentiment éclata bientôt, malgré les réprimandes du cardinal de Lorraine et du duc d’Aumale, ses oncles, qui ne voulaient pas s’opiniâtrer à une chose qu’ils voyaient ne pouvoir empêcher ; et il s’emporta avec tant de violence, en présence même du jeune prince de Montpensier, qu’il en naquit entre eux une haine qui ne finit qu’avec leur vie. Mademoiselle de Mézière, tourmentée par ses parents d’épouser ce prince, voyant d’ailleurs qu’elle ne pouvait épouser le duc de Guise, et connaissant par sa vertu qu’il était dangereux d’avoir pour beau-frère un homme qu’elle eût souhaité pour mari, se résolut enfin de suivre le sentiment de ses proches et conjura M. de Guise de ne plus apporter d’obstacle à son mariage. Elle épousa donc le prince de Montpensier qui, peu de temps après, l’emmena à Champigni, séjour ordinaire des princes de sa maison, pour l’ôter de Paris où apparemment tout l’effort de la guerre allait tomber. Cette grande ville était menacée d’un siége par l’armée des huguenots, dont le prince de Condé était le chef, et qui venait de déclarer la guerre au roi pour la seconde fois. Le prince de Montpensier, dans sa plus tendre jeunesse, avait fait une amitié très-particulière avec le comte de Chabanes, qui était un homme d’un âge beaucoup plus avancé que lui, et d’un mérite extraordinaire. Ce comte avait été si sensible à l’estime et à la confiance de ce jeune prince, que, contre les engagements qu’il avait avec le prince de Condé, qui lui faisait espérer des emplois considérables dans le parti des huguenots, il se déclara pour les catholiques, ne pouvant se résoudre à être opposé en quelque chose à un homme qui lui était si cher. Ce changement de parti n’ayant point d’autre fondement, l’on douta qu’il fût véritable, et la reine-mère, Catherine de Médicis, en eut de si grands soupçons, que, la guerre étant déclarée par les huguenots, elle eut dessein de le faire arrêter ; mais le prince de Montpensier l’en empêcha, et emmena Chabanes à Champigni en s’y en allant avec sa femme. Le comte, ayant l’esprit fort doux et fort agréable, gagna bientôt l’estime de la princesse de Montpensier, et en peu de temps, elle n’eut pas moins de confiance et d’amitié pour lui, qu’en avait le prince son mari. Chabanes, de son côté, regardait avec admiration tant de beauté, d’esprit et de vertu qui paraissaient en cette jeune princesse ; et, se servant de l’amitié qu’elle lui témoignait pour lui inspirer des sentiments d’une vertu extraordinaire et digne de la grandeur de sa naissance, il la rendit en peu de temps une des personnes du monde les plus achevées. Le prince étant revenu à la cour, où la continuation de la guerre l’appelait, le comte demeura seul avec la princesse, et continua d’avoir pour elle un respect et une amitié proportionnés à sa qualité et à son mérite. La confiance s’augmenta de part et d’autre, et à tel point du côté de la princesse de Montpensier, qu’elle lui apprit l’inclination qu’elle avait eue pour M. de Guise ; mais elle lui apprit aussi en même-temps qu’elle était presque éteinte, et qu’il ne lui en restait que ce qui était nécessaire pour défendre l’entrée de son cœur à une autre inclination, et que, la vertu se joignant à ce reste d’impression, elle n’était capable que d’avoir du mépris pour ceux qui oseraient avoir de l’amour pour elle. Le comte, qui connaissait la sincérité de cette belle princesse, et qui lui voyait d’ailleurs des dispositions si opposées à la faiblesse de la galanterie, ne douta point de la vérité de ses paroles, et néanmoins il ne put se défendre de tant de charmes qu’il voyait tous les jours de si près. Il devint passionnément amoureux de cette princesse ; et, quelque honte qu’il trouvât à se laisser surmonter, il fallut céder, et l’aimer de la plus violente et de la plus sincère passion qui fut jamais. S’il ne fut pas maître de son cœur, il le fut de ses actions. Le changement de son ame n’en apporta point dans sa conduite, et personne ne soupçonna son amour. Il prit un soin exact pendant une année entière de le cacher à la princesse, et il crut qu’il aurait toujours le même desir de le lui cacher. L’amour fit en lui ce qu’il fait en tous les autres ; il lui donna l’envie de parler, et, après tous les combats qui ont accoutumé de se faire en pareilles occasions, il osa lui dire qu’il l’aimait, s’étant bien préparé à essuyer les orages dont la fierté de cette princesse le menaçait ; mais il trouva en elle une tranquillité et une froideur pires mille fois que toutes les rigueurs à quoi il s’était attendu. Elle ne prit pas la peine de se mettre en colère contre lui. Elle lui représenta en peu de mots la différence de leurs qualités et de leur âge, la connaissance particulière qu’il avait de sa vertu et de l’inclination qu’elle avait eue pour le duc de Guise, et sur-tout ce qu’il devait à l’amitié et à la confiance du prince son mari. Le comte pensa mourir à ses pieds de honte et de douleur. Elle tâcha de le consoler, en l’assurant qu’elle ne se souviendrait jamais de ce qu’il venait de lui dire, qu’elle ne se persuaderait jamais une chose qui lui était si désavantageuse, et qu’elle ne le regarderait jamais que comme son meilleur ami. Ces assurances consolèrent le comte, comme on se le peut imaginer. Il sentit le mépris des paroles de la princesse dans toute leur étendue, et, le lendemain, la revoyant avec visage aussi ouvert que de coutume, son affliction en redoubla de la moitié ; le procédé de la princesse ne la diminua pas. Elle vécut avec lui avec la même bonté qu’elle avait accoutumé. Elle lui reparla, quand l’occasion en fit naître le discours, de l’inclination qu’elle avait eue pour le duc de Guise ; et, la renommée commençant alors à publier les grandes qualités qui paraissaient en ce prince, elle lui avoua qu’elle en sentait de la joie, et qu’elle était bien aise de voir qu’il méritait les sentiments qu’elle avait eus pour lui. Toutes ces marques de confiance, qui avaient été si chères au comte, lui devinrent insupportables. Il n’osait pourtant le témoigner à la princesse, quoiqu’il osât bien la faire souvenir quelquefois de ce qu’il avait eu la hardiesse de lui dire. Après deux années d’absence, la paix étant faite, le prince de Montpensier revint trouver la princesse sa femme, tout couvert de la gloire qu’il avait acquise au siége de Paris et à la bataille de Saint-Denis. Il fut surpris de voir la beauté de cette princesse dans une si grande perfection, et, par le sentiment d’une jalousie qui lui était naturelle, il en eut quelque chagrin, prévoyant bien qu’il ne serait pas seul à la trouver belle. Il eut beaucoup de joie de revoir le comte de Chabanes, pour qui son amitié n’était point diminuée. Il lui demanda confidemment des nouvelles de l’esprit et de l’humeur de sa femme, qui lui était quasi une personne inconnue, par le peu de temps qu’il avait demeuré avec elle. Le comte, avec une sincérité aussi exacte que s’il n’eût point été amoureux, dit au prince tout ce qu’il connaissait en cette princesse capable de la lui faire aimer ; et il avertit aussi madame de Montpensier de toutes les choses qu’elle devait faire pour achever de gagner le cœur et l’estime de son mari.

Enfin, la passion du comte le portait si naturellement à ne songer qu’à ce qui pouvait augmenter le bonheur et la gloire de cette princesse, qu’il oubliait sans peine l’intérêt qu’ont les amants à empêcher que les personnes qu’ils aiment ne soient dans une parfaite intelligence avec leurs maris. La paix ne fit que paraître. La guerre recommença aussitôt, par le dessein qu’eut le roi de faire arrêter à Noyers le prince de Condé et l’amiral de Châtillon ; et, ce dessein ayant été découvert, l’on commença de nouveau les préparatifs de la guerre, et le prince de Montpensier fut contraint de quitter sa femme, pour se rendre où son devoir l’appelait. Chabanes le suivit à la cour, s’étant entièrement justifié auprès de la reine. Ce ne fut pas sans une douleur extrême qu’il quitta la princesse, qui, de son côté, demeura fort triste des périls où la guerre allait exposer son mari. Les chefs des huguenots s’étaient retirés à La Rochelle. Le Poitou et la Saintonge étant dans leur parti, la guerre s’y alluma fortement, et le roi y rassembla toutes ses troupes. Le duc d’Anjou, son frère, qui fut depuis Henri III, y acquit beaucoup de gloire par plusieurs belles actions, et entre autres par la bataille de Jarnac, où le prince de Condé fut tué. Ce fut dans cette guerre que le duc de Guise commença à avoir des emplois considérables, et à faire connaître qu’il passait de beaucoup les grandes espérances qu’on avait conçues de lui. Le prince de Montpensier, qui le haïssait, et comme son ennemi particulier, et comme celui de sa maison, ne voyait qu’avec peine la gloire de ce duc, aussi-bien que l’amitié que lui témoignait le duc d’Anjou. Après que les deux armées se furent fatiguées par beaucoup de petits combats, d’un commun consentement on licencia les troupes pour quelque temps. Le duc d’Anjou demeura à Loches, pour donner ordre à toutes les places qui eussent pu être attaquées. Le duc de Guise y demeura avec lui ; et le prince de Montpensier, accompagné du comte de Chabanes, s’en retourna à Champigni, qui n’était pas fort éloigné de là. Le duc d’Anjou allait souvent visiter les places qu’il faisait fortifier. Un jour qu’il revenait à Loches par un chemin peu connu de ceux de sa suite, le duc de Guise, qui se vantait de le savoir, se mit à la tête de la troupe pour servir de guide ; mais, après avoir marché quelque temps, il s’égara et se trouva sur le bord d’une petite rivière, qu’il ne reconnut pas lui-même. Le duc d’Anjou lui fit la guerre de les avoir si mal conduits ; et, étant arrêtés en ce lieu, aussi disposés à la joie qu’ont accoutumé de l’être de jeunes princes, ils aperçurent un petit bateau qui était arrêté au milieu de la rivière, et, comme elle n’était pas large, ils distinguèrent aisément dans ce bateau trois ou quatre femmes, et une entre autres qui leur sembla fort belle, qui était habillée magnifiquement, et qui regardait avec attention deux hommes qui pêchaient auprès d’elles. Cette aventure donna une nouvelle joie à ces jeunes princes, et à tous ceux de leur suite. Elle leur parut une chose de roman. Les uns disoient au duc de Guise, qu’il les avait egarés exprès pour leur faire voir cette belle personne ; les autres, qu’il fallait, après ce qu’avait fait le hasard, qu’il en devînt amoureux ; et le duc d’Anjou soutenait que c’était lui qui devait être son amant. Enfin, voulant pousser l’aventure à bout, ils firent avancer dans la rivière de leurs gens à cheval, le plus avant qu’il se put, pour crier à cette dame que c’était M. d’Anjou, qui eût bien voulu passer de l’autre côté de l’eau, et qui priait qu’on le vînt prendre. Cette dame, qui était la princesse de Montpensier, entendant dire que le duc d’Anjou était là, et ne doutant point, à la quantité de gens qu’elle voyait au bord de l’eau, que ce ne fût lui, fit avancer son bateau pour aller du côté où il était. Sa bonne mine le lui fit bientôt distinguer des autres ; mais elle distingua encore plutôt le duc de Guise : sa vue lui apporta un trouble qui la fit un peu rougir et qui la fit paraître aux yeux de ces princes dans une beauté qu’ils crurent surnaturelle. Le duc de Guise la reconnut d’abord, malgré le changement avantageux qui s’était fait en elle depuis les trois années qu’il ne l’avait vue. Il dit au duc d’Anjou qui elle était, qui fut honteux d’abord de la liberté qu’il avait prise ; mais, voyant madame de Montpensier si belle, et cette aventure lui plaisant si fort, il se résolut de l’achever ; et, après mille excuses et mille compliments, il inventa une affaire considérable, qu’il disait avoir au-delà de la rivière, et accepta l’offre qu’elle lui fit de le passer dans son bateau. Il y entra seul avec le duc de Guise, donnant ordre à tous ceux qui les suivaient d’aller passer la rivière à un autre endroit, et de les venir joindre à Champigni, que madame de Montpensier leur dit qui n’était qu’à deux lieues de là. Sitôt qu’ils furent dans le bateau, le duc d’Anjou lui demanda à quoi ils devaient une si agréable rencontre, et ce qu’elle faisait au milieu de la rivière. Elle lui répondit, qu’étant partie de Champigni avec le prince son mari, dans le dessein de le suivre à la chasse, s’étant trouvée trop lasse, elle était venue sur le bord de la rivière, où la curiosité de voir prendre un saumon qui avait donné dans un filet, l’avait fait entrer dans ce bateau. M. de Guise ne se mêlait point dans la conversation ; mais, sentant réveiller vivement dans son cœur tout ce que cette princesse y avait autrefois fait naître, il pensait en lui-même qu’il sortirait difficilement de cette aventure, sans rentrer dans ses liens. Ils arrivèrent bientôt au bord, où ils trouvèrent les chevaux et les écuyers de madame de Montpensier qui l’attendaient. Le duc d’Anjou et le duc de Guise lui aidèrent à monter à cheval, où elle se tenait avec une grâce admirable. Pendant tout le chemin, elle les entretint agréablement de diverses choses. Ils ne furent pas moins surpris des charmes de son esprit, qu’ils l’avaient été de sa beauté ; et ils ne purent s’empêcher de lui faire connaître qu’ils en étaient extraordinairement surpris. Elle répondit à leurs louanges avec toute la modestie imaginable ; mais un peu plus froidement à celles du duc de Guise, voulant garder une fierté qui l’empêchât de fonder aucune espérance sur l’inclination qu’elle avait eue pour lui. En arrivant dans la première cour de Champigni, ils trouvèrent le prince de Montpensier, qui ne faisait que de revenir de la chasse. Son étonnement fut grand de voir marcher deux hommes à côté de sa femme ; mais il fut extrême, quand, s’approchant de plus près, il reconnut que c’était le duc d’Anjou et le duc de Guise. La haine qu’il avait pour le dernier se joignant à sa jalousie naturelle lui fit trouver quelque chose de si désagréable à voir ces princes avec sa femme, sans savoir comment ils s’y étaient trouvés, ni ce qu’ils venaient faire en sa maison, qu’il ne put cacher le chagrin qu’il en avait. Il en rejeta adroitement la cause sur la crainte de ne pouvoir recevoir un si grand prince selon sa qualité, et comme il l’eût bien souhaité. Le comte de Chabanes avait encore plus de chagrin de voir M. de Guise auprès de madame de Montpensier, que M. de Montpensier n’en avait lui-même : ce que le hasard avait fait pour rassembler ces deux personnes lui semblait de si mauvais augure, qu’il pronostiquait aisément que ce commencement de roman ne serait pas sans suite. Madame de Montpensier fit le soir les honneurs de chez elle avec le même agrément qu’elle faisait toutes choses. Enfin elle ne plut que trop à ses hôtes. Le duc d’Anjou, qui était fort galant et fort bien fait, ne put voir une fortune si digne de lui sans la souhaiter ardemment. Il fut touché du même mal que M. de Guise ; et, feignant toujours des affaires extraordinaires, il demeura deux jours à Champigni, sans être obligé d’y demeurer que par les charmes de madame de Montpensier, le prince son mari ne faisant point de violence pour l’y retenir. Le duc de Guise ne partit pas sans faire entendre à madame de Montpensier qu’il était pour elle ce qu’il avait été autrefois : et, comme sa passion n’avait été sue de personne, il lui dit plusieurs fois devant tout le monde, sans être entendu que d’elle, que son cœur n’était point changé : et lui et le duc d’Anjou partirent de Champigni avec beaucoup de regret. Ils marchèrent long-temps tous deux dans un profond silence : mais enfin le duc d’Anjou, s’imaginant tout d’un coup que ce qui faisait sa rêverie pouvait bien causer celle du duc de Guise, lui demanda brusquement s’il pensait aux beautés de la princesse de Montpensier. Cette demande si brusque, jointe à ce qu’avait déjà remarqué le duc de Guise des sentiments du duc d’Anjou, lui fit voir qu’il serait infailliblement son rival, et qu’il lui était très-important de ne pas découvrir son amour à ce prince. Pour lui en ôter tout soupçon, il lui répondit, en riant, qu’il paraissait lui-même si occupé de la rêverie dont il l’accusait, qu’il n’avait pas jugé à propos de l’interrompre ; que les beautés de la princesse de Montpensier n’étaient pas nouvelles pour lui ; qu’il s’était accoutumé à en supporter l’éclat du temps qu’elle était destinée à être sa belle-sœur ; mais qu’il voyait bien que tout le monde n’en était pas si peu ébloui. Le duc d’Anjou lui avoua qu’il n’avait encore rien vu qui lui parût comparable à cette jeune princesse, et qu’il sentait bien que sa vue lui pourrait être dangereuse, s’il y était souvent exposé. Il voulut faire convenir le duc de Guise qu’il sentait la même chose ; mais ce duc, qui commençait à se faire une affaire sérieuse de son amour, n’en voulut rien avouer. Ces princes s’en retournèrent à Loches, faisant souvent leur agréable conversation de l’aventure qui leur avait découvert la princesse de Montpensier. Ce ne fut pas un sujet de si grand divertissement dans Champigni. Le prince de Montpensier était mal content de tout ce qui était arrivé, sans qu’il en pût dire le sujet. Il trouvait mauvais que sa femme se fût trouvée dans ce bateau. Il lui semblait qu’elle avait reçu trop agréablement ces princes ; et, ce qui lui déplaisait le plus, était d’avoir remarqué que le duc de Guise l’avait regardée attentivement. Il en conçut dès ce moment une jalousie furieuse, qui le fit ressouvenir de l’emportement qu’il avait témoigné lors de son mariage ; et il eut quelque pensée que, dès ce temps-là même, il en était amoureux. Le chagrin que tous ses soupçons lui causèrent donna de mauvaises heures à la princesse de Montpensier. Le comte de Chabanes, selon sa coutume, prit soin d’empêcher qu’ils ne se brouillassent tout-à-fait, afin de persuader par-là à la princesse combien la passion qu’il avait pour elle était sincère et désintéressée. Il ne put s’empêcher de lui demander quel effet avait produit en elle la vue du duc de Guise. Elle lui apprit qu’elle en avait été troublée, par la honte du souvenir de l’inclination qu’elle lui avait autrefois témoignée ; qu′elle l’avait trouvé beaucoup mieux fait qu’il n’était en ce temps-là ; et que même il lui avait paru qu’il voulait lui persuader qu’il l’aimait encore ; mais elle l’assura en même temps que rien ne pouvait ébranler la résolution qu’elle avait prise de ne s’engager jamais. Le comte de Chabanes eut bien de la joie d’apprendre cette résolution ; mais rien ne le pouvait rassurer sur le duc de Guise. Il témoigna à la princesse qu’il appréhendait extrêmement que les premières impressions ne revinssent bientôt, et il lui fit comprendre la mortelle douleur qu’il aurait, pour leur intérêt commun, s’il la voyait un jour changer de sentiments. La princesse de Montpensier, continuant toujours son procédé avec lui, ne répondait presque pas à ce qu’il lui disait de sa passion, et ne considérait toujours en lui que la qualité du meilleur ami du monde, sans lui vouloir faire l’honneur de prendre garde à celle d’amant.

Les armées étant remises sur pied, tous les princes y retournèrent ; et le prince de Montpensier trouva bon que sa femme s’en vînt à Paris, pour n’être plus si proche des lieux où se faisait la guerre. Les huguenots assiégèrent la ville de Poitiers. Le duc de Guise s’y jeta pour la défendre, et il y fit des actions qui suffiraient seules pour rendre glorieuse une autre vie que la sienne. Ensuite la bataille de Moncontour se donna. Le duc d’Anjou, après avoir pris Saint-Jean-d’Angely, tomba malade, et quitta en même temps l’armée, soit par la violence de son mal, soit par l’envie qu’il avait de revenir goûter le repos et les douceurs de Paris, où la présence de la princesse de Montpensier n’était pas la moindre raison qui l’attirât. L’armée demeura sous le commandement du prince de Montpensier ; et, peu de temps après, la paix étant faite, toute la cour se trouva à Paris. La beauté de la princesse effaça toutes celles qu’on avait admirées jusque alors. Elle attira les yeux de tout le monde par les charmes de son esprit et de sa personne. Le duc d’Anjou ne changea pas à Paris les sentiments qu’il avait conçus pour elle à Champigni ; il prit un soin extrême de le lui faire connaître par toutes sortes de soins, prenant garde, toutefois, à ne lui en pas rendre des témoignages trop éclatants, de peur de donner de la jalousie au prince son mari. Le duc de Guise acheva d’en devenir violemment amoureux ; et, voulant, par plusieurs raisons, tenir sa passion cachée, il se résolut de la lui déclarer d’abord, afin de s’épargner tous ces commencements qui font toujours naître le bruit et l’éclat. Étant un jour chez la reine, à une heure où il y avait très-peu de monde, la reine s’étant retirée pour parler d’affaire avec le cardinal de Lorraine, la princesse de Montpensier y arriva. Il se résolut de prendre ce moment pour lui parler, et s’approchant d’elle : Je vais vous surprendre, madame, lui dit-il, et vous déplaire, en vous apprenant que j’ai toujours conservé cette passion qui vous a été connue autrefois, mais qui s’est si fort augmentée en vous revoyant, que ni votre sévérité, ni la haine de M. le prince de Montpensier, ni la concurrence du premier prince du royaume, ne sauraient lui ôter un moment de sa violence. Il aurait été plus respectueux de vous la faire connaître par mes actions que par mes paroles ; mais, madame, mes actions l’auraient apprise à d’autres aussi-bien qu’à vous, et je souhaite que vous sachiez seule que je suis assez hardi pour vous adorer. La princesse fut d’abord si surprise et si troublée de ce discours, qu’elle ne songea pas à l’interrompre ; mais ensuite, étant revenue à elle, et commençant à lui répondre, le prince de Montpensier entra. Le trouble et l’agitation étaient peints sur le visage de la princesse ; la vue de son mari acheva de l’embarrasser, de sorte qu’elle lui en laissa plus entendre que le duc de Guise ne lui en venait de dire. La reine sortit de son cabinet, et le duc se retira pour guérir la jalousie de ce prince. La princesse de Montpensier trouva, le soir, dans l’esprit de son mari tout le chagrin imaginable. Il s’emporta contre elle avec des violences épouvantables, et lui défendit de parler jamais au duc de Guise. Elle se retira bien triste dans son appartement, et bien occupée des aventures qui lui étaient arrivées ce jour-là. Le jour suivant, elle revit le duc de Guise chez la reine ; mais il ne l’aborda pas, et se contenta de sortir un peu après elle, pour lui faire voir qu’il n’y avait que faire quand elle n’y était pas. Il ne se passait point de jour qu’elle ne reçût mille marques cachées de la passion de ce duc, sans qu’il essayât de lui en parler, que lorsqu’il ne pouvait être vu de personne. Comme elle était bien persuadée de cette passion, elle commença, nonobstant toutes les résolutions qu’elle avait faites à Champigni, à sentir, dans le fond de son cœur, quelque chose de ce qui y avait été autrefois. Le duc d’Anjou, de son côté, n’oubliait rien pour lui témoigner son amour en tous les lieux où il la pouvait voir, et il la suivait continuellement chez la reine sa mère. La princesse sa sœur de qui il était aimé, en était traitée avec une rigueur capable de guérir toute autre passion que la sienne. On découvrit, en ce temps-là, que cette princesse, qui fut depuis la reine de Navarre, eut quelque attachement pour le duc de Guise ; et ce qui le fit découvrir davantage fut le refroidissement qui parut du duc d’Anjou pour le duc de Guise. La princesse de Montpensier apprit cette nouvelle, qui ne lui fut pas indifférente, et qui lui fit sentir qu’elle prenait plus d’intérêt au duc de Guise qu’elle ne pensait. M. de Montpensier, son beau-père, épousant alors mademoiselle de Guise, sœur de ce duc, elle était contrainte de le voir souvent dans les lieux où les cérémonies des noces les appelaient l’un et l’autre. La princesse de Montpensier ne pouvant plus souffrir qu’un homme que toute la France croyait amoureux de Madame, osât lui dire qu’il l’était d’elle, et se sentant offensée, et quasi affligée de s’être trompée elle-même, un jour que le duc de Guise la rencontra chez sa sœur, un peu éloignée des autres, et qu’il lui voulut parler de sa passion, elle l’interrompit brusquement, et lui dit d’un ton de voix qui marquait sa colère : Je ne comprends pas qu’il faille, sur le fondement d’une faiblesse dont on a été capable à treize ans, avoir l’audace de faire l’amoureux d’une personne comme moi, et sur-tout quand on l’est d’une autre à la vue de toute la cour. Le duc de Guise, qui avait beaucoup d’esprit et qui était fort amoureux, n’eut besoin de consulter personne pour entendre tout ce que signifiaient les paroles de la princesse. Il lui répondit avec beaucoup de respect : J’avoue, madame, que j’ai eu tort de ne pas mépriser l’honneur d’être beau-frère de mon roi, plutôt que de vous laisser soupçonner un moment que je pouvais désirer un autre cœur que le vôtre ; mais, si vous voulez me faire la grace de m’écouter, je suis assuré de me justifier auprès de vous. La princesse de Montpensier ne répondit point ; mais elle ne s’éloigna pas, et le duc de Guise, voyant qu’elle lui donnait l’audience qu’il souhaitait, lui apprit que, sans s’être attiré les bonnes graces de Madame par aucun soin, elle l’en avait honoré ; que, n’ayant nulle passion pour elle, il avait très-mal répondu à l’honneur qu’elle lui faisait, jusqu’à ce qu’elle lui eût donné quelque espérance de l’épouser ; qu’à la vérité, la grandeur où ce mariage pouvait l’élever l’avait obligé de lui rendre plus de devoirs ; et que c’était ce qui avait donné lieu au soupçon qu’en avaient eu le roi et le duc d’Anjou ; que l’opposition de l’un ni de l’autre ne le dissuadait pas de son dessein ; mais que, si ce dessein lui déplaisait, il l’abandonnait, dès l’heure même, pour n’y penser de sa vie. Le sacrifice que le duc de Guise faisait à la princesse lui fit oublier toute la rigueur et toute la colère avec laquelle elle avait commencé de lui parler. Elle changea de discours, et se mit à l’entretenir de la faiblesse qu’avait eue Madame de l’aimer la première, et de l’avantage considérable qu’il recevrait en l’épousant. Enfin, sans rien dire d’obligeant au duc de Guise, elle lui fit revoir mille choses agréables, qu’il avait trouvées autrefois en mademoiselle de Mézière. Quoiqu’ils ne se fussent point parlé depuis long-temps, ils se trouvèrent accoutumés l’un à l’autre, et leurs cœurs se remirent aisément dans un chemin qui ne leur était pas inconnu. Ils finirent cette agréable conversation, qui laissa une sensible joie dans l’esprit du duc de Guise. La princesse n’en eut pas une petite de connaître qu’il l’aimait véritablement. Mais, quand elle fut dans son cabinet, quelles réflexions ne fit-elle point sur la honte de s’être laissée fléchir si aisément aux excuses du duc de Guise, sur l’embarras où elle s’allait plonger en s’engageant dans une chose qu’elle avait regardée avec tant d’horreur, et sur les effroyables malheurs où la jalousie de son mari la pouvait jeter ! Ces pensées lui firent faire de nouvelles résolutions, mais qui se dissipèrent dès le lendemain par la vue du duc de Guise. Il ne manquait point de lui rendre un compte exact de ce qui se passait entre Madame et lui. La nouvelle alliance de leurs maisons lui donnait occasion de lui parler souvent ; mais il n’avait pas peu de peine à la guérir de la jalousie que lui donnait la beauté de Madame, contre laquelle il n’y avait point de serment qui la pût rassurer. Cette jalousie servait à la princesse de Montpensier à défendre le reste de son cœur contre les soins du duc de Guise, qui en avait déjà gagné la plus grande partie. Le mariage du roi avec la fille de l’empereur Maximilien remplit la cour de fêtes et de réjouissances. Le roi fit un ballet, où dansaient Madame et toutes les princesses. La princesse de Montpensier pouvait seule lui disputer le prix de la beauté. Le duc d’Anjou dansait une entrée de Maures ; et le duc de Guise, avec quatre autres, était de son entrée. Leurs habits étaient tous pareils, comme le sont d’ordinaire les habits de ceux qui dansent une même entrée. La première fois que le ballet se dansa, le duc de Guise, devant que de danser, n’ayant pas encore son masque, dit quelques mots en passant à la princesse de Montpensier. Elle s’aperçut bien que le prince son mari y avait pris garde, ce qui la mit en inquiétude. Quelque temps après, voyant le duc d’Anjou avec son masque et son habit de Maure, qui venait pour lui parler, troublée de son inquiétude, elle crut que c’était encore le duc de Guise, et s’approchant de lui : N’ayez des yeux ce soir que pour Madame, lui dit-elle ; je n’en serai point jalouse ; je vous l’ordonne : on m’observe ; ne m’approchez plus. Elle se retira sitôt qu’elle eut achevé ces paroles. Le duc d’Anjou en demeura accablé comme d’un coup de tonnerre. Il vit, dans ce moment, qu’il avait un rival aimé. Il comprit, par le nom de Madame, que ce rival était le duc de Guise ; et il ne put douter que la princesse sa sœur ne fût le sacrifice qui avait rendu la princesse de Montpensier favorable aux vœux de son rival. La jalousie, le dépit et la rage, se joignant à la haine qu’il avait déjà pour lui, firent dans son âme tout ce qu’on peut imaginer de plus violent, et il eût donné sur l’heure quelque marque sanglante de son désespoir, si la dissimulation, qui lui était naturelle, ne fût venue à son secours, et ne l’eût obligé, par des raisons puissantes, en l’état qu’étaient les choses, à ne rien entreprendre contre le duc de Guise. Il ne put toutefois se refuser le plaisir de lui apprendre qu’il savait le secret de son amour ; et l’abordant en sortant de la salle où l’on avait dansé : C’est trop, lui dit-il, d’oser lever les yeux jusqu’à ma sœur, et de m’ôter ma maîtresse. La considération du roi m’empêche d’éclater ; mais souvenez-vous que la perte de votre vie sera peut-être la moindre chose dont je punirai quelque jour votre témérité. La fierté du duc de Guise n’était pas accoutumée à de telles menaces ; il ne put néanmoins y répondre, parce que le roi, qui sortait dans ce moment, les appela tous deux ; mais elles gravèrent dans son cœur un desir de vengeance qu’il travailla toute sa vie à satisfaire. Dès le même soir, le duc d’Anjou lui rendit toutes sortes de mauvais offices auprès du roi. Il lui persuada que jamais Madame ne consentirait d’être mariée avec le roi de Navarre, avec qui on proposait de la marier, tant que l’on souffrirait que le duc de Guise l’approchât ; et qu’il était honteux de souffrir qu’un de ses sujets, pour satisfaire à sa vanité, apportât de l’obstacle à une chose qui devait donner la paix à la France. Le roi avait déjà assez d’aigreur contre le duc de Guise : ce discours l’augmenta si fort, que, le voyant le lendemain, comme il se présentait pour entrer au bal chez la reine, paré d’un nombre infini de pierreries, mais plus paré encore de sa bonne mine, il se mit à l’entrée de la porte, et lui demanda brusquement où il allait. Le duc, sans s’étonner, lui dit qu’il venait pour lui rendre ses très-humbles services : à quoi le roi répliqua, qu’il n’avait pas besoin de ceux qu’il lui rendait, et se tourna, sans le regarder. Le duc de Guise ne laissa pas d’entrer dans la salle, outré, dans le cœur, et contre le roi et contre le duc d’Anjou. Mais sa douleur augmenta sa fierté naturelle, et, par une manière de dépit, il s’approcha beaucoup plus de Madame qu’il n’avait accoutumé ; joint que ce que lui avait dit le duc d’Anjou de la princesse de Montpensier l’empêchait de jeter les yeux sur elle. Le duc d’Anjou les observait soigneusement l’un et l’autre. Les yeux de cette princesse laissaient voir, malgré elle, quelque chagrin, lorsque le duc de Guise parlait à Madame. Le duc d’Anjou, qui avait compris, par ce qu’elle lui avait dit, en le prenant pour M. de Guise, qu’elle avait de la jalousie, espéra de les brouiller, et, se mettant auprès d’elle : C’est pour votre intérêt, madame, plutôt que pour le mien, lui dit-il, que je m’en vais vous apprendre que le duc de Guise ne mérite pas que vous l’ayez choisi à mon préjudice. Ne m’interrompez point, je vous prie, pour me dire le contraire d’une vérité que je ne sais que trop. Il vous trompe, madame, et vous sacrifie à ma sœur, comme il vous l’a sacrifiée. C’est un homme qui n’est capable que d’ambition ; mais, puisqu’il a eu le bonheur de vous plaire, c’est assez ; je ne m’opposerai pas à une fortune que je méritais sans doute mieux que lui ; je m’en rendrais indigne, si je m’opiniâtrais davantage à la conquête d’un cœur qu’un autre possède. C’est trop de n’avoir pu attirer que votre indifférence : je ne veux pas y faire succéder la haine, en vous importunant plus longtemps de la plus fidèle passion qui fut jamais. Le duc d’Anjou, qui était effectivement touché d’amour et de douleur, put à peine achever ces paroles, et, quoiqu’il eût commencé son discours dans un esprit de dépit et de vengeance, il s’attendrit, en considérant la beauté de la princesse, et la perte qu’il faisait, en perdant l’espérance d’en être aimé ; de sorte que, sans attendre sa réponse, il sortit du bal, feignant de se trouver mal, et s’en alla chez lui rêver à son malheur. La princesse de Montpensier demeura affligée et troublée, comme on se le peut imaginer. Voir sa réputation et le secret de sa vie entre les mains d’un prince qu’elle avait maltraité, et apprendre par lui, sans pouvoir en douter, qu’elle était trompée par son amant, étaient des choses peu capables de lui laisser la liberté d’esprit que demandait un lieu destiné à la joie. Il fallut pourtant demeurer en ce lieu, et aller souper ensuite chez la duchesse de Montpensier, sa belle-mère, qui l’emmena avec elle. Le duc de Guise, qui mourait d’impatience de lui conter ce qu’avait dit le duc d’Anjou le jour précédent, la suivit chez sa sœur. Mais quel fut son étonnement, lorsque, voulant entretenir cette belle princesse, il trouva qu’elle ne lui parlait que pour lui faire des reproches épouvantables ; et le dépit lui faisait faire ces reproches si confusément, qu’il n’y pouvait rien comprendre, sinon qu’elle l’accusait d’infidélité et de trahison. Accablé de désespoir de trouver une si grande augmentation de douleur où il avait espéré de se consoler de tous ses ennuis, et aimant cette princesse avec une passion qui ne pouvait plus le laisser vivre dans l’incertitude d’en être aimé, il se détermina tout d’un coup. Vous serez satisfaite, madame, lui dit-il ; je m’en vais faire pour vous ce que toute la puissance royale n’aurait pu obtenir de moi. Il m’en coûtera ma fortune ; mais c’est peu de chose pour vous satisfaire. Sans demeurer davantage chez la duchesse sa sœur il s’en alla trouver, à l’heure même, les cardinaux ses oncles, et, sur le prétexte du mauvais traitement qu’il avait reçu du roi, il leur fit voir une si grande nécessité pour sa fortune à faire paraître qu’il n’avait aucune pensée d’épouser madame, qu’il les obligea à conclure son mariage avec la princesse de Portien, duquel on avait déjà parlé. La nouvelle de ce mariage fut aussitôt sue par tout Paris. Tout le monde fut surpris, et la princesse de Montpensier en fut touchée de joie et de douleur. Elle fut bien aise de voir par-là le pouvoir qu’elle avait sur le duc ; et elle fut fâchée, en même temps, de lui avoir fait abandonner une chose aussi avantageuse que le mariage de Madame. Le duc, qui voulait au moins que l’amour le récompensât de ce qu’il perdait du côté de la fortune, pressa la princesse de lui donner une audience particulière, pour s’éclaircir des reproches injustes qu’elle lui avait faits. Il obtint qu’elle se trouverait chez la duchesse de Montpensier, sa sœur, à une heure que cette duchesse n’y serait pas, et qu’il pourrait l’entretenir en particulier. Le duc de Guise eut la joie de se pouvoir jeter à ses pieds, de lui parler en liberté de sa passion, et de lui dire ce qu’il avait souffert de ses soupçons. La princesse ne pouvait s’ôter de l’esprit ce que lui avait dit le duc d’Anjou, quoique le procédé du duc de Guise la dût absolument rassurer. Elle lui apprit le juste sujet qu’elle avait de croire qu’il l’avait trahie, puisque le duc d’Anjou savait ce qu’il ne pouvait avoir appris que de lui. Le duc de Guise ne savait par où se défendre, et était aussi embarrassé que la princesse de Montpensier à deviner ce qui avait pu découvrir leur intelligence. Enfin, dans la suite de leur conversation, comme elle lui remontrait qu’il avait eu tort de précipiter son mariage avec la princesse de Portien, et d’abandonner celui de Madame, qui lui était si avantageux, elle lui dit qu’il pouvait bien juger qu’elle n’en eût eu aucune jalousie, puisque, le jour du ballet, elle-même l’avait conjuré de n’avoir des yeux que pour Madame. Le duc de Guise lui dit qu’elle avait eu intention de lui faire ce commandement, mais qu’assurément elle ne le lui avait pas fait. La princesse lui soutint le contraire. Enfin, à force de disputer et d’approfondir, ils trouvèrent qu’il fallait qu’elle se fût trompée dans la ressemblance des habits, et qu’elle-même eût appris au duc d’Anjou ce qu’elle accusait le duc de Guise de lui avoir appris. Le duc de Guise, qui était presque justifié dans son esprit par son mariage, le fut entièrement par cette conversation. Cette belle princesse ne put refuser son cœur à un homme qui l’avait possédé autrefois, et qui venait de tout abandonner pour elle. Elle consentit donc à recevoir ses vœux, et lui permit de croire qu’elle n’était pas insensible à sa passion. L’arrivée de la duchesse de Montpensier, sa belle-mère, finit cette conversation, et empêcha le duc de Guise de lui faire voir les transports de sa joie. Quelque temps après, la cour s’en allant à Blois, où la princesse de Montpensier la suivit, le mariage de Madame avec le roi de Navarre y fut conclu. Le duc de Guise, ne connaissant plus de grandeur ni de bonne fortune que celle d’être aimé de la princesse, vit avec joie la conclusion de ce mariage, qui l’aurait comblé de douleur dans un autre temps. Il ne pouvait si bien cacher son amour, que le prince de Montpensier n’en entrevît quelque chose, lequel, n’étant plus maître de sa jalousie, ordonna à la princesse sa femme de s’en aller à Champigni. Ce commandement lui fut bien rude : il fallut pourtant obéir. Elle trouva moyen de dire adieu en particulier au duc de Guise ; mais elle se trouva bien embarrassée à lui donner des moyens sûrs pour lui écrire. Enfin, après avoir bien cherché, elle jeta les yeux sur le comte de Chabanes, qu’elle comptait toujours pour son ami, sans considérer qu’il était son amant. Le duc de Guise, qui savait à quel point ce comte était ami du prince de Montpensier, fut épouvanté qu’elle le choisît pour son confident ; mais elle lui répondit si bien de sa fidélité, qu’elle le rassura. Il se sépara d’elle avec toute la douleur que peut causer l’absence d’une personne que l’on aime passionnément. Le comte de Chabanes, qui avait toujours été malade à Paris pendant le séjour de la princesse de Montpensier à Blois, sachant qu’elle s’en allait à Champigni, la fut trouver sur le chemin, pour s’en aller avec elle. Elle lui fit mille caresses et mille amitiés, et lui témoigna une impatience extraordinaire de s’entretenir en particulier, dont il fut d’abord charmé. Mais quels furent son étonnement et sa douleur, quand il trouva que cette impatience n’allait qu’à lui conter qu’elle était passionnément aimée du duc de Guise, et qu’elle l’aimait de la même sorte ! Son étonnement et sa douleur ne lui permirent pas de répondre. La princesse, qui était pleine de sa passion, et qui trouvait un soulagement extrême à lui en parler, ne prit pas garde à son silence, et se mit à lui conter jusqu’aux plus petites circonstances de son aventure. Elle lui dit comme le duc de Guise et elle étaient convenus de recevoir, par son moyen, les lettres qu’ils devaient s’écrire. Ce fut le dernier coup pour le comte de Chabanes, de voir que sa maîtresse voulait qu’il servît son rival, et qu’elle lui en faisait la proposition comme d’une chose qui lui devait être agréable. Il était si absolument maître de lui-même, qu’il lui cacha tous ses sentiments. Il lui témoigna seulement la surprise où il était de voir en elle un si grand changement. Il espéra d’abord que ce changement, qui lui ôtait toute espérance, lui ôterait aussi toute sa passion ; mais il trouva cette princesse si charmante, sa beauté naturelle étant encore beaucoup augmentée par une certaine grâce que lui avait donnée l’air de la cour, qu’il sentit qu’il l’aimait plus que jamais. Toutes les confidences qu’elle lui faisait sur la tendresse et sur la délicatesse de ses sentiments pour le duc de Guise lui faisaient voir le prix du cœur de cette princesse, et lui donnaient un vif désir de le posséder. Comme sa passion était la plus extraordinaire du monde, elle produisit l’effet du monde le plus extraordinaire, car elle le fit résoudre de porter à sa maîtresse les lettres de son rival. L’absence du duc de Guise donnait un chagrin mortel à la princesse de Montpensier, et, n’espérant de soulagement que par ses lettres, elle tourmentait incessamment le comte de Chabanes, pour savoir s’il n’en recevait point, et se prenait quasi à lui de n’en avoir pas assez tôt. Enfin, il en reçut par un gentilhomme du duc de Guise, et il les lui apporta à l’heure même, pour ne lui retarder pas sa joie d’un moment. Celle qu’elle eut de les recevoir fut extrême. Elle ne prit pas le soin de la cacher, et lui fit avaler à longs traits tout le poison imaginable, en lui lisant ces lettres et la réponse tendre et galante qu’elle y faisait. Il porta cette réponse au gentilhomme, avec la même fidélité avec laquelle il avait rendu la lettre à la princesse, mais avec plus de douleur. Il se consola pourtant un peu, dans la pensée que cette princesse ferait quelque réflexion sur ce qu’il faisait pour elle, et qu’elle lui en témoignerait de la reconnaissance. La trouvant de jour en jour plus rude pour lui, par le chagrin qu’elle avait d’ailleurs, il prit la liberté de la supplier de penser un peu à ce qu’elle lui faisait souffrir. La princesse, qui n’avait dans la tête que le duc de Guise, et qui ne trouvait que lui seul digne de l’adorer, trouva si mauvais qu’un autre que lui osât penser à elle, qu’elle maltraita bien plus le comte de Chabanes en cette occasion, qu’elle n’avait fait la première fois qu’il lui avait parlé de son amour. Quoique sa passion, aussi bien que sa patience, fût extrême, et à toute épreuve, il quitta la princesse et s’en alla chez un de ses amis dans le voisinage de Champigni, d’où il lui écrivit avec toute la rage que pouvait lui causer un si étrange procédé, mais néanmoins avec tout le respect qui était dû à sa qualité ; et, par sa lettre, il lui disait un éternel adieu. La princesse commença à se repentir d’avoir si peu ménagé un homme sur qui elle avait tant de pouvoir ; et, ne pouvant se résoudre à le perdre, non-seulement à cause de l’amitié qu’elle avait pour lui, mais aussi par l’intérêt de son amour, pour lequel il lui était tout-à-fait nécessaire, elle lui manda qu’elle voulait absolument lui parler encore une fois, et, après cela, qu’elle le laissait libre de faire ce qu’il lui plairait. L’on est bien faible quand on est amoureux. Le comte revint, et, en moins d’une heure, la beauté de la princesse de Montpensier, son esprit et quelques paroles obligeantes, le rendirent plus soumis qu’il n’avait jamais été, et il lui donna même des lettres du duc de Guise, qu’il venait de recevoir. Pendant ce temps, l’envie qu’on eut à la cour d’y faire venir les chefs du parti huguenot, pour cet horrible dessein qu’on exécuta le jour de la Saint-Barthelemi, fit que le roi, pour les mieux tromper, éloigna de lui tous les princes de la maison de Bourbon et tous ceux de la maison de Guise. Le prince de Montpensier s’en retourna à Champigni, pour achever d’accabler la princesse sa femme par sa présence. Le duc de Guise s’en alla à la campagne, chez le cardinal de Lorraine, son oncle. L’amour et l’oisiveté mirent dans son esprit un si violent désir de voir la princesse de Montpensier, que, sans considérer ce qu’il hasardait pour elle et pour lui, il feignit un voyage, et, laissant tout son train dans une petite ville, il prit avec lui ce seul gentilhomme qui avait déja fait plusieurs voyages à Champigni, et il s’y en alla en poste. Comme il n’avait point d’autre adresse que celle du comte de Chabanes, il lui fit écrire un billet par ce même gentilhomme, par lequel ce gentilhomme le priait de le venir trouver en un lieu qu’il lui marquait. Le comte de Chabanes, croyant que c’était seulement pour recevoir des lettres du duc de Guise, l’alla trouver ; mais il fut extrêmement surpris, quand il vit le duc de Guise, et il n’en fut pas moins affligé. Ce duc, occupé de son dessein, ne prit non plus garde à l’embarras du comte que la princesse de Montpensier avait fait à son silence lorsqu’elle lui avait conté son amour. Il se mit à lui exagérer sa passion, et à lui faire comprendre qu’il mourrait infailliblement, s’il ne lui faisait obtenir de la princesse la permission de la voir. Le comte de Chabanes lui répondit froidement qu’il dirait à cette princesse tout ce qu’il souhaitait qu’il lui dît, et qu’il viendrait lui en rendre réponse. Il s’en retourna à Champigni, combattu de ses propres sentiments, mais avec une violence qui lui ôtait quelquefois toute sorte de connaissance. Souvent il prenait la résolution de renvoyer le duc de Guise sans le dire à la princesse de Montpensier ; mais la fidélité exacte qu’il lui avait promise changeait aussitôt sa résolution. Il arriva auprès d’elle, sans savoir ce qu’il devait faire ; et, apprenant que le prince de Montpensier était à la chasse, il alla droit à l’appartement de la princesse, qui, le voyant troublé, fit retirer aussitôt ses femmes pour savoir le sujet de ce trouble. Il lui dit, en se modérant le plus qu’il lui fut possible, que le duc de Guise était à une lieue de Champigni, et qu’il souhaitait passionnément de la voir. La princesse fit un grand cri à cette nouvelle, et son embarras ne fut guère moindre que celui du comte. Son amour lui présenta d’abord la joie qu’elle aurait de voir un homme qu’elle aimait si tendrement : mais, quand elle pensa combien cette action était contraire à sa vertu, et qu’elle ne pouvait voir son amant qu’en le faisant entrer la nuit chez elle, à l’insu de son mari, elle se trouva dans une extrémité épouvantable. Le comte de Chabanes attendait sa réponse comme une chose qui allait décider de sa vie ou de sa mort. Jugeant de l’incertitude de la princesse par son silence, il prit la parole pour lui représenter tous les périls où elle s’exposerait par cette entrevue ; et, voulant lui faire voir qu’il ne lui tenait pas ce discours pour ses intérêts, il lui dit : Si, après tout ce que je viens de vous représenter, madame, votre passion est la plus forte, et que vous désiriez voir le duc de Guise, que ma considération ne vous en empêche point, si celle de votre intérêt ne le fait pas. Je ne veux point priver d’une si grande satisfaction une personne que j’adore, ni être cause qu’elle cherche des personnes moins fidèles que moi pour se la procurer. Oui, madame, si vous le voulez, j’irai quérir le duc de Guise dès ce soir, car il est trop périlleux de le laisser plus long-temps où il est, et je l’amènerai dans votre appartement. Mais par où et comment, interrompit la princesse ? Ah ! madame, s’écria le comte, c’en est fait, puisque vous ne délibérez plus que sur les moyens. Il viendra, madame, ce bienheureux amant. Je l’amènerai par le parc : donnez ordre seulement à celle de vos femmes à qui vous vous fiez le plus, qu’elle baisse, précisément à minuit, le petit pont-levis, qui donne de votre antichambre dans le parterre, et ne vous inquiétez pas du reste. En achevant ces paroles, il se leva ; et, sans attendre d’autre consentement de la princesse de Montpensier, il remonta à cheval, et vint trouver le duc de Guise, qui l’attendait avec une impatience extrême. La princesse de Montpensier demeura si troublée, qu’elle fut quelque temps sans revenir à elle. Son premier mouvement fut de faire rappeler le comte de Chabanes, pour lui défendre d’amener le duc de Guise ; mais elle n’en eut pas la force. Elle pensa que, sans le rappeler, elle n’avait qu’à ne point faire abaisser le pont. Elle crut qu’elle continuerait dans cette résolution. Quand l’heure de l’assignation approcha, elle ne put résister davantage à l’envie de voir un amant qu’elle croyait si digne d’elle, et elle instruisit une de ses femmes de tout ce qu’il fallait faire pour introduire le duc de Guise dans son appartement. Cependant, et ce duc et le comte de Chabanes approchaient de Champigni ; mais dans un état bien différent : le duc abandonnait son ame à la joie et à tout ce que l’espérance inspire de plus agréable, et le comte s’abandonnait à un désespoir et à une rage qui le poussèrent mille fois à donner de son épée au travers du corps de son rival. Enfin ils arrivèrent au parc de Champigni, où ils laissèrent leurs chevaux à l’écuyer du duc de Guise ; et, passant par des brèches qui étaient aux murailles, ils vinrent dans le parterre. Le comte de Chabanes, au milieu de son désespoir, avait toujours quelque espérance que la raison reviendrait à la princesse de Montpensier, et qu’elle prendrait enfin la résolution de ne point voir le duc de Guise. Quand il vit ce petit pont abaissé, ce fut alors qu’il ne put douter du contraire, et ce fut aussi alors qu’il fut tout prêt à se porter aux dernières extrémités ; mais, venant à penser que, s’il faisait du bruit, il serait ouï apparemment du prince de Montpensier, dont l’appartement donnait sur le même parterre, et que tout ce désordre tomberait ensuite sur la personne qu’il aimait le plus, sa rage se calma à l’heure même, et il acheva de conduire le duc de Guise aux pieds de sa princesse. Il ne put se résoudre à être témoin de leur conversation, quoique la princesse lui témoignât le souhaiter, et qu’il l’eût bien souhaité lui-même. Il se retira dans un petit passage, qui était du côté de l’appartement du prince de Montpensier, ayant dans l’esprit les plus tristes pensées qui aient jamais occupé l’esprit d’un amant. Cependant, quelque peu de bruit qu’ils eussent fait en passant sur le pont, le prince de Montpensier, qui par malheur était éveillé dans ce moment, l’entendit, et fit lever un de ses valets de chambre pour voir ce que c’était. Le valet de chambre mit la tête à la fenêtre, et, au travers de l’obscurité de la nuit, il aperçut que le pont était abaissé. Il en avertit son maître, qui lui commanda en même temps d’aller dans le parc voir ce que ce pouvait être. Un moment après, il se leva lui-même, étant inquiet de ce qu’il lui semblait avoir ouï marcher quelqu’un, et s’en vint droit à l’appartement de la princesse sa femme, qui répondait sur le pont. Dans le moment qu’il approchait de ce petit passage où était le comte de Chabanes, la princesse de Montpensier, qui avait quelque honte de se trouver seule avec le duc de Guise, pria plusieurs fois le comte d’entrer dans sa chambre. Il s’en excusa toujours, et, comme elle l’en pressait davantage, possédé de rage et de fureur, il lui répondit si haut qu’il fut ouï du prince de Montpensier ; mais si confusément que ce prince entendit seulement la voix d’un homme, sans distinguer celle du comte. Une pareille aventure eût donné de l’emportement à un esprit et plus tranquille et moins jaloux : aussi mit-elle d’abord l’excès de la rage et de la fureur dans celui du prince. Il heurta aussitôt à la porte avec impétuosité, et, criant pour se faire ouvrir, il donna la plus cruelle surprise du monde à la princesse, au duc de Guise et au comte de Chabanes. Le dernier, entendant la voix du prince, comprit d’abord qu’il était impossible de l’empêcher de croire qu’il n’y eût quelqu’un dans la chambre de la princesse sa femme, et, la grandeur de sa passion lui montrant en ce moment, que, s’il y trouvait le duc de Guise, madame de Montpensier aurait la douleur de le voir tuer à ses yeux, et que la vie même de cette princesse ne serait pas en sûreté, il résolut, par une générosité sans exemple, de s’exposer pour sauver une maîtresse ingrate et un rival aimé. Pendant que le prince de Montpensier donnait mille coups à la porte, il vint au duc de Guise, qui ne savait quelle résolution prendre, et il le mit entre les mains de cette femme de madame de Montpensier qui l’avait fait entrer par le pont, pour le faire sortir par le même lieu, pendant qu’il s’exposerait à la fureur du prince. À peine le duc était hors de l’antichambre, que le prince, ayant enfoncé la porte du passage, entra dans la chambre comme un homme possédé de fureur et qui cherchait sur qui la faire éclater. Mais quand il ne vit que le comte de Chabanes, et qu’il le vit immobile, appuyé sur la table, avec un visage où la tristesse était peinte, il demeura immobile lui-même : et la surprise de trouver, et seul et la nuit, dans la chambre de sa femme l’homme du monde qu’il aimait le mieux, le mit hors d’état de pouvoir parler. La princesse était à demi-évanouie sur des carreaux, et jamais peut-être la fortune n’a mis trois personnes en des états si pitoyables. Enfin, le prince de Montpensier, qui ne croyait pas ce qu’il voyait, et qui voulait démêler ce chaos où il venait de tomber, adressant la parole au comte, d’un ton qui faisait voir qu’il avait encore de l’amitié pour lui : Que vois-je, lui dit-il ? Est-ce une illusion ou une vérité ? Est-il possible qu’un homme que j’ai aimé si chèrement choisisse ma femme entre toutes les autres femmes, pour la séduire ? Et vous, madame, dit-il à la princesse, en se tournant de son côté, n’était-ce point assez de m’ôter votre cœur et mon honneur, sans m’ôter le seul homme qui me pouvait consoler de ces malheurs ? Répondez-moi l’un ou l’autre, leur dit-il, et éclaircissez-moi d’une aventure que je ne puis croire telle qu’elle me paraît. La princesse n’était pas capable de répondre, et le comte de Chabanes ouvrit plusieurs fois la bouche sans pouvoir parler. Je suis criminel à votre égard, lui dit-il enfin, et indigne de l’amitié que vous avez eue pour moi ; mais ce n’est pas de la manière que vous pouvez l’imaginer. Je suis plus malheureux que vous, et plus désespéré ; je ne saurais vous en dire davantage. Ma mort vous vengera, et, si vous voulez me la donner tout-à-l’heure, vous me donnerez la seule chose qui peut m’être agréable. Ces paroles, prononcées avec une douleur mortelle et avec un air qui marquait son innocence, au lieu d’éclaircir le prince de Montpensier, lui persuadaient de plus en plus qu’il y avait quelque mystère dans cette aventure, qu’il ne pouvait deviner ; et, son désespoir s’augmentant par cette incertitude : Ôtez-moi la vie vous-même, lui dit-il, ou donnez-moi l’éclaircissement de vos paroles ; je n’y comprends rien : vous devez cet éclaircissement à mon amitié : vous le devez à ma modération ; car tout autre que moi aurait déjà vengé sur votre vie un affront si sensible. Les apparences sont bien fausses, interrompit le comte. Ah ! c’est trop, répliqua le prince ; il faut que je me venge, et puis je m’éclaircirai à loisir. En disant ces paroles, il s’approcha du comte de Chabanes avec l’action d’un homme emporté de rage. La princesse, craignant quelque malheur (ce qui ne pouvait pourtant pas arriver, son mari n’ayant point d’épée), se leva pour se mettre entre deux. La faiblesse où elle était la fit succomber à cet effort, et, comme elle approchait de son mari, elle tomba évanouie à ses pieds. Le prince fut encore plus touché de cet évanouissement qu’il n’avait été de la tranquillité où il avait trouvé le comte, lorsqu’il s’était approché de lui ; et, ne pouvant plus soutenir la vue de deux personnes qui lui donnaient des mouvements si tristes, il tourna la tête de l’autre côté, et se laissa tomber sur le lit de sa femme, accablé d’une douleur incroyable. Le comte de Chabanes, pénétré de repentir d’avoir abusé d’une amitié dont il recevait tant de marques, et, ne trouvant pas qu’il pût jamais réparer ce qu’il venait de faire, sortit brusquement de la chambre, et, passant par l’appartement du prince, dont il trouva les portes ouvertes, il descendit dans la cour ; il se fit donner des chevaux, et s’en alla dans la campagne, guidé par son seul désespoir. Cependant, le prince de Montpensier, qui voyait que la princesse ne revenait point de son évanouissement, la laissa entre les mains de ses femmes, et se retira dans sa chambre avec une douleur mortelle. Le duc de Guise, qui était sorti heureusement du parc, sans savoir quasi ce qu’il faisait, tant il était troublé, s’éloigna de Champigni de quelques lieues ; mais il ne put s’éloigner davantage, sans savoir des nouvelles de la princesse. Il s’arrêta dans une forêt, et envoya son écuyer pour apprendre du comte de Chabanes ce qui était arrivé de cette terrible aventure. L’écuyer ne trouva point le comte de Chabanes ; mais il apprit d’autres personnes que la princesse de Montpensier était extraordinairement malade. L’inquiétude du duc de Guise fut augmentée par ce que lui dit son écuyer ; et, sans la pouvoir soulager, il fut contraint de s’en retourner trouver ses oncles, pour ne pas donner de soupçon par un plus long voyage. L’écuyer du duc de Guise lui avait rapporté la vérité, en lui disant que madame de Montpensier était extrêmement malade ; car il était vrai que, sitôt que ses femmes l’eurent mise dans son lit, la fièvre lui prit si violemment, et avec des rêveries si horribles, que, dès le second jour, l’on craignit pour sa vie. Le prince feignit d’être malade, afin qu’on ne s’étonnât pas de ce qu’il n’entrait pas dans la chambre de sa femme. L’ordre qu’il reçut de s’en retourner à la cour, où l’on rappelait tous les princes catholiques pour exterminer les huguenots, le tira de l’embarras où il était. Il s’en alla à Paris, ne sachant ce qu’il avait à espérer ou à craindre du mal de la princesse sa femme. Il n’y fut pas sitôt arrivé, qu’on commença d’attaquer les huguenots en la personne d’un de leurs chefs, l’amiral de Châtillon ; et, deux jours après, l’on fit cet horrible massacre si renommé par toute l’Europe. Le pauvre comte de Chabanes, qui s’était venu cacher dans l’extrémité de l’un des faubourgs de Paris, pour s’abandonner entièrement à sa douleur, fut enveloppé dans la ruine des huguenots. Les personnes chez qui il s’était retiré l’ayant reconnu, et s’étant souvenues qu’on l’avait soupçonné d’être de ce parti, le massacrèrent cette même nuit qui fut si funeste à tant de gens. Le matin, le prince de Montpensier, allant donner quelques ordres hors la ville, passa dans la rue où était le corps de Chabanes. Il fut d’abord saisi d’étonnement à ce pitoyable spectacle ; ensuite, son amitié se réveillant, elle lui donna de la douleur ; mais le souvenir de l’offense qu’il croyait avoir reçue du comte lui donna enfin de la joie, et il fut bien aise de se voir vengé par les mains de la fortune. Le duc de Guise, occupé du désir de venger la mort de son père, et, peu après, rempli de la joie de l’avoir vengée, laissa peu à peu éloigner de son ame le soin d’apprendre des nouvelles de la princesse de Montpensier ; et, trouvant la marquise de Noirmoutier, personne de beaucoup d’esprit et de beauté, et qui donnait plus d’espérance que cette princesse, il s’y attacha entièrement et l’aima avec une passion démesurée, et qui dura jusqu’à sa mort. Cependant, après que le mal de madame de Montpensier fut venu au dernier point, il commença à diminuer : la raison lui revint ; et, se trouvant un peu soulagée par l’absence du prince son mari, elle donna quelque espérance de sa vie. Sa santé revenait pourtant avec grand’ peine, par le mauvais état de son esprit ; et son esprit fut travaillé de nouveau, quand elle se souvint qu’elle n’avait eu aucune nouvelle du duc de Guise pendant toute sa maladie. Elle s’enquit de ses femmes si elles n’avaient vu personne, si elles n’avaient point de lettres ; et, ne trouvant rien de ce qu’elle eût souhaité, elle se trouva la plus malheureuse du monde, d’avoir tout hasardé pour un homme qui l’abandonnait. Ce lui fut encore un nouvel accablement d’apprendre la mort du comte de Chabanes, qu’elle sut bientôt par les soins du prince son mari. L’ingratitude du duc de Guise lui fit sentir plus vivement la perte d’un homme dont elle connaissait si bien la fidélité. Tant de déplaisirs si pressants la remirent bientôt dans un état aussi dangereux que celui dont elle était sortie : et, comme madame de Noirmoutier était une personne qui prenait autant de soin de faire éclater ses galanteries que les autres en prennent de les cacher, celles du duc de Guise et d’elle étaient si publiques, que, toute éloignée et toute malade qu’était la princesse de Montpensier, elle les apprit de tant de côtés, qu’elle n’en put douter. Ce fut le coup mortel pour sa vie : elle ne put résister à la douleur d’avoir perdu l’estime de son mari, le cœur de son amant, et le plus parfait ami qui fut jamais. Elle mourut en peu de jours, dans la fleur de son âge, une des plus belles princesses du monde, et qui aurait été sans doute la plus heureuse, si la vertu et la prudence eussent conduit toutes ses actions.

fin de la princesse de montpensier.





MÉMOIRES



DE LA COUR DE FRANCE,



POUR LES ANNÉES 1688 ET 1689.






MÉMOIRES

DE LA COUR DE FRANCE,

POUR LES ANNÉES 1688 ET 1689.





La France était dans une tranquillité parfaite ; l’on n’y connaissait plus d’autres armes que les instruments nécessaires pour remuer les terres et pour bâtir : on employait les troupes à ces usages, non-seulement avec l’intention des anciens Romains, qui n’était que de les tirer d’une oisiveté aussi mauvaise pour elles que le serait l’excès du travail ; mais le but était aussi de faire aller la rivière d’Eure contre son gré, pour rendre les fontaines de Versailles continuelles : on employait les troupes à ce prodigieux dessein, pour avancer de quelques années les plaisirs du roi ; et on le faisait avec moins de dépenses et moins de temps que l’on n’eût osé l’espérer.

La quantité de maladies que cause toujours le remuement des terres, mettait les troupes, qui étaient campées à Maintenon, où était le fort du travail, hors d’état d’aucun service ; mais cet inconvénient ne paraissait digne d’aucune attention, dans le sein de la tranquillité dont on jouissait. La trêve était faite pour vingt ans avec toute l’Europe. Les Impériaux, quoique victorieux des Turcs, avaient encore assez d'occupation pour nous laisser en repos, et l'on espérait que des conquêtes quasi sûres auraient plus d'appas pour eux que le plaisir d'une vengeance douteuse. L'Espagne était trop abaissée pour nous donner une ombre d'appréhension ; l'Angleterre, trop tourmentée dans ses entrailles, et les deux rois trop liés pour qu'il y eût rien à craindre. L'on était fort persuadé des mauvaises intentions du prince d'Orange ; mais nous étions rassurés par l'état de la république de Hollande, dont le souverain bonheur consiste dans la paix : nous étions donc persuadés que, si la guerre commençait, ce ne pourrait être que par nous.

Tout ce que je viens de dire laissait au roi le plaisir tout pur de jouir de ses travaux. Ses bâtiments, auxquels il faisait des dépenses immenses, l'amusaient infiniment ; et il en jouissait avec les personnes qu'il honore de son amitié, et celles que ces personnes distinguent par-dessus les autres. Il était bien persuadé que, si la paix du Turc se pouvait faire, ses ennemis se rassembleraient tous contre lui ; mais cette pensée-là était trop éloignée pour lui faire de la peine ; cependant cet éloignement n'empêchait pas que la politique ne lui fît prendre des précautions. Une de celles que l'on jugea la plus utile, fut de s'assurer de l'électorat de Cologne, sans s'en saisir. Nous étions déjà les maîtres de tout le Haut-Rhin, par la possession de l'Alsace ; il n'y avait que Philisbourg que nous n'avions pas ; mais l'on bâtissait une place à Landau, pour rendre celle-là inutile aux Impériaux. Luxembourg nous mettait tout le pays de Trêves dans notre dépendance, et une place appelée le Mont-Royal, que nous faisions sur la Moselle, nous en rendait entièrement les maîtres. Par-là, l'électeur de Trêves, celui de Mayence et le Palatin, étaient entièrement sous notre coulevrine, et les ennemis du roi ne pouvaient pas aisément se faire un passage par ces endroits-là. L'électorat de Cologne était donc le seul dont nous ne fussions pas les maîtres. Nous l'avions été par la liaison que M. l'électeur de Cologne avait toujours eue avec le roi ; mais on le voyait dépérir, et il ne pouvait vivre encore long-temps. Comme les chanoines de cette église sont tous allemands, et qu'il en faut nécessairement élever un à la dignité d'électeur, le roi n'en trouvait aucun dans ses intérêts que le prince Guillaume de Furstemberg, qui y avait toujours été, à qui il avait donné l'évêché de Strasbourg après la mort de son frère, qu'il avait fait cardinal, et à qui il avait donné quantité de bénéfices en France. Il avait été de tout temps attaché au roi, et c'étaient son frère et lui qui avaient ménagé tous les commencements de la guerre de Hollande. Le roi jugea donc qu'il lui était nécessaire de l'élever à cette dignité, et l'on crut que l'on y réussirait plus aisément en le faisant du vivant de M. l'électeur, qu'en attendant après sa mort. On fit donc consentir l'électeur à demander un coadjuteur. On s'assembla ; et, après beaucoup de difficultés que formèrent les partisans de l'empereur et de l'Empire, M. de Furstcemberg fut élu coadjuteur. On crut, en ce pays-ci, que c'était une affaire faite, et que rien ne pouvait plus empêcher qu'il ne le fût. On dépêcha des courriers à Rome et à Vienne : à Rome, pour avoir les bulles ; à Vienne, pour l’investiture : toutes les deux furent refusées. L’empereur refusa par son intérêt particulier, et le pape, par une opiniâtreté épouvantable, mêlée d’une haine pour la France, et le tout couvert du voile de religion et de zèle pour l’Église. On ne peut pas dire que le pape ne soit homme de bien, et que, dans les commencements, il n’ait eu des intentions très-droites ; mais il s’est bien écarté de cette voie d’équité et de justice que doit avoir un bon père pour ses enfants. Je crois que l’on ne doit pas trouver mauvais qu’il ait aidé l’empereur, le roi de Pologne et les Vénitiens dans la guerre qu’ils avaient contre les infidèles ; on peut même soutenir le parti qu’il a pris sur l’affaire des franchises, et il est excusable d’avoir été offensé contre les ministres de France sur tout ce qui s’est passé dans les assemblées du clergé ; car c’est son autorité, qui est la chose dont l’humanité est plus jalouse, que l’on attaque ; et, quand l’humanité n’y aurait point de part, et qu’un pape en serait défait en montant sur le trône de saint Pierre, ce serait l’Église et ses droits qu’il défendrait ; mais un endroit où le pape n’est pas pardonnable, ni même excusable, c’est la manière dont il s’est comporté dans l’affaire de Cologne. Pendant le reste de vie de M. l’électeur de Cologne, il refusa les bulles à M. de Furstemberg, qui avait pourtant été élu coadjuteur canoniquement, et qui avait eu toutes les voix nécessaires, sans que le parti de l’empereur, qui proposait un frère de M. de Neubourg, l’eût pu empêcher. Le pape savait l’état où était M. de Cologne, et qu’en ne donnant point de bulles au coadjuteur, il fallait recommencer l’élection à la mort de l’électeur. La raison du pape, pour ne lui point donner de bulles, fut que c’était un homme qui avait mis le feu dans toute l’Europe ; qui était cause des guerres passées ; que celles qui viendraient en seraient toujours une suite ; qu’un homme comme celui-là n’était pas digne de remplir une aussi grande place, et que, s’il y était une fois, il entreprendrait encore plus aisément de troubler le repos de la chrétienté. Le pape s’applaudissait d’une raison qui paraissait sortir des entrailles du père commun des chrétiens, et refusait cette grâce au cardinal de Furstemberg, parce qu’il était appuyé de la France, et que c’était prendre une vengeance grande et certaine du roi, qu’il avait trouvé opposé aux choses qu’il avait voulues.

Dans le temps que le roi sollicitait le plus fortement les bulles du coadjuteur, et que le pape y était le plus opposé, l’électeur de Cologne vint à mourir, et laissa vacant, outre l’archevêché de Cologne, l’évêché de Munster, celui de Liège et celui d’Hildesheim. L’intention du roi était que M. de Furstemberg en remplît le plus qu’il se pourrait ; mais il s’attachait le plus fortement à ceux de Cologne et de Liége, comme les plus voisins de ses états, et par conséquent les plus nécessaires. L’obstination du pape à refuser les bulles faisait qu’il fallait refaire une nouvelle élection, et que la coadjutorerie que l’on avait donnée au cardinal de Furstemberg était entièrement inutile : il demeurait seulement, pendant le siège vacant, administrateur de l’archevêché, et, comme il avait gouverné pendant toute la vie du feu électeur, il était entièrement maître des places et avait un assez grand crédit parmi les chanoines. On fut, après la mort de l’électeur, un temps assez considérable sans procéder à l’élection ; mais pourtant, selon l’usage ordinaire, l’évêque de Munster et celui d’Hildesheim furent nommés, sans qu’il fût question de M. de Furstemherg : aussi ne s’était-on donné, du côté de la cour, qu’un médiocre mouvement pour lui faire remplir ces deux places. Il n’en était pas de même de celle de Cologne : on y avait envoyé le baron d’Asfeld, homme de beaucoup d’esprit, que M. de Louvois emploie souvent dans des négociations ; on fit avancer des troupes sur les frontières ; on envoya de l’argent dans l’archevêché de Cologne, pour distribuer aux chanoines et à des prêtres qui sont au-dessous des chanoines, et qui ont une voix élective, mais qui ne peuvent jamais être élus. L’empereur opposa pour négociateur à Asfeld le comte de Launitz, homme, à ce que l’on dit, de peu d’esprit, mais qui avait pourtant réussi à mettre M. l’électeur de Bavière dans les intérêts de l’empereur : il est vrai que sa femme y avait eu plus de part que lui ; car M. l’électeur en était devenu amoureux, et c’est difficile de trouver des gens qui persuadent mieux que les amants ou les maîtresses. M. de Launitz proposa aux chanoines l’évêque de Breslau, fils de l’électeur Palatin et frère de l’impératrice, pour archevêque de Cologne : il fut peu écouté, et l’on espérait une heureuse négociation à l’égard du cardinal de Furstemberg. Quand l’empereur vit que l’affaire ne pouvait pas réussir pour l’évêque de Breslau, on fit proposer le prince Clément de Bavière, frère de M. l’électeur. Il n’avait pas l'âge, et il ne pouvait pas y avoir une plus grande opposition ; mais on couvrit ce défaut d'un prétexte spécieux d'avantage pour l'électorat, qui fut que M. le prince Clément n'en jouirait que quand il aurait l'âge ; que l'on en donnerait l'administration à des chanoines jusqu'à ce temps-là, et que les revenus seraient employés à rétablir l'archevêché qui était en désordre. En même temps, on présenta des brefs du pape, qui dispensaient M. le prince Clément d'âge. Le pape y représentait les services de M. l'électeur pour la chrétienté, et l'avantage de l'archevêché. Il ne fallait pas être trop éclairé pour discerner les mouvements qui le faisaient agir ; aussi les regarda-t-on en France comme on devait. Les Hollandais n'étaient pas encore entrés fort avant dans cette négociation, et le prince d'Orange sur-tout avait peu paru, et ne s'était pas pressé de faire beaucoup de pas, de peur qu'on ne les détruisît ; mais, afin qu'on n'eût pas le temps, il envoya, la surveille de l'élection à Cologne, un nommé Isaac, qui est son maître d'hôtel, et le seul qui partage sa confiance avec le comte de Benting[1] ; mais pourtant avec cette différence, que l'un se trouva là comme son ami, et l'autre presque comme son premier ministre, et comme un homme qui lui est très-utile. Ils se rendirent à Cologne avec des lettres de change considérables, qui déterminaient entièrement ceux qui balançaient, qui pourtant avaient donné leurs voix au cardinal, quand il avait été question de le faire coadjuteur. On procéda à l'élection le jour que l'on avait assigné, et on la fit avec toutes les voix ordinaires de vingt-quatre chanoines, dont est composé le chapitre de Cologne. Le cardinal de Furstemberg eut treize voix, le prince Clément huit, et deux autres en eurent chacun une. Il y en eut une de ces deux-là qui se joignit ensuite à celles qu’avait déjà le cardinal, de manière qu’il en eut quatorze. Comme celui qui a le plus de voix doit l’emporter, selon les apparences, on proclama le cardinal électeur. Ceux qui étaient dans le parti du prince Clément firent une espèce de protestation, et se retirèrent chacun chez eux, sans vouloir assister à la proclamation. Cependant le voilà déclaré électeur : pour l’être parfaitement, il lui manquait, et les bulles du pape, et l’investiture de l’empereur. M. le cardinal de Furstemberg eut d’abord recours au roi pour le soutenir. Le roi lui envoya des troupes, qui pourtant prêtèrent le serment entre les mains du cardinal, comme électeur : il en remplit les places de l’archevêché, et y mit des commandants français.

Pendant tout ce temps-là, une grande partie de l’infanterie du roi était à Maintenon ; sa cavalerie était campée en différents endroits ; M. de Louvois était malade, et prenait les eaux à Forges pour rétablir sa santé. Les maladies de Maintenon commençaient d’une si grande violence, que l’on était obligé de mettre les troupes dans des quartiers, et l’on comptait que le travail continuerait encore six semaines ou deux mois : il ne paraissait pas que l’on dût prendre des partis violents pour cette année. M. de Louvois revint de Forges, et deux jours après on envoya au marquis d’Huxelles, qui commandait le camp de la rivière d’Eure, des ordres pour en faire décamper toutes les troupes. Le bruit se répandit alors qu'on allait déclarer la guerre. On parla d'augmentation de troupes, et on donna peu de temps après des commissions pour de nouvelles levées. On apprit en même temps la nouvelle de la prise de Belgrade ; on jugea les Turcs dans une impuissance entière de soutenir encore la guerre : il était extrêmement question de paix entre eux et l’empereur, et l'on ne pouvait pas douter que, si elle se faisait une fois, toutes les forces de l’empire ne retombassent sur nous.

Les affaires de Rome allaient de mal en pis ; personne ne pouvait vaincre l’opiniâtreté du pape. Elle était trop bien fomentée par les gens en qui il avait le plus de confiance ; et ceux qui eussent pu lui parler pour le faire changer de sentiment, lui étaient trop suspects. Le roi se résolut d’y envoyer Chanlay, homme en qui M. de Louvois a une très-grande confiance, et qu’il emploie volontiers. Le roi le chargea d’une lettre de sa main pour le pape, avec ordre de n’avoir aucun commerce avec M. de Lavardin, son ambassadeur, ni avec M. le cardinal d’Estrées, qui faisait toutes les affaires du roi. Son instruction était de s’adresser à Cassoni, le favori du pape, et puis au cardinal Cibo. Il s’acquitta de ses ordres en homme d’esprit ; mais il eut le malheur de ne pas réussir. Cassoni et Cibo se moquèrent de lui ; ils se le renvoyèrent l’un à l’autre, et il s’en revint sans avoir vu que l’Italie. Son voyage ne servit qu’à donner du chagrin au cardinal d’Estrées et à M. de Lavardin, et à grossir le manifeste que le roi fit publier dans le temps que l’on partit pour le commencement de la guerre.

Quand l’élection de Cologne fut faite, les chanoines de Liège s’assemblèrent pour la leur. Nous avions un très-grand besoin d’un homme qui fût dans nos intérêts, et le roi voulut absolument que ce fût le cardinal de Furstemberg ; mais à peine fut-il seulement question de lui dans l’élection. On offrit au roi d’élire le cardinal de Bouillon ; mais Sa Majesté était trop mal contente de lui et de toute sa famille, pour en souffrir l'élévation. Le roi dit qu’il ne le voulait pas, et en même temps donna ordre au cardinal de Bouillon de donner sa voix et d’engager celles de ses amis pour Furstemberg. Il y a apparence qu’il ne fit pas ce que le roi avait souhaité de lui, et il fit en très-mal-habile homme ; car d’abord il s’engagea, et promit tout ce que le roi voudrait, et puis il écrivit une lettre au père de la Chaise, confesseur du roi, où il lui demandait son conseil, et prétendait que sa conscience l’engageait à d’autres intérêts que ceux qui lui étaient prescrits par le roi. Enfin, on vit clairement, peu de temps après, que l'on n’avait pas lieu d’être content de sa conduite ; car on fit arrêter son secrétaire chez M. de Croissi, et, peu de temps encore après, un sous-secrétaire. On élut donc un autre évêque de Liège que Furstemberg. C’est un gentilhomme du pays, un très-saint homme, que l’esprit ne conduit pas à de grands desseins, et qui peut-être, à l’heure qu’il est, est très-fâché d’avoir été élu. Le roi fut offensé que le chapitre de Liège n’eût pas suivi ses intentions ; mais il s’en consola par la quantité de contributions qu’il espéra de tirer de tout le pays.

On ne songea plus qu’à soutenir l'élection du cardinal de Furstemberg à Cologne. On y fit marcher plus de troupes qu’il n’y en avait déjà ; et l’on envoya M. de Sourdis pour commander dans le pays. On fit des propositions à M. l’électeur de Bavière, et on espérait qu’il les pourrait accepter, parce qu’on prétendait que sa femme ne pouvait point avoir d’enfants, et que le prince Clément n’avait point envie de s’engager dans l’état ecclésiastique ; mais la grossesse de madame l’électrice, qui vint quelque temps après, ne laissa plus d’espérance.

En même temps que l’on apprit que les élections avaient mal réussi, le roi eut avis que le prince d’Orange faisait un armement de mer prodigieux, qui regardait l’Angleterre. Il avait eu des conférences avec M. l’électeur de Brandebourg, et avec M. de Schomberg. D’abord, on avait cru que ces entrevues n’étaient que pour nous empêcher d’être maîtres de l’électorat de Cologne ; mais le prince d’Orange achetait des troupes de tous côtés pour charger ses vaisseaux. Enfin, on disait que, depuis l’armée navale de Charles-Quint, on n’en avait pas vu une plus formidable. Sa Majesté donna avis au roi d’Angleterre que tous ces apprêts-là le regardaient. Le roi d’Angleterre n’en fut pas plus ému, parce qu’il ne le crut pas. Quand le prince d’Orange vit son dessein découvert, il se pressa plus qu’il n’avait fait, et répandit de très-grandes sommes d’argent pour être en état de partir au plutôt, étant bien persuadé que les grands desseins réussissent difficilement, quand ils sont éventés et longs dans l’exécution. Sa Majesté ne laissa pas d’offrir au roi d’Angleterre de le secourir toutes les fois qu’il en aurait besoin.

Pendant ce temps-là, on se préparait à faire une campagne ; on avait fait une grande promotion d’officiers généraux, on en avait fait marcher en différents endroits : on voyait bien qu’il y aurait quelque chose avant la fin de l’année. Les courtisans étaient dans un grand embarras si le roi marcherait lui-même, ou s’il n’enverrait qu’un maréchal de France aux expéditions que l’on méditait. L’embarras était aussi grand pour eux, de quel côté l’on marcherait. Le roi avait fait dire aux Hollandais, qu’en cas que le prince d’Orange entreprît quelque chose contre l’Angleterre, il leur déclarerait la guerre. Il avait fait la même menace à M. le marquis de Castanaga, gouverneur des Pays-Bas. Beaucoup de gens trouvaient que Namur était une place absolument nécessaire au roi, et croyaient que l’on s’en saisirait. Enfin, chacun jugeait selon sa fantaisie, ou selon ses connaissances. Tout ce qui paraissait sûr, était qu’il y avait un dessein considérable. La cour devait partir pour Fontainebleau dans cinq ou six jours, quand le roi déclara qu’il ne marcherait pas ; mais qu’il envoyait Monseigneur pour prendre Philisbourg et le Palatinat, et que M. de Duras, que l’on avait déjà envoyé à son gouvernement de Franche-Comté, il y avait du temps, commanderait l’armée sous lui. Monseigneur partit trois jours après que son voyage fut déclaré, et se rendit en douze jours devant Philisbourg. M. de Boufflers avait un corps de troupes considérable en-deçà du Rhin, et le maréchal d’Humières avait marché avec un autre dans le pays de Clèves et de Luxembourg, afin que, si les troupes que Ton disait toujours qui s’assemblaient auprès de Cologne faisaient le moindre mouvement, il fût en état de se porter où il serait nécessaire. M. de Boufflers prit d’abord avec son armée une petite place à M. le Palatin dans la Lorraine allemande, appelée Kayserslautern. Le marquis d’Huxelles, qu’on avait envoyé devant en Alsace, pour servir dans l’armée de Monseigneur, en prit une autre appelée Neustadt, et vint ensuite se rabattre sur un ouvrage à corne de Philisbourg, qui était en-deçà du Rhin, et dans le même temps M. de Monclas, qui commandait en Alsace, investit la ville de l’autre côté du Rhin. Le roi partit de Versailles pour aller à Fontainebleau, et fit publier en même temps un manifeste où il rendait raison de toute sa conduite avec l’empereur, avec le pape et avec tous ses voisins. Madame la dauphine n’y fut que trois jours après lui, parce qu’elle était très-incommodée, et depuis long-temps. Monseigneur fit son voyage en onze jours, et le fit dans sa chaise jusqu’à Sarbourg. Sa cour était composée de peu de personnes par le chemin, les officiers se rendant devant à leurs emplois, et ses courtisans n’ayant pas aussi eu le temps de faire des équipages. Le roi lui avait donné M. de Beauvilliers pour modérateur de sa jeunesse. À Sarbourg, il monta à cheval et fit une très-grande journée : il avait appris à Dieuse que l’on avait ouvert quelques boyaux devant la place ; il apprit en même temps la prise de Kayserslautern par M. de Boufflers. Il fut en trois jours de Sarbourg à Philisbourg, et eut un vilain chemin et très-long. En arrivant devant Philisbourg, quoiqu’il fût très-fatigué, il ne laissa pas d’aller voir la disposition de tout avec M. de Duras, Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/298 Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/299 Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/300 Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/301 Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/302 Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/303 Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/304 Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/305 Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/306 Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/307 Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - 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  1. Connu depuis sous le nom de milord Portland.