«Dans la maison de mon père»: guide pratique des promenades en Rome occupée | Le Devoir

«Dans la maison de mon père»: guide pratique des promenades en Rome occupée

Le 10 septembre 1943, deux jours après la fuite du roi d’Italie et du gouvernement, les nazis entrent dans Rome, prélude à neuf mois d’une occupation brutale : rafles et déportations, massacres punitifs à l’aveugle, contrôles en série, famine, froid.

Le romancier irlandais Joseph O’Connor nous y transporte et nous y guide. Dans la maison de mon père est le premier volume d’une trilogie consacrée à une filière d’évasion romaine qui aurait aidé 4000 personnes, des prisonniers alliés évadés et des Juifs persécutés, à passer en Suisse pendant l’occupation de Rome par les forces allemandes. À la tête de ce réseau qui a réellement existé, Hugh O’Flaherty (1898-1963), prêtre haut gradé et un peu rebelle rattaché au Vatican, un grand Irlandais de 45 ans au visage rougeaud qui avait fait trois doctorats et parlait couramment sept langues.

« Citadelle grouillante de rumeurs et d’envie » de 44 hectares qui ne fait légalement partie ni de Rome ni de l’Italie, le Vatican était un territoire neutre depuis les accords du Latran de 1929. Écoutant avant tout sa conscience, O’Flaherty a pris des risques immenses, autant pour lui que pour le Saint-Siège.

Couverture parfaite pour ses activités, O’Flaherty, personnage particulièrement complexe, est à la tête d’un choeur de chambre amateur qui se réunit au Vatican, et dont le noyau dur est formé de sept autres résistants venus de tous les horizons : une comtesse italienne, un militaire anglais évadé, la femme d’un diplomate irlandais, une journaliste, l’ambassadeur anglais et son assistant.

Pendant leurs répétitions — madrigaux de l’époque élisabéthaine, Stabat Mater de Palestrina, motet de Josquin ou chant de Noël médiéval —, Monsignor passait parmi eux pour expliquer à chacun le plan, les routes à suivre, les faux noms et les caches qu’ils devaient mémoriser. Des virtuoses à leur façon, préparant une mission à la veille de Noël 1943 pour distribuer l’argent à leurs complices disséminés dans toute la ville.

Chacun d’entre eux, à commencer par le père O’Flaherty lui-même, marche sur une ligne mince et va jouer au chat et à la souris avec l’homme le plus craint de Rome, le commandant de la Gestapo à Rome, le SS-Obersturmbannführer Paul Hauptmann, devenu ici un personnage de fiction largement inspiré du véritable Herbert Kappler.

Avec maestria, Joseph O’Connor tourne en fiction cet épisode véridique de la Seconde Guerre mondiale, mélangeant personnages réels et inventés. L’auteur de L’étoile des mers, né à Dublin en 1963, nous raconte cette histoire de façon polyphonique, alternant récits à la première ou à la troisième personne et témoignages recueillis pour une émission de la BBC dans les années 1960.

Un thriller intelligent, qui palpite et lève le voile sur un fascinant entrelacs de zones grises, de planques, de passages secrets, de fausses identités, de légendes et de déguisements utilisés par ces héros peu ordinaires.

« Dans la maison de mon père, il y a plusieurs demeures », verset de la Bible (Jean 14:2) qui nourrit le titre du roman de Joseph O’Connor, prend donc ici plusieurs sens — dualité, accueil, dissimulation, pardon. Une histoire rocambolesque et fascinante, racontée de main de maître.

Dans la maison de mon père

★★★★

Joseph O’Connor, traduit par Carine Chichereau, Rivages, Paris, 2024, 432 pages

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