"Terrasses", le requiem poignant de Laurent Gaudé | L'Œil d'Olivier
Terrasses, Laurent Gaudé/Denis Marleau © Simon Gosselin
© Simon Gosselin

« Terrasses », le requiem poignant de Laurent Gaudé

Dans son dernier récit, mis en scène par le Québécois Denis Marleau, l’écrivain donne voix à tous ceux, morts et vivants, qui ont vu leur destin se briser cette terrible nuit du 13 novembre 2015.

Cette nuit d’automne, il y a cinq ans, nous apprenait « qu’on pouvait mourir de marcher dans la rue, de s’attarder autour d’un verre avec des amis ». Les attentats de Paris appartiennent désormais à notre histoire collective. Avec Terrasses, Laurent Gaudé signe un chant polyphonique saisissant destiné à porter « la parole de ceux qui ont vécu la joie puis la terreur », mais aussi à « restituer les gestes, les regards échangés, la sidération partagée » et de faire entendre ainsi un hymne à la vie, celle qui se conjugue avec liberté.

Terrasses, Laurent Gaudé/Denis Marleau © Simon Gosselin
© Simon Gosselin

Qui a oublié où il se trouvait et ce qu’il faisait le 13 novembre 2015 ? En frappant dans plusieurs lieux à la fois, les terroristes ont étendu la notion d’être là au mauvais endroit au mauvais moment — “MEMM”, tel que le contractait, dans son spectacle éponyme, l’acrobate-voltigeuse Alice Barraud. Pour réparer les vivants, parce que c’est son rôle, le théâtre s’est vite emparé de ce traumatisme : Vous n’aurez pas ma haine par Raphaël Personnaz, Les Vivants de Jean-Philippe Daguerre, 13, Love is all you need par Alex Metzinger, et plus récemment Les Consolantes de Pauline Susini.

Laurent Gaudé est connu pour son écriture poétique et son style lyrique. Son texte est donc tout sauf une pièce documentaire. Le dramaturge a choisi d’explorer les voix intérieures, les pensées de ceux qui de près comme de loin ont traversé cette terrible épreuve. Tous les personnages sont des êtres de fiction dont l’ADN appartient à plusieurs. Ce processus narratif est très fort, d’autant plus que la plupart des personnages savent le sort que le hasard leur a réservé. Leur petite voix intérieure, qui exprime une envie de vivre, vient résonner en chacun de nous intensément.

Terrasses, Laurent Gaudé/Denis Marleau © Simon Gosselin
© Simon Gosselin

Autre particularité, l’auteur a mis l’accent sur trois personnages. Il y a ces deux jeunes filles fraîchement amoureuses qui découvraient la beauté de leurs sentiments (Marilou Aussilloux et Alice Rahimi), et cette jumelle (Sarah Cavalli Pernod) qui retrouvait sa sœur pour fêter leurs trente ans et que la mort ne séparera pas. Dans un jeu d’atemporalité, on les retrouve présent sur tous les lieux des attentats, les diverses terrasses et le Bataclan.

Elles tiennent le fil d’Ariane qui permet de sortir de ce labyrinthe de haine et de violence. Autour d’elles, gravitent tous les autres, les victimes, les rescapés, les forces de l’ordre, le corps médical, les anonymes, les familles endeuillées, etc., incarnés par Daniel Delabesse, Charlotte Krenz, Marie-Pier Labrecque, Jocelyn Lagarrigue, Victor de Oliveira, Emmanuel Schwartz, Monique Spaziani, Madani Tall, Yuriy Zavalnyouk ainsi qu’Anastasia Andrushkevich, Orlène Dabadie, Axel Ferreira, Lucile Roche et Nathanaël Rutter de la Jeune troupe de la Colline.

Puisque l’on parle de la tragédie des attentats, le ton dramatique choisi est bien celui de ce style théâtral caractérisé par la gravité de son langage et par l’action qui mène les personnages à une issue fatale. S’inscrivant dans cette tonalité, alternant les monologues aux parties chorales, la mise en scène de Denis Marleau est remarquable. La scénographie est signifiante. Il n’y a rien sur la scène, et pourtant, tout sera là. Le plateau mouvant s’ouvre, laissant apparaître l’abîme dans lequel l’insouciance vient de basculer. « Et pourtant, il faut continuer. Vivre. Comme on aime. Au nom de ceux qui sont tombés. Nous serons tristes, longtemps, mais pas terrifiés. Pas terrassés. »


Terrasses de Laurent Gaudé (éditions Acte Sud)
La Colline – Théâtre National
15 rue Malte-Brun
75020 Paris.
Du 15 mai au 9 juin 2024.
Durée 2h05.

Mise en scène de Denis Marleau.
Avec Marilou Aussilloux, Sarah Cavalli Pernod, Daniel Delabesse, Charlotte Krenz, Marie-Pier Labrecque, Jocelyn Lagarrigue, Victor de Oliveira, Alice Rahimi, Emmanuel Schwartz, Monique Spaziani, Madani Tall, Yuriy Zavalnyouk et Anastasia Andrushkevich, Orlène Dabadie, Axel Ferreira, Lucile Roche, Nathanaël Rutter de la Jeune troupe de La Colline.
Scénographie, vidéo et collaboration artistique de Stéphanie Jasmin.
Musique originale de Jérôme Minière enregistrée avec Guido Del Fabbro au violon, Philippe Brault à la contrebasse et Guillaume Bourque à la clarinette et clarinette basse.
Lumières de Marie-Christine Soma assistée de Raphael de Rosa
Costumes de Marie La Rocca assistée d’Isabelle Flosi et Claire Hochedé.
Maquillages et coiffures de Cécile Kretschmar assistée de Mityl Brimeur.
Montage et staging vidéo de Pierre Laniel.
Design sonore de François Thibault.
Conseil chorégraphique de Stéfany Ganachaud.
Assistanat à la scénographie Marine Plasse, à la mise en scène Carol-Anne Bourgon Sicard et Sérine Mahfoud.
Fabrication des accessoires et costumes par les ateliers de La Colline.
Construction du décor par l’atelier de La Colline en collaboration avec Hervé Cherblanc.

Bande annonce « Terrasses » de Laurent Gaudé © La Colline – Théâtre National
Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Contact Form Powered By : XYZScripts.com