Elle était l'épouse de Jérôme Cahuzac et a comparu à ses côtés devant le tribunal correctionnel de Paris. Femme blessée, elle aurait accéléré la chute de l'ancien ministre du Budget, au risque d'en payer le prix. Si Jerôme Cahuzac a été condamné à trois ans de prison ferme, Patricia Cahuzac, jugée pour fraude fiscale et blanchiment avec lui, a été condamnée à deux ans de prison ferme. Retour sur son attitude ambiguë et la façon dont elle a "trahi" son mari...

Patricia Cahuzac était la femme de celui qui s'est noyé dans le mensonge et a été contraint d'avouer qu'il disposait d'un compte non déclaré en Suisse depuis 1992, transféré à Singapour en 2009. Elle est aussi celle par qui le scandale est arrivé. C'est elle qui a précipité, fin 2012, la chute de son mari, alors ministre du Budget, puis sa démission, le 19 mars 2013, du gouvernement Ayrault. Seulement, ce détail-là, Patricia Cahuzac, 60 ans, a du mal à l'assumer. Elle est toujours passée pour une mère de famille appliquée, aux tranquilles aspirations bourgeoises, trahie par un mari volage.

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Et pourtant. Le procès prévu à Paris en 2016, où elle comparaissait aux côtés de son ex-époux pour fraude fiscale et blanchiment, la révélait sous un nouveau jour. L'épouse bafouée et humiliée s'est aussi avérée être une pro du coup de pression et une experte des comptes offshore, si on en croit le dossier d'instruction. Elle aspirait à une vie tranquille, entre leur clinique, leurs vacances en Corse ou à La Baule. Leurs trois enfants qui grandissent, et Jérôme et son inébranlable enthousiasme. A eux deux, ils ont construit un empire de la greffe capillaire. Elle opère, beaucoup, lui moins, mais il ramène les clients, énormément.

Mais pourquoi aurait-elle tant voulu sa perte ?

Est-ce le geste d'une épouse blessée et délaissée, prête à tout pour faire tomber un mari volage et absent ? Quitte à en payer le prix ? Le couple, marié en 1980, a officiellement divorcé avant Noël 2015, après des années d'une guerre procédurale « cataclysmique »selon un avocat. « Je pense qu'elle le hait »confirme un autre conseil. Et depuis longtemps, apparemment. En novembre 2011, soit un an avant le scandale, elle a engagé un détective privé, Alain Letellier, pour établir « la matérialité d'une relation extraconjugale »qu'entretenait son mari. Une démarche qui a étonné l'entourage du couple, tant la chronique – parfois romancée – des aventures du ministre du Budget, qui depuis 2012 s'affiche avec une jeune consultante, s'étalait dans tout-Paris. Jérôme et une ministre du gouvernement Jospin en 2000 ; Jérôme et une députée socialiste, quand il présidait la commission des finances de l'Assemblée nationale ; Jérôme et une proche d'un présentateur de télévision, qui ne se cachaient pas.

Patricia n'a jamais rien ignoré des relations extraconjugales de son mari

insiste un proche, pour qui l'enquête sur l'adultère et sa blessure de femme trompée ne sont qu'un leurre. 

Elle seule connaissait le code

Selon lui, Patricia Cahuzac « a tenté de faire pression alors qu'il y avait des négociations dans le cadre de la liquidation de la communauté. Ces investigations n'étaient qu'un prétexte pour “creuser” sur le patrimoine de Jérôme. »Une piste confirmée par Alain Letellier, entendu par les enquêteurs de la Division nationale des investigations financières et fiscales :

Fin 2011, Patricia Cahuzac m'a affirmé que son mari détenait un compte bancaire à l'UBS Genève (…). Elle m'a dit que son mari avait fait transférer ses fonds à Singapour sans me donner le montant. 

En l'occurrence, il s'agit du compte ouvert en 1992 par un vieil ami du couple, l'avocat proche de l'extrême droite Philippe Péninque, et sur lequel elle détenait un pouvoir. Or la dermatologue, mariée sous le régime de la communauté, est alors persuadée que son époux a, dans son dos, dissimulé de l'argent pour ne pas avoir à le partager avec elle. Lorsqu'un accord de liquidation des biens du couple a été tenté, en 2012, Patricia a réclamé à son mari la moitié de ce qu'elle croyait être ses avoirs à Singapour, soit 1 million d'euros. L'enquête a démontré que l'ex-ministre n'avait pas abondé ce compte depuis 2006, sur lequel ne se trouvaient « que » 600 000 €.

Aujourd'hui, dans le 205 mde l'avenue de Breteuil, à Paris, où ils s'étaient installés dans les années 90, la dermatologue – redevenue Patricia Ménard – prépare depuis des mois activement sa défense. Et de son côté, Jérôme Cahuzac n'a plus aucun doute sur le rôle qu'a joué son ex-épouse dans sa chute : selon lui, c'est elle qui a alimenté l'enquête du site Media-part, dévoilant l’existence du compte en Suisse, publiée le 4 décembre 2012 . Et celles qui ont suivi. Dans "Vanity Fair",l'ex-ministre de François Hollande est allé jusqu'à évoquer une « trahison familiale ».De fait, qui, à part elle, pouvait transmettre aux journalistes un échange d'e-mails entre Jérôme Cahuzac et son ami le plus proche, le professeur de droit Guy Carcassonne, à propos de l'enregistrement compromettant où il mentionne « un compte ouvert à l'UBS (…), quand même pas la plus planquée des banques » ? Seule Patricia connaissait le code permettant d'accéder à sa messagerie personnelle. Elle est également la seule à avoir pu livrer aux journalistes certains détails relatifs au compte suisse, comme le nom d'un gestionnaire ou le transfert des fonds vers Singapour.

Car, chez les Cahuzac, depuis toujours, on fait des affaires « en famille ». L'enquête a notamment permis d'établir que la star de la greffe de cheveux connaissait les montages imaginés par son mari pour tromper l'administration fiscale. Ainsi Jérôme encaissait-il chaque mois sur le compte de sa mère, Thérèse, une partie des chèques versés par les prestigieux clients de Patricia, tels Michel Drucker ou de membres de la famille royale du Liechtenstein. Les enquêteurs ont découvert que la nonagénaire avait émis des dizaines de chèques au bénéfice de voyagistes, d'hôtels de luxe ou de loueurs de bateau en Corse, où la famille possède une maison…

Bien sûr, la vieille dame ignorait tout de ces arrangements. C'est Jérôme, Patricia et leurs enfants qui en profitaient. Entre 2007 et 2012, Jérôme Cahuzac a aussi largement pioché dans son indemnité de frais de représentation et de frais de mandat, versée à tous les parlementaires en fonction, soit un total de 257 885 euros, pour financer ses dépenses personnelles : abonnements à CanalSat et Canal+, parties de golf à Versailles, vêtements de marques, chèques à l'ordre de Piscines et décors du Sud…

L'aveu

Personnalité discrète, Patricia Cahuzac n'est pas à l'aise avec ce grand déballage. Mais un journaliste du quotidien Sud-Ouest, qui l'avait eue quelques instants au téléphone juste après les révélations de Mediapart, se souvient qu'alors elle « était euphorique ».

Elle veut le détruire

soupire aujourd'hui un ami de l'ancien ministre. Quitte à en faire les frais.

Car Patricia Cahuzac, en braquant les projecteurs sur les comptes offshore de son ex-mari, s'est tiré une balle dans le pied. L'enquête n'a pas tardé à démontrer qu'elle en savait plus long qu'elle ne l'avouait lors de ses premières auditions. Acculée, elle a fini par se rendre d'elle-même, en décembre 2013, chez les juges Roger Le Loire et Renaud Van Ruymbeke, qui instruisent l'affaire :

J'ai menti et fais des choses graves dont j'assume l'entière responsabilité

leur explique-t-elle avant de lâcher une bombe : le couple a détenu un compte sur l'île de Man entre 1997 et 2007, sur lequel étaient placés 2,5 millions d'euros. Un compte uniquement alimenté par des chèques provenant des patients britanniques de Patricia Cahuzac. Son ex-mari « en connaissait l'existence mais n'y a jamais transféré d'argent, n'en a pas reçu, il ignore ce qui a été fait avec », souligne une source proche du dossier. Ce n'est pas tout : en 2006, alors que « les relations devenaient très compliquées avec Jérôme »Patricia Cahuzac a également ouvert, à l'insu de ce dernier, de nouveaux comptes en Suisse, à la BNP puis à la banque Gonet & Cie, et au Royaume-Uni, détenus par l'intermédiaire de trusts. A chaque fois, ses enfants en étaient les seuls bénéficiaires. Et là encore, elle déposait les chèques non déclarés de ses patients britanniques. Les enquêteurs ont été surpris de découvrir un mécanisme si bien huilé, permettant à Patricia d'échapper au fisc et de se constituer un « matelas » dans le dos de son mari.

L'intéressée a une connaissance particulièrement précise des enjeux juridiques, fiscaux et patrimoniaux liés à la détention d'avoirs à l'étranger

ont-ils noté à propos de cette femme organisée et méthodique.  Sollicitée elle-même puis par l'intermédiaire de son avocat, Me Sébastien Schapira, Patricia Cahuzac n'a pas souhaité répondre à nos questions.