Nathalie Baye  revient sur ses peurs et ses engagements : « Ma trajectoire ne raconte pas une femme sage »
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Nathalie Baye  revient sur ses peurs et ses engagements : « Ma trajectoire ne raconte pas une femme sage »

Qui est réellement Nathalie Baye ? Ceux qui la connaissent témoignent d’une joie et d’une force aux ressorts mystérieux. Sa maison dans la Creuse, ses engagements, sa claustrophobie soulignent son rapport à la liberté...

Marie-Laure Delorme , Mis à jour le
Nathalie Baye lors du Festival Internationale du Film Francophone de Namur, en 2015.
Nathalie Baye lors du Festival Internationale du Film Francophone de Namur, en 2015. © BRUNO FAHY / BELGA MAG / BELGA VIA AFP

Dans le salon de son appartement, une cheminée silencieuse. On pense au feu éteint. Sur tous les murs, des tableaux de ses parents. Les photos de famille sont dissimulées aux premiers regards. Elles sont à côté, dans son bureau. Les lieux ont toujours compté pour Nathalie Baye. Elle a passé son adolescence dans la banlieue de Menton, avant de poursuivre son apprentissage de la danse à Monaco puis à New York. « Les professeures nous humiliaient. Elles nous lançaient : “Regardez-vous, vous n’avez aucune grâce.” On passait à la moulinette, mais je ne regrette rien. La danse m’a structurée, disciplinée. J’y ai appris l’humilité. » À son retour, à 19 ans, elle entrera au Conservatoire de Paris. Les metteurs en scène aiment tourner avec elle, grâce aussi à son endurance acquise par la danse. Il existe au moins trois clés pour comprendre la personnalité de Nathalie Baye : la dure école de la danse, les parents artistes sans succès, la maison refuge dans la Creuse.

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Le premier endroit du bonheur est une maison en Bretagne, à Loctudy, dans le sud Finistère. La bâtisse a été louée par son oncle maternel. L’actrice considère le sud Finistère comme l’une des plus belles régions de France. Nathalie Baye s’y rend durant sa petite enfance. À l’époque, ses parents s’entendent bien. La fille de Claude Baye et Denise Coustet garde en tête des images de rires et de douceur à ­Loctudy. Les autres souvenirs heureux se trouvent aussi dans le Finistère, mais à Locquirec, non loin des Côtes-d’Armor, durant son adolescence. Ses parents artistes n’arrivent pas à vivre de leur peinture. Son père accepte alors de s’occuper durant deux mois et demi en été (­juillet-août-septembre) de la partie privée d’un grand camping. Claude Baye ne sait pas dresser une tente. Toute la famille se met à la tâche. Nathalie Baye a pu observer, de 13 à 17 ans, tout un petit monde. Elle se souvient d’un voleur de dessous féminins semant l’inquiétude dans le camping. La fille a avec son père des points communs : le rire, la force, la joie.

L’actrice tombe sous le charme de la Creuse

Aucun lieu n’a autant compté pour elle. Nathalie Baye a aménagé la maison de la Creuse petit à petit, à l’aide de ses cachets de cinéma, pour en faire l’endroit de ses rêves. Dans sa vie, le village de Vallière reste le lieu de l’amour, de la famille, de l’amitié. Nathalie Baye a découvert la région grâce à Philippe Léotard. Ils sont alors en couple. Les meilleurs amis du comédien possèdent un lieu de résidence dans la Creuse. Les deux amoureux se rendent souvent chez eux. Nanée Chevrier, l’épouse, devient la confidente de Nathalie Baye. L’actrice tombe sous le charme de la Creuse. Elle achète une maison dans le Sud creusois, à Vallière, loin de la capitale. La demeure devient magnifique, à force de travaux. Nathalie Baye y restera trente-cinq ans. Les amis de passage, les amours de toujours. Laura Smet y compte parmi ses plus beaux souvenirs d’enfance, et Johnny ­Hallyday y a été heureux. Nathalie Baye : « Les gens du hameau ont été merveilleux. Ils m’ont acceptée parmi eux, comme si j’étais la paysanne du coin. Tout était naturel. »

Aujourd’hui, les deux comédiennes ne se voient plus. Elles ont été amies. Mathilde Seigner et Nathalie Baye ont tourné dans Vénus Beauté (1999), de Toni Marshall. Elles sont parties ensemble dans la Creuse. Mathilde ­Seigner : « Nathalie Baye est une femme saine, sportive. Une grande actrice qui n’a pas des états d’âme d’actrice. Dans la vie de tous les jours, elle est dissociée de son métier de comédienne. Elle tente d’oublier sa notoriété et de vivre sa vie normalement. Sous des airs de sagesse, elle est rock’n’roll. Je la rapprocherai, de ce point de vue, de Carole Bouquet. Elle aime rire. »

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Un jour, la décision est prise. ­Nathalie Baye met la maison en vente. Elle se sépare ainsi, la mort dans l’âme, d’une partie d’elle-même. « Je ne comprends pas pourquoi je l’ai vendue. Je ne sais pas si je n’arrive pas à l’analyser ou si je ne veux pas l’analyser. Laura regrette que je m’en sois séparée. La maison était un paradis sur terre. Le poids des souvenirs était peut-être trop lourd à porter pour moi. Quand je rends visite à mes amis dans la Creuse, je ne peux pas m’empêcher de retourner voir ma maison. » La demeure a été achetée par une femme venant d’Afrique du Sud. Le coup de cœur a été immédiat. La femme a acquis la maison puis elle est repartie en Afrique du Sud. Mais la nouvelle propriétaire n’est jamais revenue à Vallière. La maison est à l’abandon. Une douleur pour ­Nathalie Baye. L’extraordinaire châtaignier est éventré, la piscine est devenue une mare aux canards, le jardin ressemble à une jungle. Tout est sens dessus dessous. Comme si la demeure ne devait pas lui survivre. Nathalie Baye a acheté, plus tard, une maison à l’île de Ré. Elle est restée une dizaine d’années sur l’île sans réussir à s’y adapter réellement. « Quand on vient de la Creuse, l’île de Ré c’est ­difficile. » Nathalie Baye aime naviguer dans tous les milieux et déteste l’entre-soi. L’actrice est en train d’aménager une maison près de Paris.

 

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Le poids des souvenirs était peut-être trop lourd à porter pour moi.

 

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Le journaliste Philippe Labro : « Nathalie Baye se cache. Elle est cadenassée et la clé pour ouvrir la serrure est difficile à trouver. » La femme se trouve disséminée et dissimulée dans des amours avec des hommes hors cadre ; dans une maison située dans une région reculée de la France ; dans une filmographie intellectuelle et populaire ; dans une enfance sans règle dont elle s’est échappée par la rigueur de la danse. On regarde sa vie : son image de femme sage, bourgeoise, raisonnable ne correspond à aucune réalité tangible. « Ma trajectoire ne raconte pas une femme sage. J’ai toujours fait passer l’amour avant tout. Qu’est-ce que cela veut dire de ne pas être sage ? Être ivre morte et sniffer de la coke ? J’ai fumé des pétards à l’adolescence, mais je n’ai jamais pris de coke de toute ma vie. J’aime boire un verre de bon vin, mais je n’ai aucune dépendance à l’alcool. J’ai vécu avec des hommes qui avaient des addictions. J’ai vu à quel point la drogue et l’alcool pouvaient détruire un être. On en devient esclave. Mon obsession de la liberté m’empêche d’être accro à quelque chose. La dépendance me fait peur. J’ai un sens aigu de la liberté. »

Sa bibliothèque. Une grande table, des photos d’identité de son ami Jacques Dutronc, des étagères de livres. Nathalie Baye est une lectrice. Natalia Ginzburg, Michel Houellebecq, Anton Tchekhov. Pendant une année entière, elle a cessé de lire. « Je ne comprends pas pourquoi. » L’actrice est en train d’écrire à la main ses souvenirs. Elle a déjà refusé une grande maison d’édition par manque d’affinité avec le PDG. Elle est une fidèle. Dominique Besnehard et Nanée Chevrier, parrain et marraine de Laura Smet, sont restés ses proches. Élisabeth Tanner, devenue agente de Nathalie Baye à la suite de Dominique Besnehard, est une amie. « Nathalie Baye me surprend sans cesse. On dit d’elle qu’elle est la girl next door, alors qu’elle a interprété des personnages différents les uns des autres. Il s’agit souvent de femmes brisées, hystériques, fracassées. Elle excelle dans des personnages aux apparences sages. L’image se fissure et la fêlure apparaît. Le personnage n’est pas sur une note. » Nathalie Baye possède en elle des incendies mal éteints.

Elle n’a jamais suivi d’analyse. Elle a eu, à un moment, des problèmes familiaux. « Je suis allée voir un psychanalyste pour en discuter avec lui. Il m’a beaucoup apporté. Les choses se sont résolues et j’ai cessé de le voir. Mais il m’a aidé à ne pas commettre de maladresses qui auraient pu aggraver la situation. »

 

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 Je ne peux pas lutter contre ma claustrophobie. C’est ­irrationnel. 

 

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Son corps parle parfois à sa place. Nathalie Baye souffre de dyslexie depuis l’enfance. Les nombreuses études ont montré que les dyslexiques sont plus empathiques et intuitifs que la moyenne. Ils ont un grand sens de l’observation. L’actrice souffre aussi de dyscalculie. L’univers des chiffres lui est incompréhensible. Mais le plus handicapant se situe ailleurs. Nathalie Baye a hérité de la claustrophobie de son père. Elle connaît une peur irraisonnée à l’idée de se retrouver dans un espace clos. Les ascenseurs totalement fermés, les voitures sans portes à l’arrière, les IRM dans les hôpitaux, les pièces dénuées de fenêtre sont impossibles pour elle. Le cabinet du psychanalyste qu’elle allait voir à Paris était situé au-delà du dixième étage d’une tour. L’ascenseur était clos. Nathalie Baye montait à pied. Les personnes claustrophobes ont peur de manquer d’air. La raisonnable Nathalie Baye dit : « Je ne peux pas lutter contre. C’est ­irrationnel. »

Une ancienne danseuse, à l’aise avec son corps.

Les scènes de nu ne la gênent pas. Elle est une ancienne danseuse, à l’aise avec son corps. Elle a notamment tourné des scènes d’amour avec Gérard Depardieu dans Le retour de Martin Guerre (1982) de Daniel Vigne et Rive droite, rive gauche (1984) de Philippe Labro. « Sur le tournage du Retour de Martin Guerre, Gérard Depardieu m’avait murmuré : “Essaye de cacher mon ventre.” Je lui avais répondu : “Et toi, essaye de tout cacher.” » Les deux films ont été des succès.

Nathalie Baye a une balance en elle. Elle croit en la chance et ne craint pas les creux. Les échecs ne l’ont pas effondrée ; les succès ne l’ont pas galvanisée. Philippe Labro : « Elle est une femme forte. Elle ne rompt pas, ne craque pas, ne se brise pas. Elle tient le coup. Elle a eu beaucoup d’épreuves à cause des hommes de sa vie. Johnny Hallyday a eu accès à la drogue et à l’alcool, mais il avait en lui une force de vie que ne possédait pas Philippe Léotard. Le premier voulait plusieurs vies alors que le second ne voulait pas de la vie. Dès l’adolescence de Laura, Nathalie Baye s’est fait beaucoup de soucis pour elle. Elle avait peur qu’elle s’abîme dans la drogue et l’alcool. » La jeune actrice a fait ses preuves dès Les Corps impatients (2003), de Xavier Giannoli.

En politique, l’artiste est centriste de gauche. Elle n’a pas signé la pétition de l’entre-deux-tours appelant à voter Emmanuel Macron en 2022. Son rejet des extrêmes est pourtant acté. « Je n’ai pas envie de donner de leçons en appelant à voter pour tel ou tel. Je suis actrice. Je n’ai ni l’envie, ni la prétention, ni le pouvoir d’influencer les gens. Ils seraient en droit de se demander : de quoi se mêle-t‑elle ? Pour qui se prend-elle ? Les votes se font à bulletins fermés dans l’isoloir. » La comédienne se bat pour des causes comme la défense de l’environnement. Depuis toute petite, elle a une passion pour les animaux. Elle s’est associée à la primatologue Sabrina Krief pour lutter contre l’extinction des grands singes.

Une ancienne danseuse, à l’aise avec son corps

Le droit de mourir dans la dignité est un autre de ses combats. La fin de sa mère a été douloureuse et a conforté Nathalie Baye dans son combat pour le droit à l’euthanasie. Denise ­Coustet s’est retrouvée à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, avec un cancer métastasé au cerveau. Elle gisait dans une pièce, une succursale avant la mort. Une salle avec trois lits, à la suite les uns des autres. Nathalie Baye : « Je vivais dans la hantise que ma mère entende et comprenne les gémissements, les bruits de douleur, les conversations des malades et des familles autour d’elle. » La fille a demandé au personnel médical de la Pitié-Salpêtrière d’arrêter de prolonger la vie de sa mère au-delà du raisonnable. « Je les ai suppliés. Je me suis presque roulée par terre pour qu’ils libèrent ma mère de toute sa douleur. Le lendemain, elle était morte. Je suis contre toute forme d’acharnement thérapeutique. Le moment venu, je ne ferai pas subir à ma fille ce que j’ai subi. » Denise Coustet meurt en 1993, à 73 ans.

Nathalie Baye a traversé cinquante ans de tournage et a parfois fait face à l’insistance d’acteurs et de réalisateurs. La comédienne suscite rumeurs et fantasmes. On lui prête de jeunes amants, une histoire d’amour avec ­François ­Truffaut, une liaison de jeunesse avec Gérard ­Depardieu. L’indépendante ­Nathalie Baye est restée féministe, sans adhérer à la totalité du mouvement MeToo. « Il faut être intransigeant dans le domaine des violences conjugales, mais le mouvement MeToo m’agace dans ses dérives. Les femmes vont m’agonir, mais je ne souhaite pas une guerre entre femmes et hommes. La vie est courte et on a besoin les uns des autres. Il y a une américanisation du mouvement qui me dérange. »

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Nathalie Baye fuit les lumières artificielles générées par les polémiques sans fin. L’agente Élisabeth Tanner : « Nathalie Baye a l’image de quelqu’un en phase avec le réel, professionnelle, marqué par ses débuts de danseuse. Elle est droite, rigoureuse, dans le travail. Ce qui prend énormément de place dans la vie des acteurs, la gestion de l’image, n’est pas ce qui la passionne le plus. Elle aime voir des films et aller au théâtre. Elle n’est pas hors-sol. Elle est dans la vie et sait ce qu’est la vie. » Nathalie Baye a eu l’intelligence de comprendre que sa filmographie était plus importante que sa légende. Elle est entièrement dans ses films. Son jeu irradie. Une palette étendue. Un charme fou. Un regard, une voix, un sourire. Une lumière. Le trait juste. Nathalie Baye est tout le temps crédible. L’actrice excelle dans les personnages de femmes entre deux eaux, sur la ligne de crête.

Des sensibles, des excessifs. Des écorchés vifs. Nathalie Baye aime la fragilité de Romy Schneider, la séduction de Gérard Depardieu, la beauté de Sami Frey. Elle a tourné dans La Voix (1992), de Pierre Granier-Deferre, avec Samy Frey. Un jour sans tournage, les deux comédiens ont filé à travers Rome à vélo. La beauté de la ville, la sensation de la liberté. Nathalie Baye assure ne pas connaître la mélancolie. De temps en temps, elle regarde de loin des familles se promener dans les rues des villes. Peut-être les imagine-t‑elle main dans la main, comme dans les images d’Épinal. À ce moment-là, elle se dit qu’elle n’a jamais connu ça. Mais, rien de plus.

La semaine prochaine :la revenante

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