Jean-Marie Le Bris et sa barque ail�e

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Jean - Marie Le Bris  (1817-1872)
et sa barque ail�e

par Thierry Le Roy

C'est en faisant la premi�re synth�se des travaux sur le vol que Gabriel de la Landelle, th�oricien de l'a�ronautique naissante, put inventer en 1863 le mot "aviation". C'est aussi gr�ce � lui que nous connaissons Jean-Marie Le Bris, un pionnier qui serait sinon largement tomb� dans l'oubli.

Malheureusement, tous ceux qui ont �crit depuis, n'ont pas pris les pr�cautions n�cessaires. Car La Landelle a surtout fait de Le Bris, un personnage de roman (
Les Grandes amours, Dentu, 1878) qu'il faut aujourd'hui confronter avec prudence (mais sans pour autant tout rejeter en bloc) aux archives g�n�ralement n�glig�es par ces auteurs.

Les faits

Le Bris est n� � Concarneau (Finist�re) en 1817 et d�c�d� � Douarnenez en 1872. Depuis la publication en 1944 du livre d'Yves Peslin
Jean-Marie Le Bris - Marin breton pr�curseur de l'aviation (Les Ailes, 1944) il est pr�sent� comme un autodidacte qui aurait men� ses travaux seul. Il est en effet admis, La Landelle l'�crivait d�j�, que ce serait en observant les albatros, lors du tour du monde qu'il fit pendant son service militaire, qu'il aurait eu ses principales id�es sur le vol plan�.

Marin tr�s jeune, il passa effectivement presque toute sa vie sur l'eau, mais c'est oublier que d'une famille d'armateurs et de capitaines, il eut une formation th�orique assez pouss�e qui lui permit d'obtenir en 1843 � Lorient, un brevet de ma�tre de cabotage qui n�cessitait de bonnes connaissances math�matiques et techniques.

Au milieu des ann�es 1850, il fabriqua un premier engin qui lui permit de r�aliser l'�v�nement historique du premier envol au dessus du point de d�part. Pr�s du village de Tr�feuntec (en Plon�vez-Porzay, pr�s de Douarnenez), tir� par un cheval face au vent, l'appareil se serait �lev�, enlevant le cocher par la corde. Bien qu'il s'agisse probablement du premier envol d'un homme au-dessus de son point de d�part, la date de cet �v�nement reste tr�s incertaine. Le Bris aurait ensuite autre tent� une exp�rience de vol plan� depuis une hauteur, mais l'appareil serait tomb� brutalement, blessant l'aviateur � la jambe.

Reprenant les essais d'un second appareil en 1868 � Brest, avec cette fois le soutien de la marine imp�riale, Le Bris voulut d�coller par la seule force du vent, au port de commerce, puis ensuite � l'int�rieur du Polygone la Marine, loin du public. Malheureusement l'une des tentatives (appareil man�uvr� comme un cerf-volant par des marins) provoqua sa destruction. Le Bris n'�tait pas � bord, mais cette fois il n'avait plus l'argent pour reconstruire.

Du premier
Albatros nous avons les plans gr�ce au brevet d�pos� le 9 mars 1857 (conserv� � l'INPI � Paris), et du deuxi�me nous avons quatre photographies, une description parue dans Le Courrier de Bretagne en 1868 et une autre par La Landelle dans L'Electeur du Finist�re en 1876.

Les d�couvertes de Le Bris

Ces anecdotes ont cependant souvent fait perdre de vue la r�alit� du travail du pionnier. La Landelle avait pourtant mis en �vidence la conscience qu'avait Le Bris des probl�mes de man�uvre dans la masse d'air, ce qui est confirm� par l'�tude du brevet.

En changeant l'angle d'attaque des ailes face au vent relatif, le pilote modifiait leur portance et ainsi faisait monter, descendre ou changer de direction � l'engin. Sur
l'Albatros II, il choisit de perfectionner encore le syst�me en centralisant les commandes vers deux leviers verticaux pr�figurant le manche � balai et en y ajoutant une queue mobile inspir�e de celle des oiseaux.

De m�me, le pionnier avait pr�vu un syst�me de masse � l'int�rieur de la carlingue du second engin pour faire varier le centrage. Les deux appareils n'avaient pas en effet le plan vertical des avions modernes ce qui oblige le pilote � contr�ler l'engin en permanence et rend le pilotage difficile. Avant la Premi�re Guerre Mondiale, comme Le Bris, des pilotes devaient agir sur deux volants en d�pla�ant leur corps pour aider aux virages.

Malheureusement, depuis La Landelle, la plupart des auteurs se sont content�s d'un r�cit lin�aire n�gligeant totalement le contexte g�n�ral, ce qui a eu pour effet d'ancrer dans les esprits, l'id�e d'un homme seul. Et si Yves Peslin prit de nombreuses pr�cautions, d'autres n'ont pas �t� aussi prudents et le dossier s'est, depuis lors, consid�rablement alourdi d'anecdotes et d'affirmations sans preuve.

L'�poque de Le Bris est pourtant particuli�rement riche en concepts nouveaux sur le vol. Depuis 1799, George Cayley menait en Angleterre des travaux scientifiques essentiels, et en 1849 il aurait m�me fait d�coller d'une hauteur, un planeur � voilure fixe mont� par un jeune gar�on. Cette exp�rience faisait suite � d'autres, en partie publi�es en 1843 ; la m�me ann�e que le monde d�couvrait � grand renfort de presse, les travaux de Samuel Henson et John Stringfellow, qui firent voler des maquettes � Londres en 1847 et 1848. La convergence de vue de ces hommes et Le Bris ne doit pas �tre n�glig�e, car la Manche n'est pas un obstacle mais un lien v�ritable et qu'il �tait alors plus facile et plus rapide � un marin finist�rien de se rendre en Angleterre qu'� Paris (le train n'est arriv� � Quimper qu'en 1863).

De m�me, d'autres pionniers bretons, Eug�ne B�l�guic, F�lix et Louis du Temple, ont �t� les exacts contemporains de Le Bris. Ce qui est d'autant plus int�ressant que B�l�guic, officier de Marine, �tait �galement de Douarnenez. D�s 1852, il s'�tait fait le d�fenseur du plus lourd que l'air, puis expliquait en 1860 qu'on pouvait remplacer le c�ble de traction d'un cerf-volant par un moteur et une h�lice. Celui-ci avait �t� aussi l'un des premiers membres de la "Soci�t� d'encouragement de la navigation a�rienne au moyen du plus lourd que l'air" fond�e par La Landelle et Nadar en 1863, aupr�s de laquelle Le Bris fit une d�marche en 1867 � Paris, en vue d'obtenir une aide. Nous savons que les familles Le Bris et B�l�guic �taient en affaires, mais nous n'avons pas pour le moment la preuve d'un travail commun sur l'aviation.

Les fr�res Du Temple �taient eux aussi des officiers de Marine d'origines bretonnes. C'est � F�lix du Temple qu'on devrait en 1857 � Toulon, les premiers essais d'un appareil motoris� en France ; un mod�le r�duit � ailes fixes, m� par une h�lice et un syst�me d'horlogerie, proche de celui essay� par l'Anglais Stringfellow. Son fr�re Louis �tait l'auteur du
Cours de machine � vapeur de l'�cole Navale et publia en 1869 � Brest, un Historique de la locomotion a�rienne et de son avenir (un an apr�s les essais de Le Bris).

Le brevet d'invention de F�lix du Temple, d�pos� le 2 mai 1857 (quelques jours seulement apr�s celui de Le Bris) est intitul� "Locomotion a�rienne par imitation du vol des oiseaux". La forme g�n�rale de son engin fait penser aussi � une barque sur laquelle on aurait mont� les ailes d'un oiseau de mer, mais il avait ajout� une machine � vapeur, une h�lice, et une d�rive verticale qui n'existait pas chez Le Bris.

Comme plus tard Cl�ment Ader, il choisit de porter l'essentiel de ses efforts sur les progr�s de la machine � vapeur, dont Louis �tait l'un des meilleurs sp�cialistes fran�ais. Install� � Cherbourg, F�lix du Temple s'attela en 1869, � construire un appareil, et serait m�me parvenu � le faire d�coller sur un plan inclin� vers 1877, dans la suite de ce que faisaient les Anglais.

�cole maritime ou �cole bretonne de l'aviation ?

Ailes fixes, empennage large et recherche de la vitesse n�cessaire � la portance, sont des �l�ments pr�sents chez tous ces pionniers marins-bretons et ing�nieurs-anglais, alors que les voilures tournantes (h�licopt�res), voilures battantes (ornithopt�res) et ballons dirigeables �taient d'autres voies qui avaient de nombreux partisans et allaient continuer d'en avoir pendant encore longtemps.

L'id�e d'un r�le particulier des marins dans l'invention de l'aviation n'est pas nouvelle, puisqu'elle a �t� �voqu�e d�s 1884 par La Landelle qui �tait all� jusqu'� demander la cr�ation, sous le contr�le de la Marine, d'une "�cole flottante d'aviation" � laquelle auraient pu �tre affect�s les officiers les plus comp�tents.

La connaissance des r�gles de l'hydrodynamique est sans doute d�terminante, car chacun d'eux pouvait v�rifier que la vitesse permet au navire de s'�lever au-dessus de sa ligne de flottaison malgr� son poids, et tous connaissaient aussi la capacit� qu'a un voilier � remonter au vent en tirant des bords, c'est � dire � naviguer en direction inverse de l'origine de sa propulsion. Car ce qui importe, c'est l'orientation de la voile par rapport � cette direction, c'est � dire son incidence. Or, une aile est une voile plac�e dans un axe diff�rent.

Cette compr�hension, essentielle dans l'histoire de l'aviation, appara�t dans le brevet de Le Bris � propos du contr�le du vol par variation de l'inclinaison des ailes. La seule erreur qu'il ait faite est dans l'interpr�tation du ph�nom�ne, � savoir qu'il imaginait pouvoir profiter du vent s'engouffrant sous les ailes pour propulser l'appareil vers l'avant, alors qu'en r�alit� l'oiseau "glisse" dans la masse d'air ce qui provoque une portance (une aspiration, en fait) vers le haut.

Par contre, si de nombreux points communs existent dans les appareils de Le Bris et de F�lix du Temple, ce dernier n'a pas commis cette confusion et a expliqu�, comme avant lui Cayley, que l'a�roplane devait entretenir sa vitesse gr�ce une traction par propulsion m�canique. Par contre, il semble s'�tre peu pench� sur la question du contr�le, qui demeure avec la compr�hension de l'importance du centrage, les grandes d�couvertes de Le Bris.

©
A�rostories,2002.

Bibliographie
LE ROY (Thierry) Les Bretons et l'a�ronautique des origines � 1939, PUR, Rennes, 2002, 530 pages.
LE ROY (Thierry) "Jean Marie Le Bris, portrait d'un pr�curseur" dans Sciences-Ouest n�188, num�ro sp�cial "barque ail�e", Rennes, juillet 2002.
Sources principales
PESLIN (Charles-Yves) Jean-Marie Le Bris, Marin breton, pr�curseur de l'aviation, Soci�t� d'�dition a�ronautique Les Ailes, Paris, 1944, 94 pages.
HOUARD (Georges) et PESLIN (Yves) "Jean-Marie Le Bris, marin fran�ais pr�curseur du vol � voile" dans Pages d'aviation, Soci�t� d'�dition a�ronautique, Paris, 1943, pp.22-40.
LA LANDELLE (Gabriel de) Dans les airs - a�rostation aviation, 2�me �dition, F. Louis Vivien, Paris, 1909.



Jean-Marie Le Bris
Fusain de H. Schneider, collection Peslin

Premi�re photographie d'un a�roplane en vraie grandeur : la barque ail�e de Le Bris en 1868.
Collection Nadar

Le brevet du 9 mars 1857 (conserv� � l'INPI)
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La barque reconstitu�e par l'Association "La barque ail�e - Jean - Marie Le Bris" d'apr�s le brevet de 1857, lors de sa pr�sentation publique � Douarnenez, le 29 juillet 2002.
Photo Thierry Le Roy      Clic

La st�le de Tr�feuntec, sur le lieu de l'exploit. Cette st�le, �difi�e en 1968, a remplac� une autre, plus petite, qui datait de 1957.
Photo Thierry Le Roy

Thierry Le Roy est l'auteur du livre  "Les Bretons et l'A�ronautique". Cliquez sur la couverture pour d�couvrir l'ouvrage.