BERNARD MÉNÉTREL LE MÉDECIN, L'ÉMINENCE GRISE ET L'AMUSEUR DE PÉTAIN | Historia
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BERNARD MÉNÉTREL LE MÉDECIN, L'ÉMINENCE GRISE ET L'AMUSEUR DE PÉTAIN

PROMU SECRÉTAIRE PARTICULIER DU MARÉCHAL À PARTIR DE JUILLET 1940, CELUI QUI N'AIMAIT NI LES ALLEMANDS NI LES JUIFS VEILLERA À SOIGNER AUTANT L'IMAGE QUE LES MAUX DU CHEF DU GOUVERNEMENT DE VICHY.

Par Alain Frerejean

Publié le 25 oct. 2012 à 00:00Mis à jour le 20 août 2023 à 13:27

De 84 ans à 88 ans, Philippe Pétain, chef de l'État français, réside à Vichy. Chaque matin, le jeune docteur Bernard Ménétrel lui insuffle de l'air chaud, lui fait un massage pour le détendre, puis lui injecte de l'oxygène ou du carbone activé pour le doper, car il est autant guérisseur que médecin. Il l'accompagne ensuite dans sa promenade quotidienne à travers le parc, au bord de l'Allier. Une petite escorte française les surveille à distance, suivie à son tour par des agents de la Gestapo. Silhouette corpulente, les mains derrière le dos, guère plus grand que Pétain, un peu gras dans un costume très ajusté, le praticien répond comme le Maréchal au salut des passants en soulevant son chapeau. Il déjeune et dîne tous les jours avec son patient et l'escorte dans tous ses déplacements. En quatre ans, les deux hommes n'auront pas été séparés plus de quatre jours.

Pendant plus de trente ans, le père de Bernard a soigné Pétain, auquel il a évité une opération du genou. Il a mené une guerre très courageuse en 1914, pendant laquelle il fut plusieurs fois blessé et gazé, et est devenu son ami intime. Pétain, qui regrettait de ne pas avoir d'enfants, aimait à jouer avec les petits Ménétrel, Bernard et sa soeur, qui l'ont tutoyé et appelé par son prénom jusqu'à l'âge de 17 ans. Au fond, c'était comme un oncle. Il s'est beaucoup intéressé aux études de Bernard, qu'il a emmené en voyage en Corse.

PHOTOS DÉDICACÉES DANS LES COLIS DES PRISONNIERS

Devenu interne des hôpitaux et chef de clinique, Bernard succède à son père en 1936. Il reprend sa clientèle bourgeoise et épouse la fille d'un gros entrepreneur de travaux publics, Célestin Montcocol. Le Maréchal est témoin à son mariage, puis à celui de sa soeur. Dès lors, il devient non seulement son médecin, mais aussi son confident. Il l'aide à écrire son discours pour le trentième anniversaire de la bataille de Verdun, il le tient informé de la vie parisienne et de l'opinion publique lorsque Pétain est ambassadeur à Madrid auprès de Franco. Et c'est chez lui, dans son appartement de l'avenue Montaigne, que le Maréchal loge en mai 1940 lorsque Paul Reynaud le rappelle d'Espagne pour le faire entrer au gouvernement.

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Le médecin, lieutenant, s'apprête alors à partir pour le front, mais Pétain lui ordonne de rester près de lui, puis de l'accompagner à Bordeaux, et enfin à Vichy. En juillet 1940, il en fait son secrétaire particulier et lui confie les fonds secrets. Dorénavant, Bernard Ménétrel filtre le courrier. Il reçoit 3 000 lettres par jour, écarte les quémandeurs et dicte les réponses. C'est par lui que transitent toutes les demandes d'audience. Il agit de façon à préserver la sieste et les pauses du Maréchal, qui ne se reconnaît lui-même que trois heures de travail efficace par jour, mais en profite pour éconduire les visiteurs dont il ne partage pas les opinions, y compris parfois Pierre Laval. Et, comme Pétain et son cabinet n'ont aucune facilité pour se rendre en zone occupée, il y monte un réseau qui organise la pêche aux renseignements.

Bernard Ménétrel crée la garde personnelle du Maréchal, dont il confie la direction à un de ses amis, un ancien cagoulard. Il est aussi le chef de sa propagande et prend grand soin de l'apparence physique de son « patient », support de son prestige. Il lui met dans les bras ses deux petites filles pour qu'il puisse jouer devant les caméras au grand-père protecteur. Il veille à la diffusion des dessins et des poèmes que les enfants envoient au Maréchal, et il fait joindre des photos dédicacées aux colis destinés aux prisonniers de guerre. Il organise ses déplacements en province - au moins un par mois -, les discours, les défilés, les prestations de serment, et il surveille les comptes rendus de toutes ces manifestations dans les journaux et aux actualités. Il institue l'ordre de la Francisque, qui récompense ceux qui sont fidèles au chef de l'État, dans le choix desquels il intervient. À l'hôtel du Parc, le bureau de Bernard donne sur celui du Maréchal. Leurs chambres sont voisines. Lui seul peut entrer chez Pétain à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Et il n'hésite pas à écouter aux portes quand il n'a pas été prié d'entrer.

GOUAILLE ASSASSINE ET PLAISANTERIES DE CARABIN

Avec sa vivacité, son visage rieur, ses plaisanteries de carabin, ses répliques à l'emporte-pièce, sa gouaille assassine, ce jeune compagnon, agité, toujours pressé, distrait le Maréchal de ses préoccupations et l'amuse. D'ailleurs, celui-ci n'hésite pas à lui lancer parfois : « Tais-toi, tu n'es qu'un gamin. »

« C'est le bouffon du roi, commente l'écrivain Maurice Martin du Gard, mais un bouffon auquel l'euphorie du pouvoir aurait tourné la tête. Le médecin confident attrape le virus de la politique. Il tourne d'autant plus vite au conspirateur qu'on lui prête davantage de pouvoir qu'il n'en a. » Il est grisé par la conviction d'être utile à un homme qui, selon lui, se sacrifie pour le pays. Plus la situation se détériore pour Pétain, plus il croit de son devoir de ne pas l'abandonner. Lui qui n'aime pas les Allemands essaie de freiner la politique de collaboration du gouvernement. En décembre 1940, il dissuade Pétain d'accompagner Hitler à une cérémonie organisée à l'occasion du transfert aux Invalides des cendres de l'Aiglon, et il participe au complot pour évincer Pierre Laval au profit de Pierre-Étienne Flandin.

En novembre 1942, Bernard Ménétrel essaie vainement de convaincre le Maréchal de rejoindre l'amiral Darlan à Alger. En décembre 1943, l'ambassadeur d'Allemagne Otto Abetz est tellement persuadé de son influence germanophobe sur Pétain qu'il oblige celui-ci à lui retirer son secrétariat. En août 1944, il tente, sans plus de succès, de persuader le chef d'État de se placer sous la protection des Forces françaises de l'intérieur FFI et de demander aux Français de se rallier à de Gaulle. Lorsque les Allemands emmènent Pétain de force à Belfort puis au château de Sigmaringen le 8 septembre, Bernard Ménétrel l'accompagne, l'oblige à adresser une protestation à Hitler et le persuade de refuser toute délégation de pouvoir à Fernand de Brinon. En novembre 1944, celui-ci le fait arrêter par la Gestapo et propose de le remplacer par Céline comme médecin auprès de Pétain, qui refuse.

HUIT MOIS DE DÉTENTION PRÉVENTIVE À FRESNES

Après cinq mois d'internement en Bohême, Bernard Ménétrel est libéré par les Américains, puis remis aux Français. Inculpé d'intelligences avec l'ennemi, il fait huit mois de détention préventive à Fresnes, où il occupe la cellule voisine de celle de Pierre Laval. Celui-ci déclare : « C'est moi qui ai fait de Pétain un homme politique. Mais je ne m'attendais pas à ce que la France soit gouvernée par un médecin. » En revanche, Pétain dédouane son ami et praticien, en assurant qu'il n'a joué aucun rôle politique. Il ajoute : « Mais comme on supposait qu'il pouvait en avoir, on lui passait, comme on dit vulgairement, la main dans le dos. » L'ambassadeur de Suisse à Vichy, Walter Stucki, et l'un des correspondants de l'Intelligence Service, le colonel Groussard, témoignent de ses sentiments antiallemands.

Une fois calmée l'effervescence qui entoure les procès de Pétain, de Laval et de Darnand, Bernard Ménétrel bénéficie d'une libération conditionnelle, puis d'un non-lieu. Un an plus tard, le 31 mars 1947, il s'endort au volant de sa voiture et décède à l'âge de 41 ans au lieu-dit Mallemort, dans les Bouches-du-Rhône.

Il subsiste une ombre au tableau. Et de taille. Bernard Ménétrel avait hérité de son père une haine viscérale non seulement des parlementaires radicaux, qu'il appelait « les magouilleurs », mais aussi des Israélites - « les métèques ». Une haine attisée par l'arrivée massive en France de médecins juifs allemands chassés par les lois nazies. Certes, le docteur n'a pas été consulté pour l'élaboration de la législation antijuive de Vichy, mais il l'a considérée comme « un pan de la "Révolution nationale" ». Et s'il n'a pas été le seul à exercer une influence antisémite, il faut bien reconnaître, aux dires mêmes de Mme Pétain, qu'il comptait parmi les plus virulents sur le sujet.

« LETTRE TYPIQUE DE JUIF POUR TOURNER LA LOI »

Persuadé que le Maréchal n'avait pas à s'occuper de mesures en faveur des Juifs, il a intercepté toutes les demandes de clémence formulées par d'anciens combattants de cette communauté. « Lettre typique de Juif pour tenter de tourner la loi », note-t-il chaque fois en marge de la missive. Non content d'écrire à un ancien camarade juif qu'il fallait « faire un tri entre les bons et les mauvais Juifs, qui nous ont précipités dans la catastrophe », il a félicité en mars 1942 un officier de la Légion des volontaires français LVF qui se vantait d'avoir « fait pendre à tour de bras toute la racaille juive qui lui était tombée sous la main ». Avant d'ajouter ces mots terribles : « Quel débarras lorsque cette vermine aura enfin débarrassé notre belle France et qu'elle aura été exterminée ! » Et, en juin 1943, il a confié au chef SS Helmut Knochen son « admiration pour la politique allemande de déracinement définitif de la juiverie ».

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Pour en savoir plus sur cet homme de l'ombre, Bénédicte Vergez-Chaignon lui consacre une biographie fort intéressante : Le Docteur Ménétrel, éminence grise et confident du maréchal Pétain éditions Perrin, 2002.

Alain Frerejean

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