Un jeune Roannais d’origine marocaine volontairement écrasé par un homme ivre - Roanne (42300)
Samedi 10 mars 1990

Un jeune Roannais d’origine marocaine volontairement écrasé par un homme ivre

Un jeune Roannais d’origine marocaine volontairement écrasé par un homme ivre
6.000 personnes sont descendues dans les rues de Roanne pour afficher leur solidarité et dire leur refus du racisme. © Photo d’archives Le pays Roannais
Une altercation entre deux frères et un groupe de jeunes d’origine maghrébine du quartier de la Goutte-Marcellin a tourné au drame. Très vite, l’hypothès e d’un crime raciste a ému la population.

Un crime raciste qui a ému la France

En un même week-end, la polémique sur l'immigration et la difficile cohabitation entre les populations était relancée en France. Et le Front National de Jean-Marie Le Pen montré du doigt. La raison, deux crimes à caractère raciste en deux jours. L'un à Saint-Florentin dans l'Yonne, l'autre à Roanne, samedi 10 mars 1990.

La voiture fonce sur le groupe
de jeunes et fauche Majid

« Roanne n'était pas et ne sera jamais une ville raciste, on ne pouvait pas s'attendre à un tel drame », se souvient Jean Auroux, le maire de l'époque. En 1990, le quartier de la Goutte-Marcellin, « à la population quelque peu cosmopolite et remuante », écrira Le Pays Roannais, est connu pour sa petite délinquance. « Il y avait des problèmes entre bandes de quartiers, mais pas de racisme entre les habitants », insiste Jean Auroux.

Pourtant, ce samedi 10 mars vers 22 heures, une altercation éclate entre deux frères et un groupe de jeunes d'origine maghrébine devant la cage d'escalier d'une HLM de la Goutte-Marcellin. « Ils étaient ivres, ils nous ont dit que leur chien était dressé contre les Arabes », a témoigné après le drame l'un des jeunes. Les hommes montent alors dans leur voiture et foncent sur le groupe. Majid Labdaoui, 18 ans, est renversé et traîné sur une cinquantaine de mètres. Il décédera de ses blessures le lendemain matin.

Le chauffeur, Yves Buteau, 34 ans, est interpellé dans la nuit. Le 12 mars, il est inculpé d'homicide volontaire et écroué. Son frère sera entendu et laissé en liberté.

Une manifestation pour la paix sociale

Avant que l'enquête ait affirmé le caractère raciste du geste, l'émotion gagne l'ensemble de la ville. Une marche est organisée lundi 12 mars dans les rues de Roanne, 6.000 personnes y participent. Dans la dignité et le silence, elles dénoncent la xénophobie. « On m'a reproché d'avoir laissé cette manifestation avoir lieu. Je l'ai mal vécu. J'avais l'intuition qu'il fallait qu'elle se déroule pour assurer la paix sociale dans la ville », appuie Jean Auroux.

Car des tensions se font jour ; la dignité n'a masqué la colère qu'un temps. De nombreuses voix émergent pour dénoncer les thèses du Front National, accusées de « motiver » la violence entre les communautés. « Nous ne nous en sommes jamais pris à l'immigré, mais à la politique d'immigration », répondra la section locale du parti de Jean-Marie Le Pen dans les colonnes du Pays Roannais.

Huit ans de prison

Quelques jours après la mort de Majid Labdaoui, l'émoi a gagné l'ensemble de la France. Les médias nationaux déferlent dans la sous-préfecture et interrogent les habitants du quartier. Mardi 13 mars, Harlem Désir, président de SOS Racisme, se rend à Roanne ( lire par ailleurs).

Le premier ministre, Michel Rocard, adresse une lettre de condoléances à la famille du jeune homme, le président de la République, François Mitterrand condamne vigoureusement les faits : « Ce qui n'est jamais acceptable, c'est le crime qui porte le refus de l'autre ».

En novembre 1991, Yves Buteau sera condamné par la cour d'assises de la Loire à 8 ans de prison pour des violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Des circonstances atténuantes ont été retenues par le jury.

Pascal Jacquet


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