Audrey Bonnet : "Sur un plateau, on est à l'endroit d'une conscience collective"

Audrey Bonnet : "Sur un plateau, on est à l'endroit d'une conscience collective"

Audrey Bonnet - Romain Kronenberg
Audrey Bonnet - Romain Kronenberg
Audrey Bonnet - Romain Kronenberg
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Passée par la Comédie-Française, où elle excella dans tous les registres, Audrey Bonnet est devenue en 2011 l’inoubliable interprète de Clôture de l’amour”, de Pascal Rambert, qu’elle reprend une fois encore au Théâtre 14.

Son monologue d'une heure succédant à une heure de silence face à Stanislas Nordey dans Clôture de l'amour de Pascal Rambert a marqué les esprits et continue de suivre Audrey Bonnet, plus d'une décennie après la création du spectacle. C'est en 2011 que la pièce, déchirement d'un couple, est créée au Festival d'Avignon, avant de tourner en France puis partout dans le monde. Avant cela, Audrey Bonnet s'est formée au Cours Florent, puis au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique, avant d'intégrer la Comédie-Française en 2003. Parcours sans faute pour la comédienne qui décide de quitter le Français en 2006 et de se dévouer aux écritures contemporaines, avec en tête de liste Pascal Rambert. Le metteur en scène, son "frère de cœur", écrit pour Audrey Bonnet de nombreuses pièces, entre autres, Répétitions (2015), Actrice (2017), Sœurs (2018), Architecture (2019), 3 annonciations (2020). Audrey Bonnet collabore avec de nombreux autres metteurs en scène, notamment Romeo Castellucci pour l'oratorio Jeanne d’Arc au bûcher dans lequel elle incarne Jeanne d'Arc, rôle parlant qui s'entremêle avec les rôles chantés, ou encore Daniel San Pedro pour deux pièces de Federico García Lorca, Yerma (2013) et Andando Lorca 1936 (2022). Récemment, Audrey Bonnet est passée à la mise en scène pour un texte de Mathieu Genet, Sur les chantiers de l'éternité (2020) et une adaptation de Shakespeare, Hamlet (2023).

Treize ans après sa création, Clôture de l'amour est repris au Théâtre 14 du 23 avril au 4 mai 2024, l'occasion pour Arnaud Laporte d'interroger Audrey Bonnet sur son parcours de comédienne marqué par des auteurs contemporains et le succès planétaire de Clôture de l'amour.

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Devenir émetteur et récepteur

Audrey Bonnet a grandi en région parisienne, à Bobigny, elle a été marquée par cette ville très verticale du fait de ses cités, mais elle se souvient surtout évoluer très vite à l'horizontal : toujours courir d'un point A à un point B, ne jamais marcher. Enfant, elle observe son père développer ses photos, et très vite, elle se retrouve avec un appareil entre les mains, elle aime le jeu des visages et de la lumière. Mais ce sont finalement les mots et le théâtre qui l'emportent.

"Quand on est artiste, on relie ce que le monde émet, ce qui s'émet dans le monde. Et ça crée des ondes qui sont parfois très explicites et parfois pas du tout. Mais on fait en sorte que ça soit toujours des surfaces de projection, que ça continue à battre, et que ça nous emmène un peu plus loin. Que ça révèle au spectateur ou à l'artiste une autre voie qui s'ouvre, comme sur une paroi d'escalade. [...] C'est vrai que ce mot qu'emploie Denis Podalydès, l'émission, il me parle beaucoup. Je ne saurais pas dire autre chose que ça, je suis une émettrice quand je joue, quand je dis des mots, et un réceptacle quand j'entends."

Affaires culturelles
54 min

Lire Clôture de l'Amour

Rencontré une première fois en 2000 au Jeune Théâtre National, Pascal Rambert met en scène Audrey Bonnet en 2005 dans Le début de l'A. au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, la comédienne y est alors pensionnaire. En 2011, Pascal Rambert écrit pour Audrey Bonnet et Stanislas Nordey la pièce Clôture de l'Amour qui devient un succès planétaire, et continue d'être jouée et adaptée 13 ans plus tard. Audrey Bonnet raconte la découverte du texte :

"J'arrive chez Pascal Rambert, on parle deux minutes et on se met à lire dans la cuisine. Avec Stanislas Nordey que je ne connaissais pas bien, mais dont j'aimais la voix, déjà avoir cette voix qui m'arrive de l'autre côté de la table de la cuisine, je n'en revenais pas. Et puis, au fur et à mesure de ce qu'on découvre du texte, [...] c'est ce précipité de cardiaque qui m'est arrivé et où je me suis dit : 'C'est dingue à quel point il est venu se plugger à l'intérieur de moi.' Comme s'il s'était pluggé dans mes entrailles. Comme s'il avait entendu l'instrument de musique que j'étais, ou l'être humain, l'âme, le tout, et qu'il me disait 'allez, vas-y'. Et j'entendais Stan en face, pareil. C'était un choc, une déflagration."

Fictions / Théâtre et Cie

Prolonger le silence

Dans la pièce Clôture de l'amour, Stan annonce à Audrey qu'il va la quitter, pendant une heure, il parle et elle l'écoute, elle ne dit rien, mais tout son corps répond. L'heure suivante, après une chorale d'enfants, c'est au tour d'Audrey de répondre, de prolonger le silence.

"Ce n'est peut-être pas sortir du silence, c'est le prolonger, et il devient sonore. Ça devient un silence sonore parce que les choses bouillent dans les êtres qui se taisent. On est remué sans cesse par tout ce qui se tait autour de nous et sur un plateau, on est à l'endroit d'une conscience collective. Dans une salle, on ne peut pas empêcher tout ce qui est en train d'arriver inconsciemment. C'est chamanique, c'est-à-dire que tout le monde est là, ça se met à vibrer de partout et on ne peut pas faire sans. Alors c'est troublant, c'est déstabilisant, ce n'est pas confortable. Et donc se mettre à parler après une heure d'écoute, se mettre à dire les mots, il y a une chose très concrète, c'est que je me redis la première phrase. [...] Parce qu'on l'a tellement joué, le temps a tellement passé dedans, qu'il n'y a de la place que pour l'inconscient. C'est rare au théâtre de pouvoir se dire, allez, je vais parler, mais je ne sais pas ce qui va sortir et comment ça va sortir."

À écouter : Pascal Rambert
Hors-champs
44 min

Quitter la boîte noire

Depuis quelques années, Audrey Bonnet met en scène, pour un texte de Mathieu Genet, Sur les chantiers de l'éternité (2020) et une adaptation de Shakespeare, Hamlet (2023). Elle raconte être passée à la mise en scène par hasard, parce qu'on le lui a proposé, mais finalement cela répond à de nouvelles envies.

"Je me rends compte que le moyen d'expression n'est pas toujours celui de l'interprétation. Même si c'est celui qui est entier en moi, c'est celui que je travaille, auquel je m'entraîne, comme une athlète. [...] Parfois, c'est comme si je percevais, comme si j'avais une vision, je me dis qu'il faudrait que ce soit émis à cet endroit-là. Peut-être pas dans le circuit normal du théâtre non plus, peut-être aller jouer dans des salles des fêtes et cours d'école, places de village, quais de gare. Ce projet-là, on va l'emmener un peu partout, dans l'espace public, on va voir où ça vibre. La boîte noire, elle me met dans le noir parfois. J'ai besoin de réfléchir, de péter les murs, les frontières autour de moi, de tout exploser. Il faut y aller, tant pis si je n'ai jamais fait ça, ce sont des expériences que j'ai besoin de faire. Ça rend les mains moites, ça met le corps en eau, parce que je ne l'ai jamais fait, mais j'ai de plus en plus envie d'aller vers ce que je n'ai jamais expérimenté."

Pour ne savoir plus sur ses actualités :

  • Clôture de l’amour au Théâtre 14 du 23 avril au 4 mai 2024, écrit et mis en scène par Pascal Rambert, avec Stanislas Nordey et Audrey Bonnet. La fin d’un couple, d’une histoire d’amour. En deux monologues percutants, écrits sur mesure par Pascal Rambert pour Stanislas Nordey et Audrey Bonnet, tout doit être dit, jusqu’au bout de la colère. Pour clôturer ce qui a été. Dans ce théâtre de pur langage, les corps parlent avec force.
  • Du 29 juin au 13 juillet, huit représentations de la mise en scène d'Audrey Bonnet de  Hamlet seront jouées au Théâtre de Verdure, dans le Pré Catelan du Bois de Boulogne.
  • Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, mis en scène par Roland Auzet, est repris avec Anne Alvaro et Audrey Bonnet les 12 et 14 septembre à La Halle aux Grains, Blois, puis en tournée au mois d'octobre.

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Sons diffusés pendant l'émission :

  • Denis Podalydès dans "Affaires culturelles" en février 2023 sur France Culture
  • Pascal Rambert dans "Affaires culturelles" en octobre 2020 sur France Culture
  • Le choix musical de l'invitée : Look at them de Jeanne Added sur l'album Be sensational paru chez Naive Records en 2015
  • Stanislas Nordey dans Hors champs en juillet 2013 sur France Culture

Le son du jour : “Tenderfoot” de Clarissa Connelly

Passionnée par les paysages préchrétiens des terres scandinaves, la musicienne Clarissa Connelly avait, en 2021, livré The Voyager, un disque qui puisait dans l’histoire de ces lieux. À cette exploration itinérante des paysages nordiques succède une formidable archéologie de soi, l'album World of Work qui paraît sur le label Warp. Écossaise de naissance, mais installée depuis l'enfance au Danemark, où elle a étudié la composition, Clarissa Connelly plonge aux confins de l’âme, tout en étant suspendue par la certitude de son sens mélodique. Avec une hauteur vocale qui évoque Kate Bush et Elizabeth Fraser du groupe Cocteau Twins, elle livre une folk élégante et feutrée. Alternant entre piano et guitare, déploie une dynamique d'écriture sans emphase.

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