« Personne ne nous cherchait » : pendant sept ans, ces deux enfants ont vécu seuls dans un bois - Edition du soir Ouest-France - 19/04/2024
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  • Vendredi 19 avril 2024
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    L’histoire des deux garçons a été adaptée par Olivier Casas. (Photo : Traveling Angel Films / Zinc)
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    « Personne ne nous cherchait » : pendant sept ans, ces deux enfants ont vécu seuls dans un bois

    Par l’édition du soir, avec l’Agence France-presse.

    Le film Frères, avec Yvan Attal et Mathieu Kassovitz, retrace la vie de Michel et Patrice de Robert de Lafregeyre. Abandonnés par leur mère, ils sont restés sept ans, livrés à eux-mêmes, dans un bois. Le premier, aujourd’hui âgé de 78 ans, revient sur cette folle histoire...

    Michel de Robert de Lafregeyre, 78 ans, a de longues mains lisses, la silhouette élancée et une apparence soignée. Rien ne laisse penser qu’il ait pu grandir tel un enfant sauvage dans un bois, avec son frère Patrice. Cette histoire a tapé dans l’œil du réalisateur Olivier Casas, qui l’a adaptée au cinéma. Le film. « Frères » sort mercredi, avec Yvan Attal et Mathieu Kassovitz dans le rôle de « Mic’» et « Pat’ »

    Il met en scène « l’histoire vraie » de deux garçons - âgés de cinq et sept ans dans le film. Ils ont été abandonnés par leur mère, journaliste du quotidien Combat, à l’été 1948. Elle les avait placés dans une colonie de vacances près de La Rochelle, et n’est jamais revenue les chercher.

    La suite, Michel l’a relatée à l’AFP à l’occasion d’une avant-première. Les enfants restent d’abord neuf mois dans la maison qui héberge la colonie, avant de prendre la fuite quand ils découvrent le cadavre de son propriétaire, suicidé. « Pat’m’attrape par le col et me dit : Mic’, faut qu’on se sauve ! », se souvient Michel de Robert de Lafregeyre.

    S’ensuivent sept années de « liberté extrême » dans un bois près de Châtelaillon-Plage, où ils se cachent dans une cabane, se nourrissent de baies, de poissons et de lièvres : « Notre adaptation a été très rapide, nous n’avions pas le choix. Il a fallu manger, se protéger. Patrice allait chasser et moi, je découpais le lapin. Notre complémentarité a été essentielle pour notre survie. »

    Les deux enfants ont pu compter, aussi, sur des gens du voyage campant à proximité et sur l’infirmière d’une base militaire voisine.

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    « Personne ne nous cherchait »

    Des années antérieures à la forêt, Michel ne garde que quelques flashs. Un appartement citadin, le nez verruqueux d’une femme de ménage, des petites voitures de marque Dinky Toy. « Notre mère, une femme libre et indépendante, n’était pas faite pour avoir des enfants », balaye cet ancien architecte. Les deux frères, conçus hors mariage, sont nés de pères différents. La préfecture ne fut même pas alertée de leur disparition. Après la Seconde guerre mondiale, 340 000 enfants en Europe se sont retrouvés séparés de leur famille, rappelle le générique du film. « Nous avons pris conscience que nous n’existions pas, que personne ne nous cherchait », dit Michel. Patrice, l’aîné, a été « à la fois mon père, ma mère, mon frère. La cellule familiale, c’était lui ».

    S’il se rappelle avoir souffert du froid, le cadet assure qu’ils ne sont jamais tombés gravement malades durant ces années passées à l’abri des arbres. En vieillissant, Patrice a cependant souffert des carences alimentaires de son enfance, et a été diagnostiqué stérile. Il s’est suicidé en 1993, à 48 ans.

    Michel, lui, assure n’être allé chez le médecin que « deux ou trois fois dans sa vie ». « Lorsqu’on se blessait, on se soignait nous-mêmes ». À l’écran, on voit Yvan Attal, son double, recoudre seul une plaie profonde. « Ce qui est fort dans le film, c’est la fraternité […] La vie dans la forêt n’est pas si importante », juge le septuagénaire.

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    La séparation

    En 1956, les frères sont reconnus par leur grand-mère dans un village où ils travaillent chez un ostréiculteur, et leur mère vient finalement les récupérer. De retour à Paris, ils sont envoyés chez un couple de précepteurs chargés de les rendre « scolarisables ». « Un an d’enfer », avant que l’un n’atterrisse en pension dans le Nord-Pas-de-Calais, l’autre dans un lycée parisien.

    Une séparation difficile, même s’ils se retrouvent l’été pour « faire les 400 coups ». Ils se verront très régulièrement jusqu’à la mort de Patrice, qui dirigeait une clinique en Alsace. Ce n’est qu’après sa disparition que Michel s’est confié à des proches : « C’est une histoire qui nous appartenait à tous les deux. On n’avait pas besoin de la partager. »

    Il y a neuf ans, lors d’un week-end entre amis, il en a parlé à Olivier Casas, qui s’étonnait de le voir tailler un bout de bois tel « un Indien cherokee ». Le scénario est né de plusieurs années de conversation.

    Le réalisateur a enquêté à Châtelaillon, retrouvant l’acte de décès de l’homme dont la pendaison, au début du film, entraîne la fuite des enfants.

    Grâce à Olivier Casas, Michel a renoué avec un ancien camarade de colonie et il est retourné sur les lieux pour la première fois. Mais du bois de son enfance, il ne restait rien. Une autoroute et des champs l’ont fait disparaître. En tournée depuis un mois avec l’équipe du film, il pense à son frère avant chaque projection.

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