20 avril 2002 : la politique de Jospin débouche sur l’accession de Le Pen au second tour de la présidentielle

20 avril 2002 : la politique de Jospin débouche sur l’accession de Le Pen au second tour de la présidentielle

En avril 2002, après cinq ans de cohabitation, le Premier ministre Lionel Jospin (PS) se présente à l’élection présidentielle contre le président sortant Jacques Chirac. Sur quelle orientation, quel bilan et quelle stratégie ?

En novembre 2001, le ministre PCF des Transports, Jean-Claude Gayssot (à gauche) et Lionel Jospin, alors Premier ministre (photo AFP)
Par Jean-Marc Schiappa
Publié le 5 mai 2024
Temps de lecture : 3 minutes

Lionel Jospin, en présentant sa candidature, explique que celle-ci n’est pas une candidature socialiste. En effet, en cinq ans de gouvernement de « gauche plurielle », avec le Parti communiste français et les Verts, flanqué de quelques autres formations de moindre importance, il avait conduit une politique platement réactionnaire.

Avec l’arrogance caractéristique des hauts fonctionnaires à qui rien ne résiste dans les cabinets ministériels, Jospin avait élaboré une stratégie qu’il croyait irrésistible.

On multiplie les candidatures « à gauche » en les aidant quand elles rencontrent des difficultés à trouver les indispensables parrainages pour pouvoir se présenter.

La contrepartie, c’est le désistement au second tour pour le même Lionel Jospin, futur candidat unique de la gauche, rassembleur contre la droite, en espérant ratisser large. Le principe du râteau…

Cet échange de bons procédés entre ces protagonistes sûrs de leurs apanages ressemble à un échange de verroterie, parce que les voix qui se portent sur les candidats ne sont pour ces hauts politiciens que des objets de troc.

Rappelons le nom des candidats dont certains sont maintenant oubliés : Robert Hue (PCF), Olivier Besancenot (LCR, futur NPA), Noël Mamère (écologistes), Christiane Taubira (radicaux), Jean-Pierre Chevènement. Tous ces stratèges remarquables ont simplement oublié qu’avant le second tour, il y a le premier. Et que la réalité de la politique… c’est la politique et non les tractations.

Quelle a été la politique de Lionel Jospin et de son gouvernement de « gauche plurielle » ?

Rappelons quelques faits (la liste est bien incomplète).

Quand Michelin décide de supprimer 7 500 emplois et que Lionel Jospin est interpellé à ce sujet, il répond, le 13 septembre 1999, qu’« il ne faut pas attendre tout de l’État ou du gouvernement ».

Si tel était le cas, à quoi bon mettre X ou Y à la tête de l’État ou du gouvernement ?

Un gouvernement ne peut, d’après Jospin, combattre les suppressions d’emplois et les licenciements. Avec une telle déclaration, Jospin précipitait les électrices et les électeurs, notamment celles et ceux qui affrontaient les licenciements, dans le découragement et l’abstention.

Ce gouvernement est celui qui a organisé le plus de privatisations, même à ce jour. Citons notamment Air France, Autoroutes du sud de la France, Péchiney, le Crédit lyonnais, Total, la Seita, France Télécom, Eramet, Gan, Thomson Multimédia, CIC, CNP, Aérospatiale (EADS), nous en oublions certainement.

Pour sa part, le ministre PCF, Jean-Claude Gayssot, maintient l’essentiel de la réforme du gouvernement précédent, notamment en pérennisant la création de Réseau ferré de France et donc l’éclatement de la SNCF. La régionalisation des services de transports régionaux de voyageurs est généralisée à toutes les régions en 2002. Libération du 9 octobre 1997 peut écrire « Gayssot fait du Juppé sans le dire ».

On comprend pourquoi, en présentant sa candidature, le 5 décembre 2001, Jospin fanfaronne « depuis quatre ans et demi, les chefs d’entreprise n’ont pas à se plaindre de ce gouvernement de gauche ».

Insistons, la liste des actes et des déclarations est bien incomplète.

Les résultats

Le 17 avril 2002, Jospin éclate de rire à la télévision quand on évoque le fait qu’il ne soit pas présent au second tour… Le 21 avril, c’est un taux d’abstention historique (28,4 %), plus particulièrement marquée dans les quartiers populaires (plus de 35 % en Seine-Saint-Denis).

Jean-Marie Le Pen obtient 16,86 % ; pour la première fois l’extrême droite française est au second tour d’un scrutin présidentiel. Jacques Chirac (19,88 %) est en tête des votes, et Lionel Jospin termine troisième (16,18 %).

Effondré, ce dernier annonce qu’il se retire de la vie politique. La belle affaire… Et que deviennent celles et ceux qu’il a plongés dans le marasme par sa politique ? Peuvent-ils, auraient-ils pu « se retirer de la vie » et goûter les charmes d’une retraite paisible à l’île de Ré ?

Jospin qualifie le score de l’extrême droite de « signe très inquiétant pour la France et pour notre démocratie » mais qui lui a ouvert la voie en organisant le scepticisme et le désarroi ?

Il est dès lors facile (et hypocrite) d’appeler à un « front républicain »1Rappelons, à propos d’hypocrisie, que Le Monde avait caricaturé Marc Blondel (et Arlette Laguiller) avec un brassard nazi parce qu’ayant refusé de participer à ce « front républicain » chiraquien. qui permet l’élection de Jacques Chirac, le 5 mai, avec une victoire écrasante (82,2 %)2Ajoutons que les contorsions de L. Jospin sur les « révélations » de son passé trotskyste, notamment dans les années soixante-dix, n’ont pas ajouté à la crédibilité du personnage..

Vers une banalisation du Front national

Il est maintenant convenu de parler de banalisation du Front national, devenu depuis « Rassemblement national ». La proximité des idées et des méthodes de ce dernier et du gouvernement Macron (dont il ne faut jamais oublier qu’il fit ses premières armes comme ministre d’un gouvernement « socialiste » sous la présidence de François Hollande) sont l’objet d’articles réguliers dans ces colonnes, notamment, mais pas seulement, avec la loi « immigration ».

En 2021, par exemple, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a débattu du prétendu « séparatisme islamiste » avec Marine Le Pen et lui a fait le reproche suivant : « Vous devriez prendre des vitamines. Je ne vous trouve pas assez dure ». Toute la politique du gouvernement Macron est une illustration de ce propos.

Mais l’origine de la banalisation du FN/RN ne vient-elle pas de la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles de 2002 ?