Françoise Malby-Anthony, la Brigitte Bardot de l'Afrique
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Françoise Malby-Anthony, la Brigitte Bardot de l'Afrique

Son mari l’appelait sa Brigitte Bardot. À Thula Thula, où vivent désormais trois familles d’éléphants, soit 28 pachydermes, le 17 avril.
Son mari l’appelait sa Brigitte Bardot. À Thula Thula, où vivent désormais trois familles d’éléphants, soit 28 pachydermes, le 17 avril. © Ilan Deutsch / Paris Match
Arnaud Bizot, envoyé spécial en Afrique du Sud

Cette Parisienne a fondé en Afrique du Sud un sanctuaire pour les éléphants et la faune sauvage. Nous l’avons rencontrée dans sa réserve de Thula Thula.

Elle a accepté notre idée de se faire photographier devant des éléphants, assise sur le capot du 4x4. Cette position très exposée, ses rangers l’interdisent ­formellement aux clients de Thula Thula Private Game Reserve, à 40 kilomètres d’Empangeni, dans la ­province du Kwazulu-­Natal, dans l’est de l’Afrique du Sud.

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Dieu sait comment ces mastodontes pourraient réagir, par jeu ou par crainte. Tout dépend de leur humeur. Elle se souvient du jour où Frankie, la matriarche, imprévisible, s’est ruée vers elle et son mari, ces quelques instants pendant lesquels elle s’est vue mourir. Et pourtant, elle vante leurs qualités : leur « intelligence bien au-­dessus de notre compréhension ». Leur altruisme : « En se promenant dans le bush, ils tracent des voies qui permettent à d’autres, impalas, zèbres, girafes, de passer et de se nourrir. Dans les périodes de sécheresse, ils creusent très profond dans la terre et trouvent de l’eau pour tous. »

Elle ne se lasse pas de « l’élégance » de leur démarche : « Ils tricotent des pieds, comme les top-­modèles ! » Son plus heureux souvenir : voir grandir quasiment dans sa maison et son jardin Tom, 10 ans et deux tonnes aujourd’hui. En 2018, elle en tirera un livre, « Un éléphant dans ma cuisine ». Énorme succès. Son image la plus émouvante, celle-là inexplicable : en mars 2013, l’année qui suivit le décès de son mari, à 61 ans, d’une crise cardiaque, tout le troupeau est venu s’aligner devant la clôture de sa maison, le jour anniversaire à la même heure. Pareil les deux années suivantes. « Cela m’a donné la force de ­rester, de continuer l’aventure sans lui. »

Avec la patrouille antibraconnage. Les rhinocéros sont les premières victimes des chasseurs hors la loi.
Avec la patrouille antibraconnage. Les rhinocéros sont les premières victimes des chasseurs hors la loi. Paris Match / © Ilan Deutsch

Comment cette Parisienne, qui avait la frousse des gros chiens sur les trottoirs, se retrouve-t-elle aujourd’hui à gérer seule un safari de 4 500 hectares, cinquante employés, dont six rangers et neuf hommes armés de sa brigade antibraconniers ? Un quiproquo, à Londres, en 1987 – elle a 33 ans – l’amène à partager un taxi avec un colosse barbu au physique de pirate : Lawrence Anthony, célèbre protecteur de l’environnement, fondateur de The Earth Organization et auteur de best-­sellers. ­

De Montparnasse à l'Afrique du Sud

Françoise Malby est alors dans la capitale anglaise pour le compte de la chambre de ­commerce et d’industrie de l’Aisne, service export, afin d’aider des PME locales à exporter. Elle vit à Saint-Quentin, « au milieu des champs de ­betteraves », passe le week-end dans son ­appartement à Montparnasse, au-­dessus de La Coupole, et ses vacances à ­Montpellier, où elle est née. Elle hésite six mois, mais rejoint finalement ce personnage « charismatique, au langage éblouissant », fin 1987.

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Ses amis tentent de l’en dissuader, sa famille ­s’affole : l’Afrique du Sud est en plein apartheid. « Mais j’avais envie de vivre autre chose. » Lawrence vit à Durban, le plus grand port industriel du pays, sur l’océan Indien. Il travaille dans l’immobilier, elle crée une ligne de vêtements et accessoires, tissus et cuir, qui cartonne. « La période d’adaptation a été un peu dure. Ces plages, restos, bus pour les Blancs, les autres pour les Noirs… »

Devant sa maison… et la clôture électrique de 8000 volts : Thabo et Ntombi, les rhinocéros qui ont grandi à ses côtés.
Devant sa maison… et la clôture électrique de 8000 volts : Thabo et Ntombi, les rhinocéros qui ont grandi à ses côtés. Paris Match / © Ilan Deutsch

En 1998, ­Lawrence trouve une réserve de 1 500 ­hectares en vente avec quatre huttes. C’est le coup de foudre. Un nom s’impose : Thula Thula, paix et tranquillité en ­zoulou. Lawrence veut s’agrandir. Il négocie avec cinq chefs zoulous, propriétaires de terres voisines. « Ça a duré des mois, on s’est fait balader, c’était un ­calvaire ! » se rappelle Françoise.

En 2000, Thula Thula compte sept lodges

Des débuts chaotiques, donc, mais, en 1999 arrivent huit éléphants importés d’une autre réserve. Afin qu’ils s’habituent à leur nouvel environnement, Lawrence les installe dans un enclos électrifié d’un hectare, mais posé du mauvais côté. « La matriarche a pigé, elle a arraché un arbre, trouvé un passage et bye-bye le troupeau ! J’en ris, mais c’était un drame, se souvient Françoise, et il a fallu une semaine pour les retrouver. J’étais la blonde qui arrêtait les voitures en demandant : “Vous avez vu des éléphants ?” »

En 2000, Thula Thula compte sept lodges. « Il aurait fallu les louer hors de prix pour qu’ils soient rentables. Six ans après, on a construit les tentes, grâce à quoi on a refait surface. » Françoise prend la gestion en main. Lawrence s’avère un peu poète pour les questions de comptabilité…

En 2003, en pleine guerre d’Irak, il s’envole pour Bagdad sauver les animaux du plus grand zoo du Moyen-Orient. « Il devait partir deux semaines, il est resté six mois ! » En son absence, pour se rendre à la banque locale, elle doit emporter un pistolet dans son sac.

Françoise Malby avec les rangers qui accompagnent les touristes. À sa gauche, Christiian, responsable de la protection des animaux.
Françoise Malby avec les rangers qui accompagnent les touristes. À sa gauche, Christiian, responsable de la protection des animaux. Paris Match / © Ilan Deutsch

Mariage en 2004, suivi, cinq ans plus tard, de l’arrivée de deux premiers rhinocéros, Thabo et Ntombi, 2 mois. Eux aussi grandiront parmi les humains, dormant au pied des lits. Les années passent, la réserve compte désormais 3 000 hectares, les clients affluent, les animaux naissent, grandissent et meurent. Chacals, hyènes et vautours à dos blanc jouent leur rôle essentiel de nettoyeurs. Puis c’est le deuil.

 Je me suis découvert des ressources insoupçonnées ! 

 

En 2012, ­Françoise disperse les cendres de Lawrence sur le vaste étang qu’il a construit, baptisé Mkhulu, « grand-père » en zoulou, son surnom. Ses sept chiens seront ses confidents dans les moments de tristesse et de découragement. « Je me suis découvert des ressources insoupçonnées ! »

Elle se bat d’abord contre les ­vautours  humains qui lorgnent ses terres et pensent ne faire qu’une bouchée de cette femme seule, étrangère. Raté, elle s’agrandit ! Il faut aussi affronter les autorités locales et leurs règles administratives. Pour elles, vingt-huit éléphants, c’est huit de trop. Les fonctionnaires comptent en hectares, sans considérer les nombreux dénivelés du terrain. Négociations interminables qui aboutiront à un protocole de contraception.

À 80 000 euros le kilos, la corne de rhinocéros attise la convoitise

Arrive le Covid. Tandis que les touristes sont bouclés chez eux, Françoise et son équipe ne ménagent pas leurs efforts, « ici, on est une famille ! explique-t-elle avec ­enthousiasme. On a beaucoup bossé pendant la pandémie. » Remise en état des 45 kilomètres de clôtures, recherche des collets – « ces tueurs silencieux » posés par les braconniers –, arrachage de la végétation, réfection des lodges et des tentes, entretien des pistes. « Alcool et cigarettes étaient interdits, mais le bar avait, disons, des réserves d’alcool que mon équipe échangeait contre des cigarettes ! »

Elle crée à cette époque un centre de réhabilitation pour les animaux blessés par l’homme ou par des pièges – « lorsqu’une blessure est provoquée par un autre animal, on laisse faire la nature ». Des bénévoles passionnés venus du monde entier y ­travaillent. Mais cinq braconniers se pointeront un beau jour, armés, enfermant le personnel présent. Sans doute espéraient-ils trouver des rhinocéros. 80 000 euros le kilo de corne… Plus cher que l’or.

En 2021, des émeutes font 300 morts, elle organise la résistance

« On est obligés de les décorner tous les quatorze mois », déplore ­Françoise. Christiian, 63 ans, responsable depuis 2017 de la protection des animaux de Thula Thula, a installé dans le bush quinze caméras censées repérer les braconniers, mais elles filment aussi, de nuit surtout, les trois ou quatre ­léopards solitaires et autres lynx, bien plus sauvages. Cet ancien pilote de ligne de la South African Airways et ­d’Emirates est aussi chargé de la ­régulation des animaux. Un ­travail d’équilibriste, avec cinq adjoints, pour que les 1 600 impalas, 400 zèbres et 70 girafes aient leur espace et suffisamment à manger. « Parfois, il faut les donner à d’autres réserves, parfois en réintégrer, tout en considérant cette donnée : les chacals tuent près de 10 % de cette population. »

En 2021, Empangeni est à feu et à sang. Des hordes déchaînées manifestent après l’incarcération de l’ex-­président Jacob Zuma, un enfant du pays. Les émeutes font plus de trois cents morts. Le bruit court que Thula Thula va être investi et brûlé. ­Françoise organise la résistance, mais, avec son ­personnel, elle tremble de longues heures. Finalement, « la BB de l’Afrique », comme l’appelait Lawrence, sera épargnée.

 Terminée la contraception des éléphants, on pourra même en avoir ­davantage 

 

Le 25 mai prochain, les animaux seront à la fête : 1 030 hectares supplémentaires, après les 450 acquis en 2021. ­Françoise vient de signer un partenariat avec deux chefs zoulous (l’un est député) pour les terres d’une ancienne compagnie sucrière. « Terminée la contraception des éléphants, on pourra même en avoir ­davantage », se réjouit-elle.

Ils passent d’ailleurs pas mal de temps aux frontières de ce nouveau territoire, plus savane que bush, qu’ils s’impatientent à découvrir. 5 500 hectares, ce serait assez pour intégrer des lions. Thula Thula pourrait s’enorgueillir d’avoir les « Big 5 ». Pour l’instant, tout le monde semble contre. « Cela changerait la philosophie de l’endroit, explique ­Christiian. Il faudrait escorter les clients dans leurs chambres, être armés, tout ça pour des animaux qui dorment vingt heures par jour et peuvent ­disparaître trois à quatre jours ­d’affilée. » Des lions ­dirigée par… une lionne, ça aurait pourtant de ­l’allure.

«La sagesse des éléphants», de Françoise Malby-Anthony, éd. Albin Michel, 336 pages, 21,90 euros.
«La sagesse des éléphants», de Françoise Malby-Anthony, éd. Albin Michel, 336 pages, 21,90 euros. © DR

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