Irving Fisher, la crise de 29 et la déflation par la dette

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Irving Fisher, la crise de 29 et la déflation par la dette

Pionnier de l’économétrie, des analyses du taux d’intérêt réel, et du phénomène de « déflation par la dette », Irving Fisher était considéré par Paul Samuelson (‘Prix Nobel’ d’économie en 1970) comme « peut-être le nom le plus important à retenir de l’histoire de la science économique américaine ». 

Marius Garreau
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Représentation fictive numérique d'irving Fisher incrédule devant le krach de 1929

Représentation fictive numérique d'irving Fisher incrédule devant le krach de 1929

© Midjourney

Qui suis-je ?

Né dans la ville américaine de Saugerties en 1867, Irving Fisher a étudié les mathématiques à Yale, avant d’y soutenir la toute première thèse d’économie de cette prestigieuse université, en 1891. Il publiera l’année suivante ce travail consacré à l’équilibre général walrassien, dans lequel il avait construit un modèle essayant de trouver le niveau des prix qui équilibrait toutes les demandes et les offres d’une économie.

Au début du XXe siècle, Fisher était une figure incontournable de l’économie. Il fut notamment président de l’American Economic Association en 1918, et devint en 1930 le premier président de la société d’économétrie, qu’il avait co-fondée.

Son influence dépassait le champ de l’économie, puisqu’il était également un intellectuel engagé publiquement dans la promotion de l’eugénisme, à l’instar de John Maynard Keynes en Angleterre. Il fut ainsi fondateur du Life Extension Institute en 1914, président en 1922 de l’American Eugenics Society, et auteur du livre à succès How To Live, dressant une liste de propositions pour une amélioration de l’hygiène de vie.

Mes travaux

L’une des publications les plus importantes de l’œuvre de Fisher est son livre « the Purchasing power of Money », de 1911. Il y propose notamment sa célèbre équation des échanges, qui constitue un développement de la théorie quantitative de la monnaie. Selon cette théorie, M.V = P.T (avec M la quantité de monnaie en circulation ; V la vitesse de circulation de la monnaie ; P le niveau des prix ; et T le montant des transactions).

Fisher introduit l’équation M.V + M’.V’ = P.T. Ainsi, il distingue au sein de la masse monétaire entre les agrégats M et M’, qui désignent respectivement la monnaie fiduciaire et la monnaie scripturale en circulation dans une économie. Il permet alors une analyse plus fine, en observant que les diverses formes de monnaie sont manipulées différemment par les agents, et ainsi ne circulent pas à la même vitesse (d’où l’introduction de deux vitesses différentes, M et M’). Depuis, cette équation a été largement complexifiée en suivant cette méthode d’observation des comportements monétaires différents selon chaque forme de monnaie.

La déflation par la dette

En 1933, dans le premier numéro de la célèbre revue Econometrica, Fisher publie un nouveau travail majeur, intitulé « The debt-deflation theory of great depression ». Il sera ensuite repopularisé à partir des années 1970, principalement grâce aux économistes Hyman Minsky, puis James Tobin.

Cet article a surpris ses contemporains à plusieurs égards. Premièrement, parce que Fisher y décrit des phénomènes monétaires entraînant des effets sur l’économie réelle, alors que les adeptes de la théorie quantitative de la monnaie considèrent ordinairement que les conséquences de ces phénomènes ne dépassent pas les sphères monétaires et financières. Keynes dira d’ailleurs à ce sujet que Fisher était le premier à l’avoir amené à considérer la monnaie comme un facteur « réel », et non comme un simple « voile ».

Ensuite, cette publication est révolutionnaire en cela qu’elle postule un monde économique globalement instable. Contre les théories du cycle de son temps, et trois années avant la publication de la Théorie Générale de Keynes, Fisher décrit ici une dynamique endogène conduisant inexorablement à l’instabilité et aux crises. Ceci alors même que dans ses précédents travaux Fisher proposait une analyse en termes de stabilité, comme le faisaient les autres auteurs défendant la théorie quantitative de la monnaie.

Prédiction hasardeuse avant la crise de 1929

Ce revirement théorique n’est pas étranger au krach boursier de 1929 et à la très profonde crise économique qui l’a suivi. Fisher n’avait pas anticipé cette crise, et avait même assuré quelques jours avant sa survenue, que « les prix des actions ont atteint ce qui apparaît être un haut plateau permanent ». Alors que la crise financière se prolongeait, il continuait de se montrer optimiste. En quelques années, Fisher – tout comme Keynes au même moment – perdit ainsi une large part de sa fortune sur les marchés financiers.

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Comme son titre l’indique, le sujet principal de cet article de 1933 est le phénomène déflation par la dette. Fisher décrit ici une succession d’étapes formant un cercle vicieux. Le point de départ est le surendettement des ménages et des entreprises, lié à l’optimisme qui caractérise les phases de croissance économique et d’innovations porteuses de promesses de profits futurs. Passé un certain stade de surendettement des agents, une crise financière éclate.

Pour faire face à cette crise, les agents vendent massivement leurs actifs. Le fait que tout le monde cherche à vendre et non à acheter provoque une chute des prix (puisque l’offre augmente alors que la demande baisse). Ceci entraîne alors des conséquences réelles négatives : baisse de la valeur des biens, faillites d’entreprises, ralentissement de la production, hausse du chômage.

Ces phénomènes conduisent à une baisse de la confiance, provoquant des comportements de thésaurisation et une baisse de la vitesse de circulation de la monnaie, qui à leur tour contribuent à encore faire chuter les prix. Cette baisse des prix est néfaste pour les agents endettés, puisque Fisher explique qu’elle augmente alors le poids réel de leur dette.

L’économiste étasunien décrit ici un phénomène en réalité déjà analysé dès le XIVe siècle par Nicolas Oresme. En période d’inflation, le poids réel de la dette baisse, puisque la valeur de la monnaie baisse, et donc avec elle la somme à rembourser.

L'effet Fisher

C’est ce qu’on appelle communément « l’effet Fisher » : l’inflation provoque un transfert de richesse qui profite au débiteur, et défavorise le créancier. La déflation produit donc l’effet de répartition inverse. Le taux d’intérêt réel de la dette, que doit réellement payer le débiteur, est alors égal au taux d’intérêt, moins l’inflation (r = i – π).

On notera que l’on parle également en macroéconomie d’un « effet Fisher 2 ». Celui-ci prend en compte les anticipations des agents. S’ils anticipent une déflation, ils risquent de différer leurs dépenses, en attendant que les prix baissent. Le premier effet de répartition (Fisher 1) et l’effet des anticipations (Fisher 2) se combinent, et la déflation provoque donc une contraction encore plus forte de la demande, qui elle-même fait encore baisser les prix.

Les agents sont donc pris dans une spirale déflationniste dont ils ne peuvent sortir. Ils se retrouvent confrontés à un paradoxe : en cherchant à rembourser leur dette, ils ne font que participer à faire baisser les prix, et donc à augmenter de leur dette réelle. La déflation alourdit les dettes, ce qui entraîne des comportements qui aggravent en retour la déflation.

Pour endiguer ce mécanisme sans fin, Fisher conclut qu’une intervention de l’Etat est nécessaire. Celui-ci doit alors stopper le processus en réhaussant le niveau des prix. Fidèle à la théorie quantitative de la monnaie, Fisher indique que pour ce faire, l’Etat doit augmenter la masse monétaire.

Nous ne voyons pas que le dollar, ou tout autre étalon monétaire, augmente ou diminue de valeur. Nous croyons acquis qu’« un dollar est un dollar », qu’un « franc est un franc », que toutes les monnaies sont stables. De même, voilà des siècles, avant Copernic, on croyait acquis que la terre était immobile et que le lever et le coucher du soleil étaient des réalités. Nous savons maintenant que le coucher et le lever du soleil sont des illusions produites par la rotation de la terre autour de son axe, et cependant, dans notre langage encore, et même dans notre pensée, le soleil continue à se lever et à se coucher.
Irving Fisher

Économiste américain, dans "L’illusion de la monnaie stable", 1928

Mes dates clés

1867 : Naissance le 27 février à Saugerties, New York, États-Unis 

1891 : Obtention de son doctorat en économie à l’université de Yale. Irving Fisher reste ensuite à Yale pour enseigner l'économie (1898-1935)

1892 : Publication de sa thèse "Mathematical Investigations in the Theory of Value and Prices"​

1907 : Publication de son livre “The Rate of Interest” qui a établi sa réputation en tant qu’économiste 

1929 : Prédiction publique que les actions avaient atteint un “niveau permanent élevé” juste avant le krach boursier d’octobre

1930 : Publication de "The Theory of Interest" & "The Stock Market Crash and After"

1933 : Publication dans Econometrica de l'article de recherche "The Debt-Deflation Theory of Great Depressions"

1947 : Mort le 29 avril à New York, États-Unis.

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