Niamey, et les deux jours? Actes des Concertations sahéliennes by SWAC/OECD - Issuu

Niamey, et les deux jours? Actes des Concertations sahéliennes

Page 1

Niamey, et les deux jours ? Actes des Concertations sahéliennes Séance plénière 22-23 novembre 2021 Niamey, Niger Secrétariat du

Club

DU SAHEL ET DE L'AFRIQUE DE L'OUEST



Équipe

Équipe Direction éditoriale :

Sarah Lawan Gana, Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO/OCDE)

Rédaction :

Sarah Lawan Gana (CSAO/OCDE), Khadija Maïga (CSAO/OCDE) et Azéddine Moussa Mahamat Saleh (CSAO/OCDE), avec l’aide de Delina Goxho (Université Abdou Moumouni).

Photo de couverture :

Sarah Lawan Gana, Salou, y’a pas de problème 2020

Graphisme :

Poeli Bojorquez, Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO/OCDE)

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

3


Remerciements

Remerciements Niagalé Bagayoko (ASSN), Adamou Bello (LASDEL), Laurent Bossard (CSAO/OCDE), Oumarou Hamani (LASDEL), Marie-Hélène et Goni Lawan Gana (OPDL-Tchida), Ibrahim Assane Mayaki (CSAO/OCDE & AUDA-NEPAD), Alison McLatchie (CSAO/ OCDE), Abdoulaye Mohamadou (CILSS), Siddo Moumouni (LASDEL), Jean-David Naudet (AFD), Raphaël Sigal (Amherst University), Ousmane Sy (ARGA), Mahaman Sanoussi Tidjani Alou (LASDEL), Gilles Olakounlé Yabi (WATHI), Sibiri Jean Zoundi (CSAO/OCDE) et tous les amis du Sahel. Sans oublier : Buropa, Djoliba Lodge, Grand Hôtel du Niger, Habsou – Lait de chamelle, Kooka – Made in Niger with love, Salou Yacouba.

4

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE


Concertations sahéliennes

Concertations sahéliennes Le Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO) de l’OCDE a lancé un exercice pilote de réflexion prospective alors que le Sahel fait face à des crises sans précédent. Les Concertations sahéliennes constituent un espace de réflexion où la parole libre est échangée entre celles et ceux qui, dans la région, pensent l’équation complexe du développement, de la gouvernance et de la stabilité. En impliquant des acteurs issus de la société civile, du monde académique, d’organisations professionnelles, de laboratoires d’idées et de groupes de réflexion, les Concertations espèrent faire émerger de nouvelles modalités d’élaboration et de mise en œuvre des politiques publiques au Sahel. Elles visent à porter ces procédés alternatifs articulés par une voix transsahélienne, souvent en marge des sphères gouvernementales et internationales, à la connaissance des décideurs politiques pour accompagner la construction d’un futur réaliste. Le Secrétariat du CSAO a dressé un état des lieux des réalités incontournables et des tendances intangibles. Ce diagnostic, présenté dans Sahel à venir : ce qu’aujourd’hui nous apprend sur demain, balise les débats d’idées menés autour des questions de gouvernance afin de susciter des réponses basées sur les faits et les contraintes actuels et à venir. Les Concertations sahéliennes se sont tenues tout au long de l’année 2021, sous l’égide du Président honoraire du Club et avec l’aide d’un Conseil consultatif. Elles ont bénéficié d’un soutien financier additionnel de l’Agence française de développement (AFD).

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

5


Note liminaire

Note liminaire Ce document présente les échanges qui ont eu lieu lors de la séance plénière des Concertations sahéliennes, organisée dans les locaux du Laboratoire d’études et de recherche sur les dynamiques sociales et le développement local (LASDEL) à Niamey les 22 et 23 novembre 2021. Les échanges se sont tenus conformément à la « règle de Chatham House » qui garantit l’anonymat des participants. Cette règle a conduit les participants à exprimer librement ce qu’ils pensent mais ne formulent pas nécessairement lors de leurs prises de position publiques. Les Actes des Concertations reflètent cette liberté de parole dans le but d’enrichir le débat sur l’avenir du Sahel. Nous avons pris le parti de nous tenir au plus près de ces conversations en les retranscrivant le plus fidèlement possible. À ce titre, les propos rapportés lors de la séance plénière n’émanent pas du CSAO. Afin de contextualiser et de donner davantage de lisibilité à ces échanges, il nous a paru opportun d’intégrer à ces Actes les discours d’ouverture et de clôture ainsi que la présentation du livret Sahel à venir qui sert de point de départ aux Concertations. Ces différents éléments sont attribués à leurs auteurs. Les comptes rendus des conversations thématiques virtuelles qui se sont tenues en amont de la séance plénière ainsi que la liste des participants sont également joints en annexes.

6

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE


Déroulé

Déroulé La séance plénière s’est ouverte sur des mots de bienvenue et la présentation du concept et des objectifs des Concertations sahéliennes. Le Secrétariat du CSAO a ensuite porté au débat une série de faits contenus dans Sahel à venir : ce qu’aujourd’hui nous apprend sur demain. Cette publication attire l’attention sur les facteurs incontournables qui marquent le Sahel actuel et les tendances incompressibles qui dessinent d’ores et déjà le Sahel à venir. La séquence suivante a abordé la centralité des modalités de gouvernance pour gérer le réel et préparer l’avenir. Les diagnostics dressés lors des conversations thématiques animées par les membres du Conseil consultatif des Concertations en amont de la séance plénière (voir en annexes) ont confirmé l’intuition initiale de la nécessité d’un changement radical – à la racines – des procédés de conception et de mise en œuvre des politiques publiques de la région. Les conclusions de ces échanges ont fait l’objet de discussions. Lors de la deuxième journée, des ateliers parallèles ont été conduits autour de la constitution de nouvelles alliances, des pratiques hybrides de gouvernance et des recompositions territoriales. La formulation de propositions sur la gestion de la vie publique pour répondre à court, moyen et long terme aux défis rencontrés par les sociétés du Sahel a été encouragée. Les participants se sont finalement prononcés sur les suites à donner à cet exercice de réflexion prospective collective afin de rendre plus audible une parole transsahélienne dans son appréhension singulière et constructive d’un futur réaliste.

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

7


Avant-propos

Avant-propos Alors qu’on le pensait déclassé, le besoin d’État se fait entendre de toutes parts au Sahel. On observe sur le terrain une multiplication des partenaires internationaux qui s’apparentent à des acteurs étatiques sans en avoir la légitimité. Des initiatives locales fortes émergent mais les moyens manquent pour qu’elles deviennent des entités politiques à part entière. Les acteurs religieux s’imposent sans que leur rôle soit clairement défini. Les opérateurs privés se sentent étouffés par des dispositifs souvent trop contraignants et réclament un interlocuteur stable. La pluralité des acteurs présents sur la scène publique s’exprime également dans le domaine du numérique à travers les réseaux sociaux qui forcent les dirigeants à davantage de redevabilité et suscitent l’implication de la jeunesse dans la vie publique. Ces acteurs de la gouvernance réclament implicitement un État qui a été amputé de ses compétences essentielles et de ses capacités. Ces changements de configuration interviennent dans un contexte marqué par la violence et l’insécurité. Le champ de la sécurité est témoin d’une multitude de protagonistes aux forces variables qui se mettent en scène au gré de l’évolution de leurs rivalités et de leurs alliances. La question sécuritaire ne peut plus être réduite à la seule lutte contre le terrorisme : en plus des groupes jihadistes, il existe des groupes criminels, des groupes politicomilitaires (Tchad), des groupes indépendantistes ou autonomistes (nord Mali), des groupes d’auto-défense mis en place par les populations, des groupes de forces de défense et de sécurité qui se livrent parfois à des exactions. Tous ces groupes contribuent à l’insécurité dans la région. L’exaspération que suscite l’incapacité des États et des partenaires internationaux à répondre aux besoins sécuritaires des populations devient le moteur d’une puissante contestation. En outre, les questions territoriales se complexifient : elles font ressortir des considérations de diversité des territoires et des groupes humains qui y vivent ; de pluralité des identités et des normes juridiques difficiles à gérer ; d’absence de cohérence entre les cadres des États nationaux (souvent pensés à l’insu des communautés) et ceux des collectivités locales. Nous assistons à un émiettement par la violence des territoires et des communautés qui y vivent. Les États nationaux apparaissent comme des pyramides que l’on tente de faire tenir sur leur sommet, avec les béquilles de la coopération internationale. Pour tenir, il faut évidemment que les pyramides soient ramenées sur leur base qui est constituée des territoires locaux et des acteurs locaux. Les Concertations sahéliennes renforcent la conviction de la fin du monopole de l’État dans la gestion de la vie publique en raison de l’extrême faiblesse de ses appareils

8

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE


Avant-propos

politico-administratifs. En dépit de ce constat partagé, la question de sa construction reste plus que jamais centrale. La puissance des mutations en cours et l’acuité des crises multifactorielles qui prévalent dans la région rendent le « plus d’État » nécessaire. Ce dernier devra innover radicalement et subir une mue de ses méthodes de gouvernance s’il veut prétendre assurer à la fois la coordination de ses fonctions régaliennes, la délivrance des services publics de base, la sécurité des populations sur toute l’étendue des territoires et l’accompagnement des initiatives locales. Sur le terrain, on observe que les dynamiques formelles et informelles sont intimement liées. Les réformes territoriales à entreprendre sans tarder devront tenir compte de ces pratiques hybrides de gouvernance locale pour être efficaces. Loin des standards et des approches normatives appliqués par exemple à la conflictualité et sa résolution, c’est dans les approches endogènes qu’il faudra aller chercher les pistes permettant de dessiner une trajectoire plus positive pour la région. Les connaissances qualitatives fines permettent d’approfondir l’étude du triptyque État – sociétés – territoires et d’appréhender la réalité complexe des contextes locaux. Ces savoirs devraient alimenter une véritable réflexion transsahélienne capable d’irriguer la conception et le renouvellement des politiques publiques. L’avenir du Sahel repose avant tout sur le regard que portent les sahéliens sur leur futur. La co-construction des politiques publiques, conciliant les perspectives des acteurs directement concernés, les pratiques de gouvernance de tous types et les expertises locales, s’avère incontournable pour que dans dix ans il soit encore possible de se réunir dans une capitale du Sahel en toute liberté. Les membres du Conseil consultatif : Niagalé Bagayoko Politologue et Présidente de African Security Sector Network (ASSN)

Ousmane Sy Président de l’Alliance pour Refonder la Gouvernance en Afrique (ARGA)

Mahaman Sanoussi Tidjani Alou Professeur de science politique à l’Université Abdou Moumouni de Niamey et Chercheur au Laboratoire d’études et de recherche sur les dynamiques sociales et le développement local (LASDEL)

Gilles Olakounlé Yabi Analyste politique, Docteur en économie du développement, Fondateur et Directeur exécutif du think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest (WATHI)

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

9



Table des matières

Table des matières Avant-propos

8

Introduction

12

Gérer le réel, préparer l’avenir

16

Gouvernance

21

Pluralité des acteurs et des nouvelles alliances

24

Zoom sur les réseaux sociaux

26

Pistes de changement

30

Caractère hybride de la gouvernance

31

Zoom sur la paix et la sécurité

34

Pistes de changement

40

Reconfigurations territoriales

41

Zoom sur la coopération et le développement

46

Pistes de changement

48

Conclusion

50

Épilogue

52

Annexe I

53

La gouvernance dans tous ses états

54

De la granularité de la gouvernance territoriale

57

Institutionnaliser la co-construction de la gouvernance locale du développement

60

Nourrir les doctrines de sécurité de la complexité des situations et de l’avis des communautés

63

Réseaux sociaux, nouveaux espaces d’expression et d’engagement citoyen d’une jeunesse à la marge

66

Annexe II

69

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

11


Introduction

Introduction Mots de bienvenue Oumarou Hamani Enseignant-chercheur à l’Université de Niamey et Directeur scientifique du LASDEL, hôte de la séance plénière des Concertations sahéliennes Discours prononcé le 22 novembre 2021 L’honneur et le devoir me reviennent de prononcer le discours d’ouverture de cette rencontre de haut niveau, à savoir les Concertations sahéliennes. Avant de donner la substance de mon propos, permettez-moi de faire une brève présentation du LASDEL. C’est l’un des tout premiers laboratoires de recherches qualitatives au Sahel. Il a été créé en 2001 par des chercheurs africains et européens africanistes. Il compte aujourd’hui une masse critique de chercheurs (plus d’une trentaine) et de doctorants répartis à la fois sur le Niger, le Bénin et dans les universités occidentales (Berlin, Leiden, Roskilde). Après avoir maintenu plusieurs années durant sa vocation initiale qui est de faire de la recherche, le LASDEL s’est par la suite ouvert sur l’action. Les résultats de la recherche devant aider à éclairer les décisions. Les concertations Sahéliennes, disais-je, qui réunissent des personnalités et des profils riches et variés, offrent un espace de débats et de confrontations d’idées sur les enjeux de l’heure que connaît le Sahel. Elles constituent un espace de « libération de la parole ». Le LASDEL qui se veut dans cette perspective, un espace de rencontres intellectuelles sous-régionales, se réjouit d’accueillir cet événement de haute importance dont les conclusions permettront de « dessiner » des perspectives pour le Futur du Sahel. Cette rencontre intervient, comme vous le savez, 12

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

à un moment où le Sahel est au cœur de crises multiples et multiformes : alimentaire, climatique, sécuritaire, démographique, sociopolitiques, socio-économique, sanitaires. Ces crises affectent aujourd’hui directement la vie des populations ; elles sont susceptibles de déterminer l’avenir de cette partie du continent africain.

Les crises interpellent en premier lieu les sahéliennes et les sahéliens Placées sur le devant de la scène politique internationale, ces crises interpellent en premier lieu les ressortissants du Sahel, toutes catégories confondues. Ceux-ci sont « appelés à la barre » et invités à se prononcer sur les perspectives de sortie de crise. Pour proposer des réponses opérantes, il faudra sans nul doute partir d’un « diagnostic objectif de la situation actuelle du Sahel pour entrevoir des solutions aux défis multiformes du futur ». Ces concertations s’inscrivent dans une démarche hautement prospective. De cette démarche prospective doivent découler des réflexions endogènes sur les réformes de politiques publiques à envisager. Il reste entendu que cette démarche novatrice ne pourrait être envisagée sans les partenaires convaincus de l’intérêt de l’exercice et qui voudraient bien dessiner avec nous les sentiers


Introduction

du futur. Car le futur du Sahel a bien des liens avec celui du Monde. Les objectifs des concertations sahéliennes recoupent les missions et les axes stratégiques du LASDEL. Une de ses missions, en effet, est : « la promotion des débats publics autour des questions d’intérêt général et des résultats de recherche ». Par cette mission, le LASDEL contribue plus particulièrement à « développer une animation scientifique dans les pays de la sous-région » et, par ce biais « contribuer au débat public sur des questions à enjeux national et sous-régional » (Mission 3). Par cette mission, le LASDEL entend ainsi « contribuer au renforcement des liens entre la recherche et l’action ». Il s’agira au cours de ces journées de prospecter les champs de possibilités entre la recherche et l’action. Les chercheurs sont d’abord des citoyens et en tant que citoyens, nous sommes soucieux de ce que nos recherches puissent contribuer à améliorer le fonctionnement des services publics et, de façon plus générale, la gouvernance.

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

13


Introduction

Allocution d’ouverture Ibrahim Assane Mayaki Secrétaire exécutif de AUDA-NEPAD et Président honoraire du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, parrain des Concertations sahéliennes Discours prononcé le 22 novembre 2021

J’aimerais revenir sur la « libération de la parole » évoquée par le Directeur du LASDEL. Pour que la parole libérée soit crédible il faut qu’elle repose sur une fondation objective et utile. Le lien entre recherche et action se situe dans cette perspective. Ces Concertations sont envisagées dans cet esprit. Dans le sous-titre « gérer le réel, préparer l’avenir », il y a ce lien entre chercher ce qu’est le réel et chercher ce que l’avenir pourrait être. Le Sahel traverse des moments de crises, sur lesquels je ne vais pas m’étendre, qui se superposent. Elles constituent un enchevêtrement de processus qui rendent complexe l’identification du type d’actions sur lesquelles il faut se focaliser. Le CSAO a proposé que cette réflexion ait lieu, de manière extrêmement libre, afin d’avoir cette capacité à bien saisir ce qu’est le réel et de tracer des pistes pour l’avenir. Pour que ces pistes soient utiles il faut qu’elles fassent le lien avec le contexte de politiques publiques dans lequel on est et ce que les acteurs font et produisent. Nous le faisons avec énormément d’humilité parce que chacun d’entre vous est un expert dans son domaine. L’humilité sied parfaitement à notre approche car elle peut permettre d’aboutir au bout de ces deux journées à des conclusions inachevées certes mais porteuses d’espoir. S’il n’y avait pas d’espoir je ne serais pas ici. Je voudrais rappeler qu’un Conseil consultatif a été créé sur lequel nous nous sommes appuyé pour développer cette réflexion et nous amener là où nous sommes aujourd’hui. Dans ce cadre, j’aimerais remercier Niagalé Bagayoko, Ousmane Sy, Mahaman Tidjani Alou et 14

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

Gilles Yabi, qui nous ont permis de réfléchir au meilleur moyen de mettre en place ces Concertations. Le Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest a mis à notre disposition un document intitulé Sahel à venir : ce qu’aujourd’hui nous apprend sur demain. Tout à l’heure, Sarah Lawan va faire un bref exposé sur un certain nombre de facteurs que nous avons appelés certitudes, mais prenez ces certitudes avec flexibilité intellectuellement parlant, parce que ce sont des facteurs qui nous contraignent en terme d’espace de définition de solutions. C’est un paramètre fondamental du manuel que nous avons élaboré. Entre août et octobre, nous avons tenu un certain nombre de sessions de discussion. Lors de chaque session, un membre du Conseil consultatif disposait d’une « carte blanche » pour choisir les thèmes abordés et les intervenants de son choix. Les débats ont toujours été en format Chatham House pour que nous puissions bâtir sur ce qui est dit par chacun d’entre nous. Dans ce processus nous ne cherchons pas à construire un scénario d’avenir, en sommes-nous même capable ? Les membres du Conseil ont voulu porter leur attention sur le fonctionnement des appareils politicoadministratifs de la région afin de réfléchir à de nouveaux paradigmes de gouvernance. Beaucoup d’entre vous sont des experts, des spécialistes des questions de gouvernance. Ce qui ressort de l’ensemble des analyses, qui ont été développées au cours des sessions,


Introduction

Les digues gouvernementales risquent de rompre face à l’ampleur des mutations qui sont à l’oeuvre c’est cette constante réaffirmation du rôle clef de la gouvernance. Ce concept va être ouvert, déconstruit et reconstruit, mais il nous semble que c’est un aspect tout à fait majeur. Au regard des facteurs contraignants, les digues gouvernementales courent le risque d’être rompues en terme de ressources financières et de capacité intrinsèque pour faire face à l’ampleur des mutations qui sont à l’oeuvre. Ces mutations, qui concernent l’ensemble de l’Afrique qu’elles soient d’ordre démographique, technologique, de la gestion des ressources naturelles, entre autres, viennent en complément de la superposition des crises complexifier notre capacité à définir des politiques publiques. Ces dernières ne sont plus aujourd’hui du seul fait ni se la seule

responsabilité des autorités publiques. Il y a un changement de réflexion à opérer, un shift, sur le sens propre du terme « public ». Nous vous avons conviés pour vous écouter et nous sommes très honorés que vous soyez là. Nous avons la conviction que, mis bout-à-bout, vos domaines d’expertise et votre connaissance intime de la région peuvent contribuer à réduire notre ignorance et le gap qui existe entre la réalité du terrain et les pratiques de politiques publiques telles que nous les connaissons aujourd’hui. Durant ces deux jours, nous vous invitons à discuter, à débattre et à partager nos connaissances, pour déblayer des pistes de réflexion qui peuvent nous aider tous à contribuer à cette réconciliation des savoirs et du pouvoir. Pour terminer, je ré-insiste sur le terme « humilité ». C’est la motivation fondamentale qui nous anime. Elle doit servir de moteur au potentiel d’imagination de solutions.

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

15


Gérer le réel, préparer l’avenir

Gérer le réel, préparer l’avenir Présentation de Sahel à venir : ce qu’aujourd’hui nous apprend sur demain Sarah Lawan Gana Conseillère des relations extérieures du Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, autrice de Sahel à venir Exposé réalisé le 22 novembre 2021 Les Concertations sahéliennes reposent sur l’analyse des perspectives d’avenir au Sahel que nous détaillons dans la publication Sahel à venir : ce qu’aujourd’hui nous apprend sur demain. Ce document présente d’une façon accessible les travaux du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, des évaluations d’experts et contient de nombreux visuels riches en information. Nous y mettons l’accent sur sept faits clés qui détermineront, selon nous, l’avenir de la région à l’horizon d’une génération (à savoir environ 20 à 25 ans). Ces faits constituent ce que nous appelons « la partie visible de l’avenir ». Le premier fait concerne la démographie. Au cours des 20 dernières années, la population de l’Afrique de l’Ouest est passée de 244 à 418 millions d’habitants. Les démographes affirment que la population des pays sahéliens doublera encore en l’espace d’une génération. Les projections de l’ONU confirment cette hypothèse. En 2040, la population de l’Afrique de l’Ouest devrait ainsi atteindre 700 millions d’habitants. Avec 330 millions d’habitants, le Nigéria 16

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

deviendrait le quatrième pays le plus peuplé du monde après la Chine, l’Inde et les ÉtatsUnis. La population sera multipliée par 1.68 au Burkina Faso et au Tchad, 1.73 au Mali, et 2 au Niger (qui pourrait compter autant d’habitants que la France à l’horizon 2050 alors qu’il est aujourd’hui 3 fois moins peuplé). Le deuxième fait concerne l’agroalimentaire informel. L’économie alimentaire est la pierre angulaire des économies ouest-africaines. Aujourd’hui, elle représente 35 % du PIB régional, ce qui la place devant les cultures de rente ou encore les exportations de pétrole et de gaz. En outre, deux tiers des femmes actives travaillent dans le secteur alimentaire où elles représentent 51 % de la main-d’œuvre. Dans les pays sahéliens, l’économie alimentaire est très majoritairement agricole et rurale. Elle est basée sur les productions agro-sylvopastorales et halieutiques. En 2040, l’économie alimentaire sera encore largement dominante et toujours informelle. Cependant, la croissance inédite des villes entraînera une diversification dans ses composantes non agricoles et urbaines. Et l’espace informel demeurera le système


Gérer le réel, préparer l’avenir

économique principal car sa logique n’est pas l’accumulation du capital mais un partage du travail qui permet d’accueillir sans cesse de nouveaux opérateurs. Il est consubstantiel aux sociétés en transition démographique. Le troisième fait concerne le digital. Avec l’arrivée massive de la téléphonie mobile dans les années 2000, l’Afrique de l’Ouest a effectué un bond technologique. La hausse du nombre d’abonnés uniques à la téléphonie mobile (environ 80 millions depuis 2000) est essentiellement portée par le nombre de jeunes consommateurs qui s’équipent d’un portable pour la première fois. Dans 20 ans, 60 % de la population devrait disposer d’un téléphone portable, qui reste la principale plateforme d’accès à internet. L’économie et les sociétés sahéliennes seront profondément marquées par la numérisation. Malgré le manque d’électricité et d’infrastructures numériques, la transformation digitale produit déjà des changements structurels importants. Elle ouvre des perspectives inédites dans les domaines de la numérisation des services administratifs, du développement de solutions intelligentes pour les communautés rurales et pour l’économie informelle. Elle entraîne également la démocratisation des services de mobile money, l’apparition de plateformes de e-commerce et le partage des prix du marché. La jeunesse s’en empare enfin pour ouvrir des espaces d’expression et d’engagement citoyen. Le quatrième fait sur lequel nous mettons l’accent est le climat. D’après les climatologues, l’élévation des températures à l’intérieur des terres du Sahel occidental pourrait être de l’ordre de 4°C d’ici la fin du XXIe siècle (par rapport aux années 80). Concernant la pluviométrie, les avis divergent. Cependant, les travaux du GIEC et d’Agrhymet mettent en lumière l’inéluctabilité de la répétition de phénomènes hydro-climatiques extrêmes. Si depuis 10 ans, la pluviométrie semble plutôt satisfaisante, cela ne doit pas masquer le développement de sécheresses

localisées, d’inondations flash, d’érosion des terres, et du tarissement des sources. Ces phénomènes imprévisibles occasionnent d’importants dégâts sur les cultures et les infrastructures. Ils pourraient avoir des répercussions néfastes sur les moyens d’existence et la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Les femmes, qui gèrent l’approvisionnement en eau, en fourrage et en bois, seraient particulièrement impactées. Le cinquième fait concerne l’urbanisation. À l’horizon d’une génération, le Mali, la Mauritanie et le Sénégal deviendront majoritairement urbains. Le Burkina Faso sera à moitié urbain et à moitié rural. Le Niger et le Tchad, quant à eux, demeureront majoritairement ruraux. Au Nigéria, on estime que 65 % de la population vivra dans une agglomération urbaine en 2040 (près de 70 % en 2050). Les villes petites et moyennes ont une croissance beaucoup plus rapide que les capitales et les autres grandes villes. Le principal moteur de cette urbanisation n’est pas l’exode rural mais, au contraire, la croissance démographique in situ. Entre 2015 et 2020, au Niger, 29 bourgs ruraux ont franchi le seuil des 10 000 habitants, soit l’équivalent de 6 nouvelles agglomérations urbaines par an en moyenne. Un véritable basculement urbain est en train de s’opérer sous nos yeux au Sahel. Il s’accompagne d’une densification du peuplement rural à proximité des centres urbains. Cela augmente la pression sur les ressources naturelles et contribue à déstabiliser le fragile équilibre qui existe entre les surfaces cultivées et zones de pâturage. Cette recomposition territoriale exacerbe les tensions entre éleveurs et agriculteurs. Le sixième fait est en rapport avec le phénomène transfrontalier. Une partie importante de la population sahélienne réside à moins de 100 km d’une frontière : 45 % au Mali, plus de 50 % au Burkina Faso, en Mauritanie, au Sénégal, près de 60 % au Tchad. La vallée Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

17


Gérer le réel, préparer l’avenir

du fleuve Sénégal, le Liptako-Gourma, la frontière nigéro-nigériane ou le bassin du lac Tchad sont des zones transfrontalières très peuplées et fortement intégrées. La croissance des villes frontalières est presque toujours supérieure à celle des autres villes. Du simple fait de la croissance démographique, les bassins transfrontaliers vont se densifier et les échanges, notamment les échanges commerciaux, vont croître très rapidement. L’intégration régionale « par le bas » va donc se poursuivre et renforcer le besoin de coopération entre États. Le Sahel est aussi caractérisé par une intense mobilité humaine. Les populations commercent à travers le Sahara et vers la Côte, pratiquent des migrations saisonnières de travailleurs agricoles et s’adonnent au pastoralisme transhumant, construisant ainsi des « couples migratoires » transnationaux qui s’appuient sur les proximités ethnolinguistiques de part et d’autre des frontières. Ces migrations internationales, bien que mal appréhendées par les statistiques officielles, s’opèrent très majoritairement au sein de la région. Sauf contraintes politiques (voire sécuritaires), elles se poursuivront et augmenteront au moins au rythme de la croissance démographique. Enfin, le septième fait qui compose « la partie visible de l’avenir » est la gouvernance. Dans les pays sahéliens enclavés, les recettes des administrations publiques (hors aide extérieure) oscillent entre 200 et 450 dollars par an et par habitant. Pour comparaison, elles sont de l’ordre de 4 000 dollars en Algérie et de 25 000 dollars en France. Le nombre d’agents de la fonction publique au Sahel est également très faible : on compte 6 agents de l’État pour 1 000 habitants au Mali contre 70 aux ÉtatsUnis ou 90 en France. Pourtant, la masse salariale de la fonction publique dans les pays sahéliens de l’UEMOA représente environ 40 % des dépenses publiques alors qu’en Europe, la part consacrée à ce poste se situe entre 5 et 15 %. Les gouvernements sahéliens sont donc actuellement dotés de très peu de moyens pour concevoir, financer et mettre en œuvre leurs politiques publiques.

18

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

Dans les 20 prochaines années, il faudrait multiplier par deux les ressources budgétaires et le nombre de fonctionnaires pour faire face au doublement de la population. Mais cela permettrait uniquement de maintenir les faibles niveaux actuels de dépenses et d’agents de l’État. Face à l’augmentation et à l’imbrication des crises alimentaire, sécuritaire, humanitaire, sanitaire, socio-économique, sociopolitique et climatique, la seule marge de manœuvre des États réside dans les arbitrages. Pour conclure, il apparaît que les initiatives locales et les acteurs locaux joueront un rôle instrumental dans les politiques publiques de demain. Les sociétés sahéliennes s’organisent localement pour disposer d’un minimum de services publics. De nombreuses modalités alternatives sont déjà expérimentées comme : la gestion de centres de santé par les habitants, des écoles communautaires, des tribunaux itinérants, les formations de paysans par des paysans, des groupes civils d’auto-défense, des initiatives citoyennes de production de bavettes anti-Covid-19 ou de nettoyage des rues, des dialogues locaux pour la paix et la réconciliation, des festivals de cohésion sociale entre agriculteurs et éleveurs.

Les initiatives locales se développent pour compenser la faiblesse des puissances publiques Compte-tenu de la puissance et de la rapidité des dynamiques présentes et futures, d’une part, et de la précarité des moyens financiers et humains des États, d’autre part, nous pensons que les initiatives locales vont continuer à se développer pour compenser la faiblesse des puissances publiques. Elles seront portées par des acteurs émanant des territoires locaux. Ces acteurs seront plus exigeants en termes de droits, de libertés et de redevabilité. Comme le résume bien Ousmane Sy, « l’écoute ou la non-écoute de ces acteurs déterminera les 20 prochaines années ».


Gérer le réel, préparer l’avenir

Discussion Depuis les années 90, les études prospectives du CSAO (Sahel 21 et WALTPS) conduisent aux mêmes conclusions – à l’exception de ce qui concerne le digital. Les tendances lourdes sont connues mais il faut dorénavant prendre en compte les nouvelles crises qui se superposent et faire face à l’urgence. Cela conduit à questionner l’intelligence des États à prendre en charge la complexité.

La déconnexion entre les décisions politiques et la vie des citoyens, entre l’État et la communauté régionale et internationale, impose de repenser la gouvernance Un des points saillants qui a émergé de la discussion sur l’avenir du Sahel est le constat partagé de la profonde déconnexion qui existe entre les décisions politiques et la vie des citoyens, entre l’État et la communauté régionale et internationale, qui impose de repenser la gouvernance. La réalité de la gouvernance contemporaine tire ses racines d’un passé colonial. Or, les États postcoloniaux sont en décomposition, leur ADN est dénaturé par une gouvernance qui fonctionne sur le principe de la prédation. Les systèmes de planifications sont structurés par rapport aux priorités des autres. La définition des programmes de décentralisation en fonction des stratégies des partenaires techniques et financiers (PTF) doit interroger la responsabilité des élites. Cependant, l’État existe malgré ses défaillances. Il faut déconstruire les caractéristiques de fonctionnement des États en tenant compte de

ces spécificités pour mieux calibrer les attentes, penser la « non-gouvernance » des États par exemple. Les évolutions du Sahel oscillent entre la rupture provoquée par des mutations sociales et la permanence des réponses apportées. La dissonance vient du fait que l’on veut toujours appliquer des modèles figés sur des sociétés dynamiques. Trop de valeurs sont importées ou singées (comme les ODD, la justice). Aux termes de référence des institutions de Bretton Woods, on pourrait opposer des « termes de pertinence ». Il faut sortir du « modèle voyageur », qui consiste à appliquer partout un projet qui a fonctionné quelque part. Les États n’ont pas assez d’agents pour fournir un service publique convenable. Il est nécessaire de réfléchir ensemble aux modalités permettant de pallier ce déficit d’action étatique. La société civile doit être mobilisée pour agir maintenant sur des problématiques qui s’inscrivent dans l’instantanéité. Il faut une plus grande implication de la jeunesse pour un renouveau du Sahel, en transformant notamment sa défiance en confiance par des propositions alternatives viables et valables pour contrer le jihad. La situation sécuritaire menace les États du Sahel et fait même craindre leur disparition. « Nous sommes dans l’œil du cyclone. » Certains participants ont souhaité que l’accent soit mis sur cette dimension qui vient tout écraser et placer la région dans l’urgence. Effectivement, en 2020, le nombre de victimes résultant d’attaques violentes au Burkina Faso, au Mali et au Niger a atteint des niveaux records, en augmentation de 30 % par rapport à l’année précédente déjà inégalée. Le nombre de victimes civiles dépasse désormais celui attribué aux combats entre le gouvernement et les groupes armés, et les zones frontalières sont particulièrement touchées. Malgré cette escalade qui continue crescendo en 2021, prévoir l’avenir de la violence et des conflits

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

19


Gérer le réel, préparer l’avenir

n’est pas chose facile. On peut néanmoins affirmer qu’un certain nombre de causes sousjacentes aux insécurités actuelles seront encore présentes dans les prochaines décennies. En particulier : les sentiments d’injustice (réelle ou perçue) spécifiques à chaque localité ; les pressions sur les ressources naturelles, les modalités d’accès à ces dernières, les modifications de pouvoir qui en découlent ; et les nombreux autres facteurs politiques et socio-économiques. Quelque chose ne fonctionne plus dans le vivreensemble. Il faut renforcer les dynamiques de paix endogènes locales. Il faut changer de paradigme par rapport à l’État, arrêter le paternalisme – l’appropriation doit se faire du bas vers le haut et non l’inverse – et aller audelà des modèles préconçus et uniformisants, notamment sur la notion de retour de l’État. Le livret Sahel à venir : ce qu’aujourd’hui nous apprend sur demain a beaucoup de qualités mais ses données statistiques gagneraient à être complétées par des aspects plus profonds et

20

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

nuancés sur les questions sociales, religieuses et culturelles. Le fonctionnement des États, par exemple, doit être approfondi pour une meilleure compréhension des enjeux inhérents à leurs processus et mécanismes. De plus, la visualisation de chiffres ne suffit pas à rendre compte de la qualité de l’enseignement du primaire au Niger, par exemple, ou de la pratique de la gouvernance jihadiste dans certaines zones. Il faut donc aller vers des méthodes mixtes alliant les données à des analyses qualitatives. Tout discours alarmiste doit être contrebalancé par la résilience des populations. Une analyse d’expert peut suggérer qu’il est impossible de vivre dans certaines zones du Sahel, pourtant des populations y vivent bel et bien. Le capital immatériel, la capacité d’innovation locale et de résistance des sahélien·ne·s peuvent parfois contredire certaines prévisions. En miroir de la grande vulnérabilité des populations, il s’agit de mettre en exergue les potentialités et les ressorts propres aux sociétés (comme les cousinages de plaisanterie).


Gouvernance

Gouvernance Préambule La prévalence de l’expertise des grandes organisations internationales à propos de la gouvernance démocratique, la taxonomie introduite par les Nations Unies dans les années 90 qui perdure et la pluralité des outils de mesure de cette dernière (des États, des partenaires, des ONG) entrainent une frilosité de la recherche vis-à-vis d’un sujet qui pourtant fascine. Le sujet de la gouvernance est à la fois émergent et complexe, si bien que l’on a du mal à l’appréhender. Le terme « gouvernance » est devenu une manière de tout qualifier (politique, sécurité). Le caractère inclusif (ou comment impliquer tous les acteurs concernés), les notions de transparence et de redevabilité envahissent ce champ. La gouvernance requiert une classification plus pertinente pour permettre une mise en cohérence avec un monde contemporain marqué par un large éventail de pratiques et la coexistence d’intérêts stratégiques. Avec quels outils ? Par quels acteurs ? Qui mérite l’aide ? Qui sélectionne ? Quel est le régime le plus approprié aux États sahéliens (démocratie électoraliste, pluralisme) ? Quels sont les rapports de force entre les politiques et la bureaucratie intermédiaire – les petites mains de l’État ? La société civile ne s’estelle pas « gentrifiée », voire aristocratisée ? Les collectivités locales mises en place par l’État et les pouvoirs coutumiers sont-ils toujours le premier degré de l’administration publique ? Quelles sont les structures paraétatiques ?

Quid des projets ? Quelles sont les autorités de régulation ? Où placer le secteur privé ? Tout cela est très complexe. Le contexte – mutations sociales rapides, exigences des populations, interpellations quotidiennes qui fusent de toutes parts – pose la question de la redevabilité d’une gouvernance réactive, ou responsive. Comment faire ré-émerger l’État alors qu’il est déprimé, déflaté, délégitimé ? Dans ce contexte incertain, l’État est clairement concurrencé à l’intérieur (la place prise par les acteurs privés, par les ONG) comme à l’extérieur (la question des troupes étrangères sur le terrain de la sécurité – l’extérieur agit comme un acteur politique local en décidant, en finançant). Comment éviter l’écueil de la gouvernance comme outil de contrôle politique, comme expression d’un rapport de force ? À qui profite la bonne gouvernance ? Comment corréler la performance des espaces politiques avec des processus sociaux qui peuvent être lents, voire réversibles ? Comment accompagner les grandes transformations historiques ? Les débats sont difficiles pour parler d’une notion devenue fourre-tout. Des conclusions opératoires sont compliquées à atteindre. Tout ceci induit cependant une prise de conscience progressive du sujet chez chacun d’entre nous pour déterminer de quelle gouvernance nous parlons. Concentrons-nous sur la gouvernance étatique et les moyens nécessaires pour la rendre plus équitable et plus inclusive.

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

21


Gouvernance

Discussion La gouvernance est très chargée idéologiquement. Il faut la contextualiser dans l’espace et dans le temps. Quelle est l’offre pour les villageois ? Comment aller au-delà de la période d’un projet ? « On ne peut pas s’atteler à des causes structurelles avec des méthodes d’urgentiste ! » Il faut harmoniser le temps de la mondialisation, des populations et celui de l’État. Pour appréhender l’avenir du Sahel, il faut également se poser la question de ce qu’hier nous apprend sur aujourd’hui. L’Empire du Kanem Bornou, qui a duré 1 000 ans, a bien dû mettre en place des systèmes de gouvernance performative, ou fonctionnelle. Il faudrait mieux les étudier, s’intéresser aux coutumes administratives et politiques d’antan. Un grand chantier de la recherche reste encore à entreprendre pour comprendre ces modes de gouvernance locale que l’on a souvent positionnés par rapport à l’historiographie européenne. Tout se passe comme si on avait cherché à configurer des États plus que des fonctionnements d’États, qui eux restent encore méconnus. Tout en déconstruisant le passé colonial, nous devons reconnaitre que nos États ne sont pas achevés, qu’ils sont en construction. Que faire du legs des indépendances ? On parle de la faiblesse de l’État alors qu’il faut au contraire faire preuve d’une certaine solidité pour suivre tous ces changements. Il serait plus juste d’évoquer un « État en chantier » que l’on construit tout en gérant le présent. Au Niger, par exemple, le Trésor Public était dirigé par un coopérant français jusqu’au début des années 70. On fait trop souvent abstraction du besoin de renforcement de nos États. La gouvernance doit être décomposée dans ces éléments principaux faute de quoi nous ne pourrons passer aux solutions. Lorsque l’on se compare à l’Asie, on a l’impression que nos élites ne sont pas animées par l’intérêt

22

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

général et le bien collectif. Nous avons besoin de reconnecter les élites et la société. Il y a un problème d’appropriation de nos propres règles. Peut-on attendre d’un député qui a été payé pour être là où il est de rendre des comptes ? On observe un tiraillement entre les différents registres de redevabilité, entre le public, le privé, le communautaire… L’homme n’est pas vertueux par nature, il faut veiller à mettre en place des dispositifs de sanction qui fonctionnent. Pour faire face aux chocs, il faut employer des moyens démocratiques, utiliser la discussion et la négociation. Certains se demandent même si la gouvernance démocratique est adaptée à nos sociétés. Au Sahel, demander l’avis des autres est bien souvent synonyme de mauvaise gouvernance. Le modèle de gouvernance rwandais est perçu plutôt positivement. Il faut reconnaître que la gouvernance autoritaire innerve nos cultures, elle est également en lien avec notre histoire coloniale. En outre, il faut tenir compte de la barrière de la langue officielle dans le fonctionnement de l’État. Au Mali, par exemple, il y a des parajuristes pour traduire aux populations rurales les procédures judiciaires et les conseils légaux du français vers les langues vernaculaires. Il faut agir sur la corruption, la malversation et les lois qui protègent les gouvernants qui minent nos États. « Le mutisme du peuple engendre un esclavage politique et la mal gouvernance. » La société civile doit aller au-delà de son rôle d’observateur et prôner la transparence. « Il faut être réaliste, le chômage, le changement climatique, le manque d’infrastructures, la drogue ou la délinquance existent ailleurs sans qu’il y ait de Kalash. Au Sahel, les populations ne sont pas écoutées, l’armée commet des exactions, etc. Cela fait 15 ans que l’on parle des mêmes choses et aujourd’hui on se retrouve à devoir choisir entre un système juridique hérité de la colonisation et la charia. Tous ces problèmes sont le miroir de nos sociétés. La


Gouvernance

Box 2.1: Définitions de la gouvernance et de la redevabilité Qu’est-ce que la gouvernance ? La gouvernance est la somme de décisions, approches et actions par lesquelles les institutions, les processus et les systèmes gèrent des ressources qui produisent des résultats ayant un impact sur les citoyens ou les parties prenantes. La gouvernance affecte la vie quotidienne et les perspectives des citoyens et permet de concrétiser leurs droits et leurs valeurs. Elle détermine si et comment les citoyens ont accès à des services tels que l’eau, les soins de santé et l’éducation ; si et comment les citoyens peuvent créer une entreprise ou planifier leur avenir ; et si et comment les citoyens peuvent demander réparation lorsque les droits qu’ils avaient prévus ne sont pas réalisés. Le Programme des Nations unies pour le développement définit la gouvernance comme « l’exercice des pouvoirs économiques, politiques et administratifs pour gérer les affaires des pays à tous les niveaux. Elle comprend les mécanismes, procédés et institutions par lesquels les citoyens et les groupes articulent leurs intérêts, exercent leurs droits légaux, remplissent leurs obligations et gèrent leurs différences. »

Qu’est-ce que la redevabilité ? La redevabilité regroupe les canaux, processus et relations permettant d’examiner, d’intervenir et de réagir auprès des responsables de décisions, approches et actions associées à la manière dont les ressources sont gérées. La redevabilité est la manifestation du pouvoir d’action des personnes et la façon dont elles remettent en question, répondent et/ou changent les décisions, la conduite et les actions – inactions – de ceux qui gèrent les ressources qui produisent des résultats ayant un impact sur leur vie. Le think tank Institute for Government définit la redevabilité comme « une relation entre ceux qui sont responsables de quelque chose et ceux qui ont un rôle dans le jugement de la façon dont cette responsabilité a été assumée. » Lien vers les définitions figurant dans la page sur les normes sociales et gouvernance responsable du site de la Chatham House : https://www.chathamhouse.org/about-us/our-departments/ africa-programme/social-norms-and-accountable-governance-snag#definitions

corruption, ce sont nos amis, notre famille ; les décideurs, c’est nous ; l’État, c’est nous ! » « La gouvernance étatique repose sur un équilibre précaire tant on a sous-estimé la coutume qui est une entité vivante. » Dans sa dimension globale, elle inclut la chefferie qui est la première forme d’administration publique locale et qui fonctionne avec des lois coutumières. Nos pays possèdent ainsi une administration hybride basée sur une administration d’État à laquelle est connectée une pluralité d’administrations coutumières aux règles différentes. En Afrique de l’Ouest, pas moins de 8 modes de gouvernance ont été relevés sur la base de données empiriques [Étude et Travaux n°79

du LASDEL, 2009]. Selon les pays, l’autorité traditionnelle s’est adaptée différemment. Au Niger, elle est consubstantielle à l’élite et aux dirigeants. Pour autant, doit-on aujourd’hui envisager d’avoir recours aux autorités traditionnelles en matière de justice et de sécurité pour pallier le déficit d’État ?

Nous avons besoin d’un État qui n’est pas là Nous avons besoin d’un État qui n’est pas là. Comment le réinventer ? Au nord du Nigéria, il n’y a plus de taxes depuis les années 80. Elles sont maintenant réintroduites par les bandes armées et les terroristes. La question

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

23


Pluralité des acteurs et des nouvelles alliances

de la reconstruction d’une autorité politique qui puisse assurer la sécurité et le bien-être du peuple se pose avec acuité. Quelle gouvernance est menée, selon que l’on parle des autorités coutumières, religieuses, des groupes armés, etc. ? Peut-on faire de ces acteurs « alternatifs », qui possèdent une certaine

indépendance vis-à-vis du politique, des substituts de l’État ? Ces derniers sont écoutés, respectés et reconnus. Par ailleurs, on remarque que les citoyens choisissent les offres à disposition (institutionnelles d’État, coutumières, religieuses, communautaires) selon leurs propres intérêts.

Pluralité des acteurs et des nouvelles alliances La situation d’insécurité et de défaillance des États qui prévaut au Sahel suscite de nouvelles alliances. Aujourd’hui, des pans entiers de la délivrance du service public sont désormais pris en charge par des acteurs nongouvernementaux. L’État doit cohabiter et composer avec une multitude d’autres acteurs plus ou moins visibles et émergents qui sont en demande d’articulation. Paradoxalement, le besoin d’État apparait comme central pour ces acteurs.

Des pans entiers de la délivrance du service public sont pris en charge par des acteurs non-gouvernementaux Alors que l’on observe une hausse du nombre de sociétés de sécurité privées actives dans des domaines relevant habituellement de l’action régalienne, les opérateurs économiques « classiques » se sentent étouffés par des États qui ne parviennent pas à les impliquer audelà de leur simple rôle d’employeur. Ils sont pourtant au cœur de la société et, à ce titre, devraient être intégrés à la co-construction des politiques publiques de développement tout en faisant preuve de redevabilité. Pour sa part, la société civile a besoin d’un meilleur encadrement et d’une meilleure prise en charge par l’État afin que les réponses qu’elle apporte soient libres et transparentes, 24

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

en adéquation avec la société et sans influence extérieure. On note une multiplication des partenaires internationaux, des pays occidentaux mais également ceux issus du Moyen-Orient (Arabie Saoudite, Qatar, Turquie). Les réseaux d’influence de ce dernier sont conséquents et interfèrent dans l’action et la construction de l’État-nation au Sahel. Sur le terrain, on constate que des rapports de force se mettent en place autour de l’exercice d’un soft power moyen-oriental. Au Mali, l’influence de l’Arabie Saoudite et du Qatar, déjà importante, se voit aujourd’hui concurrencée par l’Iran et l’influence des chiites qui est en progression. Ces phénomènes créent même des tensions entre les familles au gré des alliances qui se font et se défont. Cette imprégnation s’illustre aussi par la création de centres culturels, de charité ou d’enseignement financés par ces pays. En Mauritanie, certains centres de formation ont dû être fermés par l’État. L’influence turque est elle aussi bien réelle, incarnée par la prolifération de ses écoles. Les religieux s’imposent dans les arènes publiques de façon plus ostentatoire (à l’instar de l’Imam Dicko au Mali) sans que leurs rôles soient clairement définis. Force est de constater que la religion et le religieux fonctionnent par endroit : dans certaines zones où il y a des assises jihadistes, les règlements de conflits entre les populations sont plus facilement effectués. De fait, l’idée de droit à la justice a surpassé la terreur que ces populations pouvaient ressentir face à une présence jihadiste.


Pluralité des acteurs et des nouvelles alliances

Le sort des diplômés d’écoles coraniques ou « arabisants » doit être mieux pris en compte car ils sont les premiers touchés par le manque d’insertion professionnelle et, de ce fait, seraient plus enclins à basculer dans l’extrémisme violent. La prolifération des médersas (écoles coraniques) est un phénomène que l’on peut observer un peu partout au Sahel, sans qu’il n’y ait de régulation ni de réelle politique d’encadrement. Au Mali, les « arabisants » sont intégrés dans la police et la gendarmerie.

En Mauritanie et au Niger, des efforts de déconstruction du discours jihadiste basés sur le Coran sont entrepris par des organisations locales, avec l’aide d’associations d’Oulémas (théologiens connaisseurs du droit musulman), de Mourchidates (prêcheuses) et de Muslihs (conciliateurs qui règlent les conflits). Ces efforts sont répliqués au niveau régional.

Box 2.2: De la déconstruction du discours religieux contre le radicalisme et l’extrémisme violent par la Ligue des Oulémas, Prêcheurs et Imams du Sahel (LOPIS) La Ligue des Oulémas, Prêcheurs et Imams du Sahel (LOPIS) a été créée en 2013 à Alger. Elle compte 11 pays membres, dont 8 membres permanents de l’Unité de Fusion et de Liaison des pays du Sahel (UFL) basée à Alger (Algérie, Burkina Faso, Libye, Mauritanie, Mali, Niger, Nigéria et Tchad) et 3 pays observateurs dans ladite unité (Guinée, Sénégal et Côte d’Ivoire). Rencontres organisées par la LOPIS depuis sa création : • 1er Atelier à Alger en janvier 2013 : sur la création de la Ligue et l’adoption des statuts et du règlement intérieur. • 2e Atelier à Alger en avril 2013 : Adoption de la Déclaration finale « Appel des érudits », qui prévoit la promulgation d’une fatwa interdisant le paiement de rançons. • 3e Atelier à Alger en novembre 2015 : sur « l’Afrique et la menace de l’extrémisme violent », particulièrement sur le rôle de la femme africaine dans l’orientation religieuse pour contrer l’extrémisme religieux. • 4e Atelier à Dakar en mai 2016 : sur « les valeurs de la convivialité et de la paix dans la lutte contre l’extrémisme violent dans les pays du Sahel », particulièrement sur l’importance des valeurs islamiques de tolérance de d’humanité. • 5e Atelier à N’Djamena en janvier 2017 : sur « le rôle des Imams de la région du Sahel dans la protection des jeunes contre la radicalisation et l’extrémisme violent », particulièrement sur la double protection à leur égard qui devrait émaner des États sahéliens et des leaders religieux. • 6e Atelier à Nouakchott en juillet 2017 : sur « les procédés du renforcement des manuels d’enseignement de l’éducation religieuse dans les écoles des pays du Sahel », particulièrement sur la promotion des valeurs d’un bon comportement dans la religion musulmane. • Un Atelier extraordinaire a été organisé à Alger en décembre 2017, en collaboration avec le Centre africain d’études et de recherches sur le terrorisme (CAERT) : sur « l’importance de l’éducation religieuse dans les écoles et la promotion de son enseignement pour contrer les idées subversives et extrémistes étrangères aux sociétés du Sahel ». • 7e Atelier à Conakry en mai 2018 : sur « les valeurs et les principes de l’Islam dans la lutte contre le radicalisme et l’extrémisme violent », particulièrement sur le dialogue interculturel et interreligieux. • 8e Atelier à Agadez en septembre 2018 : sur « les valeurs et les principes de l’Islam dans la lutte contre le radicalisme et l’extrémisme violent », particulièrement sur l’importance de la promotion des valeurs de paix et de réconciliation notamment à travers les réseaux sociaux.

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

25


Pluralité des acteurs et des nouvelles alliances

• 9e Atelier à Abidjan en mars 2019 : sur « le rôle des leaders religieux dans la promotion du développement local pour la lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent », particulièrement sur la mise en place de programmes pratiques pour le tarissement des sources du terrorisme. • 10e Atelier à Nouakchott en septembre 2019 : sur la finalisation du « guide des bonnes pratiques pour l’enseignement de l’éducation religieuse dans les stratégies nationales en matière de traitement de l’extrémisme violent ». • 11e Atelier à Bamako en décembre 2019 : sur l’adoption et publication du « guide des bonnes pratiques en matière d’enseignement de l’éducation religieuse pour faire face aux dangers de l’extrémisme ». • 12e Atelier à Ouagadougou en juillet 2021 : sur « remédier à l’extrémisme : acceptation de l’autre, de la théorie à la pratique », particulièrement sur l’importance de la coexistence. • 13e Atelier à Niamey en novembre 2021 : sur « le rôle de la femme dans la prévention de la radicalisation et de l’extrémisme religieux » et son implication dans l’établissement de la paix sociale. • 14e Atelier à Abuja en décembre 2021 : sur « le rôle des Oulémas dans la lutte contre l’extrémisme, le terrorisme et le crime organisé dans la région du Sahel », particulièrement sur leur mission face à la falsification des concepts de l’Islam. Le « Guide des bonnes pratiques contre l’extrémisme » est le fruit d’un travail de plusieurs années. Il comprend trois axes traitant de la terminologie, de la morale et des ambiguïtés. Il est prévu que ce Guide soit mis à la disposition des oulémas, prêcheurs et imams en vue de « lutter contre l’extrémisme, rétorquer aux ambiguïtés et renforcer les principes de la paix et de la réconciliation ». Lien vers le site de la LOPIS : https://lopis.org/?lang=fr Lien vers le site du CAERT : http://www.caert-ua.org/

Zoom sur les réseaux sociaux Les réseaux sociaux et leurs influenceurs jouent désormais un rôle important dans la création de nouvelles alliances et dans la fabrication de l’opinion publique. Ils sont même devenus des espaces et des acteurs incontournables de la mise en œuvre des politiques publiques et dans la responsabilisation des gouvernants. Au Nigéria, le hashtag #EndSars a eu un impact fort dans la mobilisation de la jeunesse contre les violences policières. Au Mali, l’amplification du « printemps des routes » sur les réseaux sociaux a eu une résonnance effective auprès des pouvoirs publics. Au Tchad, la campagne #Maalla_Gatétou (qui signifie « pourquoi vous avez coupé ? » en arabe tchadien) a été initiée par l’ONG Internet Sans Frontières (ISF) qui a mené une multitude d’actions (manifestations, financement d’accès et vulgarisation de l’usage du VPN [réseau privé virtuel parfois utilisé pour masquer une adresse IP et contourner les restrictions et filtrages géographiques], 26

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

actions en ligne, procédures judiciaires, saisines) sur l’ensemble du territoire national et dans la diaspora en vue du rétablissement d’Internet, bloqué pendant près d’un an. Après avoir œuvré à la lutte contre les fake news et les discours de haine en créant une plateforme tripartite de sensibilisation et renforcement des capacités rassemblant l’ensemble des acteurs du numérique, ISF est en train de développer un observatoire des réseaux sociaux tchadiens, tout en continuant de mener des actions citoyennes pour l’accès à une connexion Internet de qualité et à un coût abordable. Au Niger, #NigerRising a joué un rôle important dans la diffusion d’un narratif positif au sujet du « pays le plus pauvre du monde ». Toujours au Niger, lorsque l’initiative #Takara2021 a été lancée autour des programmes des candidats à l’élection présidentielle, elle a rencontré la soif d’apprendre des jeunes. Malgré les pressions, ses instigateurs se sont auto-formés


Pluralité des acteurs et des nouvelles alliances

Box 2.3: #Takara2021 – Tweet chat – Spéciale Élection présidentielle Le 27 décembre 2020 s’est tenu le 1er tour de l’élection présidentielle nigérienne (2e tour le 21 février 2021). Les élections législatives se sont déroulées en même temps que le premier tour. Mohamed Bazoum, dauphin du président sortant, et l’opposant Mahamane Ousmane, ancien président de 1993 à 1996, se sont qualifiés pour le second tour, à l’issue duquel le premier est élu avec 55,67 % des suffrages. Pour marquer cette première passation démocratique de pouvoir au Niger depuis son indépendance (le président Mahamadou Issoufou ne se présentant pas après 2 mandats selon les termes de la Constitution) et pour susciter un regain d’intérêt et de compréhension de la chose politique et des programmes des candidats, notamment auprès des plus jeunes qui votaient pour la première fois, l’Agence Zumunci Labs a initié le projet #Takara2021. « Takara » signifie « compétition » en haoussa. Ce projet citoyen, via les plateformes digitales Facebook et Twitter, a permis d’obtenir une meilleure visibilité sur les engagements des candidats, notamment grâce au soutien de personnes ressources choisies pour leurs connaissances des thématiques, leurs expertises avérées et leur probité. Même si les deux initiateurs du projet, Oumou Salam Kane et Tanimoune Ibrahim (avec l’appui de Noma Tamimoudari et Harou Rachid), sont localisés à Niamey, le projet #Takara2021de par son caractère digital a vocation à couvrir la vie politique du Niger entier pour les nigériens sur place et ceux de la diaspora. L’objectif est de décortiquer les programmes des deux candidats via un live chat, durant lequel les panelistes donnent un avis neutre sur les thématiques retenues : 1.  Promotion de la femme et protection de l’enfant (avec @INNAKARANTA) 2.  Environnement (avec @saniayoub) 3.  Santé (avec @DrDjamilaF) 4.  Gouvernance (avec @DjibrilSaidou) 5.  Numérique et secteur privé (avec @smird et @M_Hatchabi) 6.  Sécurité et défense (avec @abbaseidik) 7.  Économie (avec @ibrahimlouche et @harou_rachid) 8.  Énergie (avec @LaoualiFarouk) 9.  Tourisme (avec @MawliDayak) Durant les 7 semaines de l’entre-deux tours, avec l’appui de spécialistes, les programmes disponibles des candidats ont été décortiqués autour de grandes thématiques. À travers les 10 sessions du live chat, le projet #Takara2021 a eu comme résultat : • 22 696 852 personnes touchées • 3 828 publications • 866 personnes engagées dans les discussions Les sessions #Takara2021 concernent principalement les élections au Niger mais le compte @Citoyens227, ouvert pour « Donner la parole aux citoyens », se veut être un observatoire digital de la vie politique et publique du pays. Actuellement, l’Agence Zumunci Labs prépare un suivi des engagements et des promesses électorales par région du président élu. L’Agence postule également au fond de subvention Charter Project Africa, à destination des organisations de

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

27


Pluralité des acteurs et des nouvelles alliances

la société civile africaine qui utilisent les Civic Tech pour le renforcement de la gouvernance démocratique, afin d’acquérir des moyens financiers, appuis et expériences supplémentaires. Le principal obstacle a été qu’aucun des directeurs de campagne des candidats n’a donné suite à la demande de participation aux échanges. Le bénéfice le plus palpable est que de jeunes (et moins jeunes) nigériens ont pris conscience du pouvoir des réseaux sociaux sur la scène politique et de l’intérêt d’acquérir une meilleure connaissance des engagements des candidats. Cet éveil de consciences a permis d’aiguiser leur militantisme et leur engagement dans le processus électoral. Lien vers les live chat #Takara2021 sur Facebook : https://www.facebook.com/hashtag/takara2021 Lien vers les live chat #Takara2021 sur Twitter : https://twitter.com/search?q=%23Takara2021&src=hashtag_click Lien vers le compte @Citoyens227 : https://twitter.com/Citoyens227

au fact checking. Ils ont maintenant une fanbase qui leur fait confiance. Ils ont restitué leurs apprentissages, par exemple à travers la formation d’entrepreneurs à la vente en ligne. L’influence exercée sur les réseaux sociaux implique certaines formes de redevabilité.

L’âge des populations confère aux réseaux sociaux une place centrale Au regard de l’âge des populations, les réseaux sociaux ne peuvent plus être considérés comme une question périphérique. WhatsApp permet de contourner les interdits sociaux de manière très efficace. Facebook constitue un espace d’émancipation de la jeunesse en Afrique. Cependant, les likes et les débats sur des supports vidéos ou vocaux ne doivent pas affecter négativement le niveau d’expression des jeunes ou leurs modes de réflexion. Il faut également que les utilisateurs se prémunissent du buzz et de la culture de l’ostentation. Si les populations (en partie analphabètes) ont du mal à distinguer les fake news, il faut bien admettre que les rumeurs existaient bien avant les réseaux sociaux. Les groupes

28

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

WhatsApp se révèlent très utiles, y compris dans des domaines inattendus tels que le cadre de suivi de projet en permettant une conduite transparente de ce dernier. Ces nouveaux outils permettent aussi de remettre la diaspora au cœur des enjeux. Ils jouent un rôle très important dans les migrations : les candidats à l’exil restent connectés à leur village. Aujourd’hui, la transmission d’information va plus vite que ce que l’on dit. Les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) ont formé un empire dont les fake news ne sont que la partie émergée. Au-delà de la fonction utilitaire d’un smartphone, il faut regarder tout le potentiel de l’exploitation des métadonnées. Ces dernières peuvent être utiles (par exemple dans le partage d’information entre paysans sur la localisation des puits) ou relever d’une considération hautement stratégique pour la sécurité (comme par l’exploitation sérieuse des puces téléphoniques par opposition à des talkies-walkies non traçables). Les réseaux sociaux sont devenus tellement importants qu’il faut les prendre en compte dans tous les domaines (à l’image du genre). Il ne s’agit plus d’être « pour ou contre » les réseaux sociaux mais de se demander « comment les accompagner ? »


Pluralité des acteurs et des nouvelles alliances

Les enjeux des réseaux sociaux dépassent largement le Sahel. C’est un phénomène global qui peut mettre en péril le vivre ensemble, comme lorsque les réseaux servent de support à la propagande, à la désinformation ou encore de vecteur de diffusion de décapitations et autres exactions. D’une certaine manière, ces enjeux portent sur la place des technologies de communication dans la société : celle d’un outil neutre qui a la capacité d’amplifier les biais (la frustration, une certaine appréhension du monde) tout en transformant la vie. La question de l’usage des réseaux sociaux rejoint celle que l’on doit se poser pour le Sahel que nous voulons. Quelle est notre ambition ? Quelles sont nos aspirations ? Le monde est entré dans une nouvelle ère grâce aux réseaux sociaux et la connectivité qu’ils permettent. Internet en Afrique, ce sont les réseaux sociaux. Si l’Afrique est présente au monde, c’est grâce aux réseaux sociaux. Il faut

cependant garder en tête que c’est Facebook qui déploie nos infrastructures de connectivité, pour nous mais sans nous. Comment s’approprier les réseaux sociaux ? La Chine par exemple a développé son propre outil [Weibo]. Comment les utiliser comme levier ? Comment développer des plateformes d’engagement des citoyens qui permettent d’ouvrir des pays sahéliens enclavés ? Au Burkina Faso, les trois opérateurs téléphoniques étaient coupés [au moment de la séance plénière] en réaction à ce qui se passait à #Kaya. Dans un tel contexte, mieux vaut éduquer les gens à comprendre les réseaux sociaux et renforcer leur gouvernance plutôt que de se servir de lois de cyber sécurité pour entraver la liberté d’opinion Les lois sur la cyber criminalité suivent les préconisations de la CEDEAO mais donnent la latitude aux procureurs d’aller à l’encontre de la liberté de la presse. La question de la régulation des réseaux sociaux est primordiale et, en cela, elle constitue un enjeu majeur.

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

29


PLURALITÉ DES ACTEURS ET DES NOUVELLES ALLIANCES

Pluralité des acteurs et des nouvelles alliances

Pistes de changement formulées en Salle Hadiza Moussa f Se réapproprier les enjeux et les défis, qui sont trop souvent dits de l’extérieur : il faut s’emparer du discours sur la production de sens, sur la situation au Sahel. En effet, la question de la pléthore de spécialistes estampillés « Sahel » et la prédominance des analyses venant d’ailleurs interrogent sur (voire biaisent) l’efficacité des solutions et des mesures décidées sur place. Par extension, nous avons besoin de construire une géopolitique africaine, selon ses enjeux et ses intérêts, pour éviter de rester l’objet de la stratégie des autres – aller vers une initiative africaine pour le Sahel. f Initier un élan solidaire et patriotique pour refonder une citoyenneté plus inclusive : lorsqu’une crise sécuritaire survient dans une région, la vie continue en dehors de cette zone (comme le traitement de la guerre à la télévision malienne qui continue de diffuser chants et ballets). Quand des écoles ferment, on a l’impression que cela ne concerne que les localités des régions en crise sans que la nation ne soit interpellée ou qu’elle ne lance une initiative pour recaser les enfants affectés dans d’autres familles qui vivent en paix. Ce genre d’initiative pourrait s’envisager avec l’aide d’entreprises privées et de leur financement. Les désolations locales doivent concerner la nation toute entière. f Favoriser localement la constitution de nouvelles alliances endogènes autour des enjeux locaux au-delà des alliances classiques connues, qui sont le plus souvent symbolisées par la chefferie coutumière ou par l’administration locale. f Réfléchir ensemble à des dynamiques de paix au niveau local pour prendre en charge ces questions par la définition de compromis évitant le recours aux armes. On parle plus d’insécurité que de paix alors qu’il faudrait aussi préserver les îlots de paix. f Cartographier les acteurs et leur périmètre d’action au niveau national pour remédier au désordre organisé qui prévaut. Il faut rendre plus transparent ce qui est fait par cette pluralité d’acteurs. f Intégrer les réseaux sociaux à la mise en œuvre des politiques. C’est l’un des points saillants qui émerge actuellement en raison du poids des fake news et du discours extrémiste qui doivent être régulés et pris en compte (plutôt que de les rejeter en bloc). f Identifier des leviers pour assainir les interventions des différents acteurs au Sahel pour faire face à des actions qui ne sont pas assez transparentes, qui opacifient davantage la visibilité de la scène publique et induisent un discours désordonné, soupçonneux et accusateur (par exemple sur la circulation de drogue et d’armement). f Mettre en place à l’échelle de l’État un organe d’identification et de sollicitation des « capacités nationales contributives » des entreprises publiques (et privées) et des populations, au-delà de l’aide. f Privilégier le plaidoyer, la mobilisation, la conscientisation, et une meilleure gouvernance (contre la corruption) de manière transversale en mettant en place une plateforme régionale qui serait une alliance de toutes les forces vives concernées par les grands enjeux du Sahel. Elle se chargerait de : suivre le travail de coordination entre les pays, collecter des informations, recenser les institutions régionales et panafricaines et leurs objectifs, faire du plaidoyer pour redynamiser ces institutions et harmoniser leurs actions. Ces attributions (mobilisation, collecte et diffusion des données, partage d’expériences, transmission du savoir, suivi des actions) doteraient une telle structure d’un rôle de diffusion, d’accumulation, et d’organisation des connaissances à l’échelle du Sahel.

30

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE


Caractère hybride de la gouvernance

Caractère hybride de la gouvernance La gouvernance hybride peut s’entendre comme un processus qui impliquent des acteurs de la sphère étatique et non étatique. Le concept d’hybridité ne concerne pas que les protagonistes en présence, il comprend aussi l’influence des réseaux informels et des normes, des standards et des pratiques – plus généralement des manières de faire – qui ne sont pas codifiés et difficilement matérialisables tout en ayant une influence majeure sur de nombreux processus de gouvernance et de régulation. Ces dispositifs (la charte du Kurukan Fuga régissant la paix dans l’espace mandingue ou les pratiques de « dozoïsation » que l’on a par exemple constatées au sein de l’armée ivoirienne) sont mis en œuvre en dehors des cadres légaux et ont une importance fondamentale. Comment mettre l’hybridité de ces dispositifs au service d’une gouvernance plus inclusive ? La situation actuelle est telle qu’elle ne peut plus être résolue uniquement par les réseaux étatiques et formels. Elle nous contraint à mieux identifier et gérer les interactions entre réseaux formels et informels ainsi que leurs normes et les acteurs qu’ils impliquent.

Des modes de gouvernance multi-niveaux président à l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques Des modes de gouvernance multi-niveaux se mettent ainsi en place et interviennent dans l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques. Cela concerne également les acteurs extérieurs qui jouent un rôle fondamental. Or, les acteurs, les normes et les pratiques sur lesquels s’appuient les politiques publiques impulsées depuis l’extérieur tendent à ignorer le caractère hybride des environnements dans lesquels ils interviennent. Certains partenaires, y compris des organisations de la société civile internationale, s’adressent parfois directement

à des interlocuteurs locaux, contournant les États sans qu’ils soient pour autant tenus informés ni impliqués dans cette mobilisation d’acteurs alternatifs. Ces phénomènes de « contractualisation directe » induisent un risque de substitution dans la délivrance des services sociaux de base qui peut renforcer in fine la contestation. On constate une concurrence entre les différents acteurs de résolution de crise. C’est un élément de faiblesse des contextes hybrides. Armée, services déconcentrés de l’État, mairies, société civile, chefferies, cadres de la fonction publique, religieux : chaque institution de gouvernance apporte des solutions et pose des problèmes. Le rôle de certains acteurs non étatiques est valorisé (organisations de la société civile souvent reconnues comme alternatives et légitimes) au détriment d’autres (acteurs religieux, mécanismes et procédures qu’ils mobilisent et normes auxquelles ils se réfèrent) dans les politiques publiques. On a affaire à des acteurs qui sont en concurrence voire en conflit les uns avec les autres, ou en état de superposition, rendant plus difficile la possibilité d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques publiques cohérentes sur le terrain. Par ailleurs, on assiste une multiplication des cadres établis entre les différents acteurs, aussi bien au niveau international (alliances, coalitions, stratégies Sahel, envoyés spéciaux) qu’au niveau local. Par exemple, le Cadre stratégique permanent coexiste avec l’Accord de paix au nord du Mali et s’avère plutôt efficace en terme de résultats au regard de la baisse des affrontements entre les groupes signataires. Les dispositifs mis en place par l’État ne sont généralement pas suffisamment connectés au niveau local. Des structures déconcentrées de coordination de la lutte contre le terrorisme et du suivi de projets ont été créées au Niger en omettant toutefois certains acteurs, comme les Conseils de sécurité mis en place au niveau régional et départemental mais pas au niveau communal. La Haute Autorité à la Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

31


Caractère hybride de la gouvernance

Box 2.4: Cadre Stratégique Permanent et Ménaka sans armes Le Cadre Stratégique Permanent (CSP) est institué en septembre 2021, suite à des rencontres préparatoires de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) à Kidal. Le CSP est dirigé depuis sa création par Bilal Ag Acherif [qui passe le flambeau à Fahad Ag Almahmoud en mars 2022]. Le Cadre vient renforcer l’initiative « Ménaka sans armes ». Le Cadre est né dans le but de réconcilier les populations à travers leurs leaders et de contribuer à la sécurité des personnes et de leurs biens dans les régions du nord du Mali. Il ambitionne d’engager toutes les sensibilités de cette zone (Ménaka, Gao, Kidal, Tombouctou et Taoudénit) autour une synergie d’action commune afin de pallier les affrontements récurrents entre les communautés des différents mouvements armés (entre les Imghad, les Ifoghas, les Arabes et autres) et aux actes de banditisme qui y sévissent. L’initiative MNK Sans Armes est toujours en cours et continue à prendre de l’ampleur. Après une période d’essoufflement, cette opération est relancée en juin 2021 par la Plateforme des mouvements du 14 juin 2014 d’Alger avec le soutien et l’accompagnement des Forces Armées Maliennes (FAMa) et des mouvements signataires de la région de Ménaka. La Commission de consolidation de MNK Sans Armes est actuellement coprésidée (de manière tournante) par Bajan Ag Hamatou et El Haji Ag Gamou. Pour l’anecdote, l’annonce de la création du Cadre a été faite en mai 2021 depuis Rome, en marge d’une réunion portant sur des accords de « relocalisation » de migrants appréhendés par les douaniers italiens. Des comités de gestion de crise informels se sont constitués à l’occasion de l’occupation du nord du pays. Il faut tirer les leçons de ces mécanismes qui permettent de remédier à certaines défaillances étatiques. Lien vers le site du CSP : https://cadre-strategique.com/

Consolidation de la Paix (HACP) tente d’y remédier en créant des Comités communaux de paix actifs dans la prévention et la résolution des conflits.

La situation sécuritaire appelle à un changement de paradigme vis-à-vis des zones périphériques : il faut plus et mieux impliquer les élus locaux. Le rôle joué par ces derniers

Box 2.5: Le Collège de Gao Le Collège est une initiative propre aux leaders communautaires pourvus de légitimités traditionnelles et issus des différents groupes qui peuplent la région de Gao. Il est constitué de Chefs coutumiers Songhoy, Tamachek, Arabe, Peulh, etc. Le Collège est basé à Gao ville mais entretient des connections avec les communes, cercles, villages et fractions de provenance de ses membres. Ce cadre de concertation facilite la tenue de rencontres hebdomadaires ou extraordinaires, en cas d’urgence, chez le Chef Songhoy. L’objectif selon feu « Vieux Souma » (Moussa Souma Maïga), le Chef Songhoy de Gao décédé le 23 octobre 2021 à Gao, est de se retrouver pour faire le point de la situation sécuritaire de la région afin de pouvoir anticiper certaines situations de tension. De fait, ces rencontres constituent un mécanisme local de gestion et de prévention des conflits. À chaque fois qu’une situation problématique se présente, le Collège regarde de quelle communauté elle émane, formule des recommandations, et le Chef coutumier concerné s’active immédiatement pour y remédier avec le soutien des autres Chefs.

32

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE


Caractère hybride de la gouvernance

recèle également un caractère hybride : un maire peut être désigné en vertu des textes de la décentralisation mais sa légitimité repose également sur les structures de gouvernance traditionnelle. Il faut prêter attention aux effets pervers du système, comme l’inadéquation entre les priorités des bailleurs et celles des populations :

à Agadez, on dispense des formations pour détecter les faux papiers des migrants qui sont en décalage avec les attentes ; à Kidal, certaines tensions sont utilisées comme prétextes pour obtenir un forage, une école ou un centre de santé ; les processus de Désarmement – Démobilisation – Réinsertion (DDR) sont parfois utilisés à d’autres fins que celles officiellement affichées.

Box 2.6: Initiative « Repentir contre Pardon » et le Centre d’accueil de Goudoumaria Tout combattant de la secte jihadiste nigériane Boko Haram qui se rend aux autorités traditionnelles, administratives ou militaires (Repentir) est dispensé de toute poursuite pénale, civile ou coutumière (Pardon). L’initiative repose donc sur le Repentir de l’ex-combattant de Boko Haram et le Pardon accordé en échange par l’État et la société. L’initiative a été lancée en décembre 2016 à Diffa, chef-lieu de la région est du Niger, épicentre des activités de Boko Haram sur le territoire nigérien. Ayant compris que la réponse militaire et sécuritaire ne pouvait suffire à elle seule pour lutter contre Boko Haram, le Gouverneur de l’époque Mahamadou Lawaly Dan Dano avait convaincu le ministre de l’Intérieur d’alors, Mohamed Bazoum, de tenter cette initiative. L’État du Niger est donc l’initiateur du programme Repentir contre Pardon. Dans la mise en œuvre de l’initiative, les autorités traditionnelles ont joué un rôle important, notamment dans l’accueil des repentis. En effet, 70 à 80 % des repentis ont préféré se rendre aux autorités traditionnelles qui les ont ensuite remis aux autorités administratives. Outre les autorités traditionnelles, les élus locaux (maires des villages, conseillers municipaux) ont eux aussi contribué à la mise en œuvre de l’initiative, notamment en plaidant le Pardon auprès des familles des victimes de Boko Haram. L’ex-combattant qui décide de se repentir se rend à l’autorité traditionnelle, administrative ou militaire avec ou sans arme. Il est ensuite pris en charge par les services de la police nationale pour une opération de « profilage ». Il s’agit, en réalité, d’un travail de « débriefing ». Ensuite, le Repenti est accueilli dans le Centre de déradicalisation, de formation professionnelle et de réinsertion sociale. L’accueil des repentis avait commencé en décembre 2016, à Diffa, dans deux villas aménagées à cet effet. En 2017, un Centre de déradicalisation, de formation professionnelle et de réinsertion sociale des repentis de Boko Haram a été construit dans le département de Goudoumaria, dans la région de Diffa, à environ 1200 km à l’est de Niamey, la capitale nigérienne. Le Centre d’accueil de Goudoumaria a pour mission d’accueillir toute « personne associée au groupe terroriste Boko Haram qui fait acte de reddition volontaire et qui s’inscrit dans un processus de réhabilitation en vue d’organiser sa réinsertion sociale. » Certains repentis ont pour leur part été envoyés au Centre de N’Dounga, situé à une vingtaine de km de la capitale. Ce centre existait avant le Programme et il était dédié à la formation de jeunes agriculteurs. Sur un financement de l’Union européenne de l’ordre d’un milliard 700 millions de francs CFA, les ONG Search for Common Ground et Centre HD ont formé à la fin décembre 2017 environ 125 repentis à la menuiserie bois, l’agro-alimentaire, la couture, la plomberie, la mécanique auto, la menuiserie métallique, la construction des forages, etc. Un volet prévoyant la formation des jeunes locaux non-combattants aux activités génératrices de revenus (AGR) avait également été inscrit dans le financement. Entre le lancement de l’initiative et le mois de décembre 2019, environ 450 combattants de Boko Haram se sont rendus aux autorités. Il y avait parmi eux des Nigérians. Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

33


Caractère hybride de la gouvernance

Malgré les résultats concrets enregistrés par cette initiative, l’État nigérien n’a pas su prendre le relais du bailleur. À l’issue du financement européen, les ressources internes nécessaires n’ont pu être provisionnées. Par ailleurs, le départ de Mahamadou Lawaly Dan Dano de son poste de gouverneur a beaucoup impacté le dynamisme de l’initiative. Le Centre de Goudoumaria existe toujours avec une trentaine de pensionnaires qui y vivent au jour le jour avec des moyens mobilisés par les autorités administratives locales. Un autre aspect revêt une importance particulière : il consiste à proposer des formations adaptées aux contextes. Dans le cas de l’initiative « Repentir contre Pardon », on a pu constater que des Repentis pêcheurs d’origine ont revendu les kits d’outils professionnels de menuiserie, couture et plomberie dont ils avaient été dotés pour entreprendre d’autres métiers. En plus de l’assise locale de ce processus de DDR (les instigateurs étaient motivés par la résolution d’aller chercher leurs parents ayant basculé de l’autre côté) et de l’adhésion des communautés affectées aux principes, il est tout aussi primordial de faire correspondre les efforts de réinsertions déployés aux réalités, d’associer ceux qui n’auraient pas rejoint les rangs jihadistes à l’accompagnement socio-économique offert et d’assurer la pérennité des financements pour ne pas dépendre exclusivement de la charité internationale – tarissable. Lien vers le livre « Pour comprendre Boko Haram » – notamment le Chapitre 5 consacré à cette initiative – de Seidik Abba et Abdoulkader Abba, paru en novembre 2021 chez L’Harmattan à Paris : https://www.editions-harmattan.fr/livre-pour_comprendre_boko_haram_nouvelle_ edition_revue_et_augmentee_seidik_abba_abdoulkader_abba-9782343245904-71527.html Lien vers le livre « Voyage au cœur de Boko Haram » de Seidik Abba et Mahamadou Lawaly Dan Dano, paru en octobre 2019 chez L’Harmattan à Paris : https://www.editions-harmattan.fr/livrevoyage_au_coeur_de_boko_haram_enquete_sur_le_djihad_en_afrique_subsaharienne_seidik_ abba_mahamadou_lawaly_dan_dano-9782343185552-64126.html

Zoom sur la paix et la sécurité Préambule Pour gérer le réel et préparer l’avenir, il faut intégrer la dimension sécuritaire à la réflexion générale sur la gouvernance et poser la question du type d’outil à mobiliser pour cela. Les analyses quantitatives fondées sur des données mesurables sont à compléter par des considérations plus fines et détaillées pour rendre compte de la complexité d’une situation, marquée par : • L’hétérogénéité des acteurs des zones de conflit (mouvements jihadistes, groupes criminels, groupes armés violents (GAV), autonomistes, irrédentistes, groupes politico-militaires, groupes d’autodéfense, milices communautaires) ; • Des forces de sécurité régalienne qui éprouvent des difficultés à s’imposer sur le terrain ;

34

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

• La confusion croissante entre les fonctions des forces de défense militaire et des forces de sécurité intérieure (police et gendarmerie) ; • L’absence de gouvernance des forces et l’opacité de la gestion des budgets de la défense, telles que révélées par les audits des ministères de la défense maliens et nigériens ; • La non prise en compte de la condition sociale des forces de défense et de sécurité (FDS) qui sont uniquement considérés à l’aune de leur capacité opérationnelle de combat ; • La militarisation du pouvoir à laquelle on assiste aujourd’hui dans deux [trois à l’heure de la finalisation des Actes] pays du G5 Sahel ;


Caractère hybride de la gouvernance

• L’échec de la gestion des conflits par les acteurs internationaux (France, MINUSMA, Union africaine, CEDEAO, G5 Sahel) avec des approches de contreinsurrection et de conquête des cœurs et des esprits qui ne fonctionnent pas et sont conceptuellement dépassées ; • Des populations qui investissent le champ de la sécurité (Kaya, Tera, Bamako, Dosso) au-delà de la médiation des organisations de la société civile.

Protéger les populations au-delà de l’extrémisme violent Étudier les causes multidimensionnelles de l’insécurité Reconnaître le caractère hybride de la gouvernance de la sécurité

Au-delà de la seule menace des groupes armés islamistes radicaux, il faut se recentrer sur la protection des populations contre les multiples menaces auxquelles elles sont confrontées. Les causes multidimensionnelles qui soustendent l’insécurité, parmi lesquelles la recomposition des hiérarchies sociales, les ambiguïtés en terme d’exercice du pouvoir induites par la démocratisation, la pratique d’un Islam conservateur, les rapports de force géopolitiques extérieurs, les instruments de gestion de conflit panafricains désuets et l’affaiblissement du multilatéralisme africain, sont à prendre en compte de manière plus explicite. Le caractère fondamentalement hybride de la gouvernance de la sécurité (interférences entre les sphères formelles et informelles) mérite d’être mieux appréhendé. Il faut aussi aborder la modification des équilibres territoriaux et les différents espaces de gouvernance locale et décentralisée engendrés par l’insécurité.

Discussion Le Sahel est confronté à une crise de la gouvernance. Le fait que le Burkina Faso ne tienne plus qu’à un fil [au moment de la séance plénière] doit pousser à remonter aux causes de cette situation. Il y a une interpénétration des facteurs de crise. L’État est non seulement concurrencé à l’intérieur mais aussi à l’extérieur. Actuellement, au Sahel, lorsqu’on parle de gouvernance tout le monde parle de sécurité et vice et versa [voir la thèse de Malam Souley Adji sur l’État marginal au Niger]. Le Nigéria compte environ 800 000 combattants dans les forces armées alors que 6 millions de civils sont armés : l’armée est totalement dépassée. Du coup, « chaque communauté cherche des armes pour lutter contre les bandits ; c’est très dangereux et ça peut mener au chaos. » L’État devrait pourtant avoir le monopole de la force publique.

Assurer la sécurité est un devoir régalien de l’État qui nécessite que l’on refonde l’armée en continu (et pas seulement en post-conflit) en matière de ressources humaines, de formation, de recrutement (plus et mieux), d’équipement, etc. « Il revient aux militaires de déterminer les besoins pour répondre à des motos et des Kalash. » Dans le même temps, il est impératif d’assainir l’armée qui est taxée de corruption. On voit de nouveaux immeubles se construire grâce aux détournements quand, dans le même temps, le soldat Irkoy-Tamo incrimine le matériel défectueux avant sa mort sur le champ de bataille à Bilabrine, au Niger, et les soldats d’Inata ne sont pas ravitaillés en alimentation durant les deux semaines qui précèdent l’attaque de leur poste au nord du Burkina Faso. Il faut : faire une utilisation rationnelle des financements ; effectuer des déploiements

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

35


Caractère hybride de la gouvernance

dans les zones qui en ont besoin en lieu et place des milices communautaires ; et mieux coordonner les actions des forces armées et celles de la gendarmerie. Les problèmes de sécurité intérieure nécessitent des interventions en milieu civil qui, de fait, demandent une plus grande professionnalisation des forces. En 2020, ces dernières avaient commis davantage d’exactions à l’endroit des populations civiles que les GAV (exemple des viols perpétrés par les soldats tchadiens au Niger) – en 2021, il semblerait que cette tendance se soit inversée mettant en lumière la responsabilité écrasante des groupes jihadistes dans les exactions perpétrées à l’encontre des civils. Lorsque des exécutions sommaires sont commises sans poursuites judiciaires, il faut corriger les manquements des FDS. La vidéo qui a circulé sur les exactions des forces maliennes, niées par les militaires, montre le fossé qui s’accroit entre les populations et les FDS. L’incompréhension est palpable, comme lors de la réunion des Chefs traditionnels en octobre 2020 à N’Djamena : « on ne sait pas pour qui les FDS font la guerre ». L’armée est à réconcilier avec le peuple. Elle doit se rapprocher des populations. « Notre armée, votre armée. » Les FDS subissent quant à elles les aléas de l’État et suscitent la méfiance des gouvernements qui veulent se prémunir contre des coups d’États. Ce sont des aspects dont il faut tenir compte tout comme la question de la condition sociale de ces soldats, dont les primes de risque, les soldes et la prise en charge des veuves, des orphelins et des blessés. Il faut s’interroger sur notre corps d’armée qui est constitué de jeunes qui s’engageraient autant par patriotisme que par opportunisme d’emploi et espoir d’ascension sociale. Le marché international de la sécurité pose aussi la question de l’ethos de l’armée. Dans la lutte contre l’insécurité, c’est moins la pertinence du recours à l’instrument militaire qu’une plus grande implication des niveaux de décision locaux dans la mobilisation des

36

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

réponses à l’insécurité qui fait débat. Jusqu’ici, la réponse apportée à la crise a été formulée principalement en termes sécuritaires et militaires. Or, la situation est loin d’être manichéenne. De Tahoua à Filingué au Niger, la base du conflit est communautaire ; en lien avec l’agropastoralisme, ces tensions préexistaient à l’arrivée des jihadistes. Du côté de la frontière nigéro-burkinabè, on a plutôt affaire à du jihadisme salafiste. « Il y a de la banditisation du jihadisme parfois et de la jihadisation du banditisme ailleurs. » En parallèle, on constate aussi une endogénéisation des combattants jihadistes qu’il faut assumer. Ces derniers s’appellent dorénavant Traoré, Mamadou, Goni, Kiari, Baba Gana ou Bakoura. Si les Boudoumas, un groupe ethnolinguistique ultra minoritaire, sont majoritairement représentés dans les rangs de Boko Haram, c’est peut-être le fait de leur marginalisation ressentie qui engendre une contestation de l’État. Et plus la crise dure, plus le mécontentement s’accroit. Il semble que l’on ne puisse pas lutter contre le terrorisme sans les forces internationales ; mais lorsque ces dernières concentrent leur puissance technologique sur leur propre protection, cela les détourne de leur objectif initial d’aide aux FDS. Il y a un décalage entre le degré d’attente élevé des sociétés et les interventions qui n’ont jusqu’ici pas permis de répondre au type d’insécurité auquel on a affaire. Les interventions étrangères suscitent un malentendu : le rejet n’est pas idéologique, les populations s’interrogent plutôt sur l’absence de résultats concrets et de valeur ajoutée. Tout ceci provoque un hiatus entre les dirigeants et les populations comme on l’a vu à Kaya [puis à Téra]. L’insatisfaction sécuritaire populaire qui va crescendo pourrait même conduire à la chute des États et au départ de certains partenaires internationaux. Du côté français, on invoque plutôt une instrumentalisation russe ou encore la faiblesse des États. Il faut envisager le rôle des acteurs internationaux, continentaux et régionaux, et le ressentiment qu’ils provoquent autant que la déresponsabilisation des États qui devraient être le premier acteur à répondre de la question sécuritaire.


Caractère hybride de la gouvernance

Box 2.7: Déclaration de Nouakchott Environ 500 oulémas, cheikhs, éducateurs, penseurs, ministres, muftis, imams et prédicateurs venant de tout le continent se sont réunis en janvier 2020 à Nouakchott pour une conférence co-organisée par le gouvernement mauritanien et le Forum pour la promotion de la paix dans les sociétés musulmanes. Après les débats, les participants ont énoncé la Déclaration de Nouakchott. Le communiqué final du 6e sommet des Chefs d’États des pays du G5 Sahel, organisé le mois suivant à Nouakchott, précise : « Les Chefs d’État prennent note de la Déclaration de Nouakchott émanant des Imams, Oulémas et Leaders religieux musulmans représentant toute l’Afrique et qui a insisté sur l’importance de distinguer entre d’une part, le terrorisme et la violence aveugle prônés par les groupes armés et d’autre part le message de l’Islam. La Déclaration appelle nos états à réhabiliter la pensée de la tolérance religieuse et de la coexistence pacifique entre les individus et les peuples, en s’inspirant des idéaux humains universels et des valeurs de notre continent ». Lien vers la Déclaration de Nouakchott : https://www.facebook.com/AlmaktabaAlmouridiya/ posts/2901441909920553

Lorsque les populations ne peuvent plus se reposer sur nos armées, elles se constituent en groupes armés d’auto-défense. Ces formes de sécurité alternatives ne font qu’augmenter la prolifération des armes. De nombreux territoires rencontrent maintenant le problème des exactions commises par des milices communautaires en dehors de tout cadre de contrôle social. Le phénomène de milice se généralise dans les régions de Mopti ou de Tillabéri et se traduit par plus de violence et de victimes. En tout état de cause, les moyens de la violence exercée par des milices qui se défendent d’être des supplétifs et les rapports de force sur le terrain seront à prendre en compte dans la sortie de crise. La possibilité de sceller des accords de partenariat interroge à juste titre. La question du dialogue est difficile mais elle constitue néanmoins une autre voie. « Sans sécurité, il n’y a pas de vie possible. » Certaines zones deviennent inhabitables sur le plan sécuritaire, comme des centaines d’îles du lac Tchad. À Ségou par exemple, toute la rive gauche est occupée par les jihadistes. Cela conduit à « aller au-delà de la diabolisation » et proposer l’option du dialogue pour harmoniser les stratégies et les solutions. Un focus group avec les leaders de Tillabéri et de Tahoua conduit par le LASDEL a montré le besoin de plus d’arbitrage

pour éviter le recours à la violence. Des communautés acculées sont déjà contraintes de mener des dialogues locaux avec les jihadistes pour pouvoir espérer des accalmies qui ne sont cependant pas la panacée car elles donnent lieu à des concessions sur les cadis et les écoles coraniques. Parfois, les jihadistes parviennent à charmer les populations là où l’État a échoué. Que vaut la vie de l’autre côté ? « Il y a beaucoup à apprendre de la gouvernance dans ces zones perdues. » Au préalable, il faut bien établir les contours du projet politique et de l’offre de société portés par les groupes jihadistes, notamment sur la place de la femme. Il faut tirer les enseignements de l’application de la charia au nord du Nigéria. « On ne construit pas l’État contre la société. » Après tout, si les gens se sentent à l’aise avec des modes de société alternatives, ne faudrait-il pas les écouter ? Qu’est-ce qu’on a à perdre ? Il faut trouver des compromis. Pour autant, peuton se résoudre au renoncement ? « Accepter le jihadisme, c’est renier notre histoire, notre culture, notre religion pacifique Soufi. Il ne faudrait pas se retrouver dans la configuration de Raqqa en 2015 : ce n’est pas un projet de vie ! » Il faut faire attention à cette idée du renoncement qui fait son chemin en filigrane dans l’inconscient collectif.

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

37


Caractère hybride de la gouvernance

Les politiques de dialogue religieux, à l’instar de l’option de la lecture alternative du Coran expérimentée en prison par la Mauritanie pour contrer la vision conservatrice de l’Islam promue par l’extérieur depuis une vingtaine d’années, ne sont pas assez mises en avant. Le gouvernement mauritanien a effectivement initié la discussion avec des oulémas pour déconstruire les idées radicales. Un guide de contre argumentaire au « Coran jihadiste » a été développé pour vulgarisation. On évoque aussi (sans en avoir de preuve tangible) un certain nombre de concessions qui pourraient avoir été faites pour expliquer la relative stabilité mauritanienne – telles que l’accès aux soins pour les jihadistes en provenance du Mali

ou la tolérance tacite des entrainements. Plus généralement, les acteurs religieux modérés et les États ont choisi de ne pas investir la sphère de la lutte idéologique – y compris dans l’instrumentalisation du discours religieux par un courant anti-occidental. Pour initier un changement de paradigme de la gouvernance de la sécurité, il faut commencer par revoir les grilles d’évaluation des interventions dont le succès se mesure au nombre de terroristes tués plutôt qu’à la protection des populations mesurables à travers la réouverture de l’accès aux champs, aux pâturages, aux marchés, aux écoles… Ce dernier point doit primer. Or, on constate que ce

Box 2.8: Une perspective locale du nord du Mali Six problèmes : rébellion et terrorisme, corruption/justice/sécurité, conflits intra- et extracommunautaires, sources de financement des Groupes Armés Violents (GAV) et du terrorisme, disfonctionnement des collectivités, absence de l’État. Trois solutions : militaire, développement et humanitaire, religieux. 1.  Militaire. Les États du Sahel doivent contrôler leurs frontières ; renforcer les relations civilo-militaires ; accélérer la mise en œuvre de l’Accord de Paix de 2015 ; rendre opérantes les armées reconstituées BATFA – bataillons des armées reconstituées – en clarifiant leur mission ; respecter les droits de l’homme. 2.  Développement et humanitaire. Les politiques sectorielles nationales doivent prendre en compte les réalités du terrain (exemple de la règle de dotation d’un centre de santé pour les localités de plus de 5000 habitants et la pertinence de cette règle pour des nomades) ; revoir les dimensions du développement pour ne pas faire les politiques urbaines dans les zones rurales (et vice versa) ; identifier des pistes et des projets de collaboration grâce à des tribunes d’expression populaire (sur le modèle des tribunes citoyennes organisées au Niger par la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix) ; multiplier les études, diagnostics et recherches et réfléchir à un système de lobbying et de plaidoyer auprès des décideurs ; penser des mécanismes de retour de l’État (parfois mal présent voire absent selon les endroits) ; faire établir des plans d’actions au niveau local (des cercles par exemple) par les communautés qui prennent en compte les réalités du terrain sur la sécurité ; renforcer la société civile pour qu’ils comprennent les enjeux sécuritaires et les enjeux de justice en créant des relations ; veiller à la synergie des partenaires techniques et financiers (pour éviter que chacun fasse à sa manière avec ses propres partenaires sur une base exclusive) ; rendre fonctionnelles les collectivités (au niveau des infrastructures notamment) ; assurer des renouvellements de génération (exemple de mandats de maire prolongés). 3.  Religieux. Les anciens religieux ont perdu la main dans la lutte contre le terrorisme – il faut les revaloriser et leur donner une place dans la stabilisation ; faire assumer par les autorités coutumières et traditionnelles un rôle moteur ; missionner les chefs de faction (pour ne pas qu’ils jouent double jeu) ; financer de vrais projets de développement qui soient attractifs pour la jeunesse ; bloquer les sources de financement des groupes armés violents et du terrorisme (y compris en provenance de communautés qui se cotisent pour les mouvements armés) ; faire contrôler les ressources par l’État (uranium, or, pierres précieuses, etc.) en toute transparence – attention aux versions officielles et officieuses. 38

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE


Caractère hybride de la gouvernance

sont plutôt les accords locaux qui parviennent à cette finalité. Le sort des acteurs armés non étatiques et la question de la négociation par des accords locaux (comme ceux noués par les acteurs humanitaires) doivent faire partie de la solution. « Pendant que nous conduisons des Concertations, les groupes armés X ou Y aussi. » En plus des perceptions sociales de la sécurité, il faut prendre en compte les mécanismes endogènes de résolution de crises. Ces dynamiques informelles font la réalité quotidienne de la gouvernance de la sécurité sans être légalisées, cela constitue l’hybridité. Dès lors, ne faudrait-il pas institutionnaliser la gouvernance hybride dont on constate l’existence ? Mais tous les ordres hybrides ne se valent pas : Kidal est contrôlé par la CMA avec des cadis, l’État est absent en périphérie où des accords sont conclus au cas par cas en plus de l’Accord central, etc. De fait, la mise en place de modes de gouvernance territoriaux et informels composites se multiplie dans les localités. L’attention est à recentrer au niveau communautaire, local et national avant d’aborder le niveau régional, même si les similitudes des problématiques rencontrées par les pays de la région appellent à une gouvernance partagée de la sécurité. Il est temps d’innover : pourquoi pas en créant des tribunes d’expression populaire ? La redéfinition du concept de sécurité passe, entre autres, par : la conduite d’études sur toutes les parties prenantes, y compris les acteurs informels ; le référencement des formes endogènes d’offres alternatives de sécurité à la base ; le renforcement de l’engagement de la société civile dans le domaine de la sécurité ; le suivi des sources de financement ; la protection des droits de l’homme comme priorité face aux besoins de justice et de réparations ; sans oublier le côté social de l’insécurité (abandon des familles des militaires, prolifération

des enlèvements, traite recrutement des enfants).

transfrontalière,

Pour cela, il y a un travail documentaire sérieux de recensement et de tri à faire sur les très nombreuses études menées souvent de manière quantitative. Il nous manque des bons diagnostics et une connaissance fine sur la gouvernance indirecte jihadiste (système d’impôt, corps des femmes), sur les accords locaux (interdiction de la musique, tuerie de chiens, code pénal, arrêt des violences), ou encore sur le retour de l’État (pérenne ou fictif) dans des zones limites ou contestées. La fabrique du concept d’insécurité participe de cette dernière. La base de données ACLED, prise comme seule source de comptabilisation, biaise les modèles d’interventions et les réponses apportées à l’insécurité. On remarque aussi que le caractère interventionniste répond au sensationnalisme qui domine dans la manière dont on décrit l’insécurité. Il faut comprendre que l’insécurité, c’est aussi le trafic sexuel des jeunes filles du Nigéria dans les zones d’exploitation aurifère qui participe de, et alimente, l’économie criminelle. Le Sahel ne se résume pas aux capitales – même si des formes d’insécurité sévissent aussi en milieu urbain, comme la violence liée à l’usage de drogue par la jeunesse à Niamey dans la vallée du Gounti Yéna. Les choses se passent sur un terrain géographique qui est immense. Il faut mener une réflexion sur les espaces vides où passent drogue et armes légères. On priorise certaines questions, comme la neutralisation des jihadistes, et certaines zones, comme la zone des trois frontières, or cela occulte le caractère multiforme de l’insécurité. Il faudrait également revisiter l’art de la guerre de l’Afrique précoloniale : ses chevaux et ses chameaux en analogie avec les motos d’aujourd’hui ou ses modèles doctrinaux eu égard à la guerre asymétrique actuelle.

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

39


CARACTÈRE HYBRIDE DE LA GOUVERNANCE

Caractère hybride de la gouvernance

Pistes de changement formulées au Centre de documentation f Repenser la paix et la sécurité à travers une perspective locale qui tienne compte des caractéristiques endogènes de la conflictualité et de sa résolution. f Mieux impliquer les communautés, au-delà du simple rôle de faire valoir, dans la prise de décision allant de la conception à l’opérationnalisation des politiques, à travers un dialogue véritablement inclusif. f Responsabiliser les communautés peuplant les zones concernées afin qu’elles soient d’avantage investies dans les questions qui les concernent, comme condition préalable au retour de l’État et au renforcement de sa légitimité. f Différencier les politiques publiques mises en œuvre en fonction des différents espaces territoriaux (les régions du nord, du centre et du sud, et les zones transfrontalières sont confrontées à des problématiques différentes). f Faire preuve d’une plus grande humilité de la part de l’État central quant à sa maitrise réelle des dynamiques existantes au niveau local : « L’État central n’a pas la solution à tous les problèmes. » f Introduire un meilleur équilibre entre les volets civils et militaires. f Impliquer les acteurs religieux dans la déconstruction des discours jihadistes et les processus de démobilisation : « Il faut amener les leaders religieux à se prononcer sur les valeurs sociétales, qu’ils s’expriment à la radio pour dire qu’il n’est pas anormal de serrer la main d’une femme ! » ; en sortant de « l’Islam social » qui engendre une islamisation conformiste des élites et de la peur des marabouts qui paralyse les fonctionnaires. f Désenclaver les zones à risque et mettre en lumière les victimes : « Nous devons faire front commun. » f Décloisonner les réponses apportées à des problématiques sécuritaires imbriquées ; terrorisme, conflits locaux et criminalité organisée nécessitent des réponses globales. f Favoriser l’accès de toutes les communautés et de leurs représentants aux fonctions de l’administration publique afin d’œuvrer au renforcement de l’État par une plus grande représentativité et, en cela, créer des formations pertinentes pour l’emploi et en adéquation avec les aspirations des familles (insertion socio-économique des jeunes et des femmes ou des démobilisés).

40

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE


Reconfigurations territoriales

Reconfigurations territoriales La gouvernance territoriale du Sahel se caractérise par la pluralité des légitimités formelles et informelles (plusieurs instances de décision et de régulation) associées à cette superposition d’espaces, créant de fait des territoires hybrides qu’il faut reconnaître comme tels. Les limites respectives des différents modes de gouvernance mis en œuvre dans des territoires pluriels sont à prendre en compte. Le pouvoir coutumier, par exemple, est confronté à des problématiques de discrimination à l’encontre des femmes, des jeunes et des étrangers, de délimitation floue du foncier et de règles non écrites. L’autorité étatique, quant à elle, s’appuie sur des règles écrites, mais ces dernières ne sont pas en cohérence avec les réalités locales. L’idée de ramener le local au centre de l’action publique est stipulée dans les textes de la décentralisation. On peut regretter que ces derniers ne constituent pas un réel outil de gouvernance dans nos pays car « ceux qu’on élit ne lisent pas les textes ». Certains se demandent même si la démocratie est adaptée au milieu rural, où « Dieu seul sait comment se déroulent les élections ». Tout se passe comme si la gouvernance au Sahel se résumait à « réchauffer quelque chose qui n’a pas marché dans les capitales » à destination des périphéries. La politique locale se fait sur des enjeux nationaux. Les programmes politiques des élus locaux se perçoivent plus comme une confirmation locale du pouvoir du centre que comme une représentation du local pour le local. S’il y a des maires non-résidents ou des conseils municipaux ambulants, c’est parce que les collectivités locales sont nouvelles, construites par l’État plutôt qu’auto-générées. Le travail de construction locale se fait aprèscoup pour que les populations se reconnaissent dans les circonscriptions. Une certaine agencéité émerge un peu partout, par ailleurs convertible en stratégie de prise de pouvoir. Il faut interroger et considérer le rôle de chacun des acteurs à la lumière des solutions territoriales qu’ils peuvent apporter aux

populations locales. Sur le terrain, on observe que les politiques sectorielles ne sont pas adaptées au contexte réel. Par exemple, quand il faut 5 000 habitants pour construire un centre de santé, que deviennent les localités de 2 000 habitants ? Idem pour les écoles : il faut des cantines scolaires. Les autorités locales sont confrontées à un problème de transfert de capacité. Sur place, les acteurs influents (les autorités coutumières ou les religieux) ont été dépossédés de leur pouvoir par la décentralisation. On déplore le manque de synergie d’action entre les Partenaires Techniques et Financiers (PTF) : « après les photos prises avec les banderoles, les problèmes continuent ». « De fait, l’État n’existe pas dans plusieurs zones de la région ou est en train de se désintégrer. Si les groupes armés non étatiques délivrent les services de l’État là où il est absent : pourquoi ne pas leur délivrer des prérogatives étatiques officielles ? » Il faut faire table rase des concepts contraignants et se délivrer des termes qui nous limitent, aussi bien à l’échelle locale qu’en matière de géopolitique régionale et internationale. Il faut réfléchir au type d’État que l’on veut pour des territoires sahéliens composites.

Le retour au local passe par la responsabilisation des communautés Il faut revenir au local en responsabilisant les communautés locales dans les règles qui les concernent. Au Mali, les populations de Kidal ont davantage besoin de considération de la part de l’État central que d’être maternées par la capitale. Pour remédier au déphasage concernant des communautés diverses aux réalités différentes, il faut mettre en place des mécanismes de compromis respectueux des réalités locales. Surtout, il ne faudrait plus pouvoir légiférer sans considérer le contexte. Il faut intégrer le local dans la fabrique des règles nationales. La prise en compte de ce niveau de granularité permet de rendre les choses plus concrètes, comme dans le cas des Commissions foncières mises en place au Niger. Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

41


Reconfigurations territoriales

Box 2.9: Commissions foncières (CoFo) Au Niger, les Commissions Foncières sont des organes administratifs prévus et organisés par les articles 118 à 121 de l’ordonnance portant principes d’orientation du Code rural adoptée en 1993. Souvent présentées comme novatrices, les CoFo jouent un rôle essentiel dans la gestion du foncier rural qui tient compte de l’ensemble des composantes de l’espace rural (représentation des populations, nature des pratiques, statut des terroirs, ressources en présence). Ces institutions incluent les autorités administratives et coutumières, les services techniques de l’État, les représentants des opérateurs ruraux agriculteurs ou éleveurs qui utilisent les ressources naturelles, la société civile, les femmes et les jeunes ruraux. Leur mandat comprend : l’information et la sensibilisation sur la réglementation foncière ; la collecte et la gestion de l’information foncière ; la sécurisation des droits et des titres fonciers à travers l’enregistrement des transactions foncières et établissement des titres de propriété. Les Commissions existent au niveau départemental, communal (CoFoCom) et vont jusqu’au niveau des villages ou des campements par l’intermédiaire des Commissions Foncières de Base (CoFoB). De par leurs attributions, les CoFo jouent un rôle important dans la sécurisation foncière (par la délivrance d’actes administratifs de détention coutumière), la gestion des ressources naturelles (équilibre écologique, usage collectif, propriété privée) et la prévention des conflits (zones agricoles et zones pastorales dotées d’espaces réservés au pâturage, de couloirs de passage des animaux et de points d’eau publics). La pertinence des CoFo s’explique par la collégialité qu’elles permettent (leur composition va de la chefferie à la coopérative et peut même inclure selon les zones « un représentant de chacun des groupes d’éleveurs de camelins, de bovins et de petits ruminants ») ainsi que la mixité des situations qu’elles traitent (saisonnalité, cycle de jachère, zones agro-pastorales). Elles peuvent rencontrer des difficultés liées à la réorganisation des pouvoirs locaux induite par la décentralisation, et au manque de moyens humains et financiers. Ce processus unique de concertation et de prise de décision autorise, en fusionnant l’État et la coutume, une action publique inclusive et différenciée en phase avec les réalités locales. Liens vers l’Ordonnance n°93-015 fixant les principes d’orientation du Code rural (1993) : https://www.fao.org/faolex/results/details/fr/c/LEX-FAOC004660 Lien vers l’Arrêté n°098/MDA/CNCR/SP portant organisation, attributions et modalités de fonctionnement des commissions foncières de communes, de villages ou tribus (2005) : https://www.fao.org/faolex/results/details/fr/c/LEX-FAOC080747/ Lien vers un article Inter-Réseaux Développement Rural sur ce sujet : Code rural du Niger : une gestion décentralisée et concertée du foncier - Inter-réseaux (inter-reseaux.org)

En ce qui concerne les frontières, on dit souvent que celles-ci sont les maillons faibles des États en devenant des sanctuaires des groupes terroristes (du fait de la marginalisation des populations qui vivent à proximité des frontières et de l’absence de l’État sur des

42

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

territoires vastes au maillage insuffisant). Le caractère intangible des frontières est contrebalancé par des espaces frontaliers à forte densité de population et aux dynamiques politiques (réseaux), économiques (commerce) et de mobilité qui leur sont propres.


Reconfigurations territoriales

Box 2.10: Convention de l’Union africaine sur la coopération transfrontalière (Convention de Niamey) adoptée par la 23e session ordinaire de la Conférence tenue à Malabo, Guinée Équatoriale, le 27 juin 2014 Les 17 articles de la Convention sont disponibles en ligne : https://www.peaceau.org/uploads/ua-convention-niamey-fra.pdf

Les concertations locales qui s’opèrent pardelà les frontières sont bien souvent l’initiative d’acteurs locaux ou d’ONG, comme lors des réunions des Chefs traditionnels du LiptakoGourma. La coopération transfrontalière

inter-États existe pourtant, mise en œuvre par les États dans le cadre de la décentralisation. Du reste, les solutions en matière de coopération transfrontalière de développement sont encore largement perfectibles.

Box 2.11: Coopération transfrontalière Face à des défis qui ne connaissent pas de frontières, tels que l’insécurité, le changement climatique ou les épidémies, la coopération transfrontalière a un rôle déterminant à jouer au Sahel. En 2017, le CSAO lui consacre une étude, intitulée « Coopération transfrontalière et réseaux de gouvernance en Afrique de l’Ouest ».

Extrait du résumé : La coopération transfrontalière est à la croisée de l’intégration régionale et du développement local ; elle s’exprime à plusieurs niveaux et est déterminée par une multitude de facteurs physiques, politiques et sociaux. Elle est ainsi dépendante d’un grand nombre de politiques publiques. Comment améliorer ces politiques et accélérer leur mise en œuvre lorsque cette responsabilité relève des gouvernements nationaux et des organisations régionales ? Comment les processus locaux peuvent-ils être conciliés avec les pratiques institutionnelles et nourrir les politiques publiques ? Comment l’action publique pourrait-elle s’adapter aux dimensions transfrontalières et créer un environnement plus favorable et durable à l’intégration régionale ? Ce rapport fournit, pour la première fois, des fondements analytiques pour répondre à ces questions.

Recommandations : L’analyse des réseaux sociaux pourrait contribuer à l’amélioration des stratégies régionales et nationales d’appui à la coopération transfrontalière, en particulier par la spatialisation des enjeux. Celle-ci offre une échelle de lecture plus appropriée aux conditions locales allant dans le sens de politiques plus territorialisées. • Ces politiques territorialisées pourraient s’appuyer sur les résultats issus des travaux : 1.  Mobiliser le potentiel de coopération encore inexploité dans les zones jouissant de conditions potentiellement favorables à la coopération mais où les acteurs locaux ne sont pas suffisamment reliés aux réseaux de gouvernance. Ce cas s’illustre dans la région du lac Tchad, autour du fleuve Gambie et de la région du fleuve Mano étendue à l’ensemble du Libéria, de la Sierra Leone, de la Côte d’Ivoire et de la région sud de la Guinée. 2.  Améliorer la coordination au sein des réseaux dans les régions identifiées comme prioritaires pour la coopération transfrontalière mais où les réseaux sont peu développés aux niveaux local et régional ; ceci afin d’encourager l’échange d’informations de part et d’autre des frontières nationales et entre les divers partenaires. Ceci concerne particulièrement la région haoussa au nord du Nigéria, qui compte environ 50 millions d’habitants.

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

43


Reconfigurations territoriales

3.  Concilier les priorités politiques et le développement des régions bénéficiant de conditions potentiellement favorables à la coopération transfrontalière par des investissements nationaux. De telles mesures seraient particulièrement bénéfiques dans le sud de la Guinée, à la frontière entre le Libéria et la Sierra Leone et dans l’ouest de la Côte d’Ivoire où les ressources locales sont inférieures à la moyenne régionale. • Les résultats montrent la valeur ajoutée de la coopération transfrontalière. Si elle est mise en avant dans les programmes du Conseil des collectivités territoriales de l’UEMOA, le Programme régional de coopération transfrontalière de la CEDEAO et le Programme frontière de l’Union africaine, elle devrait être déclinée au niveau d’autres politiques. • Un effort particulier devrait être mis sur la transposition dans les législations nationales des directives de la Convention de Niamey sur la coopération transfrontalière et la promotion de financements dédiés à la coopération transfrontalière. • L’amélioration de la coordination entre pouvoir national et pouvoir local serait favorisée par un plus grand transfert de ressources et de compétences au profit des organisations décentralisées et un plus grand rôle donné à la société civile. Lien vers la publication : https://doi.org/10.1787/9789264265974-fr

On observe que les frontières administratives peuvent générer un « conflit de compétences » : des services publics locaux spécifiques sont offerts de part et d’autre des frontières

sans parvenir à proposer une offre véritablement transfrontalière (exemple de Gaya et de Malanville).

Box 2.12: Les pays-frontières, une approche de mutualisation transfrontalière des services publics locaux Le concept des « pays-frontières » vise à promouvoir une approche selon laquelle les villages et les autres collectivités territoriales situés de part et d’autre des frontières mettent ensemble leurs moyens pour réaliser des infrastructures sociales, culturelles et économiques (centres de santé, des écoles ou des points d’eau, abattoirs, marchés régionaux, etc.) au profit de toutes les populations riveraines sans distinction de nationalité. Autrement dit, l’intention est de mettre en place une coopération transfrontalière solidaire pour la réalisation et l’utilisation de ces infrastructures pour le bénéfice commun de toutes les populations qui vivent de part et d’autre des frontières. Cette coopération, une fois approfondie, pourrait même aboutir à la mutualisation, en partie ou en totalité du dispositif et des moyens administratifs et financiers de ces collectivités. L’objectif étant non seulement la facilitation de l’accès des populations des zones frontalières au service public ainsi mutualisé, mais aussi de faire de ces zones des pôles d’échanges politiques (citoyenneté plurinationale) et marchands entre les pays. Lien vers le livre « Reconstruire l’Afrique : Vers une nouvelle gouvernance fondée sur les dynamiques locales » de Ousmane Sy, paru en novembre 2009 chez Jamana à Bamako et Charles Léopold Mayer à Paris : https://docs.eclm.fr/pdf_livre/339ReconstruireAfrique.pdf

44

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE


Reconfigurations territoriales

La question terroriste étant transfrontalière, la prise en charge des questions sécuritaires s’effectue par la mutualisation des efforts et des moyens pour faire face à l’insécurité ; la constitution de la Force multinationale mixte (FMM) dans le bassin du lac Tchad ou de la Force conjointe du G5 Sahel en sont des illustrations. Cependant, ces initiatives ne produisent pas les résultats attendus (« elles sont en panne »). Il reste beaucoup à faire au niveau des États par rapport à la gestion des frontières. Le Sahel est composé d’une diversité d’espaces de circulation, traversés par des « routes » commerciales, pastorales, migratoires et de trafics, sur lesquels se superpose la géographie mouvante de la violence. Pourtant, quand on parle des territoires du Sahel, on pense encore à la crise écologique des années 70. Aujourd’hui, d’autres facteurs exacerbent la conflictualité : la dégradation des ressources naturelles, l’insécurité alimentaire, les effets du changement climatique, l’adaptation des populations, les stratégies de survie (dont l’agriculture extensive qui occupe de plus en plus d’espace avec pour conséquence des migrations ou des conflits entre éleveurs et agriculteurs). Ces facteurs doivent placer les systèmes de production au cœur des considérations. Leur intensification requiert la mobilisation effective des ressources comme l’eau (dont les eaux souterraines) et l’énergie (dont l’énergie solaire). Les approches actuelles

sur le climat ou sur l’énergie ne sont pas satisfaisantes. Il faudrait penser les questions structurantes, telles que le développement bas-carbone ou l’accès à l’énergie, comme des visions géopolitiques et géostratégiques de premier plan. Sur le plan régional et international, on note un regain d’intérêt géopolitique certain pour le Sahel depuis une dizaine d’années en lien avec les enjeux sécuritaires, migratoires et de développement. Malgré la mobilisation de forces régionales, les États sahéliens ont dû faire appel à des forces étrangères, introduisant la notion de rente sécuritaire. Aujourd’hui, le Sahel est un espace convoité et même disputé par les puissances internationales (France, US, Chine, Turquie, Russie) et ses ressources naturelles sont souvent mises en cause dans cette guerre d’influence. De plus, on observe des tensions entre les velléités d’intégration régionale et les accords noués avec l’UE sur la question de la migration irrégulière. Par exemple, le Niger est devenu la dernière « frontière » avant l’Europe depuis la dislocation de l’État Libyen. Le chevauchement et la superposition des instances de coopération internationales et régionales ont provoqué une cacophonie institutionnelle qu’il faut prendre en compte. Or, il est clair que tant que l’on n’aura pas mobilisé les ressources du Sahel pour effectuer les financements nécessaires, les sahélien·ne·s ne pourront pas se rendre maîtres de leur propre développement.

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

45


Reconfigurations territoriales

Zoom sur la coopération et le développement Préambule Le diagnostic révèle clairement que les racines du problème résident dans les insuffisances de gouvernance locale du développement. Et les faits sont nombreux : • La région n’est plus qu’un cimetière de politiques. • Pire, cette situation ressemble fort à un décrochage stratégique totale – sinon, comment prendre la peine de produire une politique, un programme, mais tout en laissant sa mise en œuvre au bon vouloir de donateurs extérieurs ? • L’autre élément du diagnostic est l’absence quasi-assumée de la culture de redevabilité dans les logiques actuelles de gouvernance du développement dans les pays. En résumé, la situation fait croire à beaucoup de citoyens qu’ils sont face à des syndicats de chefs d’États et de gouvernements « toutpuissants ». Le fossé se creuse de jour en jour entre gouvernants et administrés – avec les conséquences que l’on connait : révoltes, violences aggravées (pour ne pas dire des révolutions) « les uns mangent, les autres regardent et ainsi naissent les révolutions » comme on aime le dire le plus souvent. Ce diagnostic ne devrait pas nous abasourdir, mais plutôt nous donner le courage de rebondir – et c’est d’ailleurs le sens de ces Concertations sahéliennes. Est-ce possible de redonner le cap au navire ? Évidemment que la réponse est oui, car la fatalité n’est pas permise.

46

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

Pour réussir ce pari, il va falloir cependant répondre à une série de questionnements dont : • Comment replacer chacun des acteurs de la société – à savoir les acteurs publics et non public – dans son rôle, ou core business ? Et surtout donner à chaque groupe d’acteurs les capacités et les moyens de réussir sa mission ? • Comment amener la région à assumer définitivement sa capacité de fabrique locale de ses visions – ce ne sont pas des laboratoires et think tanks qui manquent ? Comment la région peut-elle démontrer sa capacité à rompre avec la logique qui consiste à « trouver des problèmes aux solutions » qui a caractérisé et qui continue de caractériser l’agenda de la coopération au développement ? S’affranchir de cette démarche suppose que les États assument le minimum de financement souverain de leurs visions et politiques. Comme on aime le dire, « celui qui te prête ses yeux te dictera forcément le chemin à suivre ». • Comment rompre avec l’inertie transgénérationnelle en replaçant la jeunesse au centre du jeu de la gouvernance du développement ? Bien que l’âge médian soit d’environ 17 ans, les cercles politiques au centre de la gouvernance de la quasitotalité des États sont essentiellement animés par des acteurs qui se côtoient depuis au moins 40 ans. Beaucoup de jeunes de 25-30 ans n’ont connu qu’un seul dirigeant. Avec quelles solutions endogènes inverser ces tendances ?


Reconfigurations territoriales

• Comment réinventer la coopération au développement ? Alignement et coordination ne se décrètent pas : ils se méritent. Les États doivent se doter des capacités pour assumer ces fonctions. Pire, comment surmonter le risque de démultiplication des nouveaux espaces (G5, Alliance…) de coordination et de coopération imposé à la région par la crise sécuritaire ?

• Comment légitimer et s’appuyer sur l’ingéniosité, les savoir-faire, les capacités transformatrices, d’innovation et d’adaptation des braves sahéliennes et sahéliens, qui ont toujours su répondre de manière endogène aux adversités ? L’exemple de milliers de sahéliennes et sahéliens comme Yacouba Sawadogo, surnommé « l’homme qui arrêta le désert », devrait être une source d’inspiration pour les nouvelles logiques de co-construction et de gouvernance du développement.

Discussion L’aspect sécuritaire a pris une importance considérable dans les politiques et les stratégies, jusqu’à saturation. Il faut sortir du prisme du tout militaire de la guerre au Sahel pour s’attaquer aux causes profondes qui ont conduit à l’insécurité en cherchant à résoudre les crises multidimensionnelles en cours. Ceux qui s’engagent dans la violence, bien que minoritaires, bénéficient d’une attention accrue car la visée sécuritaire occulte tout le reste.

Il faut endogénéiser les politiques publiques Il faut se tourner vers ceux qui ne s’enrôlent pas, s’attarder sur les mécaniques de résiliences développées pour faire face à la violence. Aujourd’hui, au Sahel, que représente le travail pour une jeunesse qui n’a rien ? Il faut inspirer des stratégies alternatives en regardant les espaces interstitiels « par le bas ». Il faut déclencher une endogénéisation des politiques publiques. Parallèlement, il faut initier une autocritique de l’administration face à l’échec de nos politiques de développement, cesser de se faire prêter des yeux, cesser d’avoir recours aux bailleurs lorsque nous sommes dans l’incapacité de consommer les crédits disponibles. Il faut dénoncer les paradoxes. Lorsqu’en fin d’année, nos fonctionnaires se transforment en consultants pour des bailleurs trop pressés de dépenser,

le manque de cohérence des PTF accentue l’absence de clarté et la difficulté des services de l’État à servir d’interface par manque de ressources humaines. Les débauches de moyens mobilisés pour favoriser la coordination des calendriers et la complémentarité d’action, par le biais de mécanismes de consultation, l’organisation de réunions et le recours à la « diplomatie des sommets », ne suffisent pas à introduire davantage de lisibilité dans un paysage saturé. Nous nous retrouvons à gérer l’urgence avec un grand décalage entre les attentes et les propositions. Face aux problèmes de santé des populations, on leur répond « Covid-19 ». Il faudrait, entre autres : « spécialiser les partenaires » ; s’appuyer sur la jeunesse (qui à défaut peut se faire payer pour poser des mines) ; déployer les organisations sous-régionales sur le terrain ; et se doter d’éthique dans l’attribution des financements. Quand la grogne sociale gagne du terrain, on constate trop souvent une continuité du système : on passe le relais à une autre personne du même groupe. Il faut s’attaquer au problème de réseautage à la tête de l’État. Le manque de mécanismes de contrôle favorise le détournement et les services rattachés mis en place avec de gros moyens ne rendent pas de compte ou alors les inspections sont annoncées à l’avance pour permettre de préparer les « enveloppes ». Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

47


Reconfigurations territoriales

RECONFIGURATIONS TERRITORIALES

Il faut trouver les moyens d’améliorer l’écoute. Au-delà des questions de développement, il y a un problème de considération. « Alors que les gens cherchent 200 F CFA pour manger, les responsables du développement roulent dans des 4*4 qui coûtent plus que le salaire à vie d’un citoyen du Sahel ! Les gens ne se révoltent pas à cause du climat ou du manque de développement mais parce qu’ils se sentent ignorés. » Il faut s’attaquer aux inégalités. Nous devons interroger l’enrôlement de certaines communautés dans des groupes armés à l’aune de leur recrutement dans les corps de l’État. Il faut s’attaquer au sentiment d’exclusion, à la discrimination et à la marginalisation. Lorsqu’on voit nos compatriotes se présenter dans les réunions des peuples autochtones à l’international, c’est peut-être par ce qu’ils se sentent exclus chez eux.

Rendre nos sociétés plus justes et équitables exige la participation de chacun et la contribution de tous les talents. Depuis les Programmes d’ajustement structurel (PAS), on remarque qu’il n’y a plus de renouvellement ni de relève générationnelle. Les étudiants diplômés n’ont plus le savoir pédagogique suffisant pour enseigner, le système LMD (licence-master-doctorat) revient à une semestrialisation des cours et les laboratoires se montent sur le papier. Les savoirs d’aujourd’hui ont changé. La façon dont les ainés considèrent les expériences n’est plus adaptée aux nouvelles générations largement majoritaires. Une mise à jour s’avère nécessaire pour renouveler la capacité à fabriquer nos propres visions et politiques. Il faut arrêter le copier-coller, renforcer l’État en adaptant les institutions, particulièrement dans le système éducatif.

Pistes de changement formulées en Salle Gerti Hesseling f Partir du consensus local pour formuler la règle et la loi. f Dynamiser les concertations locales. f Renforcer la coopération transfrontalière en tenant compte des facteurs socioculturels. f Adopter une approche territoriale. f Développer les pôles économiques transfrontaliers. f Mieux gérer les frontières. f Améliorer les systèmes de production en les intensifiant. f Faire de l’énergie solaire ce que le pétrole a été pour le Moyen-Orient. f Créer plus d’emplois en investissant dans les territoires pour régénérer des écosystèmes viables (via la lutte contre la désertification et contre les effets de la sécheresse) disponibles pour les jeunes. f Construire un espace régional fort doté d’infrastructures conséquentes via la modernisation des transports.

48

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE



Conclusion

Conclusion Allocution de clôture Ibrahim Assane Mayaki Secrétaire exécutif de AUDA-NEPAD et Président honoraire du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, parrain des Concertations sahéliennes Discours prononcé le 23 novembre 2021 Je tiens à vous remercier très chaleureusement pour votre participation aux Concertations sahéliennes. Ce n’est pas quelque chose que nous prenions comme acquis. Le fait même d’engager ces discussions est une démarche extrêmement importante. D’autant que nos concertations suscitent d’ores et déjà une grande curiosité en dehors des murs du LASDEL. Cela vient confirmer leur nécessité. Afin de repenser la gestion de la vie publique au Sahel, vous avez formulé des conclusions cohérentes et solides. Vos pistes de réflexions précises ont été étayées par des modes opératoires indispensables à la réalisation des intentions. Elles seraient trop nombreuses pour les rapporter ici, mais je retiens toutefois quelques éléments. Tout d’abord, le « retour » de l’État passe par une meilleure représentativité des acteurs locaux. Les citoyens doivent « devenir l’État ». Il faut une plus grande inclusion des parties prenantes pour s’attaquer à la complexité de la situation. On parle ici du binôme « inclusion – complexité ». Les solutions à ce contexte complexe ne pourront pas être définies sans inclusion. Il faut en faire le principe fondamental qui guide l’action. L’inclusion devrait être adoptée comme approche systémique par tous les acteurs, y compris par l’État qui ne détient plus le monopole de la pratique de la gouvernance. Les réseaux d’acteurs impliqués 50

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

dans la gouvernance du Sahel doivent jouer la carte de l’inclusion. Ensuite, il faut veiller à toujours contextualiser les solutions qui sont très différentes selon les zones (ce qui a d’ailleurs suscité des antagonismes dans le débat des Concertations). La contextualisation permet de réduire les erreurs que l’on peut commettre. J’aimerais ici vous renvoyer à la lecture du livre de Jean-Pierre Olivier de Sardan, « La revanche des contextes : Des mésaventures de l’ingénierie sociale en Afrique et au-delà » [publié en avril 2021 chez Khartala], qui touche précisément au cœur du sujet. Finalement, créer plus de plateformes d’échange et de partage d’expériences s’impose comme une évidence. Cette dimension est absolument nécessaire et cadre bien avec le premier point sur l’inclusion. Sans échange ni partage, on ne peut pas parler d’inclusion. C’est le triangle des Concertations sahéliennes. Le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest s’engage à inscrire minutieusement ces pistes de réflexion dans les Actes des Concertations sahéliennes. Nous sommes également prêts à servir de caisse de résonnance à ces perspectives originales auprès de nos Membres. Ces derniers ont approuvé le principe de l’ouverture de l’espace du Club aux laboratoires d’idées lors


Conclusion

de notre dernier conseil d’administration. Toutefois, les contours de l’accueil et de l’accompagnement réservés à ces nouveaux acteurs au sein du Club restent à définir. Pour nous, ce qui ressort de ces Concertations restera l’axe le plus fondamental. Au-delà de la dissémination, comment rendre le dialogue utile et inscrire cet exercice de réflexion dans une dynamique d’action pour initier une dynamique de co-construction des politiques publiques ?

Le monopole de la gouvernance détenu par l’État central est un schéma révolu La co-construction est un concept auquel nous tenons énormément. Il rejoint là encore la question de l’inclusion. Le schéma selon lequel « un État central monopolise la définition des politiques publiques et pense que ce monopole peut permettre une mise en oeuvre efficace »

est révolu. Le nouveau chantier qui s’ouvre porte sur comment construire ensemble des politiques publiques, les co-produire, les co-construire. C’est le mode même de fonctionnement de l’État qui doit être revu. Quels sont les dispositifs à mettre en place pour pérenniser cet échange ? Nous restons à votre écoute et sommes ouverts à vos propositions. En effet, il ne serait pas très éthique d’avoir organisé cet échange sur une base ad hoc sans qu’il y ait de poursuite dans l’écoute. Pour conclure, je tiens à vous réitérer ma reconnaissance d’avoir fait le déplacement. Avant de nous quitter, je souhaite adresser mes remerciements les plus vifs à l’égard de ceux sans qui ces Concertations n’auraient pu se tenir : à l’équipe organisatrice du Club qui est composée de Sarah Lawan Gana, Khadija Maïga, Alison McLatchie, Azéddine Moussa Mahamat Saleh, à toute l’équipe du LASDEL pour l’accueil chaleureux, et notamment à Siddo Moumouni et Adamou Bello pour leur précieux soutien.

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

51


Épilogue

Épilogue Les Concertations sahéliennes ont été saluées par celles et ceux qui y ont contribué. Elles ont mobilisé plusieurs panels d’observateurs multidisciplinaires, transgénérationnels et mixtes. Les discussions ont été libres et riches. Elles ont dessiné des logiques de pensées structurantes, ancrées dans le réel et basées sur une approche de questionnement stimulante. Elles ont créé un cadre de réflexion constructive de qualité au sein duquel les certitudes sur la gouvernance et les modèles de stabilité appliqués ont été confrontées aux réalités de vie des sahélien·ne·s et où des évidences contre-intuitives ont été mises sur la table. Alors même que tout est urgent, elles ont confirmé qu’il est indispensable de se nourrir des modèles d’actions expérimentés au Sahel pour envisager l’avenir à plus long terme. Elles ont offert un espace de rencontre ad hoc que certains aimeraient bien voir pérennisé. Des participants ont proposé d’organiser les prochaines Concertations de manière « mobile » dans les autres pays du Sahel. Après la restitution, il conviendra de continuer à échanger autour des pistes formulées à Niamey pendant ces deux jours ainsi que lors des discussions virtuelles qui se sont tenues en amont de la séance plénière. Ce pourrait être

52

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

le point de départ d’un plaidoyer transsahélien renforcé en termes de solidarité et de fraternité ou encore d’une plateforme de mise en commun des expériences et des expertises sur les questions de gouvernance « par et pour le Sahel ».

Revenir aux fondamentaux implique de se remettre en question La séance plénière a réaffirmé l’importance de poursuivre la réflexion sur la gouvernance, la stabilité (sécurité, violence, résolution de conflit), l’État, les politiques publiques de développement, les frontières, la justice sociale (discrimination, communautarisme, manque d’équité et de liberté d’expression), l’inclusion et la citoyenneté, mais aussi d’approfondir les considérations sur l’environnement et le genre. Finalement, un des participants réunis à Niamey a lancé un avertissement : « Au-delà de la déconstruction simplificatrice, revenir à la base des choses pour poser les questions fondamentales suppose de se remettre en question [mais] a-t-on vraiment envie de se bousculer soi-même ? »


Annexe I

Annexe I Entre août et octobre 2021, le Secrétariat du CSAO a facilité une série de cinq sessions de discussion virtuelles. Lors de chaque session, un membre du Conseil consultatif disposait d’une « carte blanche » pour choisir les thèmes abordés et inviter les intervenants de son choix. Les débats (tenus en format Chatham House de trois heures) ont porté sur la gouvernance, les territoires, la coopération et le développement, les perspectives locales sur la paix et la sécurité, les réseaux sociaux et l’engagement politique, social et économique de la jeunesse. Les participants n’étaient pas contraints par un agenda rigide, ordonné et minuté. Ils pouvaient exprimer le fond de leur pensée. Les échanges, parfois contradictoires et souvent poignants, ont été riches, amicaux et sincères.

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

53


Annexe I

La gouvernance dans tous ses états Animé par Mahaman Sanoussi Tidjani Alou le 27 août 2021 Considérant ici la gouvernance comme une porte d’entrée, on se retrouve vite confronté à des difficultés d’appréhension. Il y a tout d’abord un décalage entre les approches institutionnelles et les attentes. Il existe une pluralité d’index et d’indicateurs (ex. l’Indice de Développement Humain du PNUD – IDH ; l’Indice Mo Ibrahim de la gouvernance africaine – IIAG ; l’Indice de transformation Bertelsmann – BTI) dont la portée est limitée pour traiter et gérer les impatiences mais aussi les espoirs des populations. Il règne un désordre conceptuel lorsqu’il s’agit d’étudier ces réalités complexes. De quoi parle-t-on : gouvernance locale, politique, publique, par qui, pour qui ? Il faut être très concret et explicite dans la description de l’appareil politique. Les agences détiennent une sorte de monopole autour de la gouvernance. Il faut par ailleurs questionner la place des « petites mains » de l’administration, les street level bureaucrats, indispensables liens entre l’État et la population. De même, il faut s’interroger sur la place de la société civile au sein de laquelle on observe une sorte de gentrification. Qui sont les véritables animateurs de l’action publique ? Les cadres qui dirigent les communes et les collectivités territoriales poursuivent-ils des agendas de développement ou leur agendas propres ? L’administration doit être moins politisée pour avoir des cadres au service de l’État et non à celui de leurs intérêts partisans ou individuels. Au-delà du (relatif) confort matériel lié au fonctionnariat ou à la captation des actions de solidarités menées à l’endroit des populations, sont-ils en position de contribuer à la réflexion menée autour de questions majeures (comme l’aménagement du territoire) en vue d’un meilleur accompagnement de l’action étatique ? Ne faudrait-il pas porter l’accent sur la responsabilité sociale de ce corps ? Un point de vue crucial est celui de l’accueil réservé aux choix des modes de gouvernance par les populations. En cela, l’exemple de la décentralisation des services publics de proximité est éloquent. L’État s’est en quelque sorte « déchargé » sur des collectivités qui n’avaient ni les moyens ni les compétences de délivrer ces services, décevant par là même les populations qui devaient pourtant bénéficier de cette décentralisation. Il semble important de tirer un bilan des choix faits en matière de transfert de compétence et de méthodologie d’action. Outre les moyens, il y a une question de relation de confiance avec les populations qui remarquent l’incapacité des acteurs décentralisés à résoudre leurs problèmes. De fait, les populations n’ont plus confiance ni à l’État central ni aux collectivités locales et s’en remettent plutôt à des projets typiques et concrets. Ainsi, on constate que les dynamiques locales de résilience se réalisent en dehors de l’État. Ailleurs, on assiste à des réajustements de la gouvernance de proximité, qui se traduisent au Niger par un renforcement des autorités coutumières qui sont appelées à coadministrer avec les autorités locales.

54

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE


Annexe I

Dans des sociétés souvent très hiérarchisées, comment reconstruire le lien social et politique sans reproduire cette verticalité ? Il faudrait impliquer les populations à la base pour qu’elles sentent que leur avenir leur appartient. Faut-il revenir à l’arbre à palabre ? En tout état de cause, face à la pluralité des approches, à la multiplication des priorités, au manque de continuité des politiques sectorielles (dans le développement les cycles changent tous les 10 ans), les populations désabusées disent des experts : « vous êtes notre lumière mais aussi notre obscurité ». Les priorités des populations (hier la justice, aujourd’hui la sécurité car « pour le reste – éducation, santé, eau – il y a les ONG… ») dénotent d’une certaine perception de l’État. Il est à craindre qu’avec le doublement de la population, les digues gouvernementales soient rompues en terme de ressources financières et de capacité intrinsèque à faire face. Nous sommes dans un système à deux vitesses, caractérisées par la lenteur de l’état d’une part et la rapidité des dynamiques sociales d’autre part. Dans tous les cas, l’augmentation de la population nous force à envisager moins d’administration, plus de contractuels et de temporaires à durée déterminée, y compris au niveau des appareils politico-administratifs. Pour autant, l’avenir du Sahel se décide-t-il ailleurs ? Malgré le risque que comporte l’importation de solutions faites ailleurs, on assiste bien souvent à une « politique de la faiblesse » qui s’alimente des rentes de l’aide internationale. En Afrique de l’Ouest, la forte dépendance aux donateurs engendre des systèmes de planification « biaisés par le don » et des structures inadaptées. Les décisions se prennent sans implication des populations. Ce manque de délibération publique sur des questions monétaires (FCFA) ou encore sécuritaires nourri aussi le sentiment de rejet de certains partenariats (anti-français par exemple). Cela crée des situations paradoxales entre le désarroi provoqué par le retrait des troupes françaises quand, dans le même temps, on tient un discours de souveraineté. Toutefois, la thèse de l’hégémonie occidentale est à relativiser dans un environnement géopolitique actuel qui offre de nouvelles possibilités (Chine, Inde), au risque de créer une dépendance multipolaire. Le leadership africain, même s’il n’en donne pas l’impression, sait en fait se jouer de tout cela. On peut dès lors se poser la question de la qualité des choix, plutôt orientés vers le maintien d’un régime politique donné. Il y a plus de latitude dans les domaines exempts de coopération internationale. Il faut questionner la nature des modalités d’interactions, les contextes et la qualification de la connaissance. Alors que l’on observe une saturation de la parole sur le Sahel, la voix des petits, des faibles, des décentrés reste inaudible. Il faut cependant rester attentif : à la représentation des États (« l’État se vole et se mange ») ; à la montée des autoritarismes justifiés par les crises sécuritaires, sanitaires, développementales (cf. le cas du Rwanda) et qui intègrent la violence comme mode de régulation ; et à l’évolution du rapport État-société et la place de plus en plus centrale occupée par les réseaux sociaux dans l’espace public. Les dynamiques sociétales vont vite, très vite, on assiste à une digitalisation des sociétés par le bas. Des groupes WhatsApp interpellent avec succès les élus locaux. Le contexte droit de l’hommiste est dépassé, remplacé aujourd’hui par l’avis des agences de notation. Il faut tenir compte de toutes ces évolutions significatives et garder en tête que l’État sait agir lorsqu’il a intérêt à le faire. Attention toutefois à la tentation de contournement de l’État qui est vouée à l’échec : on considèrera plutôt la réforme, réinvention, refondation d’un État doté d’un but politique précis. L’État c’est aussi le corps d’État, il faut des fonctionnaires compétents pour prendre en charge Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

55


Annexe I

les dynamiques actuelles. Cela ne peut se faire sans prendre en compte les questions d’éducation et de redevabilité. Quid de la gestion axée sur les résultats vis-à-vis des services rendus et des budgets affectés ? Les outils utilisés sont-ils pertinents pour répondre aux besoins de justice par exemple ? Les scandales récents dans les secteurs de la défense et de la sécurité expliquent la désaffection des populations et pose la question des standards utilisés dans un contexte d’insécurité grandissante. Nous avons besoin de capital humain plutôt que sécuritaire. Les politiques éducatives de ces dernières années ont contribué au manque de ressources humaines constaté aujourd’hui. Or, le défi de l’éducation est central pour aborder les questions de morale ou de sanction dans les institutions publiques, mais également pour configurer des États plus à même de mener des politiques publiques multisectorielles. C’est moins la conception des politiques publiques qu’il faut remettre en cause mais plutôt leur mise en œuvre. Finalement, l’État doit se placer au plus proche des demandes du peuple s’il veut se donner une chance de réussir. Le dirigeant qui met en œuvre ce que la société veut, n’aura rien à craindre. Notre passé doit nous inspirer des formes de gouvernance (démocratie directe, délibération publique, décision collégiale). Plusieurs modèles existent mais requièrent de la part des élites un engagement patriotique pour agir vis-à-vis du peuple et des ressources.

56

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE


Annexe I

De la granularité de la gouvernance territoriale Animé par Laurent Bossard le 3 septembre 2021 « Nous sommes 21 millions de Burkinabè en 2020. 40 % de la population vit sous le seuil national de pauvreté ; 50 % des 15-24 ans sont illettrés (plus de 60 % pour les filles) ; l’immense majorité des ruraux n’a toujours pas accès à des installations sanitaires décentes ; il n’existe qu’un demi lit d’hôpital pour 1000 habitants. L’école, la santé mais aussi la police (c’est à dire l’ordre et la protection) et la justice (c’est-à-dire le droit) sont absents d’une partie croissante du territoire et abandonnent une partie croissante de la population. Nous serons 27 millions de Burkinabè en 2030, 35 millions en 2040. Aucun gouvernement – même de bonne volonté – ne pourra rattraper les erreurs et les retards accumulés ni encore moins affronter les défis de l’avenir, sans remettre en question la façon de concevoir et de mettre en œuvre les politiques publiques. À défaut, nous pensons qu’une grande partie de la population (au moins un tiers, peut-être plus) ne vivra plus sous l’égide de l’État de Droit dans dix ans. Les forces désintégratrices consacreront le développement de deux types de gouvernance. L’une de « non-droit » dans les zones abandonnées par l’administration et non couvertes par les biens et les services publics ; et où la notion même de citoyenneté burkinabè perdra son sens. L’autre « de Droit » dans une partie du territoire considérée comme plus ou moins « normale ». Qu’adviendra-t-il de la nation burkinabè ? » L’avenir du Sahel ne peut s’envisager sans prendre en compte les dynamiques urbaines en cours : il y aura de plus en plus de villes intermédiaires et les espaces ruraux seront plus denses à l’horizon d’une génération. Aussi il fait sens de considérer la question des territoires comme point d’entrée de la réflexion collective. Cependant, les revers de la gouvernance territoriale doivent nous inciter à revisiter l’histoire du développement territorial, les communautés qui y sont ancrées et interroger les disfonctionnements de l’anticipation, des méthodologies et des concepts employés. Historiquement, le Sahel fut constitué de grands royaumes dont la longévité reposait sur des alliances locales (par ex. matrimoniales) qui furent défaits avec la colonisation européenne. Au sortir de la tutelle coloniale, les pays sahéliens ont entrepris de refonder des territoires plus appropriés, cohérents et efficaces dans leur autonomisation progressive. Le modèle de binôme décentralisation-déconcentration liant administration centrale et collectivités territoriales a été appliqué selon une logique d’État dont les administrateurs ont mené des processus jacobins. Au Mali, les consultations menées en 1997-98 ont permis de dessiner les contours de 703 communes administratives ainsi que leur chefs-lieux. Cependant les efforts de décentralisation de la gestion des affaires publiques engagés ces 30 dernières années se sont soldés par un maillage territorial cosmétique, sans prise réelle avec les pouvoirs publics. Aujourd’hui on assiste à un morcèlement territorial, communautaire et humain de la carte du Sahel. On contemple avec impuissance le délitement des alliances séculaires. Différents types de gouvernance locale (par ex. jihadiste) sont en train de se mettre en place dans des territoires échappant aux autorités centrales absentes, dysfonctionnelles et sans légitimité. La région, pourtant habituée aux crises nationales, doit maintenant faire face à un groupe de crises territoriales. Or, ces territoires ne sont pas homogènes mais plutôt constitués d’une sédimentation de légitimités (ethniques, religieuses, coutumières, traditionnelles) gérée de manière différenciée dans chaque pays. Une situation complexe qui conduit à repenser les frontières des États (qu’adviendrait-il si

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

57


Annexe I

les HANI [Hommes Armés Non Identifiés] prenaient un jour une capitale) et les organismes communautaires (Conseil de l’entente, CEDEAO, CILSS, Autorité du Liptako-Gourma). Ainsi, aujourd’hui on parlera plutôt de retour au local que de décentralisation, considérée par beaucoup comme non aboutie. En cela, la question des communautés qui peuplent ces territoires s’avère centrale. Il revient aux communautés de décider des choix qui doivent guider la définition de leur futur, en partant du postulat que leurs élus ou représentants sauront mieux gérer les affaires locales (eau, ressources minières) que les fonctionnaires dépêchés par l’État central. À partir de là, on peut formuler des pistes de gouvernance territoriale basées autour de communautés réinventées (comme au Liptako-Gourma) ou en envisageant des pays-frontières plus en phase avec le peuplement. Là où ont été créées des régions artificielles (par ex. Taoudénit au Mali), ne faudrait-il pas revoir l’autonomie et l’autodétermination avec un prisme nouveau – au risque d’être taxé d’identitaire ? La difficulté réside dans le fait que ces communautés sont en train de muter. Celles d’hier, soumises et mal informées, ont laissé la place à des communautés éveillées qui communiquent entre elles et avec le monde. Une partie de la jeunesse se reconnait dans des chefs coutumiers et religieux, considérés comme plus légitimes que ceux issus de la démocratie. Ces nouvelles pratiques ont émergé à l’insu d’un État totalement disqualifié. Il faut penser le pluralisme communautaire en devenir car ce sont ces nouvelles alliances, issues de luttes, compromis et négociations, qui permettront de reconstruire les territoires nationaux et régionaux. Ces transformations déterminantes doivent instruire une reconfiguration territoriale pour ensuite initier une réforme de l’État. Comment créer une forme d’unité nationale respectueuse d’identités plurielles tout en gérant cette diversité sur l’ensemble du territoire ? La tenue d’une discussion audacieuse avec les acteurs peuplant ces territoires semble incontournable. Cette évolution pose la question du tri des valeurs culturelles, normes et référents axiologiques sans tomber dans l’essentialisme. Il faut sortir de l’entêtement rétrospectif (Gaston Berger), du piège de la terminologie, de la sémantique, et repenser le logos, penser le monde de demain sans utiliser des termes datés de l’époque napoléonienne ou du traité de Westphalie. La démarche est risquée, pouvant conduire à la perte de repères traditionnels, mais nécessaire devant les mutations sociétales. Les valeurs « africaines » ne sont pas immuables. Quelles sont les valeurs endogènes pourvues d’un caractère universel ? Que fait-on du patriarcat ? Pourquoi la question des femmes ne s’examine qu’à la lueur de la violence basée sur le genre ? Les modalités opérantes de gouvernance sont en réalité hybrides. L’héritage colonial côtoie acteurs non-étatiques et sphères informelles dans une gouvernance multi-niveaux. La corruption, les pratiques solidaires, les systèmes d’alliances s’effectuent au sein de cadres institutionnels établis. Les prises de décision et les modes d’intervention sur le terrain fonctionnent en réseau. Il est donc urgent de prendre en compte le caractère hybride des appareils politico-administratifs. Cette hybridité imprègne également les méthodologies appliquées en matière de politiques publiques, en particulier le suivi-évaluation, les indicateurs quantitatifs, le monitoring, le reporting, les parties prenantes et les approches modélisées. Ces outils sont utilisés par les administrations, les ONG, les consultants et autres acteurs décentralisés pour satisfaire des demandes extérieures alors qu’ils peuvent s’avérer délétères et obstruer l’efficacité de l’aide octroyée à la région. Des modèles endogènes existent (cf. l’essai « Afrotopia » de Felwine Sarr). Des scénarios ont été faits (cf. les 4 scénarios proposés dans l’ouvrage « Afrique 2025 » d’Alioune Sall). Des concepts ont été introduits (par ex. celui de transformation structurelle utilisé dès 1987 dans l’étude conjointe 58

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE


Annexe I

CILSS-CSAO intitulée « Le Sahel face aux futurs : dépendance croissante ou transformation structurelle »). La situation actuelle avait été entrevue par des études prospectives nationales (notamment celle du Mali dont le scénario catastrophe établi en 2000 est en train de se réaliser) qui n’ont pas reçu l’écho espéré. Dès lors, comment passer de l’anticipation à l’opérationnalisation, de la réflexion à l’action, pour transformer les sociétés ? Il faut tout d’abord s’atteler à résoudre certaines ruptures. Des ruptures temporelles : entre les chercheurs (temps long), les affiliés d’organisations internationales (temps du projet, impératif de décaissement) qui ont mené les études, ont produit les rapports et les décideurs au sein de gouvernements (échéance électorale pour un gouvernement, mensuelle pour un fonctionnaire, à 3 ans pour un ministère des finances ou du plan) à qui ils ont été remis. Des ruptures méthodologiques : entre la réflexion prospective (qui étudie les ruptures) et la planification (qui recherche à tout maintenir en l’état). Il faut ensuite assurer la transmission du savoir en faisant preuve de courage dans un paysage institutionnel dont les forces conservatrices empêchent l’éclosion d’idées transformatrices. Or, la réalité n’est pas binaire : c’est plus complexe que cela. Le privé ne peut prospérer que lorsque l’État offre des garanties tangibles. La décentralisation repose sur un État fort qui soit avant tout légitime. Les modalités de coopération peuvent également être (ré)inventées car rien n’est figé dans le marbre. Malgré le pessimiste ambiant, l’avenir n’est pas joué d’avance. Les tendances lourdes et les invariants ne sont pas une fatalité, tout juste une projection. Il faut finalement rester à l’écoute des signaux faibles qui sont les véritables germes du changement. Il existe toujours une possibilité que la transition démographique soit accélérée, que l’urbanisation soit associée à plus de productivité, que l’informel ne soit pas qu’un secteur de survie… Le changement est possible !

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

59


Annexe I

Institutionnaliser la co-construction de la gouvernance locale du développement Animé par Laurent Bossard le 10 septembre 2021 « Si l’on n’arrive pas à savoir pourquoi on a trébuché, on n’a pas moyen de se relever. Le problème est la malgouvernance institutionnalisée liée au fait que des cadres coloniaux ont été copiés sur des réalités qui ne leur correspondaient pas. Au Sahel, les schémas d’institutions existent mais pas les institutions. Des États entiers n’existent que sur le papier. […] La démocratie devient synonyme d’élections volées. Le système de financement arrange surtout : les institutions qui savent que leur argent est détourné, les bureaux d’étude qui captent la manne financière et les chargés de portefeuille qui avancent dans leur carrière et tissent des relations. Comme dans un conglomérat mafieux, ces relations ne sont équilibrées que pour une minorité qui tire son épingle du jeu. […] Le racket de la gendarmerie, les bakchichs généralisés, l’impunité des puissants, l’auto-évaluation de l’administration, les financements extérieurs, la pauvreté des dotations allouées aux soldats, le manque d’écoute des populations, etc. Tout cela créé une grande frustration et fait naître le sentiment qu’il existe un syndicat des puissants. La colonisation s’est-elle seulement arrêtée ? Il est urgent d’ouvrir les yeux sur ce que nous pouvons faire par nous-même. […] Il y a un problème de faiblesse structurelle des États vis-à-vis de l’extérieur et de concentration de pouvoir entre les mains des services publics et des appareils étatiques sans mécanisme de redevabilité. La loi d’orientation agricole malienne en est un exemple patent. Après des discussions avec les communautés paysannes, le mémorandum a été voté en 2006. Depuis, rien si ce n’est des centaines de projets qui sont mis en place pour un montant beaucoup plus élevé que si on avait suivi les recommandations initiales d’enregistrement des exploitations (actif, foncier, matériel, géolocalisation) grâce à un dispositif technique simple ! […] Les agriculteurs souhaitent sortir de l’informel mais l’argent nécessaire à ce cadrage se retrouve disséminé. Les grands projets des bailleurs ne s’inspirent pas de leurs aspirations. Las, sur le terrain, les paysans ne sentent rien des 15 % du budget alloués au système agricole alors qu’il faudrait les soutenir, les laisser participer et payer, mettre des fonds de garantie pour l’accès à l’irrigation, créer un tissu économique, arrêter la guerre. […] Le système est violent et c’est pourquoi il engendre de la violence. Il ne faut pas s’étonner ensuite des facilités de recrutement, du choix des armes ou de la chute des capitales du Sahel dans un scénario à l’Afghane. » Dans les années 60, la part du PIB mondial par habitant de l’Asie de l’Est et le Pacifique et celle de l’Afrique étaient quasi équivalentes, contrastant avec des chiffres actuels caractérisés par une divergence de courbes flagrante. Cela dénote une certaine faillite de la construction de l’État postindépendance : les États ayant précédé les nations avec d’importants coups de transaction. À cet égard, la gouvernance a joué et continuera de jouer un rôle central, c’est le point névralgique du changement. Sous l’ère Sankara, la doctrine était « tout ce qui est imaginable par l’homme est réalisable par l’homme ». Même si gouvernance (mise en œuvre de la vision) et vision (représentation de l’intérêt général et du bien commun) sont deux concepts distincts, sa vision aura conduit au développement de mécanismes souverains. Il n’y a pas de logiciel pour faire advenir une

60

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE


Annexe I

« gouvernance visionnaire, patriote et comptable des résultats ». On sait en revanche que les acteurs non-publiques et les initiatives locales émancipées, à l’image du « poulet-bicyclette » qui est le nom donné à la volaille locale ouest-africaine non congelée et non importée, doivent y jouer un rôle essentiel. Toutefois, l’État – et les institutions publiques fortes dotées des moyens nécessaires – doivent être en mesure d’assumer les missions fondamentales qui lui incombent. Le changement passera donc autant par l’accompagnement des services non-publics – dont ceux dispensés par le secteur privé – que par le renforcement des institutions publiques centrées sur leurs seules fonctions régaliennes. Les États d’aujourd’hui sont en situation de précarité structurelle, disposant de capacité humaines et financières très limitées. Comment les repositionner dans leur cœur de mission et les doter des moyens nécessaires ? La forte dépendance aux financements projets, aux marchés internationaux volatiles des matières premières, aux dons, les rendent vulnérables. Ils peinent en outre à mobiliser des recettes fiscales. De fait, les États n’ont pas les moyens souverains de concevoir et mettre en œuvre une vision. Les programmes de développement ou de lutte contre la pauvreté sont bien souvent écrits par des bureaux d’études étrangers. « Celui qui te prête ses yeux te dictera forcément le chemin à suivre ». Cette question du financement des économies a été abordée dans le cadre des États généraux de l’ECO les 26-28 mai 2021 à Lomé, où ils se tiendront dorénavant tous les deux ans. L’avenir visible de la région décrit dans Sahel à venir : ce qu’aujourd’hui nous apprend sur demain peut être lu par le prisme de quatre grandes transitions qui marqueront les prochaines décennies : démographique, écologique, fiscale et démocratique. Le constat est partagé. Les problématiques sont connues. Les mêmes enjeux émergent de toutes les études prospectives sur le Sahel pour l’horizon 2020, 2030 ou 2040. Pour faire face à ces transitions, il est vital de disposer de plus de cadres de dialogue en Afrique, par les africains, pour les africains, afin de faire émerger des consensus régionaux et locaux et se doter d’une vision endogène des processus à l’œuvre (par ex. le Rapport Alternatif sur l’Afrique qui vise le renversement idéologique et épistémologique des analyses sur le continent). La vision doit impérativement précéder l’action. La question des migrations est une illustration éclatante de la faible prise en compte de la perspective africaine. Lorsque que la formulation d’une stratégie migratoire d’un pays est financée par des pays européens, cette politique est centrée autour de l’émigration vers l’Europe, alors que les migrations africaines se développent très majoritairement à l’intérieur du continent. Les stratégies de développement doivent se nourrir des travaux des laboratoires d’idées et des universités du Sahel. Elles doivent s’appuyer sur la réflexion locale qui est la plus à même de formuler des options pratiques, opérationnelles issues de l’observation des dynamiques réelles et de l’écoute des acteurs du terrain. Il existe un grand nombre de laboratoires d’idées sahéliens et ouest-africains. Il existe également plusieurs réseaux, comme le Réseau Think Tank de l’UEMOA, qui ne sont peut-être pas suffisamment connectés entre eux ; peut-être pas assez transsahéliens (transafricains). Ils ont besoin de plus de capacités de résonnance pour exister durablement sur les radars des instances politiques ; c’est-à-dire instaurer avec le politique un dialogue pérenne. Il faut aussi mettre les générations d’aujourd’hui au centre – l’âge médian au Sahel est de 17 ans. On retrouve trop souvent les mêmes dirigeants, les mêmes opposants politiques ou les mêmes représentants syndicalistes depuis de nombreuses décennies. Cette inertie transgénérationnelle masque et inhibe celles et ceux qui verront l’avenir et qui par conséquent sont légitimes pour le préparer. Les jeunes sont capables d’imaginer des solutions. Encore faut-il leur offrir des espaces de concertations et d’expression. Il faut repenser les systèmes de formation – très variables selon Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

61


Annexe I

que l’on se trouve dans le monde francophone, anglophone, arabophone ou lusophone – pour avancer, mais aussi réexaminer la connaissance du terroir, c’est-à-dire des territoires et des tissus communautaires qui le composent. Quelle est la légitimité d’un ministre bardé de diplômes obtenus ailleurs lorsqu’il méconnait les réalités des terroirs de son pays ? Les pays du Sahel sont des acteurs d’un système de coopération au développement dont ils sont aussi le sujet. On y parle alignement, cohérence et coordination. Mais la superposition des discours des autres parties du système rend difficiles l’alignement, la cohérence et la coordination. D’autant plus qu’un interlocuteur n’émet pas nécessairement un discours unique. En France, la perception du FCFA diffère selon que l’on entende le ministère des finances, la présidence de la république ou le ministère des affaires étrangères. Il s’avère donc nécessaire d’insuffler plus de complexité dans les analyses globalisantes pour permettre une réflexion de fond et l’articulation de chaînes de valeurs durables. Un fossé s’est créé entre les gouvernements et les citoyens gouvernés, surtout les plus pauvres et vulnérables qui se situent au bas de l’échelle économique. Il y a un réel déficit de communication. L’information circule et révolte ceux qui découvrent ce qui se passe. Il faut créer les conditions d’écoute des populations pour l’avenir de la région. Enfin, il faut tenir compte de l’ingéniosité, du savoir-faire et de la capacité d’adaptation face aux chocs des femmes et des hommes du Sahel à la base. Condamnés par nombre d’experts dans les années 80 en ce qu’ils ne pourraient pas subvenir à leurs besoins à cause de la sècheresse, les populations résilientes à l’instar de Yacouba Sawadogo, « l’homme qui a arrêté le désert », ont montré que l’on pouvait faire autrement et que tout était possible. De telles capacités transformatives et d’innovation devraient constituer le ciment des modèles de développement ; les gouvernants devraient s’en inspirer et surtout œuvrer à les amplifier.

62

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE


Annexe I

Nourrir les doctrines de sécurité de la complexité des situations et de l’avis des communautés Animé par Niagalé Bagayoko le 17 septembre 2021 « Tout a commencé à Kidal avant de s’étendre partout, comme une pandémie. Aujourd’hui, on parle tous des 3 frontières en oubliant le centre névralgique que constitue cette agglomération du nord du Mali. […] À Gao, les jeunes et les femmes font de la figuration. Ils sont absents des instances de prise de décision et leurs besoins ne sont pas pris en compte. Aussi il ne se reconnaissent plus dans les autorités. Le désordre y est total : il n’y a plus d’État, on ne paye plus de taxe, et cela arrange beaucoup de monde. La région de Gao est quant à elle divisée entre zones sous le contrôle des forces de sécurité, des signataires de l’Accord, des groupes d’auto-défense ou des groupes jihadistes. Les groupes armées maîtrise le terrain et font du trafic (drogue, armes, êtres humains) dont ils retirent une manne financière leur permettant d’embaucher la jeunesse désœuvrée. […] À Niafounké, les populations refusent de faire appel aux FAMAs qui sont perçus comme dépêchés sur zone uniquement dans le but de sécuriser les travaux routiers réalisés par une entreprise française. […] Dans la région de Tillabéri, plus personne ne sait qui est qui. Une épée de Damoclès plane en terme de sécurité humaine et multidimensionnelle : le simple fait d’aller cultiver son champ implique un risque non maitrisable de croiser des groupes jihadistes, des bandits, des individus à moto, etc. il y règne une forme de panique générale. […] Dans la zone de Maradi, à la frontière du Nigéria, l’embrasement est en cours. Les enlèvements devraient être considérés comme des signaux inquiétants d’une dégradation sécuritaire. Est-il encore temps de prévenir ? […] Dans la zone des 3 frontières, dans les communes rurales nigériennes de Tamou ou de Makalondi, groupes armés et populations cohabitent sur les sites aurifères, prient et vivent ensembles sans que personne ne dénonce personne. Tandis qu’à Bankilaré, Ayorou et Bani Bangou, on recense les violations des droits de l’homme. […] L’insécurité est en train de progresser doucement mais surement vers le sud, notamment la région forestière de Sikasso qui permet de cacher des armes ou de se soigner à l’abri des drones. » La question sécuritaire laisse planer une incertitude sur l’avenir du Sahel. C’est une question difficile à cerner dans sa forme multidimensionnelle – non plus seulement en tant que sécurité d’État. Les causes sont multiples et les responsabilités à plusieurs niveaux, au point de confondre les manifestations de l’insécurité et la crise elle-même. Une pléthore d’acteurs intervient dans le champ sécuritaire. Des forces de sécurité et de défense nationales qui ne parviennent pas à sécuriser de larges zones du territoire national et se cantonnent dans les capitales, où se trouvent diplomates et principales ONG, en délaissant les périphéries. Des populations qui sont déchirées entre les nombreux groupes qui émergent et ne parviennent plus à maintenir une cohésion sociale. Des forces internationales, dont la mission est méconnue des populations, qui mettent ces dernières en situation d’insécurité du fait que ces forces sont les cibles d’attaques. Des mouvements armés, des jihadistes, des groupes d’auto-défense, des bandits et des signataires des Accords de paix qui sont tous impliqués dans la gestion de la sécurité et travaillent parfois en coopération. Aujourd’hui tout reste ouvert, y compris le risque de mise en échec des modes d’intervention internationaux, comme en Afghanistan.

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

63


Annexe I

Au Sahel, une infime partie de la population se reconnaît dans l’État central tel qu’il est organisé et géré. Les communautés perçoivent ceux qui ont étudié comme vivant de la richesse du pays et aux dépends des autres. Avec la décentralisation, l’État a reproduit localement ce qui était pratiqué au niveau central, pour le meilleur et pour le pire (i.e. en rapprochant les mauvaises pratiques du pouvoir central des populations). On observe un décalage important entre les aspirations des populations et les ambitions des pouvoirs publics et de leurs partenaires. Ces derniers devraient plutôt partir de la base pour se mettre en adéquation avec les visions et les perspectives des communautés. Il faut revoir la question de la gouvernance dans sa dynamique de mise en œuvre ; c’est comme « une robe que l’on confectionne sans prendre en compte la taille de la mariée ». À cet égard, il y a un problème notoire d’accès à la justice : coûts judiciaires élevés, procédures complexes, cours d’appel excentrées, impunité de certains corps (forces spéciales), peur de représailles, montée de la stigmatisation et marginalisation de communautés victimes d’amalgame émaillent le constat. En 2019, il y avait en tout et pour tout 800 magistrats au Mali, dont 350 en activité. Beaucoup ont décidé d’abandonner leur vocation suite à des pressions dissuasives, comme l’enlèvement d’un juge à Niono. Pourtant, la question du droit est essentielle au vivreensemble. Le système judiciaire doit être encouragé à faire son travail et rendre la justice aux victimes ; c’est la base de l’État de droit. À défaut d’une justice expéditive, les populations ont recours aux cadis et autres mécanismes traditionnels ou trouvent une garantie auprès de la charia proposée par les groupes jihadistes. Le mode de gestion mis en œuvre par un État jacobin de l’indépendance jusqu’à 2012 n’est plus tenable. Le fait que l’État, du fait de sa faiblesse, ne parvienne pas à être présent ni à assurer les services administratifs et sociaux de base remet en doute sa capacité à servir de garant de la sécurité. Cela pose la question d’une gouvernance « responsable », capable d’assurer la paix et la quiétude. Lorsque l’État n’est pas capable d’assurer cette sécurité alors les populations se débrouillent seules, sans plus rien attendre de lui, et échappent à son contrôle. Il faut réorganiser le vaste espace national (cf. le nombre de magistrat ou de policier par rapport au nombre d’habitant) en se dotant d’une nouvelle vision et d’une approche stratégique qui permettent un meilleur maillage du territoire en terme de sécurité des civils. Au Mali, l’armée reconstituée entre forces régulières et mouvements armés ne fonctionne pas car elle compte dans ses rangs des ex-rebelles qui suscitent la méfiance. Que ce soit l’approche de Kona (stabilisation – retour des services – déradicalisation) ou celle du « pôle sécurité et gouvernance », les modèles tentés n’ont pas permis de changer la situation. La paix ne peut se décréter. Ce sont aux acteurs communautaires d’exposer leurs conceptions de la sécurité ainsi que les solutions qu’ils entrevoient : ils savent mieux que quiconque ce qui est bon pour eux. On observe une inadéquation entre les mécanismes de gestion des conflits et les réalités. Il y a un problème de doctrine ; la sécurité des institutions passe avant celle des communautés. Il faut avoir le courage de repenser les doctrines de sécurité en fonction du contexte local, sortir du schéma selon lequel la sécurité de proximité serait une déconcentration de la sécurité nationale. Il faut revoir l’approche du tout militaire, réviser les chartes écrites à une autre époque, y compris au niveau de la CEDEAO et de l’UA, pour se rapprocher des peuples. Tous ces instruments doivent être mis à l’épreuve de ce que pensent les populations. Il faut confronter les idées préconçues à l’extérieur ou datées aux réalités du terrain ; force est de constater que construire des forts à la Vauban pour créer des enclaves sécurisées ne fonctionne pas. Il faut changer les cadres de pensée inadaptés et ceux, méthodologiques et institutionnels, qui au mieux ne correspondent pas aux situations et au pire sont néfastes. Il faut cesser d’appliquer uniformément des solutions générales

64

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE


Annexe I

alors que les spécificités sont extrêmement différentes d’un espace à l’autre. Les experts locaux au contact du terrain doivent être intégrés au débat et guider les politiques de sécurité. Il faut tenir compte des ruptures du terrain (i.e. de l’évolution des acteurs concernés, des modes opératoires, des causes profondes) en mettant en place une lecture plus approfondie des dynamiques silencieuses de la crise (par ex. les enlèvements de citoyens anonymes ne transparaissent pas dans les stratégies de gestion de la crise contrairement aux prises d’otages étrangers très médiatisées) pour faire de la protection des civils une dimension fondamentale des schémas globaux d’intervention. Puisque la géographie des dynamiques sécuritaires est en cours de redéfinition, il faut cartographier le(s) conflit(s) au Sahel en tenant compte des systèmes économiques à la marge (par ex. le boom aurifère, les pratiques de dragage) afin de parvenir à articuler des approches préventives de sécurité territorialisée efficaces. De même, les dispositifs de collecte de données quantitatifs montrent leurs limites quand seuls 10 à 20 % des incidents sécuritaires sont rapportés. Il faut parvenir à articuler une approche plus qualitative, reflétant les dynamiques réelles expérimentées par les populations et les communautés et tenant compte des structures des pouvoirs locaux, dans les stratégies opérationnelles. En cela, les apports sociologiques et anthropologiques sont plus que nécessaires.

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

65


Annexe I

Réseaux sociaux, nouveaux espaces d’expression et d’engagement citoyen d’une jeunesse à la marge Animé par Gilles Olakounlé Yabi le 1er octobre 2021 L’avenir visible du Sahel à une génération ne peut s’envisager sans le numérique. Aujourd’hui, les sociétés épousent les nouvelles technologies grâce à la téléphonie mobile, le secteur informel se réinvente en digital avec créativité et les espaces d’expression et de débat basculent en ligne. Ces nouveaux canaux de communication changent les modalités de mobilisation qui influencent les politiques publiques. Au Mali, de nombreuses mobilisations ont démontré la puissance des réseaux sociaux. En 2017, Le mouvement « An tè a bana », devenu depuis une plateforme de veille citoyenne, s’est positionné contre le référendum de révision constitutionnelle. En 2019, #TombouctouVeutUneRoute, le hashtag emblématique du « printemps des routes malien », a fait déplacer des ministres et permis la signature d’un accord pour la route Bamako-Ségou-Tombouctou-Gao. Plus récemment, des messages, massivement relayés sur les réseaux, ont amplifié les manifestations qui ont conduit au coup d’État du 18 août 2020. Au Tchad, les réseaux sociaux ont propulsé un acteur « virtuel » considéré comme marginal à la tête d’un « parti Facebook », Les Transformateurs, capable de faire sortir des milliers de personnes dans les rues. L’amplification et la libération de la voix des citoyens met la pression sur les autorités de manière instantanée. Les réseaux sociaux ont un impact significatif sur la psychologie des gouvernants – ils s’invitent à l’agenda des réunions de cabinet ministériel. Les buzz engendrent une réaction du pouvoir – parfois factice, pour donner l’impression d’agir. En effet, la pression débouche souvent sur des actions de forme plutôt que de fond, de la communication politique de l’ordre du symbole. Les réseaux vont devoir créer un cercle vertueux sur un temps plus long, doté de discernement, de professionnalisme, de positivité, pour induire une réelle orientation des politiques publiques et de l’action politique. Les autorités ont le choix entre fermer les réseaux sociaux – en s’exposant aux critiques de l’opinion internationale comme le Twitter ban du Nigéria aux coûts de transaction faramineux – et les laisser ouverts – en risquant de se faire dépasser. De fait, réalisant que la télévision nationale taxée d’être à leur solde n’est plus guère regardée, elles investissent l’espace digital à travers les canaux officiels au somment du pouvoir (présidence, organes de transition). Le Président du Sénégal est très actif sur Twitter. Au Tchad, le Président du Conseil Militaire de Transition a notamment réagi sur son compte à un cas de viol d’une jeune fille qui circulait sur les réseaux sociaux. Au Mali, si les autorités de transition sont peu loquaces, des personnes parlent pour eux.

66

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE


Annexe I

Dans certains cas, des canaux officieux sont utilisés (comptes satellites, diaspora) à des fins d’instrumentalisation. Certains influenceurs réputés proche du pouvoir distillent du contenu orienté ; d’autres sont payés pour le relayer. Dans d’autres cas, les ramifications dépassent les frontières du territoire national et se font l’écho d’informations de propagande pro-russe ou de messages émanant de U.S. Africa Command à destination de la jeunesse. De nouveaux outils numériques, comme le micro-blogging, participent d’une dynamique de production d’opinion, témoignant d’une vitalité démocratique certaine. Ils visent également un changement social et une refonte de la démocratie. Les articles produisent du contenu diffusé sur des plateformes (Benbere, MondoBlog) qui sont devenus des espaces de participation politique et de dialogue sociétal. Au Tchad, on assiste à une mobilisation autour des questions féministes sur les Twitter Space. Le numérique change les modalités de lutte politique tout en modifiant également les enjeux sociaux, non sans se faire l’écho des stigmates de la société (clivage nord-sud inter-ethnique ou révisionnisme esclavagiste au Tchad) et en dehors de tout cadre institutionnel ce qui constitue une dérive inquiétante. Conscients de la puissance des nouvelles technologies de communications, les forces conservatrices adoptent elles aussi ces outils en complément des chaînes de télévision religieuses et des radios communautaires qui sont déjà largement suivies. Les groupes WhatsApp permettent de diffuser toutes sortes de messages, y compris des fake news ,ou infox. Ces groupes sont très appréciés dans les régions pour leur simplicité d’usage et la transmission en direct d’une vidéo, d’une photographie ou d’un vocal. Ces informations lorsqu’elles deviennent virales ont potentiellement un impact sur la manière dont les gouvernements vont gérer ces micro-crises. Cependant, peu de groupes WhatsApp sont dotés de charte (accepter la contradiction, éviter les propos injurieux) ou de modération permettant de filtrer une information qui aborde tous les sujets – éducation, santé, mauvaise gouvernance, terrorisme. L’engouement pour les NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) est notable malgré les obstacles qui persistent dans la région. La fracture numérique, qui existe entre un accès à Internet possible dans les capitales sahéliennes où « tout le monde est connecté » et difficile en zone rurale, crée une distorsion favorable aux citadins. L’accès à Internet haut débit reste un luxe réservé aux privilégiés. Au Tchad par exemple, le manque d’électricité et des coûts prohibitifs rendent inaccessible le virtuel en régions. Parfois, les coupures sont volontaires, comme lorsque les groupes terroristes coupent les lignes téléphoniques, provoquant la déconnection de tout le nord du Mali et par là même stoppant la dénonciation en ligne de problèmes identifiables. Pour certains cyber activistes, l’absence de connexion au nord pèse encore plus que la situation [sécuritaire] qu’ils vivent, les obligeant à se relocaliser dans la capitale. Lorsque le risque de déstabilisation est trop grand, ce sont les autorités qui coupent les réseaux. La langue est également un frein à l’adoption des réseaux sociaux par une population analphabète qui utilise des langues locales, en ayant recours à l’audio et à la vidéo ; sauf au Sénégal où les internautes communiquent en wolof par écrit. Ce hiatus vient concurrencer la diffusion d’articles équilibrés, mesurés et professionnels qui suivent les règles de la déontologie et sont souvent rédigés en français. Finalement les personnes qui s’expriment sur les réseaux sociaux s’exposent à des poursuites, des menaces et du harcèlement si les idées qu’ils véhiculent ne plaisent pas (messages à l’encontre de puissances alliées, épisode Charlie Hebdo, théories du complot). L’impression de liberté absolue donnée par l’anonymat des réseaux ne doit pas faire oublier le besoin de réguler les propos. En cela, le Mali a adopté en 2019 une loi portant sur la répression de la cybercriminalité. La Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

67


Annexe I

sensibilisation et la formation à l’utilisation d’outils numériques dès le plus jeune âge semblent dorénavant primordiales. Une nouvelle forme de citoyenneté et de gestion de la vie publique est en train de se développer via les réseaux sociaux qui aident à mobiliser les volontaires et lever des fonds pour : la réhabilitation d’établissements scolaires (Clean Up Challenge au Sénégal), la journée citoyenne de salubrité dans les quartiers de Tombouctou, des cours gratuits dispensés sur WhatsApp, la mobilisation pour préserver le fleuve Niger, l’aide aux déplacés internes au Mali, le nettoyage des rues et la plantation d’arbres (Cyber Citoyen au Niger)... Que ce soit dans les domaines de l’éducation, la salubrité, l’environnement, l’humanitaire, les initiatives locales se développent faisant même naître la crainte d’un désengagement de l’État devant des populations qui se prennent en charge. Ce mouvement spontané préfigure-t-il de quelque chose ? Et si les politiques publiques accompagnaient ces initiatives citoyennes ? La mutation digitale permet à de jeunes locaux de créer de l’emploi et de la valeur ajoutée (community manager, boutique en ligne). Ces jeunes connectés mettent en place une économie numérique qui échappe aux acteurs traditionnels (grands commerçants, grandes entreprises). Les réseaux sociaux servent à la fois : de plateforme de transmission ; d’affermissement des liens sociaux en créant des « communautés virtuelles réelles » (comme les associations de promotionnaires) ; d’expression de conscience citoyenne ; de 5e pouvoir pour combler les lacunes journalistiques, renouvelant ainsi l’art de la politique par un dialogue virtuel entre gouvernants et gouvernés en faveur d’une meilleure gouvernance, paix et sécurité, élections transparentes, éducation, droits des femmes ; et d’animateur d’une économie numérique. Le numérique est un levier important de changement, à l’instar de la radio et de la TV à leur époque. Il est appelé à prendre de l’importance au gré du rajeunissement de la population. Les réseaux sociaux, par toutes les utilisations qu’ils rendent possibles, sont un outil générationnel. Ils sont porteurs d’un espoir inestimable pour la jeunesse sahélienne.

68

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE


Annexe II

Annexe II Liste des participants aux Concertations sahéliennes (séance plénière et sessions de discussion virtuelles).

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

69


Annexe II

70

Prénom

Nom

Affiliation

Seidik

ABBA

Journaliste, écrivain (Niger)

Sita

ADAMOU

ANDDH - Association Nigérienne de Défense des Droits de l’Homme

Djimé

ADOUM

Coalition pour le Sahel

Hamzata

AG DIDI

ONG ADD - ONG Aide au Développement Durable (Kidal, Mali)

Francis

AKINDÈS

Université Alassane Ouattara de Bouaké en Côte d'Ivoire

Mahamane Tahirou

ALI BAKO

LASDEL - Laboratoire d’études et de recherche sur les dynamiques sociales et le développement local

Laouali

AMINOU

ONG SOS-Civisme Niger

Ernest

AUBEE

CEDEAO - Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest

Sobel

AZIZ NGOM

Consortium Jeunesse Sénégal

Cheikh Oumar

BA

IPAR - Initiative Prospective Agricole et Rurale

Dougoukolo

BA KONARÉ

Observatoire KISAL

Niagalé

BAGAYOKO

ASSN - African Security Sector Network

Nassirou

BAKO-ARIFARI

LASDEL - Laboratoire d’études et de recherche sur les dynamiques sociales et le développement local & UIP - Union interparlementaire

Aminetou

BILAL

ONG Selfie Mbalite (Mauritanie)

Laurent

BOSSARD

CSAO/OCDE - Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest

Fatoumata

COULIBALY

LMI MaCoTer - Laboratoire mixte international Reconfigurations Maliennes de l'ULSHB, l'USJPB et l'USSGB de Bamako au Mali

Ibrahima

COULIBALY

ROPPA - Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l'Afrique de l'Ouest

Baba

DAKONO

OCGS - Observatoire Citoyen sur la Gouvernance et la Sécurité (Mali)

Mawli

DAYAK

Conseiller technique à la Présidence (Niger)

Ahmed Aziz

DIALLO

Député-Maire de Dori au Burkina Faso

Ousmane Aly

DIALLO

Amnesty International (Bureau pour l'Afrique de l'Ouest et Centrale)

Mamadou

DIARRAH

MISAHEL - Mission de l'Union africaine pour le Mali et le Sahel

Adam

DICKO

AJCAD - Association des Jeunes pour la Citoyenneté Active et la Démocratie (Mali)

Aminetou

ELY

AFCF - Association des Femmes Chefs de Famille (Mauritanie)

Abdou Salam

FALL

LARTES IFAN - Laboratoire de Recherche sur les Transformations Économiques et Sociales de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar au Sénégal

Cheikh

GUÈYE

IPAR - Initiative Prospective Agricole et Rurale & RASA - Rapport alternatif sur l'Afrique

Oumarou

HAMANI

LASDEL - Laboratoire d’études et de recherche sur les dynamiques sociales et le développement local & Université Abdou Moumouni de Niamey au Niger

Yacouba

HAMIDOU MAÏGA

RENEDEP - Réseau National pour l'Éveil Démocratique et Patriotique (Mali)

Fatouma

HARBER

SankoréLabs (Tombouctou, Mali)

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE


Annexe II

Prénom

Nom

Affiliation

Leena

HOFFMANN

Chatham House Africa Programme

Remadji

HOINATHY

Université de N'Djaména au Tchad & ISS - Institut d'études de sécurité (Tchad)

Jibrin

IBRAHIM

CDD West Africa - Center for Democracy and Development

Rahmane

IDRISSA

Université de Leiden & LASDEL - Laboratoire d’études et de recherche sur les dynamiques sociales et le développement local

Khalid

IKHIRI

CNDH - Commission Nationale des Droits Humains (Niger)

Kamil

KAMED

Yes We Can - Cabinet d’études et de conseils (Niger)

Adam

KANDINE

Université Abdou Moumouni de Niamey au Niger

Oumou Salam

KANE

Zumunci Labs (Niger)

Fahiraman Rodrigue

KONÉ

ISS - Institut d'études de sécurité (Programme Sahel)

Hassane

KONÉ

ISS - Institut d'études de sécurité (Programme Sahel)

Sarah

LAWAN GANA

CSAO/OCDE - Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest

Nadine

MACHIKOU NDZESOP

Université de Yaoundé II au Cameroun

Abdourahamani

MAHAMADOU

ASSN - African Security Sector Network (Niger)

Ibrahim

MAÏGA

NIMD - Netherlands Institute for Multiparty Democracy (Sahel)

Khadija

MAÏGA

CSAO/OCDE - Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest

Fadji Zaouna

MAINA

NASA - National Aeronautics and Space Administration (USA)

Abas

MALLAM

Ré-GENOVICO - Réseau nigérien pour la gestion non violente des conflits

MAMANE

Humoriste (Niger)

Abdoulaye

MAR DIEYE

UNISS - Stratégie intégrée des Nations Unies au Sahel

Abderahamane

MAYAKI

Ambassadeur (Niger)

Ibrahim Assane

MAYAKI

AUDA-NEPAD - Agence de développement de l'Union africaine & CSAO/OCDE - Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest

Mahaman

MOHA

LASDEL - Laboratoire d’études et de recherche sur les dynamiques sociales et le développement local & Conseiller technique à la HACP - Haute autorité de la consolidation de la paix (Niger)

Abdoulaye

MOHAMADOU

CILSS - Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel

Kokou Henri

MOTCHO

Université Abdou Moumouni de Niamey au Niger

Azéddine

MOUSSA MAHAMAT SALEH

CSAO/OCDE - Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest

Babacar

NDIAYE

WATHI - Think tank citoyen de l'Afrique de l'Ouest

Kako Kossivi

NUBUKPO

UEMOA - Union économique et monétaire ouest-africaine

Jean-Pierre

OLIVIER DE SARDAN

LASDEL - Laboratoire d’études et de recherche sur les dynamiques sociales et le développement local

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE

71


Annexe II

72

Prénom

Nom

Affiliation

Ladji

OUATTARA

Thinking Africa (Observatoire du Sahel)

Paul

OUEDRAOGO

CILSS - Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel

Alioune

SALL

IFA - Institut des futurs africains

Yague

SAMB

Timbuktu Institute (Bureau de Dakar)

Boubacar

SANGARÉ

Journaliste, écrivain (Mali)

Lamine

SAVANÉ

Université de Ségou au Mali

Roago Antoine

SAWADOGO

ACE-RECIT - Laboratoire Citoyennetés (Burkina Faso)

Kalilou

SIDIBÉ

Université des sciences juridiques et politiques de Bamako au Mali

Binta

SIDIBÉ-GASCON

Observatoire KISAL

Maman Sambo

SIDIKOU

MISAHEL - Mission de l'Union africaine pour le Mali et le Sahel

Youba

SOKONA

GIEC - Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat & Centre Sud

Ousmane

SY

ARGA - Alliance pour Refonder la Gouvernance en Afrique

Moussa

TCHANGARI

AEC - Alternative Espaces Citoyens (Niger)

Mahaman Sanoussi

TIDJANI ALOU

LASDEL - Laboratoire d’études et de recherche sur les dynamiques sociales et le développement local & Université Abdou Moumouni de Niamey au Niger

Alioune

TINE

Afrikajom Center & Expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme au Mali

Bakary

TRAORÉ

DEV/OCDE - Centre de développement de l'Organisation de coopération et de développement économiques

Gilles Olakounlé

YABI

WATHI - Think tank citoyen de l'Afrique de l'Ouest

Abdelkerim

YACOUB KOUNDOUGOUMI

ISF - Internet sans frontières (Afrique) / IPSE Institut Prospective et Sécurité en Europe

Ibrahim

YAHAYA IBRAHIM

ICG - International Crisis Group (Sahel)

François Paul

YATTA

CGLU-A - Cités et gouvernements locaux unis d'Afrique

Sibiri Jean

ZOUNDI

CSAO/OCDE - Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest

Philippe

ZOUNGRANA

CILSS (PRA/GRN/CC) - Comité permanent interÉtats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (Programme Régional d'Appui à la Gestion des Ressources Naturelles et Changement Climatique)

Niamey, et les deux jours ? © 2022 CSAO/OCDE



Concertations sahéliennes Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest 2, rue André Pascal 75016 Paris oe.cd/concertations-saheliennes

Secrétariat du

Club

DU SAHEL ET DE L'AFRIQUE DE L'OUEST


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.