Wilfrid Laurier, séparatiste, traître ou héros canadien? | JDM
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Wilfrid Laurier, séparatiste, traître ou héros canadien?

Sir Wilfrid Laurier
Sir Wilfrid Laurier William James Topley / British Library / Domaine public


Wilfrid Laurier croyait sincèrement que 20 ans après la naissance du Dominion du Canada, il était grand temps de faire naître un sentiment de fierté nationale au pays. Pour y arriver, il était indispensable que le pays se développe dans le respect des cultures anglo-saxonne et francophone.

Wilfrid Laurier est devenu chef du Parti libéral du Canada en 1887 et premier ministre du pays en 1896. Sa victoire sur les conservateurs est en grande partie attribuable à l’appui massif des Canadiens français.

Sir Wilfrid Laurier
Wilfrid Laurier premier premier ministre Canadien français à diriger le pays. Crédit : Bibliothèque et Archives Canada

LE DÉBUT DES COMPROMIS

Pendant la campagne qui mène à son élection comme premier ministre, Wilfrid Laurier avait promis, s’il était élu, qu’il réglerait l’épineuse question de l’enseignement au Manitoba. Une fois au pouvoir, il ouvre comme promis une négociation avec le premier ministre manitobain Thomas Greenway. Les deux hommes en arrivent à une solution de compromis. Ils s’entendent pour ne pas rouvrir les écoles francophones, mais autorisent les élèves catholiques à recevoir une éducation en français une demi-heure à la fin des journées de classe. Vous pouvez vous douter que le règlement a entraîné le mécontentement général chez les francophones. En fait, cette histoire annonce bien ce qui va se dessiner durant les 15 années de pouvoir du gouvernement Laurier. 

Sir Wilfrid Laurier
Selon l’historien Réal Bélanger, Wilfrid Laurier était à la fois charmeur, manipulateur et un homme politique qui « cultivait l’art de l’ambiguïté […], une stratégie calculée pour mieux arriver à ses fins dans un milieu aux appétits féroces». Crédit : Bibliothèque et Archives Canada

DEUX VISIONS DU CANADA

Au moment de l’élection de Wilfrid Laurier en 1896, l’Empire britannique est au sommet de sa gloire. Ses colonies englobent le quart de la population mondiale et s’étendent sur plus de 20% des territoires habitables.

Au tournant du 20e siècle, la croissance commerciale et militaire de l’Allemagne dérange les dirigeants britanniques. En réaction, Londres cherche à resserrer ses liens avec ses colonies et ses dominions, comme le Canada et l’Australie. En 1897, à l’occasion des célébrations du 60e anniversaire du règne de la reine Victoria, les premiers ministres des territoires alliés à la Couronne sont invités à Londres pour participer à une conférence impériale. Au début des célébrations, Laurier obtient le titre de sir Wilfrid Laurier. Ce titre honorifique accordé par la monarchie est certainement un moyen de flatter son ego et de s’assurer de la collaboration de ce premier ministre canadien dans les pourparlers sur la consolidation des liens avec l’Empire. Le ministre des Colonies, Joseph Chamberlain, qui préside la conférence, souhaite amener les colonies à contribuer financièrement à la défense de l’Empire si une guerre devait éclater. Il propose de mettre en place une politique étrangère commune, de créer une marine impériale unifiée et financée en partie par les colonies, puis de faire tomber les barrières protectionnistes entre les États de l’Empire.

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Boers veut dire paysan en néerlandais. Les Afrikaners ou Boers sont les descendants des réfugiés hollandais, français et allemand qui se sont installés au cours du 17e siècle au Cap de Bonne-Espérance au sud du continent africain. Crédit : Redux - Colourising History

Laurier en bon libéral est prêt à faire des concessions, mais il refuse de céder trop de pouvoir pour éviter que le Royaume-Uni contrôle davantage la politique étrangère et militaire du Canada. Laurier rejette poliment les projets de la métropole et défend farouchement l’autonomie des dominions. Cette attitude autonomiste de Laurier à l’égard de l’Empire ne fait évidemment pas l’unanimité au Canada.

LES DEUX CANADAS ET LA GUERRE DES BOERS

Au tournant du siècle, le Royaume-Uni convoite les mines d’or et de diamant sur le territoire du Transvaal et de l’État libre d’Orange en Afrique du Sud (aussi appelé terres boers). La proximité des forces militaires boers et britanniques crée une tension telle qu’en 1899 une guerre est déclenchée. Suivant sa logique, le Royaume-Uni demande au Dominion du Canada de l’appuyer militairement en Afrique. Ici au pays, les citoyens canadiens sont divisés sur la question. Les Canadiens français se demandent pourquoi envoyer des hommes se faire tuer dans un conflit territorial qui n’a aucun lien avec eux à plus de 12 000 km de leurs frontières. En contrepartie, les impérialistes canadiens, principalement des Ontariens, considèrent qu’il est du devoir du Canada d’être un partenaire indéfectible des politiques de l’Empire. 

Sir Wilfrid Laurier
La guerre des Boers est la première guerre de l’histoire du Dominion du Canada. Crédit : Bibliothèque et Archives Canada

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La guerre des Boers est la première guerre de l’histoire du Dominion du Canada. Crédit : Bibliothèque et Archives Canada

Pour calmer le jeu et tenter de satisfaire tout ce beau monde, le gouvernement Laurier propose l’envoi de soldats, mais pas de l’armée régulière, seulement des volontaires. Pour éviter que les débats s’enveniment, il prend cette décision sans en débattre à la Chambre des communes. Il autorise l’envoi au front de 1000 volontaires équipés et transportés aux frais des contribuables canadiens. Aux yeux des Canadiens anglais, majoritairement partisans de l’impérialisme, c’est insuffisant, mais pour les Canadiens français, c’est déjà beaucoup trop. Pour de nombreux intellectuels francophones, comme le jeune débuté libéral Henri Bourassa, cette participation militaire du Canada en Afrique du Sud est absurde. D’ailleurs, la participation du Canada à la guerre des Boers provoque la démission du député Bourassa.

Figure de proue du nationalisme canadien, Henri Bourassa fonde en 1910 le journal Le Devoir, dans lequel il manifeste une forte opposition à l’impérialisme britannique et au gouvernement libéral. 

Sir Wilfrid Laurier
Henri Bourassa, petit-fils de Louis-Joseph Papineau Crédit : Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe

LES GUERRES ET L’EMPIRE, SUJET DE DISCORDE AU CANADA

La guerre des Boers se termine par la victoire des Britanniques le 31 mai 1902. Elle aura coûté aux Canadiens 3 millions de dollars et fait 224 morts. Toutefois, cette guerre ne met pas un terme à la question de la participation canadienne à la défense de l’Empire. Le sujet refait surface au tournant des années 1910 quand le Royaume-Uni demande au Dominion du Canada de contribuer financièrement à la construction de navires pour soutenir sa flotte militaire. Laurier accepte et fait adopter une loi qui permet la création de la marine canadienne, mais encore là, il s’agissait pour lui de trouver le bon compromis pour ne pas trop déplaire aux nationalistes et aux impérialistes. Il crée cette marine, mais décide qu’elle restera sous le contrôle canadien et ne sera mise à la disposition des Britanniques qu’en cas de conflit. C’en était trop pour les partisans de l’impérialisme, un an plus tard, aux élections de 1911, Laurier perd le pouvoir aux mains des conservateurs de Robert Borden.

Homme de compromis, Wilfrid Laurier, figure dominante au pays, est resté au pouvoir pendant 15 longues années, au moment où le Canada connaissait un développement sans précédent. Tout au long de sa carrière publique, il a essayé de trouver une voie de passage entre deux visions du nationalisme canadien au sein de l’Empire. Malgré ses tentatives pour unifier les deux solitudes, pour plusieurs francophones du Québec, il a été un traître; pour de nombreux Ontario anglophones, un séparatiste.

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Sir Wilfrid Laurier Crédit : Bibliothèque et Archives Canada

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