Patricia Cahuzac, la coupable idéale - Une femme blessée
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Patricia Cahuzac, la coupable idéale - Une femme blessée

Jérôme et Patricia Cahuzac, en juin 2009 à Villeneuve-sur-Lot. Jérôme Cahuzac vient de faire transférer ses fonds de Suisse à Singapour. L’« afaire » mettra trois ans à éclater.
Jérôme et Patricia Cahuzac, en juin 2009 à Villeneuve-sur-Lot. Jérôme Cahuzac vient de faire transférer ses fonds de Suisse à Singapour. L’« afaire » mettra trois ans à éclater. © Abaca
Par Virginie Le Guay

Leur divorce aurait accéléré la chute de l’ancien ministre délégué au budget. Aujourd’hui, entre eux, les comptes ne sont pas soldés.

Comment ose-t-il ? » Ce furent ses seuls mots. Depuis la parution de la « confession » fleuve de son mari dans le dernier numéro de « Vanity Fair », Patricia se mure dans la colère. Indéfiniment, elle relit les phrases qui l’accusent : « Seule Patricia Cahuzac a pu accéder à sa messagerie personnelle… Elle est également la seule à avoir pu livrer aux journalistes… La seule aussi en mesure… Elle seule connaissait le secret… Je ne pouvais imaginer qu’une trahison familiale s’était produite… » Trahison ? Le mot ne passe décidément pas. « Je voulais simplement divorcer. Je ne savais pas que j’appuyais sur le bouton nucléaire », a-t-elle confié récemment à un proche. Aujourd’hui mise en examen pour « fraude fiscale et blanchiment » parce qu’elle détient elle-même un compte à l’île de Man, Patricia Cahuzac, 58 ans, vit un cauchemar. Ouvertement accusée par son ex-mari, traquée, isolée, méfiante à l’égard de tous et de tout, cette femme, hier gaie et sûre de son bon droit, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Chaque matin, quand elle se rend à sa clinique, elle se demande si, un jour, sa vie redeviendra tranquille. Une vie tranquille, c’était le rêve de Patricia Ménard, devenue Cahuzac en 1980.

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Folle amoureuse de son tout jeune mari, cette blonde de 1,73 mètre, couvée par son père, si jolie avec sa peau pâle, ses grands yeux bleus et ses longues jambes, ne désire rien d’autre qu’un destin banal : des enfants (elle en aura trois qu’elle élèvera avec soin mais sans effusion), un travail (elle est médecin), des amis, des vacances, des voyages, des rires joyeux, de l’amour bien sûr, mais pas seulement. Mme Cahuzac n’est pas une midinette. « Patricia, c’était une petite-bourgeoise avec des rêves de petite-bourgeoise », se souvient une camarade de jeunesse. Méthodique, organisée, elle se construit cet univers ouaté, confortable, auquel elle aspire tant. Chaque été, la famille séjourne en Corse dans une maison louée près de celle des parents de Jérôme, d’anciens résistants proches de Mendès France. On voit aussi le couple à l’hôtel Hermitage de La Baule. Sportive, fine, Patricia aime nager, courir sur la plage, soucieuse de son apparence. Si elle porte de temps en temps des habits de marque, elle le fait sans ostentation. Son truc à elle, c’est le luxe discret. Pas le tape-à-l’oeil. Jérôme est plus exubérant. Expansif, chaleureux, c’est lui qui se charge des relations sociales, lui qui invite, qui insiste pour faire des dîners à la maison, toujours au centre des conversations. Charmant, charmeur, il séduit son monde qu’il tient d’une main ferme.

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Jérôme serait infidèle... Ses frasques seraient connues de tous

Patricia et les enfants filent doux, en admiration devant son enthousiasme, son inébranlable confiance en lui. La vie s’écoule. Avenue de Breteuil, où la famille s’installe en 1994 dans un appartement de 210 mètres carrés, personne ne songe à remettre en cause son autorité parfois tranchante. Dermatologue, Patricia se spécialise dans la chirurgie capillaire : la greffe de cheveux. Une activité lucrative qu’elle exerce dans la plus grande discrétion. Le Tout-Paris chauve se presse dans la clinique de la rue Clément-Marot, à deux pas des Champs-Elysées, qu’elle et son mari ont ouverte en 1996. Ses journées sont réglées comme du papier à musique. De 10 heures à 15 heures, elle opère. Calme, posée, le geste précis, le Dr Patricia Cahuzac, qui pratique ce que dans le jargon médical on appelle des FUE (extractions d’unités folliculaires) et des FUT (transplantations d’unités folliculaires), inspire confiance. La technique n’est pas très glamour : les cheveux sont prélevés un à un à l’arrière de la tête à l’aide d’un petit bistouri circulaire, puis replantés un à un sur le sommet du crâne.

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Mais elle demande de la méticulosité. Et méticuleuse, Patricia l’est. Pendant des années, c’est elle qui fait tourner la clinique. Jérôme, chirurgien lui aussi, ne se montre pas beaucoup, opère rarement, mais fait venir les clients grâce à un carnet d’adresses fourni. L’argent rentre. La vie du couple est confortable. Une maison à Pujols, des appartements pour les enfants devenus grands, des séjours à l’étranger, des restaurants. Rien n’est trop beau pour les Cahuzac. L’un et l’autre sont fers du chemin parcouru, de cette réussite qu’ils ne doivent qu’à eux. Le tandem fonctionne, semble solide. Mais Jérôme, devenu député en 1997, battu en 2002, réélu en 2007, est très accaparé par la politique, une passion dévorante. Il est de moins en moins présent à la maison. Les allers-retours en Lot-et- Garonne (son fief électoral) se multiplient. Et quand il est là, il est absent, comme indifférent. Sec. L’atmosphère avenue de Breteuil devient lourde. Quelques bonnes amies se chargent d’avertir Patricia. Jérôme serait infidèle, souvent et depuis longtemps. Ses frasques seraient connues de tous. Veut-elle continuer comme ça ? Patricia tourne et retourne les différentes options qui s’offrent à elle. Tout est si imbriqué : leurs vies, leurs carrières, leurs affaires, leurs amis…

Militant socialiste, ancien conseiller de Claude Evin, Jérôme Cahuzac se présente pour la première fois à la députation. Le 25 mai 1997, il vote avec sa femme à Villeneuve-sur-Lot. Il sera élu au second tour avec 50,73 % des voix.
Militant socialiste, ancien conseiller de Claude Evin, Jérôme Cahuzac se présente pour la première fois à la députation. Le 25 mai 1997, il vote avec sa femme à Villeneuve-sur-Lot. Il sera élu au second tour avec 50,73 % des voix. © Abaca

Elle pressent que l’écheveau sera compliqué à démêler. Elle ne croit pas si bien dire. Elle hésite pendant deux ans. En 2010, sa décision est prise. Irrévocable. Elle demande le divorce. Jérôme Cahuzac, alors président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, fait de la résistance. Divorcer, à quoi bon ? « Tu es folle ! Si tu persistes, je te ferai vivre l’enfer », lui aurait-il lancé un jour de colère. Il lui demande de réfléchir, propose des arrangements. Il voit loin pour lui-même. Longtemps proche de DSK, il s’est fait discret lors du scandale du Sofitel de New York et s’est rapproché de François Hollande pendant la campagne présidentielle de 2012. Efficace, très à l’aise sur les questions financières et fiscales, il sait se rendre indispensable. Sa récompense est immédiate. A peine le premier gouvernement Ayrault formé, il se retrouve ministre délégué du Budget. Pour lui, ce n’est qu’un début. Il voit plus loin. Devant des intimes, il évoque une possible candidature à la présidence de la République. Un jour, peut-être… La demande de divorce de Patricia est un caillou dans sa chaussure.

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Pour lui, Patricia est un dommage collatéral dans sa réhabilitation

« Si tu t’en vas, tu n’auras rien ! » prévient-il. Patricia voit rouge. Tous ces efforts, cette persévérance, ce travail réduits à néant, pas question ! Aidée de ses avocats (elle en changera souvent, Nathalie Lauret, Isabelle Copé, la soeur de Jean-François…, aujourd’hui Sébastien Schapira), elle se bat, engage des détectives privés. Elle veut savoir, se défendre. Obtient de rester avenue de Breteuil, y transfère sa clinique. C’est alors qu’elle aurait appris l’existence d’un compte bancaire à Singapour. Immédiatement, elle en informe son mari. « Tu m’as menti ! » Jérôme lui aurait opposé des dénégations farouches. Il aurait fait pression sur elle et tenté de l’intimider. Patricia, pourtant peu impressionnable, se sent surveillée. Constate que son téléphone est sur écoute, ses courriels piratés. Elle change de numéro de portable, une fois, deux fois, trois fois. Fait venir un informaticien pour sécuriser sa boîte mail. Croit encore qu’elle va arriver à ses fins.

« Je veux retrouver ma liberté et mon autonomie fnancière, martèle-t-elle. Le reste, ce n’est pas mon affaire. Je ne veux pas la perte de Jérôme. C’est le père de mes enfants. On a passé trente ans ensemble. » C’est alors qu’éclate l’affaire Mediapart, le 4 décembre 2012. Le lendemain, le site met en ligne l’enregistrement d’une conversation – vraisemblablement datée de 2000 – entre Michel Gonelle (son rival UMP à Villeneuve–sur-Lot) et Jérôme Cahuzac, dans laquelle ce dernier déclare : « Moi, ce qui m’embête, c’est que j’ai toujours un compte ouvert à l’UBS. » Le scandale est immédiat. Plus rien ne l’arrêtera. Les révélations déferlent. Quatre mois plus tard, le 19 mars 2013, Jérôme Cahuzac, accusé d’avoir transféré de l’argent en Suisse puis à Singapour, ce qu’il a nié pendant des mois, y compris à l’Assemblée nationale devant la représentation parlementaire, démissionne avec fracas. Mis en examen pour fraude fiscale et blanchiment d’argent, il devient tricard.

Hier surchargée d’appels, sa messagerie téléphonique reste obstinément silencieuse. Presque tous se détournent. A droite, on jubile. C’en est fini du chevalier blanc ! Pendant un an, Jérôme Cahuzac remâche son amertume et sa rage. Aujourd’hui, il va mieux et laisse entendre qu’il ne renonce à rien. Surtout pas à revenir au premier plan : « Tout s’oublie. En politique, on n’est jamais fini », répète-t-il, comme pour s’en convaincre. Sa repentance à l’américaine – dont chaque mot a été pesé au trébuchet – serait l’acte 1 de sa réhabilitation. Et tant pis si, au passage, il doit accuser son ex-femme. « Il la passe par pertes et profits. Pour lui, le dommage est collatéral. C’est le pot de fer contre le pot de terre », note un ancien ami du couple. Patricia Cahuzac serait-elle le bouc émissaire idéal ? Et si ce n’est pas elle, qui donc avait intérêt à provoquer la chute de Jérôme Cahuzac ? Cette affaire privée cacherait-elle des intérêts supérieurs ? Autant de questions que Patricia tourne et retourne dans sa tête. Contacté, son avocat, Sébastien Schapira, se retranche derrière « l’instruction judiciaire en cours » et ajoute : « Le silence de ma cliente ne signifie évidemment pas qu’elle approuve la version des faits présentée. « Je te ferai vivre l’enfer », avait dit Jérôme à Patricia. Il a tenu parole.

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