Fin d'Aigle Azur : pourquoi les compagnies françaises ne survivent pas aux faillites | Les Echos
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Décryptage

Fin d'Aigle Azur : pourquoi les compagnies françaises ne survivent pas aux faillites

Pour Aigle Azur comme pour XL Airways et d'autres compagnies aériennes françaises avant elles, les conditions juridiques d'une reprise d'activité agissent comme autant d'obstacles à une solution de reprise. En particulier, l'obligation de reprendre les salariés avec leur ancienneté, qui s'oppose aux règles de fonctionnement des compagnies aériennes.

Les avions de la défunte compagnie Aigle Azur stockés à Chateauroux depuis l'arrêt des vols, début septembre, vont repartir chez leurs loueurs.
Les avions de la défunte compagnie Aigle Azur stockés à Chateauroux depuis l'arrêt des vols, début septembre, vont repartir chez leurs loueurs. (Laurent GRANDGUILLOT/REA)

Par Bruno Trévidic

Publié le 29 sept. 2019 à 16:42Mis à jour le 30 sept. 2019 à 09:06

Le contraste est saisissant. Alors qu'en Allemagne et au Danemark, deux compagnies aériennes filiales de Thomas Cook - Condor et Thomas Cook Scandinavia - échappent à la faillite de leur maison mère grâce à des prêts, du gouvernement allemand pour la première et d'une banque norvégienne pour la seconde, en France, Aigle Azur n'a pu éviter sa mise en liquidation vendredi soir. Et XL Airways risque de subir le même sort, si aucune offre de reprise engageante n'est présentée au tribunal de commerce de Bobigny d'ici à mercredi.

De quoi s'interroger sur les causes de l'impuissance des institutions françaises à sauver les compagnies aériennes en difficulté. Depuis 20 ans, tous les dépôts de bilan de compagnies aériennes françaises - AéroLyon en 2002, Air Lib en 2003, Axis Airways en 2009, Air Méditerranée en 2016 - ont en effet débouché sur des liquidations.

Des offres juridiquement non-recevables

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Dans le cas d'Aigle Azur comme dans celui de XL Airways, le point commun est l'incapacité des repreneurs potentiels à présenter une offre de reprise juridiquement recevable. C'est ce qui a manqué à Aigle Azur. Malgré les 14 dossiers de candidature début septembre, « aucune solution pérenne n'a été proposée par les candidats repreneurs », a souligné la présidente du tribunal de commerce, déplorant « les désistements ou les absences d'offres concrètes, l'absence de moyens financiers des candidats crédibles […] l'indétermination de la provenance des fonds » ou encore « l'irrecevabilité de certaines propositions ».

Parmi les candidats à une reprise partielle d'Aigle Azur, deux au moins avaient pourtant les moyens : Air France et le Groupe Dubreuil, maison mère d'Air Caraïbes et de French Bee. Mais même eux ont dû finalement renoncer à présenter une offre commune, malgré les encouragements du gouvernement. Et ce, non pas du fait du passif d'Aigle Azur (148 millions d'euros), gommé par la mise en liquidation, mais bien du fait des obstacles sociaux et juridiques posés par les règles d'une reprise d'activité en France.

Des protections qui se retournent contre les salariés

Le premier de ces obstacles, en cas de reprise partielle ou totale d'activité, est l'obligation de reprendre les salariés liés à cette activité, avec leurs contrats de travail et leurs avantages. Une obligation protectrice pour les salariés, mais qui pose des problèmes quand l'écart entre les salariés repris et ceux du repreneur est trop important.

Marc Rochet, le président du pôle aérien du Groupe Dubreuil l'a lui-même souligné au micro de France Info. « L'environnement social et réglementaire empêche quasiment la reprise d'une compagnie aérienne, a-t-il affirmé. Dans le cas d'un transfert d'activité, vous êtes obligés de reprendre toutes les conditions qui s'attachent à cette activité, Or il y avait chez Aigle Aizur, des gens qui s'étaient construit des statuts non cohérents avec les conditions du marché. Nous étions prêts à les reprendre, mais à des conditions qui nous permettent de réussir. Les lois censées protéger les salariés et les emplois se sont retournées contre eux. »

Liste de séniorité contre reprise de l'ancienneté

L'autre difficulté juridique d'une reprise d'activité est l'obligation de reprendre les salariés avec leur ancienneté. Elle s'oppose à un totem du transport aérien qu'est la liste de séniorité : un classement des pilotes en fonction de leur ancienneté dans l'entreprise, dont dépend la progression des carrières et de salaires. Tout nouvel arrivant intègre cette liste par le bas.

Or l'obligation de reprendre les pilotes d'Aigle Azur avec leur ancienneté revenait à les faire passer devant des pilotes plus anciens d'Air France. Et ce, même si certains pilotes d'Aigle Azur auraient bien volontiers accepté de renoncer à leur ancienneté pour intégrer Air France. Et le même problème se pose pour les pilotes de XL Airways, pour laquelle Air France a également renoncé à faire une offre.

La question du financement public

La reprise d'une compagnie par une autre compagnie aérienne s'avère donc très compliquée. Toutefois, c'est encore plus difficile pour les autres candidats. Outre l'obligation de disposer de fonds bancaires suffisants pour pouvoir faire face à un mois de coûts d'exploitation, les candidats « non-aérien » doivent obtenir, avant la reprise, toutes les autorisations nécessaires pour opérer une compagnie aérienne. Ce qui, compte tenu des délais administratifs, est impossible quand la compagnie en question est à court de trésorerie.

A moins de pouvoir compter sur un prêt-relais, comme celui obtenu par la compagnie Condor auprès du gouvernement allemand (et de la région de Hesse) pour pouvoir continuer à opérer en attendant un repreneur. Mais cette solution qui doit encore obtenir le feu vert des instances européennes, n'est pas, non plus, possible dans le cadre du redressement judiciaire. L'Etat ou la région peuvent abonder une offre de reprise, sous forme d'un prêt participatif, mais ce prêt ne peut constituer qu'un complément à un apport de fonds privés.

Bruno Trévidic

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