Julia de Funès et Sophie Galabru : un duo plein de sagesse
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Julia de Funès et Sophie Galabru : un duo plein de sagesse

Julia De Funès et Sophie Galabru
Julia De Funès et Sophie Galabru © Carole Bellaiche / H&K
Charlotte Leloup

Michel Galabru et Louis de Funès ont rendu mythique 
« Le gendarme de Saint-Tropez ». Leurs petites-filles, devenues philosophes toutes les deux, évoquent le souvenir de leurs drôles de papys. Interview croisée.

Il est 7 heures du matin. Louis de Funès appelle Michel Galabru, son complice depuis le tournage du « Gendarme de Saint-­Tropez ». « Je commence un ­nouveau tournage, je ne connais ­personne, lance Louis. Il faut que tu viennes. » « Mais je ne suis pas engagé, je n’ai pas le droit de venir », répond Michel.

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Quelques minutes plus tard, Louis décroche un rôle pour son ­compère. Leurs petites-filles, Julia et Sophie, confirment cette anecdote : « Michel rassurait Louis », raconte la descendante du ­gendarme ­Cruchot.

Si aujourd’hui le duo s’écrit au féminin, c’est parce que Julia a fait le premier pas : « Lorsque l’on ­m’arrête dans la rue, on ne me demande plus si je suis la petite-fille de Louis mais si je connais Sophie Galabru. Je me suis dit que je devais absolument la rencontrer. »

Il y a quatre mois, elle lui propose un déjeuner. Sophie se souvient : « C’était perturbant et bouleversant, il y a tellement de similitudes dans nos vies. » Elles ont habité au même endroit, sont toutes les deux philosophes. Julia écrit sur l’identité. Sophie sur la famille. Leurs maris sont tous les deux des financiers.

Elles vouent une ­passion à leurs grands-pères mais se sont fixé la même règle : ne jamais parler d’eux, sauf ­exceptionnellement pour les 75 ans de Paris Match. Le jour de la séance photo, elles arrivent avec la même tenue. Une pure coïncidence.

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 J’ai voulu venger le discrédit intellectuel dont souffrait Louis. Et prouver que nous n’étions pas qu’une famille de clowns. 

Julia de Funès

Paris Match. Les deux petites-filles des ­gendarmes les plus célèbres de France sont devenues philosophes. Un hasard ?
Sophie Galabru.
Il m’arrivait de lire des textes de philosophie à mon grand-père et il s’impatientait souvent : “On n’y comprend rien parce que les philosophes ne répondent jamais à la question !”
Julia de Funès. Ma grand-mère trouvait aussi que la philosophie était une discipline prétentieuse. Plus sérieusement, Louis n’a jamais été reconnu de son vivant par l’intelligentsia parisienne et il en a souffert. Peut-être qu’inconsciemment, en choisissant la philosophie, j’ai voulu venger cet injuste discrédit intellectuel et prouver que nous n’étions pas qu’une famille de clowns.
S.G. C’est drôle car Michel souffrait aussi d’être sans cesse ramené au vaudeville comique alors qu’il avait été premier prix du Conservatoire et qu’il était passé par la Comédie-Française. C’est pour cette raison que j’ai voulu écrire un livre à quatre mains avec lui sous la forme d’un abécédaire philosophique. Je voulais dévoiler ses réflexions.

Sophie et son grand-père au Salon du livre de Paris en 2013. L’acteur y présente son ouvrage «Pensées, répliques et anecdotes ».
Sophie et son grand-père au Salon du livre de Paris en 2013. L’acteur y présente son ouvrage «Pensées, répliques et anecdotes ». BESTIMAGE / © CEDRIC PERRIN

Il paraît que vos grands-pères n’arrivaient pas à dire non.
J. de F.
Le mien était d’une timidité et d’une humilité frappantes. Il articule à peine dans les interviews. Je crois que c’était surtout ma grand-mère qui jouait ce rôle critique, c’est elle qui avait d’ailleurs la mauvaise réputation !
S.G. Pareil avec ma grand-mère Anne. Elle était son agent et négociait pour lui. Ce n’est pas un hasard si elles s’entendaient bien, elles endossaient le même rôle : mettre des garde-fous et protéger. Ma grand-mère aimait beaucoup Jeanne, la femme de Louis.
J. de F. Je me souviens d’une anecdote que m’avaient racontée ma mère et ma grand-mère à propos de la tienne. Elle s’était fait opérer et avait commandé en cachette des gâteaux qu’elle avait planqués sous son lit d’hôpital.
S.G. Ça ne m’étonne pas ! Mes grands-­parents étaient fous de sucre. Michel se réveillait souvent la nuit pour vider le frigo.

Si Louis de Funès est resté jusqu’à la fin de sa vie avec Jeanne, sa seconde épouse, Michel Galabru s’est séparé de sa femme…
S.G.
Il a fait le choix de partir pour une autre femme. Ma grand-mère n’a jamais réussi à s’en remettre. Mais, quelques jours avant qu’il meure, elle est venue le voir pour lui dire qu’elle l’aimerait toujours et qu’elle lui pardonnait. J’ai assisté à cette scène, c’était très beau.

 Michel m’a transmis une sagesse de la vie, celle que l’on ne trouve pas dans les livres. 

Sophie Galabru

Vous étiez toutes les deux leurs premières petites-filles…
J. de F.
Je crois que mes grands-parents étaient très heureux d’avoir une petite-fille après deux fils. Ils se disputaient souvent car rien n’était assez bien pour moi. L’un voulait que je mange des sardines comme ceci, l’autre comme cela… Je n’avais que 4 ans lorsqu’il est mort, mais l’amour de mes grands-parents et de ma grand-mère en particulier a été un socle inébranlable.
S.G. Michel m’a transmis une sagesse de la vie, celle que l’on ne trouve pas dans les livres. Il me disait à propos de mon métier de professeur : “N’oublie jamais que les gamins sentent si tu joues juste.” Il avait connu la guerre, son père l’avait mis dehors en apprenant qu’il voulait être comédien, il avait vécu sans rien pendant des années… Il s’est construit seul et je l’admirais pour ça.
J. de F. Michel, c’était la force, et Louis une énergie, une vitalité.
S.G. Louis avait une grande élégance. Il m’avait raconté qu’il avait imposé que l’on place le nom de Michel à côté du sien sur l’affiche des “Gendarmes”.

Julia, âgée de 3 ans, sur les genoux de sa grand-mère Jeanne pendant le tournage du «Gendarmes et les gendarmettes ».
Julia, âgée de 3 ans, sur les genoux de sa grand-mère Jeanne pendant le tournage du «Gendarmes et les gendarmettes ». COLLECTION JEANNE DE FUNES / © PHOTO PERSONNELLE

Comment définissez-vous le cinéma ?
S.G.
C’est une vie illusoire, mise en scène à partir de ses moments les plus intenses et accélérée par le montage.
J. de F. Je pense presque l’inverse : la vie réelle est une mise en scène, une comédie humaine où chacun joue des rôles. Et le cinéma en particulier, mais l’art en général, dévoile les jeux, révèle la vérité des êtres…
S.G. Ils vivaient le cinéma comme un artisan travaille sur un ouvrage, avec labeur et passion.
J. de F. D’ailleurs, ils étaient artistes mais surtout artisans. La célébrité n’était pas une finalité mais la conséquence d’un travail juste et rigoureux. C’est un peu à l’opposé des valeurs de notre époque où les conceptions du mérite, de l’effort, du temps long, du “sérieux d’artisan” dont parle Nietzsche disparaissent au profit d’un zapping, d’une notoriété immédiate et d’un saupoudrage de tous les possibles.

Michel Galabru avait déclaré : “La connerie humaine me désole. On fabrique des armes de plus en plus perfectionnées, on tue de plus en plus, la calotte glaciaire disparaît, le monde s’effondre… D’un côté, je suis franchement inquiet pour mes petits-enfants. De l’autre, je ne suis pas mécontent de bientôt disparaître pour ne pas voir les catastrophes à venir.”
S.G.
Il avait une intuition forte et une lucidité acérée. Il évoquait sans tabou la finitude des choses, et il s’inquiétait de la surenchère de la violence… Je pense qu’il avait senti l’angoisse de notre époque.
J. de F. Oui c’est paradoxal, tout sujet ­d’actualité devient un sujet d’angoisse, alors que nous vivons une période plutôt confortable comparée à celles des générations précédentes. Je ne nie pas les problèmes actuels, mais qui aurait envie de revenir ne serait-ce que cent ans en arrière ?

Quel rapport avaient-ils avec la notoriété ?
J. de F.
Mon grand-père se cachait ­derrière un bonnet et des lunettes dès qu’il sortait, il fuyait les soirées mondaines. Il était heureux dans son jardin au milieu de ses roses. La nature était son refuge. Il détestait le mot “star” et tout ce qui va avec, car il avait conscience du tragique de la vie.
S.G. Je suis sûre que ça ne lui déplaisait pas d’être arrêté dans la rue ! Mais il fuyait aussi les mondanités et, à part Louis, il n’avait pas beaucoup d’amis dans le métier.

Leur notoriété a-t-elle été un héritage difficile à porter ?
S.G.
J’ai fait profil bas toute mon enfance. J’ai longtemps culpabilisé de porter ce nom jusqu’au jour où j’ai refusé de me cacher. Je me souviens qu’un copain m’avait dit lorsque j’étais en licence de philo à la Sorbonne : “On ne verrait pas un prof ­s’appeler Galabru.” Quand j’ai passé l’agrégation, j’avais l’impression d’être perçue par le jury comme un clown.
J. de F. C’est compliqué d’entrer dans le monde universitaire quand on s’appelle de Funès ou Galabru. Pas assez sérieux ! Et maintenant que les diplômes sont acquis, c’est plutôt l’inverse, j’ai le droit au sempiternel : “Elle est quand même beaucoup moins drôle que son grand-père !” Bref ça ne va jamais ! [Elle rit.]

Julia De Funès et Sophie Galabru
Julia De Funès et Sophie Galabru H&K / © Carole Bellaiche

Avez-vous hésité à vous lancer dans le cinéma ?
S.G.
Oui, parce que c’était un moyen de rester proche de mon grand-père. Mais j’ai compris que je devais me détacher pour composer mon propre rôle.
J. de F. C’était inenvisageable. Chez nous, il y avait une injonction familiale : trouve ta voie, travaille dur et ne profite jamais d’un chemin déjà tracé.

Regardez-vous souvent leurs films ?
J. de F.
Quand je suis déprimée, c’est mon meilleur antidépresseur. Mais je suis mauvais public, je ne ris pas aux éclats. Et puis je le regarde jouer plus que je ne regarde le film. Je scrute sa précision, son rythme…
S.G. Après la disparition de Michel, je ne pouvais pas le regarder sur un écran sans pleurer, mais maintenant ça me fait du bien. Lorsque j’étais adolescente, Louis et Michel ne me faisaient pas rire. Il m’a fallu de la maturité pour saisir leur comique.
J. de F. C’est drôle parce que je me demande souvent si j’aurais aimé leurs films si je n’avais pas été la petite-fille de Louis…

Si vous deviez retenir un souvenir…
J. de F.
Je le vois m’offrir des groseilles ou me découper des pommes. Son geste, sa main, sa manière de saisir les choses, son Opinel.
S.G. Quand je suis dans la rue et que je sens une odeur de cigare, j’ai l’impression qu’il est là. Ou lorsque j’entends les chansons de Tino Rossi. On passait des heures entières à l’écouter ensemble. 

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