Les Possédés d’Illfurth ou la puissance salvatrice du théâtre

Le Munstrum Théâtre ne cesse d’avoir le vent en poupe. Et c’est bien normal, compte tenu du talent et de l’originalité de cette compagnie, déjà mentionnée dans Les Soirées de Paris (1). L’Académie des Molières ne s’y est pas trompée en lui décernant cette année deux récompenses, le Molière du Théâtre Public pour son spectacle “40° sous zéro” (d’après Copi) et celui de la Mise en scène dans un spectacle de Théâtre public pour son metteur en scène Louis Arène, co-fondateur, avec Lionel Lingelser, du Munstrum Théâtre. Pas moins de trois spectacles de la compagnie étaient cette saison à l’affiche du Théâtre du Rond-Point. “Les Possédés d’Illfurth”, le dernier en date, s’avère là encore une véritable claque artistique. Dans un solo époustouflant, Lionel Lingelser mêle le récit d’une légende à celui d’une fêlure plus intime, et livre un flamboyant hommage à l’art théâtral. Continuer la lecture

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L’esprit des jardins

« J’adore travailler dans des sites historiques parce que ce sont des intelligences de lieux. » disait le paysagiste Louis Benech. C’est bien d’intelligence des lieux dont il est ici question s’agissant de deux espaces verts de Seine Maritime gérés par le département: le jardin de l’abbaye de Saint Martin de Boscherville et le Parc de Clères situé à 30 km de là. Dans les deux cas l’intelligence des lieux a perduré par delà les siècles et le temps qui passe. Le temps des jardins est un temps long. Les moines bénédictins mauristes arrivent en 1659 à Saint Martin de Boscherville et commencent les plantations en 1680.
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La leçon de tango

Il est huissier. Il a l’habitude de grimper pesamment aux étages pour délivrer des injonctions. Et parfois, il est accompagné de la police, d’un serrurier et de déménageurs. Il a repris l’étude de son père. Dans une scène singulièrement étouffante, on voit Jean-Claude Delsard accueillir, avec sa collaboratrice,  un nouveau venu. Pour l’occasion on débouche le champagne, mais les mots ne viennent pas. Rien ne vient déclencher ce que l’on pourrait appeler un début de conversation. Et puis quand l’assistante ou clerc s’absente, on comprend avec le tutoiement soudain entre les deux hommes que le petit nouveau est le fils du premier. Et que la continuité de ce métier de chien, ingrat, peut-être bien payé, sera assurée. Personne ne rigole dans le bureau empli de dossiers et de tampons et rien qu’avec tout ça il serait bien difficile de bâtir une histoire, bien compliqué d’en faire un film. Et encore moins une poésie à moins que l’on ne trouve le moyen d’en détourner le sens. Mais l’auteur Stéphane Brizé, avec son film (2005) parfaitement titré « Je ne suis pas là pour être aimé », a réalisé ce tour de force. Grâce au tango et sa science spatiale du déplacement.
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Le génie de Pagnol sur un plateau

L’année 2024 marque le 50e anniversaire de la disparition de Marcel Pagnol. Décédé à Paris le 18 avril 1974, l’auteur de la Trilogie marseillaise était né le 28 février 1895 dans la ville d’Aubagne, “sous le Garlaban, couronné de chèvres, au temps des derniers chevriers”(1).  Il avait connu son premier grand succès, au théâtre, avec “Topaze” (1928) et, jeune immortel de 52 ans, fut le premier cinéaste à être reçu sous la coupole. Car l’homme était à la fois écrivain, dramaturge, scénariste, réalisateur et producteur! L’un de ses chefs-d’œuvre cinématographiques, “Naïs” (1945), a fait l’objet d’une adaptation théâtrale, actuellement à l’affiche du Lucernaire. Portée par une jeune et talentueuse compagnie, cette pièce, jouée avec succès lors des deux dernières éditions du Festival d’Avignon, vient faire un tour dans la capitale.
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Tom is back

Tom Ripley est de retour. Rappelez-vous: en 1960, dans « Plein Soleil », un jeune meurtrier éblouit le monde par sa beauté fragile mais solaire. Il devait jouer le riche héritier américain assassiné, et il eut du mal à convaincre les producteurs et le metteur en scène René Clément de lui laisser le rôle du voyou. C’est ainsi que face à Maurice Ronet en riche yankee indolent et méprisant, Alain Delon devint une star à vingt-cinq ans. Et devint du même coup le premier d’une série d’acteurs se glissant dans la peau du séduisant meurtrier. Dont l’ex-hippy Dennis Hopper dans « L’ami américain » de Wim Wenders (1977), ou un Matt Damon manquant de séduction mais non d’efficacité dans « Le talentueux Monsieur Ripley » (1999) d’Anthony Minghella, calqué sur « Plein Soleil ». Le personnage du jeune et beau voyou meurtrier était sorti du cerveau ténébreux de la romancière américaine Patricia Highsmith, née à Fort Worth (Texas) en 1921.
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Fréhel comme le cap

Il y avait en ces temps-là, une grande démesure dans les soirées de Saint-Pétersbourg. C’était juste avant la Première Guerre mondiale. Dans ses peu nombreux souvenirs écrits, la chanteuse Fréhel qui se produisait sur la scène russe, s’était souvenue d’un grand homme de l’armée russe. Il venait voir sur scène une autre chanteuse, Germaine Fabiani. Il en avait fait son amante et cet homme « superbe de prestance et de force », ne supportait pas que les chefs d’orchestre pussent jouer autre chose que les textes interprétés par sa dulcinée. La violence qui exsudait de son visage, surtout lorsqu’il était ivre, invitait les chefs d’orchestre à s’incliner. Sauf un qui refusa. Et elle se souvenait encore de cet officier qui se leva alors dans un « uniforme de la garde, bleu avec un liseré rouge », elle revoyait l’éclair du sabre qui décapita d’un coup le récalcitrant devant le public interdit. Fréhel décrivait une ville tellement blasée des outrances, des drogues et des alcools qui circulaient en masse, qu’elle supposa que le chef des maîtres d’hôtel Nicolas Glass, s’était contenté de « faire figurer l’infortuné sur la note ». Marguerite Boulc’h dite Fréhel, n’avait pas encore trente ans et un itinéraire tout à fait hors normes. Continuer la lecture

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Le pouvoir parallèle des récits résistants

Il existe toujours un potentiel pour de petits actes de rébellion, une résistance dont les conséquences peuvent être considérables. En témoignent de nombreuses formes d’œuvres d’art, y compris les films. Exécuté avec une magnificence saisissante, « La Vie des autres » (Das Leben der Anderen) un film allemand écrit et réalisé par Florian Henckel von Donnersmarck, est une telle œuvre qu’elle sollicite aussi bien notre intellect que nos émotions, marquant ainsi un moment historique crucial. On y voit le Berlin de 1984. Le règne de la Stasi (service de police politique ndlr) étouffe toute velléité de liberté. Gerd Wiesler, capitaine zélé et rouage implacable du système, s’immisce dans la vie du dramaturge Georg Dreyman et de sa compagne, l’actrice Christa-Maria Sieland, pour les espionner. Mais au fil des écoutes clandestines, un murmure inattendu s’élève en lui-même, une mélodie de résistance qui ébranle les fondations de son endoctrinement. « La Vie des autres » (2006) est un film poignant qui explore les complexités morales et psychologiques des individus vivant sous un régime autoritaire. L’intervention de l’officier Wiesler, pour finalement soutenir la publication clandestine d’un article politiquement chargé, illustre le pouvoir transformateur de la conscience individuelle dans la lutte contre l’oppression collective à l’aide de l’art. Cette action révèle la capacité des êtres humains à transcender les limites imposées par les régimes autoritaires, une thématique toujours pertinente aujourd’hui. C’est l’histoire non pas d’une, mais de deux incarnations de la résistance qui sont à la fois artistiques et politiques. Continuer la lecture

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Comme par hasard

Finalement la coïncidence la plus facile à admettre est dans l’ordre de la géométrie. Si deux figures se superposent ou s’emboîtent en effet, on peut dire qu’elles coïncident. Elles atteignent même une forme de perfection telle que dans la vie de tous les jours, nous serions bien heureux d’en éprouver plus souvent. La seconde définition c’est lorsque deux événements se produisent en même temps. Vous pensez à votre mère et la voilà qui sonne à la porte avec, dans les bras, le clafoutis aux fraises dont vous songiez en secret. Et puis il y a ce qui se produit par hasard ou comme par hasard, vous souhaitez être tranquille et le casse-pied du quartier se présente à vous sur le même trottoir avec le sourire. En 1919, un biologiste autrichien, Paul Kammerer, avait théorisé par extension une quatrième option, dont il avait fait un livre intitulé « La loi des séries ». Une loi aussi importante que celle de Newton selon lui, dont elle serait ni plus ni moins que le complément. Un ouvrage décrié et pourtant décrit comme Einstein en personne comme « plein d’esprit » et « tout sauf absurde ». Et dont la traduction en français vient de paraître pour la première fois, pile au moment où les librairies ne l’attendaient pas. Continuer la lecture

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Les jardins féériques d’Albert Kahn

C’est un havre de paix, un paradis exotique aux portes de Paris. L’ancienne propriété du banquier philanthrope Albert Kahn (1860-1940) comprend un fabuleux jardin à scènes paysagères de 4 hectares, une Maison des Illustres revisitée dont un musée flambant neuf conçu par l’architecte japonais Kengo Kuma. Fils de négociants en bestiaux à la réussite spectaculaire, Albert Kahn, dans un idéal de paix, mit sa fortune au service de la connaissance, du progrès et de l’entente entre les peuples. Parmi les nombreuses réalisations de cet humaniste éclairé figurent Les Archives de la Planète, une collection d’images photographiques et cinématographiques commandées à une douzaine d’opérateurs durant le premier tiers du XXe siècle, une sorte d’inventaire visuel du monde. Cet amoureux de la nature fit également produire des milliers d’images en couleurs de son jardin de Boulogne et de celui de Cap-Martin, sur la Riviera, aujourd’hui disparu. L’exposition actuelle, “Natures vivantes”, présente une partie de ces images exceptionnelles, pour la plupart inédites, aux côtés de plantes “animées” issues des films scientifiques du Dr Jean Comandon (1877-1970) et de créations d’artistes contemporains. Bienvenue dans le monde merveilleux d’Albert Kahn ! Continuer la lecture

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Les souris n’ont toujours pas mangé les chats

Trop sûrs d’eux, les Espagnols rédigèrent un petit mot trempé dans le vinaigre à l’adresse de ceux qui voudraient le lire et plus particulièrement les troupes françaises: « Quand les Français prendront Arras, ironisèrent-ils ainsi, les souris mangeront les chats. » Le 13 juin 1640 pourtant, l’affaire était pliée, huit ans avant la fin de la Guerre de Trente ans. Ce qui fait que les vainqueurs écrivirent en retour une réponse moqueuse qui disait: « Les Français ont pris Arras et les souris n’ont point mangé les chats. » Tout cela se situant dans la première moitié du 17e siècle, le Nord de la France et des Pays-Bas étaient alors terres espagnoles. Louis XIII et Richelieu régnaient, l’un pour de vrai l’autre par délégation, mais chacun d’eux le sens du territoire chevillé au corps. Et les deux belles places d’Arras étaient déjà là avec dessous un réseau souterrain à tout faire -Les Boves- , en temps de paix comme en temps de guerre. De cette affaire de siège d’Arras, actuel chef lieu du Pas-de-Calais, il est resté une estampe d’époque (ci-dessus) bien connue des spécialistes, et dont la banderole peut encore servir, y compris dans les affaires publiques ou nos aventures domestiques. Continuer la lecture

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