Jean Dujardin dans la série Zorro, bientôt sur Paramount+ et sur France 2
Jean Dujardin dans la série Zorro, bientôt sur Paramount+ et sur France 2 Marcel Hartmann - Paramount + - FTV - Le Collectif 64 - Bien Sûr Productions

Jean Dujardin, Omar Sy, Pierre Niney à la conquête des séries, le nouvel eldorado des stars du cinéma français

Ils iront tous à la série… Enquête sur ces grands noms du septième art qui ne peuvent plus résister à l'appel du petit écran.

Devant une hacienda poussiéreuse, Jean Dujardin , tout de noir vêtu, fait cabrer sa monture. La star vient de passer cinq mois sous le soleil andalou pour mettre en boîte l'une des séries les plus attendues de l'année : Zorro. Paramount+ diffusera ses aventures prochainement, puis on les verra sur France Télévisions au second semestre 2024.

En moins d'un an, c'est le second rôle de Dujardin dans une série. Après Alphonse , un succès d'audience sur Prime Video, où son ami Nicolas Bedos lui a offert le rôle d'un quadragénaire complexé qui prend des leçons auprès de son père (Pierre Arditi) pour devenir… gigolo.

Jean Dujardin à la Une du Figaro TV Magazine Marcel Hartmann - Paramount + - FTV

Fin du snobisme

Le comédien est le dernier exemple d'une longue liste de grands noms du septième art français qui passent sans ciller du grand au petit écran. Vincent Lindon brille en magistrat déterminé à coincer des escrocs à la taxe carbone dans D'argent et de sang (Canal+). Juliette Binoche a revêtu le tailleur de Coco Chanel dans The New Look sur Apple TV+. D'autres, comme Virginie Efira, Leïla Bekhti et Tahar Rahim, ont pris le pli. Après Dix pour cent, En thérapie et Alphonse, Charlotte Gainsbourg tourne Étoiles, une fiction dans l'univers des danseurs, attendue sur Prime Video en 2025.

La liste de ces transfuges s'allonge. Marion Cotillard et Isabelle Huppert étudient des projets. Bérénice Bejo et Emmanuelle Béart ont envie de se lancer. Melvil Poupaud et Karin Viard se retrouvent dans Dans l'ombre (bientôt sur France 2), le thriller politique coécrit par Édouard Philippe. Heureuse d'avoir campé Diane de Poitiers dans une série du même nom en 2022, Isabelle Adjani devrait renouveler l'expérience, toujours devant la caméra de Josée Dayan. Monica Bellucci ondule sur la scène du Paradis Latin où est tourné Ça, c'est Paris ! (pour France 2, également).

Charlotte Gainsbourg dans En thérapie sur Arte et Juliette Binoche en Coco Chanel dans The new look sur AppleTV+ Manuel Moutier - Apple TV+

Le temps où la série était perçue comme un art mineur est révolu. « Les frontières sont désormais poreuses », se félicite Olivier Bibas, directeur de la création originale de Canal+. Le producteur Éric Laroche renchérit : « Le snobisme du cinéma n'est plus à l'ordre du jour. » La pionnière Josée Dayan se souvient : « Une première cloison a sauté grâce à Gérard Depardieu en 1998. Il rêvait du Comte de Monte-Cristo, mais pensait qu'il ne faudrait non pas un, mais quatre films. Il préférait la télévision pour toucher un plus grand public. Alors au sommet de sa carrière, il n'a pas choisi la télé par dépit. » Cette décision a marqué les esprits. Quinze millions de téléspectateurs l'ont admiré en Edmond Dantès sur TF1. Dayan a ensuite fait tourner Catherine Deneuve dans Les Liaisons dangereuses et Jeanne Moreau dans Les Rois maudits.

La révolution est venue de Hollywood

Ces incursions prestigieuses sur le petit écran devaient lancer le mouvement. Mais, comme souvent, la révolution est venue de Hollywood. « Là-bas, les créateurs et les acteurs ont basculé naturellement à l'époque d'un genre à l'autre, à partir de grosses productions comme 24 heures chrono », se souvient Sidonie Dumas, directrice générale de Gaumont, qui a aussitôt ouvert un bureau à Los Angeles et mis en route la série Narcos.

« La plateforme a institutionnalisé le recours aux talents du cinéma »

Manuel Alduy, directeur de la fiction de France Télévisions

Le mouvement s'amplifie quand, en 2013, Netflix choisit Kevin Spacey pour incarner le président des États-Unis dans sa toute première production originale, House of Cards. « La plateforme a institutionnalisé le recours aux talents du cinéma. Tout ce qu'on a fait depuis s'est inscrit dans cette ligne-là », assure Manuel Alduy, directeur de la fiction de France Télévisions.

« Encore fallait-il que le volume et la qualité s'améliorent en France », souligne Laurence Herszberg, à la tête du festival Séries Mania. Des producteurs comme Marc Missonnier (Pigalle la nuit, HP), Haut et court (The Young Pope) et Sidonie Dumas (Lupin, Becoming Karl Lagerfeld) se lancent avec la même ambition que dans le cinéma. « Les deux genres sont complémentaires », insiste Sidonie Dumas. Canal+ et Arte font de même. Engrenages, Braquo ou Les Revenants témoignent de la qualité des nouvelles propositions.

Vincent Lindon dans D’argent et de sang, sur Canal+ Canal+ - CURIOSA FILMS

Désormais, à la machine à café, on discute davantage de séries que de films. Ces derniers mois, peu de longs-métrages français ont été à la hauteur de D'argent et de sang, de La Fièvre ou de Polar Park. Même Alphonse de Nicolas Bedos était une proposition décapante face à un septième art français timide, sinon timoré. « Prenant plus de risques, les séries sont parfois désormais plus sophistiquées que le cinéma », confirme Ziad Doueiri, réalisateur de Baron noir et de La Fièvre. « La pandémie, avec la crainte d'un écroulement du cinéma en salle, a aussi affolé les acteurs », rappelle une productrice.

Dans les pas de Mathieu Kassovitz

En même temps que le genre s'affinait, les plateformes sont arrivées sur le marché français et ont aussitôt engagé des vedettes. Netflix a débauché Gérard Depardieu et Benoît Magimel, en 2016, pour le supernavet Marseille. « Les stars sont des têtes de gondole qui permettent d'établir une communication et un marketing de grande ampleur, utiles dans la course aux abonnés », rappelle Laurence Herszberg. Les Américains se sont mis d'accord avec Gaumont pour proposer le rôle de Lupin à Omar Sy. Gaumont a ensuite aidé l'acteur à produire Tirailleurs.

« En recrutant les stars et les grands cinéastes, ces plateformes ont acquis un pouvoir dangereux. »

« Être un studio qui fait les deux est un atout. On peut se féliciter que les Américains aient autant envie de faire jouer des talents français. Cela donne du travail par ricochet à nos techniciens et à nos studios de tournage », se réjouit Sidonie Dumas. Une autre productrice paraît moins confiante : « En recrutant les stars et les grands cinéastes, ces plateformes ont acquis un pouvoir dangereux. Ce sont désormais les conseils d'administration américains qui ont droit de vie ou de mort sur les productions françaises, les sujets, les dialogues, le ton… »

Omar Sy dans Lupin, sur Netflix Emmanuel Guimier

Pour les comédiens, tous les éléments étaient réunis pour franchir le Rubicon. La bascule s'est produite grâce au triomphe de Mathieu Kassovitz dans Le Bureau des légendes d'Éric Rochant. Malotru, cet espion de la DGSE, collera à vie à la peau du réalisateur de La Haine. Jouer dans une série originale qui devient une marque pour Canal+ ou HBO crée une identification à un rôle fort qui transforme ou relance une carrière. Sans doute les comédiens trouvent-ils quelque chose de grisant dans ce regain de popularité.

Kad Merad a décroché son rôle le plus marquant non pas à la poste de Bergues dans Bienvenue chez les Ch'tis mais avec Philippe Rickwaert, alias Baron noir. « Kad m'a confié que les gens ne le percevaient plus de la même façon », glisse Ziad Doueiri. Une saison 4 où l'univers de Baron noir rencontrera celui de La Fièvre est en écriture. Pour son rôle d'escroc hâbleur dans D'argent et de sang, Ramzy Bedia n'a jamais reçu de critiques aussi élogieuses.

Large exposition

L'arrivée de cinéastes renommés explique aussi cette ruée vers la série. « Je n'en aurais jamais fait si Xavier Giannoli ne m'avait pas dit qu'il adorerait raconter l'arnaque à la taxe carbone par ce prisme », confiait Vincent Lindon à la sortie de D'argent et de sang. La série offre, au vrai, un terrain de jeu parfois plus vaste que le cinéma. Ainsi Marina Foïs adore-t-elle distribuer des crochets dans Furies sur Netflix, un thriller d'action au féminin. « Comme a priori je ne tournerai pas dans un Marvel, j'ai pu apaiser mon envie de cette manière », s'enthousiasmait-elle. Quant à Monica Bellucci, cantatrice dans Mozart in the Jungle (2016), elle a aimé se plonger dans le monde de l'art lyrique, qu'elle ne connaissait pas. Elle a fini cette aventure avec le désir de réaliser une série à son tour

Pierre Niney dans Fiasco Gael Turpo/Netflix

L'envie de travailler en bande motive aussi les visages du septième art. Jonathan Cohen a embarqué Pierre Niney, Géraldine Nakache ou Jérôme Commandeur dans une parodie d'émission de rencontre (La Flamme, en 2020) et sur une plage corse pour un faux « Koh-Lanta » (Le Flambeau, en 2022). À son tour, Pierre Niney a fait jouer François Civil et Géraldine Nakache dans Fiasco. Une fiction qui porte, hélas, bien son nom.

Il ressort des confidences d'acteurs que l'exercice n'est pas toujours aisé. « Huit épisodes tournés équivalent à deux films », estime Olivier Bibas. « Il faut travailler vite. Jusqu'à dix minutes sont mises en boîte par jour pour une série, contre deux au cinéma », détaille Marc Missonnier (producteur de l'excellent Homejacking pour OCS). Le nombre de dialogues à mémoriser donne le tournis. Niels Arestrup en sait quelque chose. Son rôle de président de la République dans Baron noir l'a obligé à apprendre des dizaines de pages particulièrement techniques. « C'est le projet le plus difficile de ma vie », a d'ailleurs confié le septuagénaire.

Pour le polar Jour polaire, Leïla Bekhti a dû supporter des semaines de solitude au fin fond de la Laponie suédoise avec une équipe anglophone et des « knotts », les terribles moustiques vikings. « Une série, c'est six mois de travail. Pour les stars très demandées, cela revient à refuser des films », souligne Laurence Herszberg.

Un âge d'or

Dans le meilleur des cas, cet effort est récompensé par une exposition large et instantanée. Un film sort en France seulement, une production Netflix, dans 190 pays. La carrière internationale de Camille Cottin a décollé grâce à Dix pour cent. Autre avantage, l'échec est moins douloureux qu'au cinéma puisqu'il n'existe pas de box-office et que les plateformes refusent de communiquer les chiffres. « Cela pourrait changer à l'avenir, observe Marc Missonnier. Si elles vendent leur espace publicitaire, elles seront bien obligées de donner une estimation aux annonceurs auprès de Médiamétrie. On pourra vérifier si un grand nom du septième art fait la différence. »

Pour attirer les stars, les plateformes leur font des chèques bien plus importants qu'au cinéma...

Pour attirer les stars, les plateformes leur font des chèques bien plus importants qu'au cinéma. Dans certains cas, ils obtiennent même des parts de producteur. Un acteur dans une fiction qui triomphe dans le monde entier et multiplie les saisons peut espérer bien plus que 3 millions d'euros. Contrairement aux contrats pour un film, ceux des séries ne sont pas publics. Même si les budgets sont désormais à la baisse avec des épisodes moins nombreux et raccourcis, les comédiens et leurs agents vivent encore un âge d'or. « Jamais les cachets n'ont été aussi importants », constate Olivier Bibas. Le poste alloué aux salaires des vedettes dépasse de loin les coûts de fabrication. Ils reçoivent des offres impossibles à refuser… Est-ce pour cette raison que Vincent Cassel a accepté en 2023 de jouer dans Liaison, une fiction d'espionnage d'Apple TV+ au scénario bancal ?

Marina Foïs et Lina El Arabi dans Furies. Pascal Chantier/Netflix

Pour aligner des montants pareils, TF1 et France Télévisions n'ont d'autre choix que de recourir à des coproductions avec les Américains. Cœurs noirs, sur les forces spéciales, dont la saison 2 est en tournage, est ainsi cofinancé par Amazon et France 2. Pour Canal+ et Arte, réputés pour la qualité artistique de leurs projets, les comédiens consentent à des efforts. La nouvelle génération, elle, ne fait plus aucune distinction entre petit et grand écran. Révélé sur OCS dans la série HP, Raphaël Quenard est partout au cinéma. Ana Girardot et Nina Meurisse suivent le même chemin. Quant aux derniers récalcitrants, le format de la minisérie, plus aisé à intercaler dans un agenda d'acteur, va les aider à franchir le pas. Ont-ils de toute façon le choix d'ignorer l'irrésistible appel du petit écran ?

Jean Dujardin, Omar Sy, Pierre Niney à la conquête des séries, le nouvel eldorado des stars du cinéma français

S'ABONNER
Partager

Plus d'options

S'abonner