Rendez-vous avec Ludivine Sagnier : « J’ai eu de la chance, je suis toujours tombée sur des partenaires de jeu respectueux »
Portrait

Rendez-vous avec Ludivine Sagnier : « J’ai eu de la chance, je suis toujours tombée sur des partenaires de jeu respectueux »

Ses premiers rôles, l’affaire Godrèche, le cinéma américain, sa pièce adaptée du roman de Vanessa Springora… L’actrice nous parle en toute franchise.

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Temps de lecture : 7 min

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Est-ce à cause de la marinière qu'elle porte ce jour-là ? Quand il s'agit d'improviser un déjeuner avec Ludivine Sagnier en cette fin février pluvieuse, l'idée d'un repas sur un bateau s'impose d'elle-même. On erre un peu le long de la Seine à la recherche d'une guinguette. Et c'est sur le ponton de la barge « Annette K », amarrée au port de Javel (Paris 15e arrondissement), qu'on finit par s'installer.

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L'ambiance détendue de cette grande péniche qui abrite à la fois un restaurant, une salle de concert, une piscine et un gymnase correspond bien à l'état d'esprit de la comédienne. Celle-ci affiche en effet, à la veille de la reprise du spectacle Le Consentement au théâtre du Rond-Point*, une grande décontraction. « Je rentre de quelques jours de vacances au soleil. Comment pourrais-je être stressée ? » sourit-elle.

Un naturel confondant

Ludivine Sagnier se dit ravie de porter sur scène cette pièce tirée du récit de Vanessa Springora, où elle aborde frontalement le thème de l'emprise d'un écrivain quinquagénaire (en l'occurrence Gabriel Matzneff, jamais cité dans le texte) sur une fille de 14 ans. Dans ce spectacle choc, l'actrice incarne avec un naturel confondant cette collégienne tombée entre les griffes d'un pédophile.

Ludivine Sagnier étincelle dans l'adaptation théâtrale du <em>Consentement</em> de Vanessa Springora.
 ©  Christophe Raynaud de Lage
Ludivine Sagnier étincelle dans l'adaptation théâtrale du Consentement de Vanessa Springora. © Christophe Raynaud de Lage

Seule en scène, tout juste accompagnée par le musicien Pierre Belleville, dont les solos de batterie ponctuent la pièce de morceaux composés par Dan Levy, restituant la pulsation d'un cœur adolescent en pleine confusion des sens, elle s'y révèle d'une telle justesse qu'on ne serait pas étonné qu'elle décroche un Molière le 24 avril prochain. On le lui dit, elle s'en amuse. « La pièce le mérite », souffle-t-elle.

À LIRE AUSSI Rendez-vous avec Corinne Maier : « C'est aux femmes de faire bouger les choses ! » L'expérience décrite par Vanessa Springora fait en tout cas étrangement écho à celle évoquée par Judith Godrèche en janvier dernier. Forcément, on en parle. La comédienne dit se réjouir du changement de mentalités qui s'opère depuis quatre ans. « Après le récit de Vanessa, il y a eu La Familia grande, de Camille Kouchner (Seuil, 2021), qui a aussi contribué à faire évoluer les mentalités. Je suis heureuse que nous puissions enfin parler de ce sujet. »

Combien d’enfants ont été abusés par des adultes qui leur ont fait croire qu’ils désiraient nouer une relation amoureuse ?

Ludivine Sagnier a lu Le Consentement peu de temps après sa sortie en janvier 2020. Ce témoignage l'a bouleversée. Elle a immédiatement accepté de se glisser dans ce rôle lorsque le metteur en scène Sébastien Davis le lui a proposé. « Je ne pouvais pas refuser. D'abord parce que Sébastien est un ami d'enfance. Ensuite parce que ce texte offre aux lecteurs les moyens d'identifier les mécanismes de manipulation auxquels recourent les prédateurs sexuels. Je pense qu'il est important que les plus jeunes aient ces clés », insiste la comédienne, maman de trois filles de 9, 15 et 19 ans.

Pour elle, « il était évident qu'il fallait raconter au plus grand nombre cette histoire. C'était même un devoir. Combien d'enfants de cette génération ont été abusés par des adultes qui leur ont fait croire qu'ils désiraient nouer une relation amoureuse avec eux malgré leur différence d'âge ? Combien continuent d'être victimes de tels agissements ? » s'interroge-t-elle.

Premiers rôles

À 44 ans, Ludivine Sagnier a réalisé que son parcours la conduisait presque naturellement à ce rôle. Non pas qu'elle ait été elle-même victime d'abus au cours de sa carrière… « C'est juste que l'un des premiers rôles que j'ai joués, lorsque j'avais 8 ans, était celui d'une enfant confrontée à un vieux pervers », pointe-t-elle. C'était dans un petit cours de théâtre de Sèvres, tenu par Martine d'Yd-Hieronimus. Sébastien Davis (déjà lui) y interprétait, avec elle, le Satyre de la Villette de René de Obaldia, une pièce créée en 1963.

Dans<em> The Serpent Queen</em>, mini-série américaine sortie en 2022, notamment sur Prime Video, Ludivine Sagnier incarne Diane de Poitiers, maîtresse du roi de France Henri II.
 ©  Starz
Dans The Serpent Queen, mini-série américaine sortie en 2022, notamment sur Prime Video, Ludivine Sagnier incarne Diane de Poitiers, maîtresse du roi de France Henri II. © Starz

SON DIMANCHE IDÉAL : « J'ai des plaisirs simples. Pour moi, un week-end est réussi si j'ai pu faire la grasse matinée, lire au lit et surtout… organiser un grand brunch qui mélange amis et famille. J'adore cuisiner pour mes proches. Et je confesse être très gourmande ! »

« À l'époque, je n'avais pas vraiment compris toutes les implications de ce texte où une fillette tourne en ridicule un homme âgé qui lui fait des avances. Mais cette pièce parlait déjà de ça », dit-elle. Avant d'ajouter que le hasard a voulu qu'elle joue ensuite au concours d'entrée au conservatoire de Versailles, toujours avec Sébastien Davis, un dialogue entre Agnès et Arnolphe tiré de L'École des femmes de Molière. Là encore est évoqué ce thème de l'emprise d'un adulte sur une jeune fille. « J'avais alors 14 ans. Soit l'âge de Vanessa Springora lorsqu'elle a rencontré Matzneff. C'est vertigineux quand on y pense ! » s'exclame-t-elle.

Révélée par le cinéma de François Ozon (Gouttes d'eau sur pierres brûlantes, 8 Femmes, Swimming Pool…), Ludivine Sagnier n'a pas tardé à embrasser une carrière internationale au tournant des années 2000, notamment avec le Peter Pan de Paul John Hogan, où elle joue la fée Clochette. C'est en travaillant aux États-Unis qu'elle a commencé à voir apparaître sur les plateaux ces « coordinateurs d'intimité » qui supervisent les scènes de sexe. Elle applaudit des deux mains l'importation récente en France de tels « référents ».

À LIRE AUSSI Rendez-vous avec François Gabart : « La solitude n'a jamais été un besoin pour moi » À l'en croire, ce ne seraient pas des « gadgets » inventés par une société américaine pudibonde. « Grâce à ces professionnels, le tournage des scènes d'amour est aujourd'hui encadré. Les comédiens et comédiennes que cela pourrait gêner ont désormais un interlocuteur pour évoquer l'éventuel malaise qu'ils éprouvent », dit-elle. Ces « coachs » d'un nouveau genre sont aussi là pour éviter les dérapages. « J'ai eu de la chance, je suis toujours tombée sur des partenaires de jeu respectueux, confie-t-elle. Mais je sais que ce n'est pas le cas de tout le monde. Si je n'ai jamais été traumatisée par une expérience de tournage, les exemples sont nombreux qui prouvent l'utilité de tels coordinateurs d'intimité. Encore faut-il qu'ils aient été convenablement formés. »

Dans les années 90, la drague se faisait de manière parfois très lourde sur les plateaux

Si elle explique ne pas avoir été confrontée à des prédateurs, la comédienne n'en reconnaît pas moins avoir été la cible de propos ou de comportements vulgaires… « Dans les années 90, la drague se faisait de manière parfois très lourde sur les plateaux », glisse-t-elle. Elle n'en dira pas plus. Sur Gérard Depardieu, croisé sur le tournage de Cyrano de Bergerac quand elle avait 11 ans, elle déclare n'avoir aucun reproche à faire. Et quand on évoque la figure d'Harvey Weinstein, qui l'avait invitée au Ritz pour la rencontrer alors qu'elle n'avait que 20 ans, elle se contente de dire : « À aucun moment je ne me suis sentie en danger. »

En 2016, elle donne la réplique à Jude Law dans la série <em>The Young Pope</em> réalisée par Paolo Sorrentino.
 ©  HBO
En 2016, elle donne la réplique à Jude Law dans la série The Young Pope réalisée par Paolo Sorrentino. © HBO

Rétrospectivement, elle se dit que c'est parce qu'elle était alors bien entourée et qu'elle a toujours eu une vie équilibrée. « Les prédateurs sexuels s'attaquent en général à des personnes vulnérables. Du moins à des gens qui présentent une faille : une mère défaillante ou un père absent. Ce qui n'a pas été mon cas », analyse-t-elle.

Quand elle regarde en arrière, seules quelques réflexions de journalistes lui semblent aujourd'hui particulièrement déplacées. « Elles émanaient de journalistes américains qui étaient étonnés de voir le naturel avec lequel j'évoluais nue dans Swimming Pool de François Ozon. En focalisant sur le sujet alors que je suis une fille très pudique en réalité, ils ont fini par me mettre mal à l'aise… »

Dans quelques jours, les spectateurs retrouveront Ludivine Sagnier dans Franklin, une série historique diffusée sur AppleTV +. Elle y incarne Anne-Louise Brillon de Jouy (1744-1824), une compositrice française qui fut proche de Benjamin Franklin. Elle y donne la réplique à Michael Douglas, qui interprète le signataire de la Constitution américaine, premier ambassadeur des États-Unis en France.

La même plateforme de streaming diffusera également, en mai, la version longue du Napoléon de Ridley Scott, dans lequel elle a joué mais dont les scènes ont été coupées dans la version diffusée au cinéma l'an dernier. À l'automne, toujours, elle sera à l'affiche de l'adaptation au cinéma du roman de Nicolas Mathieu Leurs enfants après eux.

Citoyenne engagée

En attendant, elle se consacre à son rôle de directrice du département « acteurs » de l'école Kourtrajmé, fondée en 2018 à Montfermeil par les réalisateurs Romain Gavras, Ladj Ly et Kim Chapiron, son mari. « La section dont je m'occupe forme, chaque année depuis quatre ans, une douzaine de jeunes issus des quartiers qui, sans cet établissement, n'auraient sans doute jamais envisagé de se tourner vers le septième art », dit-elle.

Depuis que l'école existe, près de quarante acteurs en sont sortis. Parmi eux, Lisa Nyarko, au générique du film d'horreur Vermines, en décembre dernier. Mais aussi Moussa Cissé ou encore Abdallah Charki, révélation du film Ma part de Gaulois de Malik Chibane. « Ces jeunes sont la relève du cinéma français », s'enthousiasme-t-elle.

*Le Consentement de Vanessa Springora, avec le musicien Pierre Belleville, mise en scène Sébastien Davis au théâtre du Rond-Point (Paris 8e) jusqu'au 6 avril.

Chaque dimanche, Le Point a Rendez-vous avec des personnalités connues et moins connues du monde de la culture, de la télé, du cinéma, de la gastronomie, du sport, de l'entreprise… Ils et elles se prêtent au jeu de l'entretien intime, nous racontent leur parcours, parfois semé d'embûches, nous livrent quelques confidences et nous donnent leur vision de la société.

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Commentaires (8)

  • dan34770

    Vous parlez de [changer les mentalités]. Vous devriez préciser : dans le petit milieu du cinéma. La grande majorité des français n'a pas à changer. Ils ont une bonne mentalité et ne se retrouvent pas dans tous ces articles qui pullulent sur les T V, les radios, les magazines...

  • Henri Eugène

    Intelligente.

    Elle note les failles familiales (absence de soutien parental) à l'origine de relations inadéquates entre de très jeunes filles et des hommes beaucoup plus âgés et sans scrupules.
    Cela n'exonère pas ces derniers, mais permet de comprendre ce type inégalitaire d'attachement.
    Tous les psychologues connaissent ce processus que d'aucuns traduiront par la nécessité d'être deux pour faire un couple !

  • Henri Eugène

    Hypothèse ?

    C'est exprimé par certains commentateurs, à savoir qu'il s'agit simplement de normalité.
    Ce faisant, cette actrice évite intelligemment l'idéologie radicale du jour, laissant entendre qu'elle est passé au travers de communes mésaventures, par un hasard, voir une chance ; détour lui permettant de ne pas déjuger un militantisme féministe qui fait de tous les hommes des prédateurs (Sandrine Rousseau : "On ne peut compter sur aucun homme") et qui pourrait lui nuire.
    On ne rigole pas avec le tribunal médiatique !