La vitesse des lanceurs

 
Un texte de Sylvain Saindon, directeur technique à Baseball Québec 
 

Le baseball est le sport de chiffres par excellence. Ces nombreux matchs (162 par équipe) font en sorte que nous sommes capables d’obtenir des échantillonnages des plus pertinents quand vient le temps de faire parler les chiffres.

Ces dernières années, technologie aidant, le baseball majeur nous abreuve de données qui décrivent avec justesse tout le talent et l’habileté des joueurs de baseball professionnel. Parmi ces mesures, la vitesse des artilleurs des majeurs stimule toujours autant l’imaginaire de l’amateur.

Image de statistiques de baseball

Comme tous les sports de haute performance, le joueur de baseball d’aujourd’hui bénéficie d’un encadrement supérieur. Par le truchement de la vidéo, l’enseignement technique n’a jamais été aussi bon. Les méthodes d’entraînement et de récupération sont optimisées comme jamais auparavant. Les athlètes sont appuyés par des entraîneurs plus instruits qui synchronisent mieux toutes les activités entourant le joueur.

Ajoutez à ce cocktail l’appui financier des différents paliers de gouvernement et vous obtenez des records de médailles aux olympiques ainsi que des performances hors de l’ordinaire dans plusieurs sports.

Les lanceurs de baseball n’échappent certes pas à cette optimisation de la performance. Jamais n’a-t-on lancé aussi fort (et avec autant de mouvement) dans l’histoire des majeurs. Voici un tableau de l’augmentation de la vélocité moyenne des lanceurs MLB, ces dernières années.

Tableau de l'augmentation de la vitesse moyenne des lanceurs

Plus de miles à l’heure dans le bras que de poils sous le menton!

Le 19 février dernier, l’ABC tenait sa journée annuelle dédiée aux recruteurs du baseball majeur. Si plusieurs ont impressionné lors de cet évènement, un joueur a particulièrement retenu l’attention. Il s’agit du jeune lanceur droitier de Varennes, Simon Lusignan.

Pour ceux et celles qui seraient moins familiers avec les vélocités des lanceurs, voici les chiffres que réussissent à atteindre nos lanceurs les plus rapides par catégorie ainsi que la moyenne des lancers du baseball majeur.

Calibre de jeu Vitesses supérieures
Moustique (11U) 53-58 mph
Pee-Wee (13U) 65-70 mph
Bantam (15U) 75-80 mph
Midget AAA (17U) 80-85 mph
ABC/Équipe Canada Junior/Junior élite 85-90 mph
Moyenne MLB partant/MLB releveur 92 mph/96 mph

 

Déjà d’atteindre la vitesse fétiche de 90 mph est un fait d’armes en soi, cet exploit est encore plus rarissime dû au fait que Simon aura seulement 15 ans à la fin du mois!

Suite à cet article, plusieurs réactions ont déferlé sur la toile. Si bien des gens embrassaient la performance de jeune homme, à l’opposée, plusieurs argumentaient qu’il était dangereux de générer autant de vitesse en si bas âge. Qu’en est-il vraiment?

Vélocité vs blessures

Pour tous ceux et celles qui ont avancé que Simon avait beaucoup plus de chances de se blesser maintenant qu’il lance à 90 mph... Vous avez totalement raison! Il est de loin beaucoup plus dangereux pour le corps de subir cette haute friction interne sur les articulations que celle qui est produite par un lancer de 32 mph!

Cet énoncé prévaut également pour tous les sports auxquels un individu peut générer un maximum de force/vitesse en un très court laps de temps. Les meilleurs sprinters sont ceux qui sont davantage susceptibles à s’infliger des claquages que les moins rapides. Les blessures au bras arrivent au tennis quand ces derniers commencent à frapper la balle avec puissance.

À l’époque où j’entraînais Junior, je me souviens d’avoir perdu un de mes lanceurs à la suite de son séjour dans un collège américain. Tempête de neige en Oklahoma. Le joueur en question décide de lancer une balle de neige afin d’atteindre un coéquipier qui sortait sa tête de l’autobus. Évidemment, il lance la fameuse balle de neige avec vigueur. Une seule balle de neige. Sensation de brûlure derrière l’épaule. Diagnostic : déchirure au niveau de la coiffe du rotateur! Saison terminée. On rentre à la maison.

Prenez de jeunes enfants qui se lancent des balles de neige. Aucun d’entre eux ne se blessera. Pourquoi? Ils ne génèrent pas assez de force-vitesse pour se mettre en danger. Voyez-vous souvent des enfants faire des sprints, même pas échauffés, et se faire des claquages à l’isichio-jambier? Jamais! Cette blessure appartient à ceux qui sont très rapides; à ceux qui sont encore une fois capables de produire assez d’énergie pour se faire mal.

Ce principe s’applique même pour votre conduite automobile. Vous êtes beaucoup plus à risque à rouler à 90 mph qu’à 50 mph!

Même si l’évaluation des lanceurs n’est pas uniquement associée au radar, il est indéniable que la vélocité demeure un atout majeur… Surtout si vous êtes capable de lancer des prises!

Volume x Intensité = charge de travail pour l’athlète

Comme on ne peut pas vraiment dire à un sprinteur de courir moins vite de peur qu’il se blesse, à un sauteur de sauter moins haut ou encore à un serveur de tennis de frapper moins fort, on ne peut pas dire à un lanceur de lancer moins vite. D’obtenir une vitesse maximale avec de moins en moins d’effort (lire avoir une bonne mécanique), oui. De réduire le nombre de mph, non.

Si de maintenir et d’améliorer l’intensité (vitesse) dans notre sport est primordial, c’est donc au niveau du volume d’entraînement qu’on se doit d’être vigilant. Les releveurs professionnels lancent chaque balle comme s’il s’agissait de leur dernier lancer à vie. Une fois l’année terminée, ces mêmes releveurs totalisent autour de 65 manches lancées. Les partants, qui lancent fort, mais avec moins d’intensité que les releveurs, peuvent accumuler 180 à 200 manches par saison. C’est plus que trois fois le nombre de manches des releveurs! Ces deux groupes fort différents s’expriment sur les variables de volume/intensité.

Au niveau amateur où certaines manches interminables peuvent prendre jusqu’à 50 lancers avant qu’on puisse effectuer le 3e retrait, c’est davantage le nombre total de lancers qu’il faudra prendre en considération afin de conserver une charge de travail assurant le développement et la santé de notre jeune artilleur. Il faut faire lancer Simon assez souvent pour qu’il s’améliore (sa précision entre autres) tout en prenant soin que son bras récupère bien du stress associé à la haute vitesse qu’il peut maintenant générer.

La morphologie du lanceur

Bien plus que l’âge, la morphologie du joueur nous en dit davantage sur la capacité de l’athlète à supporter une charge de travail. Il existe 3 types de morphologie. Évidemment pendant la croissance de l’athlète, on peut passer d’une morphologie à une autre…à l’intérieur de seulement 3 mois parfois!

Image des 3 types de morphologie

Chaque sport possède une préférence pour un type de morphologie. En judo, il sera nettement avantageux de posséder un profil endomorphe. Plus court avec un centre de gravité plus bas, l’endomorphe est plus difficile à déplacer. Il génère également beaucoup plus de force en contact rapproché. Si on demande à l’endomorphe d’affronter un ectomorphe, ce dernier sera bon pour quelques vols planés au-dessus du tatami, c’est certain!

À l’inverse, l’ectomorphe avec sa grandeur et ses bras plus «allongés» dispose d’une excellente catapulte pour lancer des balles de baseball avec beaucoup de vitesse.

Ce qu’il faut retenir c’est que ces différentes physionomies peuvent gérer un volume d’entraînement fort différent. L’athlète plus court et trapu voit ses articulations bien «soudées» au niveau ligamentaire contrairement à l’ectomorphe où les tendons ont des attaches plus distales au niveau des os, causant plus facilement des inflammations, bien connu sous le terme tendinite (ou tendinopathie).

Au final, l’endomorphe peut supporter un volume d’entraînement supérieur à l’ectomorphe. Cet énoncé explique en grande partie pourquoi les lanceurs des ligues professionnelles au Japon (davantage mésophorme) exercent annuellement un volume de lancers beaucoup plus considérable que leurs homologues nord-américains (davantage ectomorphe).

Entraînement adapté

Pour un jeune ectomorphe (pour l’instant!) de 6’4 pieds et 180 lbs comme Simon Lusignan, l’entraînement musculaire devient primordial. Autant pour augmenter ses capacités physiques que pour renforcir tous les petits muscles qui subissent un stress intense sous haute vitesse. C’est une discipline annuelle qui devra faire partie de sa vie d’athlète pour le plus d’années possible, espérons-le!

Balle à effets et maux de bras

Oh que j’entends souvent la phrase suivante : «Ce joueur n’a pu de bras parce qu’il a lancé trop de courbes quand il était jeune!».

Bon, bon, bon... Il n’y a aucune étude au monde présentement qui prouve ce constat. Et vous savez pourquoi? Parce que ce n’est pas vrai que de lancer des balles à effet blesse votre bras!

Il est cependant prouvé que lorsqu’un jeune (entre 10 et 16 ans) lance une balle à effet, il génère entre 15-30% moins de vitesse de bras que sur une balle rapide. Résultat : une balle à effet cause moins de stress articulaire qu’une balle rapide!

Encore une fois, la blessure au bras peut provenir de la charge de travail. Si un lanceur effectue 500 lancers dans une semaine, le volume est tout simplement trop élevé. Que ce soit 500 rapides ou 500 courbes qui y sont lancés, ça ne change rien. Le dommage possible sera causé par une surutilisation articulaire.

Vélocité du lanceur de balles à effet

Alors comment expliquer qu’un lanceur de balles à effet Pee-Wee est si dominant et lorsqu’il arrive au niveau Midget, il lance moins fort qu’à l’époque du Pee-Wee?

Majoritairement, cette observation est fausse. Le lanceur de balles à effet lance toujours avec plus de vélocité une fois rendu au niveau Midget. Ce qui peut donner cette illusion, c’est que les autres lanceurs autour de lui se sont probablement davantage démarqués au niveau de la vitesse des tirs.

Est-ce le fait d’avoir lancé trop de courbes qui est à l’origine de cette progression plus lente? Probablement que oui... Mais pas à cause du fameux mythe «courbes=mal de bras»!

Si on veut améliorer sa courbe, on doit lancer des courbes. Si on veut améliorer sa rapide, il faut lancer des balles rapides. Si un jeune Pee-Wee effectue 50 lancers dans un match, dont 25 courbes, il n’aura «amélioré» son bras que de 25 balles rapides.

Si un 2e lanceur effectue 40 rapides sur 50 lancers, il obtiendra un volume de balles rapide 60% supérieur à notre 1er lanceur. Ce volume de balles rapides plus élevé pendant une saison permet donc, 3-4 ans plus tard, d’obtenir davantage de vélocité de la part de notre 2e lanceur vs le premier lanceur de notre exemple.

Ce n’est donc pas un bras meurtri par les balles à effet qui cause cette progression plus lente au niveau de la vélocité. C’est tout simplement un bras moins entraîné! Un bras qui s’est «ménagé» de 15-30% trop souvent pendant la période de croissance la plus propice de l’athlète où le système nerveux est prêt à emmagasiner un maximum de vitesse!

Bon camp d’entraînement !


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