« L’Île aux enfants » : nous nous sommes tant aimés

« L’Île aux enfants » : nous nous sommes tant aimés

La disparition de Christophe Izard rappelle à quel point sa création la plus populaire marqua pour toujours deux générations de téléspectateurs. Hommage.

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Jean-Louis Terrangle, Patrick Bricard, Henri Bon, Éliane Gauthier et Yves Brunier (sous le costume de Casimir), la mythique bande de L'Île aux enfants.
Jean-Louis Terrangle, Patrick Bricard, Henri Bon, Éliane Gauthier et Yves Brunier (sous le costume de Casimir), la mythique bande de L'Île aux enfants. © JEAN PIERRE LETEUIL / Ina / Ina via AFP

Temps de lecture : 7 min

Christophe Izard. Pour les tympans des enfants, ce patronyme promettait l'évasion. On venait à peine d'apprendre à lire mais ce nom-là, nos rétines le fixaient en un battement de cils dès son apparition à l'écran. Izard, hasard, bizarre… wizard, comme diraient les Anglo-Saxons pour désigner un mage bienveillant. Un champ lexical magique. La certitude d'un voyage en terres imaginaires avant le dîner.

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Izard, c'était un peu notre Homère moderne. Go Nagai était celui du Japon avec Goldorak, Stan Lee celui de l'Amérique avec Spider-Man… Et Christophe Izard, leur homologue tricolore. Plus humble, moins fulgurant avec ses marionnettes, ses comédiens sous costume en mousse et ses mondes merveilleux recréés sur les plateaux de la SFP. Mais sans lui, sans eux, notre enfance aurait poussé avec quelques étoiles de moins dans les yeux. Izard accoucha lui aussi de mythes enchanteurs, particulièrement avec les aventures de Casimir : bon sang, qu'est-ce qu'on y a cru, du haut de nos six ans, à cette Île aux enfants  !

Certes, la carrière de Christophe Izard, dont on vient d'apprendre la disparition à l'âge de 85 ans, ne se résume pas à l'émission culte qui fit du gros monstre orange un… monstrueux phénomène de société dans la France de Giscard. Le mage Izard était aussi l'auteur d'autres marqueurs culturels clés pour les minots des années 1970-1980 : Les Visiteurs du mercredi et sa déclinaison pendant les fêtes de Noël, ainsi que Le Village dans les nuages. Plus tard, entre 1990 et 1996, il produisit pour Antenne 2 une autre émission (animée par Luq Hamet) : Hanna-Barbera dingue dong, déclinaison d'un concept américain. L'ex-journaliste chroniqueur musical a également produit et/ou créé diverses séries d'animation au fil de la décennie 90… mais L'Île aux enfants reste son chef-d'œuvre. Son Odyssée. LA « french madeleine » – avec Temps X – de la génération Star Wars.

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On aimait L'Île aux enfants évidemment pour son héros central mangeur de gloubi-boulga, campé avec la candeur enfantine de son interprète Yves Brunier. Mais, telle la meilleure des fictions chorales, cette production qui enchanta des millions de petits Français entre 1974 et 1982 (plus de mille numéros !) regorgeait aussi de seconds couteaux attachants et bien caractérisés. François l'homme aux ballons (Patrick Bricard), Julie et son kiosque à bonbons et jouets (Éliane Gauthier), le jovial facteur Émile Campagne (Henri Bon), l'inénarrable M. du Snob (Jean-Louis Terrangle), le « méchant » monsieur Travling ne songeant qu'à faire de Casimir un animal de foire exhibé autour du monde (Sacha Briquet)… Et, bien évidemment, la marionnette Léonard, renard bougon et poète mâtiné de spleen (Boris Scheigam), sans oublier le cousin super-gaffeur de Casimir, Hippolyte (Gérard Camoin).

La petite musique du vivre ensemble

Conçue, selon les propres mots de Christophe Izard, pour aider les plus jeunes spectateurs, nouveaux écoliers, « à se sentir mieux dans cet univers un peu compliqué », L'Île aux enfants accomplissait au centuple sa mission. Dans ce petit paradis cathodique où l'on se fantasmait Robinson à vie, les saynètes innocentes nous aidaient à mieux vivre la rude perspective d'un lendemain scolaire. Derrière l'insouciance, Izard et sa troupe prenaient au sérieux le devoir pédagogique du service public – TF1, son diffuseur après un lancement sur FR3 en 1974, ne serait privatisée qu'en 1987. François, l'adulte raisonnable du groupe, apprenait à Casimir (et aux gamins figurants) tantôt le principe du suffrage universel, tantôt comment reconnaître la Grande Ourse dans le ciel et repérer l'étoile polaire. Dans un autre épisode, Casimir récupérait des vieilleries que Julie entendait jeter à la poubelle, afin de les recycler pour une tombola de M. du Snob et, ainsi, faire la chasse au gaspi.

D'un jour à l'autre, nos amis François, Julie, Émile et les autres nous récitaient une fable de La Fontaine, devisaient sur Les Trois Mousquetaires, expliquaient le principe de l'écho ou faisaient l'éloge de la différence et de la tolérance. La fibre didactique éclairait discrètement chaque épisode, toujours avec humour et bienveillance. Même dans les nombreuses « séquences intercalaires » qui rythmaient l'émission, pastilles destinées aussi à élargir son public, la petite musique du civisme et du vivre ensemble s'invitait au détour d'un échange entre deux marionnettes. L'Île aux enfants divertissait la jeunesse mais aussi, à son humble niveau, cultivait des citoyens. Sans oublier de nous faire rire, à chaque numéro, grâce à ces interludes incontournables. On s'esclaffait à gorge déployée devant le désopilant (et transalpin) La Linea, personnage dessiné au trait blanc, marchant sur un fil capricieux en maugréant un italien débité à la mitraillette avant de systématiquement tomber dans le vide en hurlant. Mais aussi devant Antivol (avec la voix de Daniel Ceccaldi), « l'oiseau au sol », qui refusait obstinément d'user de ses ailes ; l'hypocondriaque vache Noiraude ; l'improbable créature Gribouille et ses dessins à énigmes ; le duo Albert et Barnabé ; ou encore le magicien aux moustaches mouvantes Pinkie Pou (incarné par le défunt comédien Pierre Gauthier)… Lors de son chant du cygne, en 1982, l'émission ouvrit même son antenne aux loufoqueries de Pierre Desproges avec Les Bons Conseils du professeur Corbiniou – une pure pépite, entre Franquin et Gotlib !

Et même si l'on ne parvint jamais à s'y rendre, sur cette fichue île (d'autres enfants eurent plus de chance que nous pour trouver les locaux de la SFP !), nous ne nous sentions jamais exclus grâce aux fréquents regards caméra des acteurs et leurs proverbiaux « Ha, vous êtes là ! ». Après l'école, la bande nous tendait les bras depuis le poste et, même après une sale journée en classe ou dans la cour de récré, tout s'effaçait durant 25 minutes passées à ricaner devant les gaffes de Casimir et de Hippolyte, les grimaces de M. du Snob ou les caprices d'Antivol. Quels que soient les rôles que notre inconscient projetait sur François et Julie (en fonction des imaginaires, le tandem était perçu comme un binôme frère/sœur, oncle/tante ou un chaste couple amoureux), ils incarnaient des visages rassurants et fiables, phares éclairant les premiers pas de nos vies d'écoliers. Bref : on les aimait.

L'Île aux enfants, c'était aussi la douceur émouvante des paroles de son générique, écrites par Izard et chantées par Anne Germain sur une mélodie composée par Roger Pouly. C'est aussi le « Ouais, et alors ? » un poil défieur de Casimir ; son infect gloubi-boulga à base de bananes, de confiture de fraises, de moutarde et de saucisses de Toulouse crues (mais tièdes quand même) qui, pourtant, marqua tant nos mémoires qu'il s'invita dans notre langage courant, y compris parmi le personnel politique ; une sensibilisation permanente à la culture, aux arts, à la connaissance… et une stimulation de notre imagination via le simple outil des dialogues et de quelques effets sonores, évoquant une île à la vaste géographie quand tout était filmé dans le périmètre d'un studio TV.

Une flamme ravivée dans les années 1990

Dix ans après son dernier soupir en 1982, l'épopée de Casimir connut un rebond de popularité après que l'animateur-producteur Jean-Luc Delarue lui a rendu un vibrant hommage dans son émission La Grande Famille, sur Canal+. Le monstre gentil en personne, toujours incarné par un Yves Brunier ne sortant pas de son personnage, était alors l'invité principal en plateau. Carton d'audience et ramdam dans les gazettes. Rediffusée sur Canal J après ce retentissant happening, L'Île aux enfants berça une génération plus jeune tout au long des années 1990. Célébrée sur un Web en plein envol mais aussi lors de soirées techno animées par l'intéressé, la « Casimir mania » suscita plusieurs décryptages dans la presse sur le phénomène de l'adulescence à l'aube du XXIe siècle. Quel que soit le symptôme dont il serait l'expression, cet imprescriptible lien entre la France et L'Île aux enfants ne s'est jamais brisé. Pour saisir sa puissance, Il faut revoir cette touchante séquence de l'émission Matin Bonheur, diffusée en 1993 sur France 2 : Luq Hamet y recevait Christophe Izard et ses comédiens, régalant les téléspectateurs d'anecdotes sur les coulisses du programme.

Au téléphone, une jeune maman émue de parler en direct à ses héros d'enfance rappela à quel point, au moment de sa découverte de la télé couleur au milieu des années 1970, L'Île aux enfants la bouleversa. Observez bien les mines subitement attendries de Patrick Bricard, de Jean-Louis Terrangle, d'Éliane Gauthier, de Christophe Izard et d'Yves Brunier lorsque la téléspectatrice évoque son envie de faire découvrir L'Île aux enfants à sa fille. Elles témoignent de la belle histoire d'un des plus jolis fleurons de la télévision française et de son massif impact affectif. Un programme gorgé d'inventivité, de rires et de tendresse, dont l'héritage rayonne bien au-delà du seul divertissement pour la jeunesse.

Christophe Izard vient donc de rejoindre Patrick Bricard et Éliane Gauthier (ainsi qu'Henri Bon, notre cher Facteur) au paradis des nobles artisans de l'évasion. Alors forcément, aujourd'hui, l'écoute des tubes « L'Île aux enfants » et « La Chanson de Casimir » ne sera pas sans risque pour les plus sensibles. La gorge se serre, les yeux rougissent… mais, finalement, c'est bien le sourire d'une éternelle gratitude qui s'impose. Merci, Christophe Izard, pour ce long voyage au pays joyeux des enfants heureux !

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Commentaires (7)

  • zazou singap

    Que de souvenirs, avec des thèmes ludiques pour aborder l’orthographe, les maths via Gribouille ou la vache la Noiraude. Et les chansons mutiques de Casimir, Julie, François et Monsieur du Snob! Nostalgie!

  • LIBREPENSEUSE98

    Il aura bousculé toutes nos règles éthiques, on a cessé d'apprendre à manger, Mac-Do est arrivé, nos enfants ont été lâchés, la clef autour du cou, la " philosophie " séductrice des publicités leur ont fourni images et modèles, leurs parents au boulot plus qu'à la maison. Nostalgie, oui, regrets inutiles, devant nous réagir à ces excès sans oublier. Comment se nommait le chien anglais que j'aimais tant ? Le brexit est passé par là...

  • KRISH

    Merci monsieur Izard...