Elle avait effleuré la confidence avec Je plonge, chanson qui racontait métaphoriquement l'état dans lequel elle plongeait lors d'une crise.
L'écrire l'avait partiellement libérée, nous confie Joyce Jonathan, mais le message n'était pas vraiment arrivé à destination. "De nombreuses personnes en avaient fait une interprétation littérale. Comme si je plongeais dans la mer, avec un tuba", rit celle qui, ce vendredi 26 janvier, se livre - sans la protection d'une figure de style - sur sa décennie cauchemardesque à alterner boulimie et anorexie.

Sortir du déni et de la honte

Si je mange, si je vais en enfer, comme s'intitule le titre de cette nouvelle chanson, était "vraiment ce qu'[elle] se disait" il y a encore quelques années. "J'avais un rapport vraiment très problématique avec le fait de me nourrir", se souvient-elle, avant d'expliquer toute la difficulté à gagner sa bataille contre les troubles du comportement alimentaire (TCA). "On doit se nourrir, et donc, on peut facilement déraper dans son addiction de la nourriture, par le biais de quelque chose qui est normal. Une personne alcoolique peut se dire : 'J'arrête de boire'. Là, on doit toucher à la nourriture. Sauf qu’il y a toujours un moment où ça peut déraper... Ce petit seuil est très sensible."
 
"Pendant dix ans, tout le monde avait tort, j'étais persuadée d'avoir raison. Ce qui est terrible", observe aujourd'hui la chanteuse, qui affirmait alors : "Je sais très bien comment faire". "Je ne dois pas manger maintenant parce que j'ai déjà mangé une pépite de chocolat avant-hier", nous glisse-t-elle pour exemple dans un sourire ému.

En devenant maman, j’ai retrouvé mes sensations d’avant maladie. Et surtout, j’ai accepté de dire que c’était une maladie.
 
Joyce Jonathan raconte s'être fixée des challenges personnels pour s'en sortir peu à peu : "ne plus changer de garniture au restaurant, oser me resservir un plat devant ma mère, oser manger un gâteau devant elle sans me dire 'elle va me juger', oser commander un dessert alors que personne d'autre que moi n’en a envie, avoir un paquet de gâteaux chez moi sans y toucher..."
 
Pour ses proches, ces défis étaient "ridicules", selon son adjectif. "Quand je disais à un membre de famille : 'J'ai pris un dessert, je suis trop contente. J'ai juste pris un dessert. Je suis allée me coucher normalement juste après', il me répondait 'Ça va, c'est bon, j'ai compris, tu as pris un dessert, cool !'"
 
L'entourage de la jeune femme si mal dans son corps ne réalisait pas ce que représentait pour elle la réussite d'un tel geste, en apparence facile, mais qu'elle n'était pas parvenue à faire depuis plusieurs années. "Et même si j’allais peut-être craquer et manger beaucoup trop la semaine suivante, c’était quand même des petites victoires", partage-t-elle, bouleversante. 
 
La maternité la sauvera pour de bon du déni, de l'addiction et de la honte. "Devenir maman m’a fait un 'reset' sur mes émotions. J’ai retrouvé mes sensations d’avant maladie. Et surtout, j’ai accepté de dire que c’était une maladie", résume l'artiste aujourd'hui mère d'une fillette de trois ans.
 



Un témoignage important : pour ceux qui savent, et les autres 

Le témoignage qu'elle confie est précieux, tant elle regarde dans les yeux ce problème de santé publique. 600 000 personnes souffrent de TCA en France. Et la moitié d'entre elles ne bénéficient pas d'une prise en charge.
"La nourriture n’est pas le problème. Ce n’est pas du tout ça le problème, insiste l'interviewée. Le problème, c’est souvent une émancipation. Le problème, c'est le fait de vouloir rester femme-enfant toute sa vie, de ne pas avoir couper le cordon, ou de ne pas assumer qui l’on est. La nourriture est un réconfort, une tétine géante, qui nous donne l’impression d’être toujours un peu [protégé·e]. Et puis, c’est un outil, que l’on peut utiliser contre soi, pour se détruire, s’affaiblir…"
"Je ne me suis jamais droguée, je ne fume pas, je bois très peu, très occasionnellement, liste-t-elle. J'ai réalisé que mon problème, la seule arme que j’avais trouvé en tant que personne 'saine', était la nourriture. C'était par elle que je me mettais dans des états pas possibles."
 
Je m'en suis voulue... Énormément.
La musicienne souligne aussi la culpabilité qui colle à la peau les personnes souffrant de TCA. "C’est une maladie dans laquelle on s’en veut beaucoup. Je m’en suis voulue... Énormément."
Cette chanson courageuse, ce témoignage salutaire, est autant une explication à celles et ceux qui n'ont pas connu pareilles addictions, qu'un câlin déculpabilisant aux personnes qui cohabitent douloureusement avec un ou des TCA. Une main tendue pour qu'ils trouvent "leurs propres déclics, leurs propres clefs pour s'en sortir."
"J’ai envie de leur dire que ce problème existe, que c’est commun, qu’il ne faut pas avoir peur de le dire. Il faut en parler. C’est déjà guérir d’une certaine façon."
 
 
 
La chanteuse et pianiste avait écrit et composé Si je mange, je vais en enfer l'an passé, à l'occasion de sa participation au spectacle Corps à cœurs, conçu et réalisé par sa complice, la chanteuse et autrice Laurie Darmon. La troisième édition de ce show autour du rapport au corps et de l'acceptation de soi se déroulera le 29 janvier aux Folies Bergère de Paris, en présence de nombreux artistes, dont Joyce Jonathan. Cette dernière s'est aussi livrée sur ses TCA dans le recueil de témoignages Corps à cœurs (Robert Laffont), signé Laurie Darmon.